Les Carrets

 
Claude et Marie-Jo Carret, ou les Caretovci, selon la variante slovaque de leur patronyme, tellement ils font partie de notre paysage slovaque, sont des photographes de talent, expérimentés, ayant à leur actif d´innombrables expositions et bien sur, une myriade d'images, dont énormément ayant trait à notre espace géographique et aux Roms. Cela fait plus de trente ans qu´ils décortiquent en images la région d´Europe Centrale, plus particulièrement les minorités ethniques, en essayant de capter des instants qui partent irrémédiablement dans le passé... Leur archive est une rareté non seulement pour eux, en tant que la concrétisation de la mission de leur vie, mais aussi pour nous, les Slovaques, Hongrois, Roumains, les Roms.... qui nous partageons ce coeur de lˇEurope, auquel nous ne portons pas toujours autant de mérite et d´affection, comme le font par exemple les Carrets avec leurs photos.
La rencontre avec eux n'était qu'une question de temps, elle a eu lieu un jour au détour d´un festival rom local quelque part en Hongrie ou en Ukraine, et depuis, nos rencontres sont, à notre plus grand bonheur, fréquentes. Que ce soit lors de nos tournées françaises, ou, encore plus souvent, chez nous, en Slovaquie, lorsqu'ils marquent une pause, devenue obligatoire, au retour de leur pérégrinations roumaines ou ukrainiennes. A tel point, que nous pouvons, avec fierté, les introniser comme nos photographes personnels! Ils ont entre autres, suivi notre lycée dès ses débuts, en flashant toutes les classes année par année... Ils ont aussi initié une collecte au profit de notre école et de notre groupe, avec le concours d'un atelier d´écriture et d´un atelier de couture. Il en est résulté un DVD, largement distribué dans les lycées français, dont le profit a pu financer des costumes pour le groupe, ainsi que des instruments de musique. Merci !!!  
 
 

NOS RENCONTRES À KLENOVEC

 

C’est en 1984 à Klenovec, petit village au sud de la Slovaquie, qu’a eu lieu notre première rencontre avec les Roms, nous ne savions pas ce jour là, que nous allions y revenir pendant dix ans.

            Suite à notre sollicitation, reçus par le service culturel de l’ambassade de Tchécoslovaquie à Paris, nous avons pu présenter notre projet de ‘’reportage paysages’’. Entourés de garants, c’est quasiment comme des officiels que nous avons fait connaissance avec notre village traditionnel.

            Un jour en traînant dans ce bourg, en l’absence de notre traducteur, nous croisons, notre première famille Rom. Nous sommes invités à rentrer à leur domicile, et conviés à les photographier. L’homme est violoniste au groupe folklorique local avec quatre ou cinq de ces compatriotes. C’est beaucoup plus tard que nous comprenons, que ce statut leurs permets le privilège de résider au centre.

Cet échange avec la culture Tsigane aurait pu s’arrêter là … mais c’est en revenant l’été suivant de façon autonome‘’avec les photos’’, que nous nous sommes rendus compte de la valeur souvenir et affective de l’image. Ils en ont été privés pendant ces longues années de communisme ; un appareil photo numéroté référencé existait bien à la maison de la culture, mais, seuls les gadjés slovaques pouvaient l’emprunter ? Notre accueil fût chaleureux, nous étions devenus leurs passeurs de mémoires, le violoniste et sa mère étaient décédés, mais ils étaient là sur nos carrés de papiers circulant de mains en mains.

            Notre curiosité affûtée par la situation que nous venions de vivre, nous amena à la périphérie du village où nous savons que résident !!! la grande majorité des familles Roms. ‘’Les Français’’ viennent rencontrer les Parias…Encore emprunts de nos suspicions occidentales ! C’est à l’entrée du camp ‘’ressemblant à une cité d’urgence’’, que nous commençons à oser quelques clichés. ‘’Au pays de l’enfant roi’’ très vite les mères viennent présenter leurs dernières progénitures. Atteints de claustrophobies, il y a un moment où nous n’arrivons plus à canaliser cette euphorie pour la photographie, nous rebroussons chemin en nous engageant à revenir avec le plein d’images.

            Les années se succèdent, les voyages s’enchaînent, ‘’Les Français’’ deviennent ‘’ouillot-tiéta’’ (l’oncle et la tante), qui ramènent les photos promises, « rarement celles sélectionnées par nous sur les contacts», mais plutôt celles qui leurs correspondent, et, les représentent à leurs avantages. Si entre temps il y a eu un incident diplomatique entre deux familles, la photo est tout simplement déchirée en plusieurs morceaux, ‘’pas la peine d’en faire une icône, simplement garder la partie qui est sienne comme souvenir’’. Celles qui auront résisté à toutes les contorsions et manipulations (parfois humides) finiront aux murs.

            Avec le temps, pour nous, tout devient plus facile, devenus membres de la tribu. Les maisons s’ouvrent, les hommes en retrait jusqu'à ce jour apparaissent, et viennent exhiber leurs tatouages comme des légions d’honneur, (traces de leurs séjours en prison). Cette dernière étape de séduction passée; des liens forts s’établissent avec certaines familles, notre statut de couple leurs plait, et, les rassure sur nos intentions. Le barrage de la langue reste un problème, mais l’essentiel est souvent dit par un simple regard. Nous sommes associés aux fêtes heureuses, et astreints à nous déplacer (comme par contrat moral) aux événements douloureux. Il nous faut contrôler nos émotions pour être à la hauteur de leur confiance. Ici la mort n’est pas un tabou, elle n’est qu’un passage. Pour l’événement, la famille et la tribu sont présentes au cimetière. Après la cérémonie, celles-ci se dispersent sur les différentes tombes et partagent un moment avec ses morts, en dialoguant, en fumant ou en buvant après avoir renversé par rituel la première gorgée sur la tombe de ses défunts. Un repas réuni les familles, l’ambiance y est chaleureuse on oublient un moment celui ou celle qui a commencé l’autre voyage. Les mariages font partie des traditions fortement ancrées, nous sommes attentifs, et prêts à saisir les moments importants. En fonction du statut social le repas peut-être frugal ou riche, de toute façon on s’endettera pour que la noce soit réussie. Nous ne restons pas voyeurs, nous sommes aussi acteurs, nous nous devons de ne pas fausser nos relations, nous sommes alors entraînés dans les excès festifs de l’événement.

            L’appareil photo est vraiment une clef extraordinaire pour aller à la rencontre de l’autre et établir les rapports privilégiés, qui nous permettent de collecter les richesses culturelles d’un vécu populaire. Photographier ne veut pas dire forcément reproduire, mais plutôt restituer sous un angle qui reflète notre imaginaire.

            C’est en 1994 que nous poursuivons notre projet, un peu en Hongrie mais essentiellement en Roumanie, nous approchons de nouvelles populations nombreuses et différentes. Dans ce pays les Roms sont les mal aimés, après le démantèlement des blocs de l’Est, ils font les frais des changements politiques (chômage, exclusion, manifestations de haine), leur artisanat lui aussi est en sursis, ce peuple est en danger !!!

            Pour nous rien n’est acquis pour les aborder, nous essayons d’avoir un relais auprès d’artistes Plasticiens roumains, que nous connaissons, c’est une désillusion … Isolés, mais déterminés, avec patience nous recommençons le processus‘’photos prises’’_ ‘’photos ramenées’’. Les visites se multiplient, des musiciens contactés en France nous facilitent  les relations, et nous permettent quand nous les retrouvons dans leur pays, de vivre des ambiances empruntes de moments irréels, dignes de films de kusturika ou de Gatlif.

            Toutes ces années passées, toutes ces rencontres fortes ou éphémères, mais très souvent riches, nous ont amenés à dépasser nos préjugés et à témoigner. Les Roms Européens depuis des siècles, ont été les premiers à intégrer l’idée d’une Europe sans frontière.

   

Claude et Marie-José Carret

 

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2 juin 2017, livraison de l´accordéon de Marie-Paule Hervoche

MERCI :) 

 

Photos et musique tzigane aux Bigotes
 

Exposition 

Le calendrier fait bien les choses en faisant coïncider le vernissage de l'exposition des Bigotes « Voyages en Tziganies » avec la journée internationale des Roms, ce dimanche. Ce sera l'occasion pour les fidèles de la galerie, et tous les autres, de découvrir une quarantaine de photos de Marie-José et Claude Carret, réalisées au fil de leurs nombreux voyages dans les pays de l'Est, et notamment auprès de familles tziganes dans ce qui étaient encore la Tchécoslovaquie et la Roumanie communistes. Pendant près de quarante ans, le couple de photographes rennais a noué des liens et a su gagner la confiance de différentes communautés roms. Leurs séries de clichés, en noir et blanc, exposées récemment à Kiev et à Bratislava, traduisent cette proximité qui fait d'eux d'authentiques ethno-photographes, témoins attentifs et privilégiés de la mémoire des Roms. Et comme la galerie des Bigotes est avant tout un lieu de partage, c'est au son de l'accordéon de Marius Marcel, musicien tzigane résidant à Kercado, que chacun est invité, dimanche après-midi, à voyager en Tziganie, au coeur du vieux Vannes. 

Pratique 
Dimanche 8 avril, à partir de 16 h. Rencontre autour de l'exposition « Voyages en Tziganies » de Claude et Marie-José Carret, en compagnie de Marius Marcel, accordéoniste. Galerie Les Bigotes, 5 rue de la Bienfaisance.
© Le Télégrammehttps://www.letelegramme.fr/morbihan/vannes/photos-et-musique-tzigane-aux-bigotes-07-04-2018-11917769.php#cH4svWKzPhsEArSs.99

 

 

Mon semblable, - mon frère.

 

L’œil est un organe compliqué, complexe, fragile, curieux, qui s'ouvre et qui se ferme selon les moments de nos journées et de notre existence entière : le matin et le soir, la naissance et la mort et même la nuit dans nos rêves éveillés. Toute la vie faut avoir l’œil.

Il est bon de rappeler que nous avons un œil extérieur, même deux, et un œil intérieur, à la fois celui de notre conscience et celui de notre capacité à voir au-delà des apparences trompeuses. Les photographes s'en servent parfois, parce que leurs deux yeux ont du mal à tout voir : Claude et Marie-José Carret ont un œil à l'intérieur, c'est celui du cœur.

Ils vont par deux, dans la même direction, l'aiguille de leur boussole toujours tournée vers l'Est. Ils marchent, sans œillères, sans interdits, sans frontières établies. Ce sont des gens du voyage, sans à priori, sans projet de loi discriminatoire. Oui, ils vont à la rencontre parce qu'ils sont des gens d'amitié, ils regardent beaucoup sans être voyeurs, mais voyants, un regard vrai qui cherche la faille fragile de l'émotion. Alors ils entrent parce qu'une porte s'est ouverte, en eux, et dans le regard de ceux qu'ils vont photographier.

Claude et Marie-José sont des contemplatifs. Ils restent toujours un peu hors du monde, loin de la ville mais si proche de la terre, celle où poussent l'herbe et le blé. Leurs photos sont belles, elles disent autant qu'elles suggèrent, ce sont des carnets de voyages que l'on ouvre pour savoir et pour comprendre. Elles ont une vraie beauté, par leurs compositions, leurs angles de vue, les correspondances de l'une à l'autre, dans une approche douce des gens qu'ils rencontrent, sans précipitation et sans agressivité. Pas de voyeurisme, rien de criant, mais un apprivoisement réciproque dû aux longs séjours répétés, humbles et fidèles, dans ces beaux pays de l'Est.

Ils sont deux, un homme, une femme, deux regards différents, deux façons de dire et d'aimer, mais dans une belle osmose et ils sont donc souvent incapables de savoir qui a fait telle ou telle photo. Leurs quatre yeux sont finalement un seul regard sur les gens qu'ils photographient.

Quand vous aurez contemplé les visages souriants, parfois tristes, toujours beaux de toutes ces familles et que vous serez revenus à votre point de départ puisque la terre est ronde, vous n'aurez pas fait le tour du monde mais le tour d'un monde que l'on nous a souvent présenté comme bizarre, dangereux, porteurs de malheurs et de maladies, insatiables voleurs de poules. Déjà, dans ma petite enfance, on m'avait mis en garde contre les bohémiennes, les romanichels, les gitans, les manouches, tout autant que le patéro qui vendait des peau de lapins. Aujourd'hui mon enfance est bien loin mais je vois qu'autour de moi la peur et la haine envers les roms refait surface.

Ce sont ces gens-là , montrés du doigt, que Claude et Marie-José Carret nous mettent en lumière. Ils ont choisi de nous présenter des Tziganes dans leur vie quotidienne, des gens simples, ouverts, qui se laissent photographier sans tralala, juste un geste pour remettre bien le fichu sur la tête ou ramener la jupe sur les genoux, des gens qui posent non parce qu'ils ont une quelconque influence sur la vie du monde, mais parce que, inconnus du monde justement, ils sont fiers d'avoir été « reconnus ». Nous sommes loin de Gala ou de Paris Match et des photos mondaines que l'on retouche au grès de l'amour-propre de l'intéressé.

Devant ces photos tellement fraternelles de Claude et Marie-José, me revient en mémoire cette si belle formule du grand poète français, Charles Baudelaire, que j'ai envie de dire à chacun des visages de ces Tziganes : « Mon semblable, - mon frère ».

 

Marc BARON

 

M

 

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