Veľká Lomnica

Nous avons commencé avec Velka Lomnica un jour d´automne 2007. C´était juste après que la plupart des membres du groupe venaient d´etre expulsés de Kezmarok à Velky Krtis, alors nous sommes partis à la recherche de nouveaux adeptes. Il y avait déjà un groupe de danses tsiganes à Lomnica, Loli Roklica, mais les musiciens étaient intéressés juste par « Combien ? ...». Le soir tombait, je ne connaissais personne au bidonville, tout à coup j´entendais que l´on jouait de la musique quelque part. C´était chez Dusan, et le lendemain nous étions chez lui au grand complet, une bonne trentaine, tout compris, les petits, grands, jeunes, vieux, même les nouveaux-nés... bref, tout le proche entourage, les voisins, les cousins, les curieux, les enthousiastes... Une répète d´enfer. 

Le canapé de Dusan n´a pas tenu le coup, il s´est effondré instantanément, et rapidement, nous devions opter pour une solution de remplacement dans la salle des répètes du groupe, juste au dessus du troquet du village. C´étaient de vrais « temps héroïques ». Nous nous sommes retrouvés sans voiture, la police m´a pris mes plaques d´immatriculations, la Skoda n´était vraiment plus praticable, nous réduisant  à la merci des transports en commun. Dehors, moins  15 – 20, pas de bus en vue...  Nous avons passé ainsi le gros de l´hiver, un heureux hasard a mis sur notre route des amis français, Richard et Julie, qui ont transformé leur mobil-home de trois places en fourgonnette de 30 passagers clandestins, et les répètes ont pu reprendre de plus belle à Kezmarok. Voilà, comment ca a commence avec Lomnica. 

Ou plutôt avec Dusan, ses enfants, Dusko, Perla, Erik, la bande à Matej – les frangins Conka, avec Jana, Joana... etc. C´était très intense. A raison d´une moyenne de 5 répétitions par semaine, et 5 tournées internationales par an. De 2007, jusqu´à lors. Les enfants, qui étaient avec nous des leur plus jeune âge, ont eu la possibilité de découvrir le monde, voir la mer, l´océan, connaître énormément de gens, d´être appréciés, aimés, respectés... Ils sont devenus de formidables musiciens, danseurs, chanteurs. Certains, exceptionnels. Mais Lomnica, bien-sûr, ne change pas. Elle reste toujours la même. Telle-quelle.  Il faut qu´ils apprennent à faire la part des choses. Entre le monde extérieur, qu´ils ont découvert, qu´ils ont vécu... et le monde qui est le leur, immuable,  dans le quel ils vivent ...et vont vivre. Nous, nous cherchons des réponses aux questions, eux, eux ils vivent nos questionnements...  

 

Les débuts de Velka lomnica sont largement consignés dans la rubrique ... "A star is born"   
 
 

Cela fait maintenant un an et demi que nous travaillons avec Lomnica, et les résultats sont là! Notamment les petits, la bande à Matej, sont très performants. Sans parler de Janka, Perla ou Douchko, qui sont devenus des vrais cracs. Tout cela est très sympathique, mais extrêmement exténuant. Le fait que l’on ne peut jamais rien prévoir, toute projection étant automatiquement vouée à l’échec, on est obligé de s’aligner sur la règle générale que tout est dans l’immédiat. Alors, soit on ne fait rien, sachant qu’il en est ainsi depuis toujours et il n’y a aucune raison pour que cela change, ou alors on fait comme si c’était la dernière fois, donc sans mesure aucune, sans compter, la démesure devenant une norme de conduite. Bien entendu, ce mode d’emploi de la vie se reflète à tous les niveaux, et plus il y a d’engagement, surtout vis-à-vis de tierces personnes, comme c’est le cas par exemple avec nos partenaires lors des différentes étapes d’élaboration de nos tournées ou spectacles, plus il y a de stress, qui, au fur à mesure que les grands événements approchent, devient omniprésent, palpable, conditionnant en bien et en mal tous nos gestes et agissements. Et nous amenant dans un état de fatigue prononcée, un épuisement constant au quel on ne peut échapper.

 
On peut dire que d´une certaine manière Šňúrki (à gauche sur la photo) était aussi à l´origine de nos contacts avec Lomnica. Nous l´avons pris, avec Jaro (pas le frangin, mais le père de Bourka) pour venir chanter lors de la deuxieme tournée de Tomblaine. C´était bien avant nos activités avec Lomnica. Ils avaient des sacrées voix, et nous étaient bien utiles. Mais il est arrivé ce qu´il ne devait pas arriver. Au moment du départ Jaro a fauché les enceintes d´une petite chaîne de notre gîte. Cela ne valait pas grand-chose, mais on ne pouvait tolérer cela. Nous avons rompus nos relations, avec Šňúrki aussi, meme s´il n´était pas directement incriminé.
Quelque temps après, j´ai croisé Šňúrki au village de Lomnica, il me suppliait de le reprendre. Alors je suis repassé par Lomnica, et le reste s´est enclanché...
Šňúrki s´est marié à Podhorany, on le voit sur la photo avec son frère Domino et Tomáš qui a son fils dans les bras.
 

Les effectifs fluctuants et variables entraînant des points d´intérogation énormissimes quand à la composition du groupe, sont une constante chronique et invariable des départs en tournées. Les effectifs peuvent varier en cours de journée de 5 à 35… Et on me demande une liste des noms trois mois à l´avance! Et, invariablement, on fini en surnombre, car, bien sur, tout le monde veut partir. Mais c´est le moment rêvé de faire son petit malin, enfin être important, se faire désirer, sortir du rang… Avec les crises d´adolescence et un soutien soutenu dans l´autodestruction et le sabotage de la part du proche et moins proche entourage, tous les ingrédients sont réunis pour une situation implosive, frôlant l´infarctus à toute heure de la journée. L´édition des coups tordus de cette année était pimentée par une intervention extérieure, celle d´un apprenti agent de spectacles, impresario à ses heures, Tomas, un gadjo qui s´est mis dans la tête de former un groupe de musiciens de Lomnica et d´en faire des stars de demain. Ce qui est très louable en soi, et on ne peut que soutenir une telle initiative. Le hic, c´est que le point central du groupe est notre Roman. Normal, après 10 ans de kesaj il joue comme un petit dieu, et le reste ce ne sont que les musicos adultes de l´osada, pas très performants mais très gourmands au niveau financier et éthylique. En tête du boys band, le propre père de Roman, Mimi, et quelques autres acolytes, adeptes du goulot et de la bouteille. Sans entrer dans du scabreux, les dix ans que nous avons passé à Lomnica nous donnent une image très fidèle, réaliste, et hélas, sans la moindre illusion quand au profil moral de la nouvelle troupe. On pourrait ne pas s´en soucier. Pour jouer de la musique, il n´y a pas besoin d´être un enfant de choeur ni d´avoir un casier vierge. Le pittoresque est que le groupe est présenté comme ce qu´il y a de mieux pour enfin donner une image positive des Roms, les sortir de leur marasme, alors qu´en réalité, c´est tout le contraire. Mais, peu importe, on se ficherait pas mal de toute cette histoire si les petits copains, pour assumer leur nouvelle position de stars en devenir et de décideurs universels, ne prenaient pas un malin plaisir à saboter tout contact de Roman avec Kesaj. C´est simple, depuis que le groupe est lancé, nous ne pouvons plus compter en aucune façon sur Roman. Ça tombe mal, ça fait juste dix ans que Roman est formé dans Kesaj, et en plus de la formation musicale, il y a aussi tout le suivi social, éducatif, on peut dire familial, car le groupe a continuellement, et d´une manière très concrète pallié à toutes les défaillances parentales. Notamment celles du père, qui a vécu en séparé de ses sept enfants, tout ce qui touche au scolaire, médical, bref, l´éducation et la prise en charge élémentaire du quotidien de ses gosses ne l´a jamais intéréssé, il ne s´en souciait pas le moins du monde, à la différence de nous, qui ne pouvions pas rester indifférents aux rages de dents, bronchites, les marmites vides, etc, et nous intervenions à la longueur des années pour parer à l´essentiel. Et maintenant, tout à coup, le brave paternel se réveille, et empêche Roman de venir avec nous. Pour le seul plaisir de manifester son importance, et mettre des bâtons dans les roues, peu lui importe que ses autres gosses fassent partie du groupe, et feraient tout pour venir aux répétitions… Malheureusement, pendant la période du collège, nous nous sommes moins investi dans la formation des nouveaux, donc inévitablement, lorsqu´un élément central comme Roman, qui est aux claviers, vient à manquer, cela pose problème. Et gros problème. Ce qui est malheureux aussi, c´est que tout ce temps de formation que Roman a passé avec nous, c´était aussi des années de construction de sa personnalité. Évoluant dans un environnement social défaillant, oui, il ne faut pas avoir peur des mots, c´est tel quel, défectueux, nous nous évertuons à essayer de reconstruire ce qui n´a jamais été construit, à savoir un univers émotionnel, dans le quel les rapports peuvent êtres autres, que ceux, inexistants en fin de compte, dans le milieu propre de l´enfant. Et là, on déplore, que cet édifice, oh combien fragile, est mis à mal par des interventions extérieures, par des extravagants méssianiques, n´ayant pas la moindre idée des véritables rapports et réalités au bidonville, voulant faire bien, mais détruisant en réalité tout ce qu´ils touchent. Plaçant le jeune dans des situations qui ne lui laissent pas le choix, et l´obligent à faire le mauvais choix, se comporter sans le moindre état d´âme, laisser tomber le groupe, c.a.d., ses amis, ses petits frères et soeurs, se conduire comme se sont conduit les grands de son entourage, le père en premier, sans émotion aucune, sans pitié ni compassion pour ses proches. Pourtant, Roman serait bien parti avec nous, mais il encourait des représailles physiques de la part des autres, et nous ne voulions pas en arriver jusque là

 
 
Apres tournée mai juin 2018

Le constat d´un investissement sans faille de la part de tous les anciens. Tous, sans exception, se sont engagés à fond dans l´aventure, jamais il n´y a eu besoin de pousser celui-là, ou celle-ci. Une maturité qui n´avait encore jamais été atteinte jusque là. C´est difficile d´expliquer à quel point c´est rassurant et comment ca fait du bien. Cela vient surtout du fait qu´il y a eu cette terrible période d´instabilité, en fait, de décomposition, quand on se disait que c´est la fin de l´aventure, il faut bien que ca s´arrête un jour, et au niveau individuel, par rapport aux évolutions de certains des anciens, on se demandait si tout cela valait vraiment le coup. Par exemple Matej. La star des années 2010. Le gamin a fait partie du groupe dès ses 7 ans, c´était un miracle vivant sur scène. Il avait une gouaille et une dégaine incomparables, et remplissait la scène à lui tout seul. Plus d´une fois il a sauvé le spectacle en arrachant le micro des mains des autres et en emportant irrésistiblement les spectateurs avec lui. Lorsque la scène avait tendance à se relâcher un peu, il suffisait d´envoyer Matej, et c´était gagné. Et il n´avait que 7 ans. Mais le temps passait, et la petite boule de nerfs, au sourire irrésistible, grandissait, jusqu´à devenir un ado pas trop bien fagoté, qui peu à peu disparaissait de notre horizon. Manifestement il n´était plus trop motivé, il ne voulait plus s´investir, le succès d´antan n´était plus au rendez-vous. Mais quoi qu´il arrive, il avait sa place à vie au sein du groupe, tellement il a donné par le passé. Jusqu´à ce qu´un jour il déclare qu´il n´est pas là pour bosser, et il s´en va, démonstrativement. On le perd de vue. Il s´instale dans un autre bidonville, encore plus misérable que le sien, dans une famille encore plus pauvre que la sienne, avec une fille qui a déjà des enfants d´un autre, ils sont dix à dormir à même le sol, sur de la terre battue, dans une cabane qui ne tient pas debout… La vie, la vraie, qui reprend le dessus. Fini, le rêve kesaj. Ca fait mal, mais tant pis, c´est la vie. Et puis un jour il revient. On hésite, à quoi que ca va rimer? Et puis il reprend pied, on le prend quand-même en tournée, et là, c´est la transformation. Il redevient le petit gars espiègle, aimable, ce n´est plus le petit poulbot, plutôt un dadais barbu à la Duduche, mais il est absolument présent partout ou il le faut. Et surtout lors de tous ces moments hors scène, qui font la véritable vie du groupe, quand il faut donner un coup de main, ramasser les assiettes, ranger les chaises, surveiller les petits, animer quand il y a des invités. Tout cela, il faut le faire de soi-même, sans que l´on ait à le rappeler sans cesse avec Helene. Et chez Matej la magie de la transformation s´opère. La crise d´adolescence est passée, les années passées au sein du groupe n´auront pas été vaines. Ca fait du bien. Pareil pour son frère jumeau, Jakub, qui nous a joué la mort clinique à la perfection il y a deux ans au Buno. C´était du sérieux, le gars était complètement impraticable, on ne savait pas quoi faire. Lorsque j´en discute avec des amis éducateurs, ils disent avoir pas mal de cas similaires parmi les ados roms. Ils finissent irrémédiablement en psychiatrie, médicalisés, pareil, on ne sait pas quoi en faire. Nous, on a pas de médocs, on est pas éducateurs, pas plus que pédagogues et encore moins psy. Alors on attend, on laisse passer. C´est pas évident. Au bout de quelques mois Jakub revient à lui, revient à nous. Actuellement il trépide d´intelligence et de malice, plein d´humour et de repartie, il est partout là ou il faut, sur scène, comme en coulisses. Il s´investit aussi à fond dans son CAP de couture.

Erik, r. 2010

Erik, r. 2018

L´habitat. Une question cruciale pour nos jeunes. Nous voyons alors naître une mini cité, faite de préfabriqués, de qualité déplorable, parqués à la va vite au dessus du bidonville, en pleine décharge, un bidonville naissant sur un bidonville...Roman est tout content d ́avoir enfin pu faire venir un petit module et l'installer dans la "nouvelle cité". Il faudra une sérieuse remise en état, et peut etre, du moins jusqu´a l´hiver prochain, il aura ou dormir avec sa femme, ses deux enfants, et le troisieme qui est en route. 

Il serait illusoire de croire que l´on peut changer le cours des choses ici... Alors c ́est avec d'autant plus de conviction que nous revenons sur nos tournées, sur nos échappées estivales, lorsque nous étions logés comme des rois dans des festivals, que ce soit dans des gymnases, des Formules 1 ou même des châteaux, des vrais, comme celui de Buno a Gironville... 
Si c´était à refaire, on le referait tout de suite. 
Si on pouvait repartir, on partirait à l'instant même...  

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