La montagne

 
Nous vivons au pied des montagnes Tatras, mais cela ne veut pas dire que les Roms les fréquentent plus que ça. Au contraire, ils n´y vont que pour travailler, soit comme ouvriers de maintenance dans les stations d´hiver ou, plus fréquemment encore, comme ouvriers forestiers, des bûcherons, dans les forêts des Tatras. Raison de plus d´y aller, dès qu'une occasion se présente. Et les occasions, il faut les provoquer... De ce fait, nous avons à notre actif pas mal de sorties dans les montagnes, dont certaines mémorables, comme par ex. celle au refuge de Zbojnícka chata, lors de la réunion des anciens sherpas, dont je fais partie, en 2016. Et espérons, que la série ne soit pas finie. Surtout maintenant, après que nous avons été gratifié d´une dizaine de paires de chaussures de montagne Scarpa par notre ami Michal.
 
20 septembre 2025

Après longtemps, nous avons fait enfin une sortie à la montagne. Avec les petits, c´est eux qui étaient les plus demandeurs. Nos sorties montagnardes, qui étaient, il fut un temps, assez fréquentes,  se sont estompées pour la seule et bonne raison de la prolifération des ours. La surpopulation des ours est une réalité dure comme du fer en Slovaquie, des signalements de la présence des nounours même dans des endroits civilisés, urbains, sont à l´ordre du jour tous les jours. Les accidents sont relativement rares, mais il y en a quand-même, tout compte fait assez fréquemment, et il y a aussi, hélas, des cas mortels tous les ans. Cela donne à réfléchir avant de sortir… Lorsque je fais mon footing le matin dans la forêt, j´en ai croisé à plusieurs reprises, il n´y a pas eu de dégâts, mais je ne suis pas très rassuré, surtout lorsque je vois des traces fraiches, et ça arrive assez souvent. Bref, on s´habitue à tout…  En été, quand il y a les grosses chaleurs, il faut partir en randonnée tôt le matin, à l´aube, mais c´est là que les ours sont les plus actifs, je ne voulais pas prendre de risques en y allant avec les jeunes, alors, maintenant, en septembre, il ne fait plus si chaud, nous sommes partis vers les 8h du matin. Lorsque j´ai passé vers sept heures un coup de fil aux petits en leur disant qu´on y allait, ils étaient prêts en moins de deux. Il y avait déjà pas mal de monde sur le sentier, ce qui limitait le danger d´une rencontre inopinée. Nous étions sept à gravir le sentier de la montagne, j´aurais voulu les amener sur un endroit avec une magnifique vue des cimes, mais très vite il s´est avéré que ce ne serait pas possible. Autant il y en avait trois, la petite Véronika en tête, qui marchaient très aisément, couraient dans tous les sens, autant les trois autres avaient du mal, le petit Zdenko, tout potelé,  tout particulièrement. Le sentier montait dans la forêt, et même quand ce n´était pas trop abrupte Zdenko avait du mal à  suivre. Nous avons eu beau ralentir le tempo, il fallait faire des pauses fréquentes, je pensais même rebrousser chemin.  A un moment j´ai eu carrément peur qu´il n´attrape une syncope, je n´en menais pas large, je réfléchissais déjà comment appeler éventuellement le Secours de Montagne… Nous avons fait une grosse pause. J´en ai profité avec les trois valides pour faire des accélérations dans les montées, agrémentés de quelques claquettes,  comme ça la journée ne serait pas perdue. Zdenko se tenait vaillamment, ne se plaignait pas, mais il était évident qu´on ne pourra pas continuer.  J´avais de quoi boire avec moi, et aussi quelques sucreries, après que tout le monde s´est ravitaillé nous avons repris tout doucement la montée, et lorsqu´il fallait bifurquer pour aller sur les hauteurs, il ne nous restait qu´à prendre l´autre sentier, celui qui descendait doucement en bas. A défaut d´atteindre les cimes, c´est l´ambiance qui s’envolait vers les hauteurs. Cela rigolait, ça chantait, les touristes qui nous croisaient n´en revenaient pas de voir des Roms en ces contrées, et qui de plus est, de si bonne humeur. Il n´y avait que des réactions positives, de part et d´autre… Zdenko a timidement repris ses esprits, on maintenait toujours un tempo très modéré, même dans la descente il n´était pas question de forcer. Cela nous a fait en tout quand même une petite dizaine de km, tout compte fait pas trop mal pour des néophytes, bien que j´aurais aimé faire le double… mais chaque chose en son temps.

Le seul incident à déplorer était le partage des bonbons que nous a offert un couple de Polonais. Deux braves touristes venant de l´autre côté des Tatras nous ont laissé gentiment un sachet de bonbons glacés qui ont fait la joie de notre équipage. Cela tombait bien, c´était des bonbons rafraichissants, et lors de la presque syncope de Zdenko, cela l´a aidé à respirer. Bien sûr, lors de la distribution de toutes les denrées que nous avons avec nous, des biscuits, de l´eau et des fruits, je veille à ce que le partage soit absolument équitable, il n´est pas question que qui que ce soit soit privilégié, tous doivent avoir absolument la même part, on est une seule bande, un pour tous, tous pour un ! Mais, comme on pourrait s´y attendre, lors la prochaine répartition des bonbons, lorsque je laissai le soin de la distribution de ceux-ci aux jeunes, il n´en fut pas de même. Il y en a qui ont joué des coudes et en ont chipés plusieurs et d´autres n´ont rien eu. Ceux qui n´ont rien eu n´ont pas étés contents et l´ont manifesté, mais ce n´était rien à côté de la colère que j´ai piqué en expliquant quoi et comment à la bande de resquilleurs. Bien sûr, c´est toujours un peu théâtral de mon côté, je profite de ce genre d´incidents, incontournables et assez fréquents, pour expliquer en détail les bases de la collégialité, de la camaraderie, de l´amitié, de l´humanité, tout simplement. Tout un programme ! Mais le paradigme est simple, et toujours le même : peu importe comment ça se passe ailleurs (dans les osadas), ici, chez nous, dans le groupe, on est tous pareils et on partage tout ! Et basta ! Ceux à qui ça ne plait pas, n´ont rien à faire ici, et à la prochaine randonnée ils resteront à la maison ! Là, l´ambiance tout à coup tombe à zéro, s´en suit un long silence, ce qui est plus qu´inhabituel chez nous, et on marche sans rien dire. Cela dure un certain temps, Veronika essaie de tempérer un peu en blaguant (elle était la première à empocher les malheureux bonbecs), elle fait de son mieux pour amuser la galerie, mais ça ne prend pas, la marche funèbre se poursuit à travers les bois… Jusqu´à ce que Stanko vient me dire gauchement que cela ne se reproduira plus, la prochaine fois ils partageront… Bien sûr, la prochaine fois il en sera de même, mais il y aura eu au moins une petite prise de conscience, et c´est déjà ça… ! Rien que ça, ça vaut le détour par la montagne et les quelques km avalés aujourd´hui !  On peut rentrer tranquilles, dans la voiture, de nouveau les chansons sont braillées à fond, je les dépose à l´osada, et je peux rentrer, ma conscience de crypto komsomol tranquille…