Le Monde Tsigane

-          L’origine du projet ?

(D’où est partie l’idée- ton lien avec les enfants- la finalité de ce projet - vos soutiens pour démarrer le projet…)

L’ initiative est venue de ma belle sœur, Anna Koptova, très engagée pour la cause rom, première élue rom au parlement slovaque, fondatrice du Théâtre tsigane Romathan de Kosice, fondatrice du journal tsigane slovaque Romano lil, actuellement directrice du Lycée privé rom de Kosice ayant implanté la langue rom comme langue d’enseignement dans le cursus scolaire slovaque. Ayant à l’époque des activités similaires aux nôtres actuellement, Anna nous a proposée de créer un groupe folklorique tsigane comme instrument de communication et facteur de motivation pour les jeunes Roms de notre quartier afin de les sensibiliser plus facilement sur un travail parascolaire.  Pour porter le projet elle nous a proposé un programme de financement à travers un soutient de l’agence nationale pour l’emploi slovaque. En ce temps (fin années 90) les projets représentaient une nouveauté, et même de modeste envergure, comme ce fut notre cas, étaient attrayants. Il constituait aussi un « alibi », une « excuse », pour s’engager vis-à-vis de ses concitoyens, ce qui n’était pas courant dans la communauté rom. Pour moi cela représentait avant tout une occasion de réaliser quelque chose que je voulais faire depuis longtemps – profiter du potentiel et de la dynamique des jeunes Roms pour créer un groupe musical et à travers celui-ci approcher plus et mieux découvrir la culture rom dans son essence, puisque portée par une population totalement immergée dans sa propre culture du fait de son isolement géographique et du mode de vie pratiquement en autarcie des communautés roms en Slovaquie. Il va de soi, que dans la pratique cela représentait aussi un moyen formidable d’apporter une ouverture sur le monde extérieur pour ces jeunes et enfants qui venaient dans le groupe.    

-          Présentation du groupe.

Au départ c’étaient tous (une trentaine) des habitants de notre rue (la rue tsigane de Kežmarok), mais suite à des expulsions pour cause d’assainissement urbain, les familles roms du centre ville étant parties au loin, nous avons reconstitué le groupe avec les enfants et les jeunes des bidonvilles de la région (une vingtaine de localités concentrant plus de vingt quatre mille habitants). Nous entretenons le contact avec les expulsés en les prenant régulièrement avec nous lors des tournées. 

(qui sont ces enfants et grands enfants- comment ces différences d’âges se gèrent au quotidien ?...)

Les jeunes viennent donc de trois bidonvilles de la région des Tatras et aussi d’un groupuscule d’anciens expulsés à la frontière hongroise au sud de la Slovaquie. Le groupe reproduit naturellement le modèle familial (familles nombreuses) où se côtoient et se complètent plusieurs générations. Les grands gérant naturellement les petits. La transmission du savoir aux jeunes de toutes origines étant fondamentale  dans la conception du fonctionnement  du groupe, plusieurs anciens ont acquis le statut d’instructeurs dans le cadre du projet, et sont, à raison d’un poste à mi-temps, employés comme tels. Une des difficultés majeures consiste à réunir des jeunes provenant de différents bidonvilles et aussi de différentes couches sociales. Le sentiment d’appartenance à son milieu d’origine constituant la base d’identité face au monde extérieur, ce positionnement est obstructif dans la construction de contacts avec l’extérieur, et cela même au sein du monde tsigane. Seule une motivation majeure peut arriver à dépasser ces barrières internes, et en occurrence, la musique et les spectacles que nous faisons ensemble donnent cette « envie irrésistible » qui fait que les jeunes arrivent à sortir de leur carcan habituel, et à s’investir dans un projet commun avec leurs semblables, avec les quels ils n’auraient pas, dans d’autres conditions, forcément communiqués. En pratique nous mettons tout en œuvre pour constituer, justement, une grande famille où tous ont leur place, quel que soit leur milieu de provenance (le groupe est pourtant constitué que de Roms d’une même région).  Depuis un an, lors de nos tournées en France se joignent à nous des jeunes Roms roumains des terrains de Montreuil, et ceux d’Auberviliers et Saint Denis, encadrés par Parada avec Coralie Guillot et Micha Botti.

-          Comment présentes-tu le projet aux enfants et aux familles ?

Quelles sont les attentes des enfants et de leur famille dans un tel projet ?

Le projet est porté par lui-même, c'est-à-dire que la renommée du groupe suffit à elle-même pour attirer les nouveaux. Bien entendu, cette notoriété est le résultat de tout le travail que nous menons au niveau des spectacles et de la préparation artistique. Lors des départs à l’étranger nous communiquons plus avec les parents, pour les rassurer et aussi pour leur expliquer notre démarche, que nous n’allons pas gagner de l’argent sur leurs enfants - concept difficilement compréhensible pour une population dont le degré de  paupérisation est tel, que la lutte pour la survie au quotidien rend pratiquement impossible la conception d’une démarche altruiste ou autre que dans un intérêt primaire de « faire de l’argent ». Mais pareil, notre « notoriété » - celle de mon épouse comme provenant d’une vielle famille très connue de musiciens professionnels et moi-même comme musicien passionné, ayant à notre actif un riche passé artistique, nous aide à franchir cet obstacle de méfiance et de suspicion. Les parents qui ont confiance en nous sont contents que leurs enfants aient une occupation saine, ne traînent pas inutilement dehors, apprennent de la musique, découvrent de nouveaux pays, la façon dont vivent les blancs et les tsiganes qui ont acquis un statut social plus élevé que le leur.  

-          Votre Actualité : Je crois que vos tournées reprendront plus tard, comment est vécue cette période de « repos »- de pause par le groupe ? Préparez-vous un nouveau spectacle ou profitez-vous de ce temps pour autre chose ?

Dés que nous rentrons, nous reprenons nos activités habituelles, à savoir des répétitions quotidiennes. D’une part pour affiner et améliorer les acquis des anciens, mais aussi pour reconstituer le groupe, qui est sujet à de nombreuses fluctuations du fait de l’instabilité et de la fragilité de la plupart des familles des jeunes. Donc constamment, nous sommes à la recherche de nouveaux éléments et nous sommes ouverts à tous ceux qui voudraient se joindre à nous. Nous sommes aussi de par cette démarche dans un contact permanent avec les jeunes de la région.

Depuis notre tournée d’été (45 jours de festivals à travers la France avec 39 personnes) nous venons de réaliser une tournée de deux semaines à Paris et dans la région parisienne. Nous essayons toujours d’intensifier nos contacts avec les Roms roumains des terrains franciliens (avec l’association PARADA), en faisant des répétitions et en les incluant dans nos spectacles. Cela a débouché dans la manifestation du 11 décembre dernier sur le Parvis des Droits de l’Homme à Trocadéro, où, soutenus par une douzaine d’associations françaises, nous avons présenté un extrait de notre spectacle « Noël Tsigane – Noël d’Espoir » afin de sensibiliser l’opinion public sur la situation des Roms vivants dans les ghettos, bidonvilles et camps de l’Union Européenne et pour dire qu’en France, ni ailleurs, aucun enfant ne doit être exclu en raison de son origine, de son habitat ou de la situation administrative de ses parents.  Pendant la récente période des Fêtes, nous étions exceptionnellement présents avec mon épouse à Paris et nous avons amené avec nous une équipe de 5 anciens pour faire des répétitions – ateliers sur les terrains du 93. Nous avons donnés deux spectacles le soir du Réveillon avec les jeunes Roms roumains du terrain des caravanes de Montreuil. Un à la Mairie de Montreuil, qui nous a permis de présenter le travail que nous avons effectué devant un large public local et devant les élus. Cela a montré avant tout les Roms dans une image valorisante, différente de celle, véhiculée au jour le jour. Et dans la même soirée nous avons fait encore un passage au Cirque Romanès, où nous fûmes merveilleusement bien reçus par Alexandre et Délia et nous avons ensemble fêté la Nouvelle Année.  Dés que nous sommes de retour au pays, les répétitions reprennent. Nous essayons de trouver de nouvelles idées et de les mettre en pratique, et aussi de perfectionner les anciens numéros et de les apprendre aux nouveaux arrivants.

-          Aujourd’hui, après plusieurs années d’existence, vous commencez à bien tourner, quelles sont vos attentes avec ton épouse ? Vos craintes peut-être ?

Les attentes  - avant tout la possibilité de pouvoir continuer. Nous nous apercevons que pour ce faire il est indispensable de consolider notre structure, d’affermir encore plus le côté professionnel de nos performances, mais aussi de développer les contacts avec les institutions. Dans la pratique ce serait d’éviter l’inévitable -  les éternelles incessantes courses après les finances, donc l’attente serait plutôt qu’une situation financière plus stable évite justement ces incertitudes chroniques – mais cela tient plus de l’ordre de l’imaginaire, nous sommes bien conscients qu’il ne  puisse en être autrement…  Les craintes – de ne plus pouvoir tenir face aux exigences nouvelles. D’une manière plus générale, la crainte d’une dégradation générale des conditions d’existence. Bien que pour les Roms il semble que cela ne peut pas  être pire, nous constatons, hélas, que si. La situation économique ne fait qu’empirer et donne lieu à des problèmes existentiels (faim) tels que nous ne savons pas comment entrevoir l’avenir.  

-          (Plus personnel) Lorsque l’on te regarde jouer au sein du groupe, au milieu des enfants, on se dit que tu portes ce projet, comme un projet de vie ?

Bien sûr. C’est avant tout un projet personnel. Mais pas que le mien. Bien qu’à différents niveaux, c’est  un  projet personnel de tous les participants, de tous les membres du groupe, et c’est grâce à cela que nous arrivons à surmonter des difficultés et à perdurer.

-          Lors de ce concert sur Albertville, des Voyageurs de l’Artag et de la Savoie, représentants différentes communautés, sont venus assister au concert et beaucoup d’entre eux étaient très émus de cette rencontre. Selon toi, est-ce la concrétisation de projets comme le Programme Roms et Voyageurs ?

Certainement, c’est un des aboutissants - faire partager noter expérience positive de l’identité tsigane au plus grand nombre. Et qu’il y ait des retombées sur le sol français n’est que juste et pertinent – puisque le projet part d’une initiative française, autant qu’il revient en France. Même si cela doit être en passant par  les bidonvilles slovaques pour finir aux ceux des portes de Paris. Et aussi pour montrer que ce vœux pieux chéri par nombre de politiques, mais tellement insaisissable dans la pratique – qu’est une réelle collaboration européenne, transnationale, d’égal à égal, est possible. Même si ce sont les Roms qui la réalisent… ou justement, grâce à cela !  

 

Les rencontres avec les Voyageurs, les Roms, et les Manouches vivant en France, comme ce fut le cas lors de notre spectacle à Albertville, sont aussi très émouvantes pour nous. Elles nous confortent dans notre démarche et donnent des forces pour continuer. Je remercie tous ceux qui se sont déplacés ce jour pour venir à notre encontre. Je voudrais profiter de cette occasion pour leurs souhaiter, ainsi qu’à leurs familles, une excellente Nouvelle Année 2010, qu’ils soient heureux, en bonne santé, qu’ils ne souffrent pas du besoin et que leurs cœurs soient remplis de bonheur, comme ce jour où nous nous sommes rencontrés à Albertville !