Le mode d´emploi

Finalement, durant ces années, de présence sur le terrain au quotidien, d´un engagement au jour le jour auprès des jeunes, on fini par élaborer une méthode   bien à nous... Une méthode de travail sur le terrain, taillée sur mesure par les événements du jour, sans scénario, si ce n´est celui, écrit par la vie, imprévisible, non-programmable. Alors, maintenant, on fini par savoir où l´on va, tout en sachant que c´est aujourd´hui que ca se passe, car demain...

Et c´est comme ca, depuis une quinzaine d´années...  

 
un contact direct...
dés le plus jeune age...
avec des actions sur le terrain...
Festival Interbidonvilles Akana me a Rakúsy
Festival Interbidonvilles Akana me a Veľká Lomnica
Festival Interbidonvilles Akana me a Kubachy
et bien-entendu, avec la participation du public...
les répétitions directement chez l´habitant...
des répétitions sur le terrain...
tout le monde veut monter dans la voiture pour les répétitions...
les répétitions dans les locaux de l´association, un couloir, c´est mieux que rien...
utiliser le potentiel naturel des enfants...
soutenir les telents des leur plus jeune âge..
préparation pour le premier spectacle...
Sziget Festival, Hongrie 
rencontres au plus haut niveau...
suivre les rêves des gosses...
romano suno...le reve tsigane
  
dans le tourbillon du monde...
nouvelles rencontres ...
interventions dans les écoles françaises...
la culture rom, partie-prenante du dialogue interculturel...
un contact direct avec le public...
la scène...
Veľká Lomnica
interventions aupres des Roms des Balkans dans la banlieue parisienne
retour à la maison, Kubachy...
 

Matej passe par la fenêtre, Kubo, Domino et 4 autres s’engouffrent à la brasse à l’arrière, Katka négocie un départ différé avec Manuela qui attend Ivana qui n’a pas de chaussures et va en chercher chez Denisa qui vient de se laver les cheveux, Janka est encore à l’école, Eric réussit à clacsonner à tue-tête, Kouko pique une crise pour qu’on le prenne, un inconnue essaie de piquer un CD, on sort Kourmin qui a commencé à faire pipi sur la banquette arrière, il finit sur la roue arrière, Dusan me demande des clopes, Gisela jure qu’elle doit rentrer à l’hosto et il lui faut 20 euros pour s’acheter un pyjama, Jarko, le père de Janka a déjà bu un bon coup, ça lui donne soif, il voudrait en boire un autre, personne n’a rien à manger, le père de Stanko voudrait emprunter 300 euros ou qu’on se porte garant pour un emprunt à la banque, Shnurky doit pointer à l’ANPE, mais il n’a pas les 40 centimes pour le bus, quelqu'un me demande si je n’ai pas du travail. Merde, il y en a qui essaient de rentrer par le coffre. Des gens me dévisagent. Des sympas, des moins sympas. La bagnole est pleine à craquer. Je ne maîtrise absolument rien, je suis totalement dépassé par les événements. C’est inutile de les compter. Le nombre réglementaire de passagers n’a jamais été respecté, comme aucun autre règlement d’ailleurs, il est constamment démultiplié, on met la musique à fond et on part à Kežmarok pour la répétition. A chaque apparition de voiture suspecte qui ressemble à une voiture de flics je gueule : « beshen tele ! » - (tous assis !) et on réussit instantanément le miracle de ne paraître que 6 tout en étant au moins 16 dans la Dacia Logan affrétée par le Ministère des Affaires Etrangères français, via le Programme Roms et Voyageurs, dans le cadre de l’éducation informelle et non formelle des Roms d’un peu partout et ceux de Lomnica en l’occurrence en particulier. Il y a de l’ambiance. Ca chante, ça rigole. La moyenne d’âge est de 3 à 23 ans. Tous m’assurent qu’ils vont partir avec moi en France et qu’ils auront des passeports. Le voyage se passe sans incidents. Le temps de trois chansons et on débarque chez Margita. La descente de voiture est digne d’un concours de prestidigitation, ça n’en finit pas de descendre et descendre, le couloir qui nous sert de salle de répétitions se remplit instantanément. Héléna me fait une scène. Pourquoi j’en ai encore pris autant et n’importe les quels. J’essaie d’expliquer, ce n’est pas la peine. C’est toujours pareil. Je fais n’importe quoi! On attaque de suite. Pas une minute à perdre : Yek, douille, trin et hop, c’est parti. Stano avec les garçons, Ivana avec les filles. Les ados jouent et chantent. Pas forcément tous la même chose. Tout le monde joue de la guitare, pourtant personne ne sait en jouer. Les petits envahissent les toilettes, les grands fument en douce, les filles ont des fous rires et les habitants des lieux font la gueule, comme d’habitude. On fait avec. Je fonce pour la seconde tournée. Il y en a déjà qui m’attendent en amont, à 600 m du bidonville, inutile de dire que ce ne sont pas ceux à qui j’ai dit de venir. Je les prends. Souvent ils attendent comme ça, qu’il pleuve ou qu’il fasse froid. Même si on leur dit qu’aujourd’hui on ne viendra pas, ils sont là, ils attendent et prient le bon Dieu pour que l’on vienne. Du moins c’est ce qu’ils me disent. Et la petite Katka, de 6 ans, qui revient de l’orphelinat, il n’y a pas de raison pour ne pas la croire.

Pendant ce temps Alex passe à Rakúsy, qui viennent pourtant en bus, mais il y en a toujours au moins un qui le rate. Kubachy sont plus excentrés, ce n’est que rarement que nous réussissons à faire un crochet pour les prendre. A cela, il faut ajouter quelques locaux de Kežmarok, rescapés des purges récentes et on arrive à un couloir de 3 m sur 6, bondé à souhait par une cinquantaine de mômes qui s’en donnent à cœur joie. Pendant que je fais les navettes les primo arrivants travaillent déjà sous la direction des grands. Après deux heures d’aller – retours je m’échauffe enfin 10 minutes et je fonce, moi aussi dans le tas. Il ne me reste qu’une heure pour faire le max. Inutile de dire que l’on n’y va pas de main morte. Un rythme effréné, à la mesure de mon engagement que je veux faire partager à tous, soutient toute la répète. Ce qui m’aide, ce sont des meneurs, comme par exemple le petit Kouko. Il n’a que trois ans, mais une détermination à toute épreuve. Droit dans ses petites bottes en caoutchouc qu’il n’a jusqu’à lors jamais réussi à ne pas mettre à l’envers, ce qui n’est pas grave, du fait qu’elles sont plus grandes d’au moins de trois pointures. Il dégage une pêche formidable, qui à mon tour me stimule pour continuer à donner, tout en recevant énormément. Au bout d’une heure je ramène ceux qui sont là depuis 3 heures et ne se sont pas encore arrêtés. Au retour pareil qu’à l’aller – grosse ambiance à la mesure de la réussite de la répétition. Plus ça gueule dans la voiture, mieux ça a été dans le couloir. Si j’ai de quoi, j’achète des esquimaux. Il ne faut jamais rater, bâcler, une répétition. Toujours à fond, comme si c’était la dernière fois, en donnant une irrésistible envie de revenir le lendemain.

Cela fait maintenant un an et demi que nous travaillons avec Lomnica, et les résultats sont là! Notamment les petits, la bande à Matej, sont très performants. Sans parler de Janka, Perla ou Douchko, qui sont devenus des vrais cracs. Tout cela est très sympathique, mais extrêmement exténuant. Le fait que l’on ne peut jamais rien prévoir, toute projection étant automatiquement vouée à l’échec, on est obligé de s’aligner sur la règle générale que tout est dans l’immédiat. Alors, soit on ne fait rien, sachant qu’il en est ainsi depuis toujours et il n’y a aucune raison pour que cela change, ou alors on fait comme si c’était la dernière fois, donc sans mesure aucune, sans compter, la démesure devenant une norme de conduite. Bien entendu, ce mode d’emploi de la vie se reflète à tous les niveaux, et plus il y a d’engagement, surtout vis-à-vis de tierces personnes, comme c’est le cas par exemple avec nos partenaires lors des différentes étapes d’élaboration de nos tournées ou spectacles, plus il y a de stress, qui, au fur à mesure que les grands événements approchent, devient omniprésent, palpable, conditionnant en bien et en mal tous nos gestes et agissements. Et nous amenant dans un état de fatigue prononcée, un épuisement constant au quel on ne peut échapper.