été 2009

Matej passe par la fenêtre, Kubo, Domino et 4 autres s’engouffrent à la brasse à l’arrière, Katka négocie un départ différé avec Manuela qui attend Ivana qui n’a pas de chaussures et va en chercher chez Denisa qui vient de se laver les cheveux, Janka est encore à l’école, Eric réussit à clacsonner à tue-tête, Kouko pique une crise pour qu’on le prenne, un inconnue essaie de piquer un CD, on sort Kourmin qui a commencé à faire pipi sur la banquette arrière, il finit sur  la roue arrière,  Dusan me demande des clopes, Gisela jure qu’elle doit rentrer à l’hosto et il lui faut  20 euros pour s’acheter un pyjama, Jarko, le père de Janka a déjà bu un bon coup, ça lui donne soif, il voudrait en boire un autre, personne n’a rien à manger, le père de Stanko voudrait emprunter 300 euros ou qu’on se porte garant pour un emprunt à la banque, Shnurky doit pointer à l’ANPE, mais il n’a pas les 40 centimes pour le bus,  quelqu'un  me demande si je n’ai pas du travail. Merde, il y en a qui essaient de rentrer par  le coffre. Des gens me dévisagent. Des sympas, des moins sympas. La bagnole est pleine à craquer. Je ne maîtrise absolument rien, je suis totalement dépassé par les événements.  C’est inutile de les compter. Le nombre réglementaire de passagers n’a jamais été respecté, comme aucun autre règlement d’ailleurs, il est constamment démultiplié, on met la musique à fond et on part à Kežmarok pour la répétition.   A chaque apparition de voiture suspecte qui ressemble à une voiture de flics je gueule : « beshen tele ! » - (tous assis !)  et on réussit instantanément le miracle de ne paraître que 6 tout en étant au moins 16 dans la Dacia Logan affrétée par le Ministère des Affaires Etrangères français, via le Programme Roms et Voyageurs, dans le cadre de l’éducation informelle et non formelle des Roms d’un peu partout et ceux de Lomnica en l’occurrence en particulier. Il y a de l’ambiance. Ca chante, ça rigole. La moyenne d’âge est de 3 à 23 ans. Tous m’assurent qu’ils vont partir avec moi en France et qu’ils auront des passeports. Le voyage se passe sans incidents. Le temps de trois chansons et on débarque chez Margita. La descente de  voiture est digne d’un concours de prestidigitation, ça n’en finit pas de  descendre et descendre, le couloir qui nous sert  de salle de répétitions se remplit instantanément. Héléna me fait une scène. Pourquoi j’en ai encore pris autant et n’importe les quels. J’essaie d’expliquer, ce n’est pas la peine. C’est toujours pareil. Je fais n’importe quoi! On attaque de suite. Pas une minute à perdre : Yek, douille, trin et hop, c’est parti. Stano avec les garçons, Ivana avec les filles. Les ados jouent et chantent. Pas forcément tous la même chose. Tout le monde joue de la guitare, pourtant personne ne sait en jouer. Les petits envahissent les toilettes, les grands fument en douce, les filles ont des fous rires et les habitants des lieux font la gueule, comme d’habitude. On fait avec.  Je fonce pour la seconde tournée. Il y en a déjà qui m’attendent en amont, à 600 m du bidonville, inutile de dire que ce ne sont pas ceux à qui j’ai dit de venir.  Je les prends. Souvent ils attendent comme ça, qu’il pleuve ou qu’il fasse froid. Même si on leur dit qu’aujourd’hui on ne viendra pas, ils sont là, ils attendent et prient le bon Dieu pour que l’on vienne. Du moins c’est ce qu’ils me disent. Et la petite Katka, de 6 ans, qui revient de l’orphelinat, il n’y a pas de raison pour ne pas la croire. 

Pendant ce temps Alex passe à Rakúsy, qui viennent pourtant en bus, mais il y en a toujours au moins un qui le rate. Kubachy sont plus excentrés, ce n’est que rarement que nous réussissons à faire un crochet pour les prendre. A cela, il faut ajouter quelques locaux de Kežmarok, rescapés des purges récentes et on arrive à un couloir de 3 m sur 6, bondé à souhait par une cinquantaine de mômes qui s’en donnent à cœur joie. Pendant que je fais les navettes les primo arrivants travaillent déjà sous la direction des grands. Après deux heures d’aller – retours je m’échauffe enfin 10 minutes et je fonce, moi aussi dans le tas. Il ne me reste qu’une heure pour faire le max. Inutile de dire que l’on n’y va pas de main morte. Un rythme effréné, à la mesure de mon engagement que je veux faire partager à tous, soutient toute la répète. Ce qui m’aide, ce sont des meneurs, comme par exemple le petit Kouko. Il n’a que trois ans, mais une détermination à toute épreuve. Droit dans ses petites bottes en caoutchouc qu’il n’a jusqu’à lors jamais réussi à ne pas mettre à l’envers, ce qui n’est pas grave, du fait qu’elles sont plus grandes d’au moins de trois pointures. Il dégage une pêche formidable, qui à mon tour me stimule pour continuer à donner, tout en recevant énormément.  Au bout d’une heure je ramène ceux qui sont là depuis 3 heures et ne se sont pas encore arrêtés. Au retour pareil qu’à l’aller – grosse ambiance à la mesure de la réussite de la répétition. Plus ça gueule dans la voiture, mieux ça a été dans le couloir. Si  j’ai de quoi, j’achète des esquimaux. Il ne faut jamais rater, bâcler, une répétition. Toujours à fond, comme si c’était la dernière fois, en donnant une irrésistible envie de revenir le lendemain.

Cela fait maintenant un an et demi que nous travaillons avec Lomnica, et les résultats sont là! Notamment les petits, la bande à Matej, sont très performants.  Sans parler de Janka, Perla ou Douchko, qui sont devenus des vrais cracs.  Tout cela est très sympathique, mais extrêmement exténuant. Le fait que l’on ne peut jamais rien prévoir, toute projection étant automatiquement vouée à l’échec, on est obligé de s’aligner sur la règle générale que tout est dans l’immédiat. Alors, soit on ne fait rien, sachant qu’il en est ainsi depuis toujours et il n’y a aucune raison pour que cela change, ou alors on fait comme si c’était la dernière fois, donc sans mesure aucune, sans compter, la démesure devenant une norme de conduite. Bien entendu, ce mode d’emploi de la vie se reflète à tous les niveaux, et plus il y a d’engagement, surtout vis-à-vis de tierces personnes, comme c’est le cas par exemple avec nos partenaires lors des différentes étapes d’élaboration de nos tournées ou spectacles, plus il y a de stress, qui, au fur à mesure que les grands événements approchent, devient omniprésent, palpable, conditionnant en bien et en mal tous nos gestes et agissements. Et nous amenant dans un état de fatigue prononcée, un épuisement constant au quel on ne peut échapper.

Donc une semaine avant le départ pour la grande tournée, la situation est pratiquement la même qu’il y a trois mois – aucune certitude quand aux soutiens financiers  pour le voyage. Les demandes de subventions demandées auprès du gouvernement slovaque et du ministère de la culture n’ont rien donnée, faute de ne pas avoir réussi réunir à temps toutes les paperasses nécessaires, notamment les certificats de non-créances auprès d’une dizaine d’assurances sur le marché slovaque, exigées depuis peu par nos institutions pour l’octroi d’aide quelconque. Rien de très compliqué, mais devenant un obstacle insurmontable avec le style de vie qui est le nôtre, définit plus haut. En pratique, je suis tout seul à dynamiser en première ligne sur le terrain, et hélas, faute de personne compétente en Slovaquie dans nos rangs, je me tape aussi tout l’administratif, et donc je n’ai pas réussi, du fait de mes nombreux aller – retours sur Paris ces derniers temps, à réunir tous les documents exigés pour le dépôt de demandes des subventions.  Je me suis quand même tapé l’écriture des projets, ce qui et fastidieux et prend énormément de temps, mais physiquement, je n’ai pas eu le temps de faire le tour de tous les bureaux d’assurances et autres institutions incontournables. C’est dommage, car je pense que nous aurions certainement pu toucher quelque chose de la part de nos institutions, qui nous connaissent et nous ont déjà soutenues par le passé.  C’est l’équation classique: soit on s’investit sur le terrain et on a absolument pas le temps de s’occuper de l’administratif, et vite on se retrouve devant un précipice financier, ou alors on passe son temps à la recherche et à l’écriture de projets de subventions de tous les côtés et on a absolument  pas le temps d’être présent sur le terrain. Cas classique dans la pratique humanitaire. Il faut quand même dire qu’il y en a qui y arrivent sans doute, mais en général il doit s’agir de structures plus grandes et plus établies, ayant les ressources humaines nécessaires pour être présents et efficaces à tous les niveaux.  Ce qui n’est pas notre cas. Heureusement que nous avons tout le réseau des sympathisant-supporters étrangers qui sont devenus au fil des années des tenants à part entière du groupe, réalisant et livrant souvent « clef en mains », des spectacles ou tournées entières. Sans eux, nous n’existerions plus, tout simplement.

Bon. Au moins on sait à quoi s’en tenir. Et en plus, on voudrait que les Roms roumains des terrains franciliens nous rejoignent à Autrans! Il m’apparaît très important qu’ils partagent avec nous au moins une partie de notre tournée d’été. Ca sera l’aboutissement de toute une année d’efforts, d’engagements et de combats désespérés. Là pareil, c’est un travail d’équipe, de longue haleine avec Parada, Colette, Bielka, et d’autres, qui fait que l’on a pu établir ces contacts probants entre Roms slovaques et roumains et réaliser des exploits comme le passage au Zénith ou le festival Akana bis à Montreuil. Donc il ne faut pas abandonner, et comme plus d’une fois au cours de l’année, foncer vraiment la tête baissée contre le mur face à une adversité qui semble insurmontable, mais qui n’est que la concrétisation  de la logique banale du « ce n’est pas possible », pour poursuivre un but qui semble totalement irréalisable. Cette démarche me rappelle les années glorieuses de mes sentiers de sherpa dans la montagne, ou chaque faux pas pouvait signifier une chute fatale et où les obstacles devaient être surmontés, faute de pouvoir faire, vivant, demi-tour. Et toujours tout seul sur le sentier, face à la montagne.  Maintenant au moins, il y a ces fameux partenaires et amis sur les quels on peut compter et qui constituent un sacré réseau d’espoir.  Une vraie chaîne de solidarité qui a déjà fait ses preuves. Donc, avec cette éventuelle résidence d’été dans le Vercors (du 20 au 30 juillet nous serons accueillis à Autrans par Ver’Kesaj, l’association montée par Joëlle pour notre soutient, et nous voudrions y inclure aussi une ribambelle de mômes roms roumains des alentours de Paris), nous nous retrouvons comme avec ce fameux Zénith devant une occasion exceptionnelle qu’il ne faut pas laisser passer, devenant un défi à relever à tout prix.

Alors: notre tournée à nous, n’est pas encore entièrement couverte, nos amis de Ver’Kesaj nous prennent en charge pendant 10 jours, nous serons 37 au lieu de 25, et on voudrait faire venir en plus 10 à 20 Roms roumains ! Si ce n’est pas de la folie, qu’est que c’est ? Pour me donner un peu bonne conscience, je me dis qu’eux aussi (l’équipe d’Autrans), sont venus récemment chez nous à notre festival Akana me à 25 au lieu des 5 initialement prévus, ce qui m’a donné quelques sueurs froides, mais ce n’était pas pareil. Ils étaient financièrement complètement autonomes, contrairement à nous.  Heureusement que Joëlle est compréhensive, elle partage nos engagements, mais je ne voudrais pas lui poser ce nouveau problème sur le bras, sachant qu’elle se démène sacrément pour nous, donc nous cherchons à Paris des apports financiers concernant la venue des enfants roms du 93.  Les réseaux habituels sont sollicités. Une réunion a lieu à la Fnasat une semaine avant le départ. On met  sur pieds la logistique du voyage des Roumains à Grenoble. Tout est ok. Sauf que l’on n’a pas un sous. Je me sens gêné, c’est une situation totalement absurde. On n’a pas de quoi assumer pour 30 personnes, alors on en rajoute une vingtaine de plus! Tous me regardent comme un fou. Heureusement, les cas les plus désespérés étant les plus beaux, le lendemain j’expose notre problème à Julie Biro du CCFD. Pas besoin d’insister, elle me promet d’emblé un soutient! On pourra partir!

On part. Les chauffeurs acceptent de partir sans acompte, ne reste plus qu’à résoudre l’éternelle équation des partants. Je passe sur les détails. Les chiffres varient constamment, on passe allégrement de 10 à 40, avec des incertitudes constantes, certaines importantes, comme Stano, d’autres juste pour le nombre – presque toutes les filles de Krtíš et bon nombre de Lomnica, sans parler de Rakúsy, qui sont toujours dans une opacité totale. Mais, quand même, s’engager uniquement qu’avec les touts petits comme danseurs serait  osé au vu de  l’envergure internationale des festivals, tous plus renommés les uns que les autres,  aux quels nous allons participer. Donc, le jonglage – qui va venir avec qui, qui ne partira pas si celui-là vient, etc., prends une saveur toute particulière. Et en prime de tout ça Hélène, menaçant tous les jours de tout laisser tomber et ne pas venir pour des causes diverses et constantes, me reprochant surtout de nous entraîner encore une fois de plus dans un gouffre financier, sans prendre d’égards à notre propre famille qui encourt et subit  de première les risques de mon entêtement. Elle n’a pas tout à fait tort. Heureusement, elle tient quand même le choc, et est d’un précieux secours au niveau de la logistique et de l’organisation en général.

La veille du départ les filles de Krtíš arrivent au complet. On ne prend pas le risque d’amener Maroš sur une durée aussi importante. Les incertains baissent à une dizaine. Le matin on en saura plus.

Départ à 6 heures. A 5 heures les Rakúsy viennent. Sans Martina, soi disant malade et Tomaš, qui doit travailler. Rastik n’est pas là non plus, mais ça fait un bout de temps qu’il a lâché, sans que l’on sache trop pourquoi. Valika a paraît-il des yeux enflés, donc elle reste, mais Ferko apparaît comme par enchantement, fuyant Prague avec ses chantiers pour nous rejoindre et surtout pour retrouver Mira. A Lomnica tout le monde est prêt. Dusan se décide aussi à venir. Il attendait jusqu’au dernier moment une opportunité peu probable de travail, qui ne s’est pas présentée, et sans doute aussi que moi, je lui fasse une proposition financière pour qu’il vienne. Ce que je ne pouvais pas faire, sachant pertinemment qu’il n’y aurait pas de bénéfices, je ne pourrais lui  donner, comme jusqu’à lors, que sur mes fonds personnels, à condition que j’en ai toute foi. Donc il se décide de venir avec nous avec sa femme Véronika, pour ne pas avoir au moins à assurer au niveau nourriture pour ses enfants, qui partent tous avec nous. Tout à coup je me rends compte qu’il nous manque un peu de peps, des clowns, des animateurs nés pour faire l’ambiance. En général ce rôle est tenu par des figures pittoresques, représentant viscéralement le monde profond tzigane, intiment liés à la base, au peuple, et qui arrivent par leur naturel à infléchir une bonne humeur à tout leur entourage. J’ai un coup de blouse en réalisant que nous n’avons personne de la sorte, je me surprends que je n’ai presque même pas envie de partir. Est-ce que je prendrais un petit coup de vieux ? Partir un mois et demi sans rigolade, qu’avec des gens sérieux, c’est trop! 

 

Alors, bravant Hélène, je fonce au petit matin à Kubachy pour réveiller Stela et surtout Irena, la Chinoise (personne n’a jamais su d’où lui vient ce sobriquet), qui est un sacré élément, la terreur de son école, défrayant des chroniques à Kubachy même, ayant presque toujours la boule à zéro (raser les cheveux d’une jeune fille est une punition publique pour atteinte aux mœurs).

Je ne leurs en avait pas parlé auparavant, de peur de les décevoir, Helena étant farouchement opposée à Irena, mais j’ai fait une petite reconnaissance il y a quelques jours, je savais que les filles sont là. Croyant partir pour la journée, elles sont prêtes au saut du lit.  Apprenant que c’est pour deux mois, cela change rien, leurs bagages sont vite faits- il n’y en a pas, elles n’ont rien. Alors je leur donne quelques sous pour s’acheter des brosses à dents et des shampoings. Plus on est démuni, plus on veut paraître aux normes. En revenant à Lomnica je me doute bien que nous sommes en surnombre, mais je ne suis pas trop pointilleux lors du comptage, et Denisa, qui n’était que remplaçante, part aussi (ce n´est que plus tard que j´ai compris qu´elle était un peu sourde-muette, mais c´est pas grave, tant mieux si elle a pu danser avec nous comme si rien n´était...). 

Enfin sur la route ! Heureux ! Nous sommes un de plus, mais je suis le seul à m’en douter. Les petits sont rayonnants, tout sourires, mais il y a une vraie urgence vestimentaire. Ils sont à moitié nus. En haillons. Va falloir remédier à cela au premier arrêt à Tesco à Zilina pour les achats indispensables avant les premiers lots d’habits de récupération prévus lors des différentes étapes. C’est chose faite, on palie à l’indispensable et nous poursuivons sur Bratislava, où nous sommes attendus chez Rudy, un pote que je n’ai pas vu depuis 30 ans, et dont c’est l’anniversaire, donc une bonne occasion pour lui faire une aubade. C’est aussi une occasion, rare, de se produire devant un public slovaque et cela sert de répétition en même temps. Les répétitions devenant plus sporadiques du fait de mes allers-retours fréquents sur Paris,  nous n’avons plus cette constante d’investissement quotidien comme à l’accoutumée. Mais on a énormément bossés toute l’année, il y a de la réserve.  C’est toujours particulier de se produire devant des Slovaques, qui ont tout de même une perception des Tziganes particulière, du fait de cette cohabitation séculaire, comme on le sait. Mais c’est Rudy qui organise le tout, et visiblement, il est ravi. A part l’invasion des moustiques suite aux dernières crues sur la Moravie et le Danube qui s’entrelacent  un peu plus bas, tout va bien. Même ces bestioles, nous arrivons à les éviter en étant dans les hauteurs et nous pouvons pleinement profiter de cette opportunité tant musicale que gastronomique, en s’empiffrant de grillades et mêmes quelques bières pour les grands. Finalement le public est très sympa, assez éclectique, cela pourrait drainer des contacts pour le futur. Nous pouvons poursuivre en toute sérénité sur l’Autriche, où pour une fois, faisant faille à leur mauvaise renommée, les douaniers autrichiens ne sont même pas au poste frontière, et nous traçons sur Genève. Par contre les Suisses, fidèles à leur réputation, contrôlent les disques du bus. On passe. En fin de mâtiné nous débarquons chez Pavel, transformant  du coup sa piscine privée en piscine municipale par le nombre de nageurs au mètre carré qui y pataugent tout au long de la journée.  Pavel et Catherine ne viennent que le soir, juste au moment où nous leurs cassons un pot de fleurs. Mais ça va, à part ça il n’y a pas de dégâts. C’est Richard, le cousin de Catherine qui nous reçoit. Il rentre d’un séjour de 15 ans au Tahiti, et il se trouve très bien avec nous, pas du tout dépaysé. On passe une excellente pause de 12 heures. Pavel, généreux comme d’habitude, nous offre un McDo pour le dîner, et à minuit, direction Issoire.

 

Issoire est la première étape des festivals CIOFF qui constituent le gros de notre tournée. Comme la plus part de ces lieux festivaliers, c’est un petit patelin, où l’investissement des bénévoles est palpable au mètre carré. On sent de partout cet engagement humain désintéressé, et cela dénote assez par rapport à l’inertie, si ce n’est de l’agressivité à la quelle nous sommes habitués chez nous. Nous y sommes rejoints par Alain et Anne Marie Cluzel de Felletin qui ont organisé toute notre tournée. C’est de vieilles connaissances, ils nous ont déjà invités pour 5 semaines il y a quatre ans, nous ont suivis depuis, sont venus nous voir chez nous, une vielle histoire, d’autan plus touchante qu’il s’agit de gens touts simples, dans le sens qu’ils sont profondément encrés dans leur région, ayant consacré une bonne partie de leur vie au folklore à travers leur festival en parallèle de leurs activités d’artisans et de commerçants. Pour nous c’est une véritable aubaine, et leur investissement auprès de nous nous a permis de perdurer en vivant des expériences magnifiques.   Tout au long de la tournée ils seront présents à nos côtés avec leur petite fille Fleur qui nous émerveille en s’intégrant naturellement à nous, et ils nous épauleront de leur mieux.

Le soir même il y a un repas – rencontre entre les différents groupes. Cela se passe dehors, un groupe folklorique de la Creuse je crois, devant assurer une animation musicale pour tout le monde. Nous avons aussi avec nous nos guitares. Rien que notre arrivée avec des chants spontanés, tous en chœur, fait un sacré effet. Les Martiniquais et les Kenyans ne veulent pas être en reste, ils sortent leurs instruments de musique et n’en reviennent pas de voir tout à coups tous ces « blancs », que sont les tziganes pour eux,  investir spontanément le parquet et la scène, et sans le moindre scrupule ni hésitation, s’éclater dans la danse comme en Afrique ou aux Antilles. Je ne me souviens plus pour quelle raison, mais je crois qu’il n’y en a eue aucune, Stano devient tout à coup parfaitement odieux, refusant ostensiblement de prendre part aux animations et à la bonne ambiance de tout le monde. Avec tout le passif qu’il se coltine, ces réactions me mettent hors de moi, pourquoi il s’obstine à venir, s’il ne veut rien faire ?! Si c’est comme ça dés le premier jour, il vaut mieux qu’il parte ! Et plus vite, sera le mieux ! Il faut savoir que ses états d’âme et de désobéissance démonstrative sont accompagnés de toute une mise en scène savante et perfide qui n’a d’autre but que de nous narguer, Helene et moi , et en touts cas, en ce qui me concerne, c’est réussi, je n’ai plus qu’une envie, c’est de le virer, et je suis en pétard contre Helene qui essaie de tempérer. J’ai beau me casser la tête depuis des lustres, je n’arrive pas vraiment à comprendre le pourquoi de ces comportements autodestructeurs, et vu le degré de mon épuisement je n’arrive pas à avoir de la distance, à assumer. S’il partait, ça serait le mieux.

Le lendemain mâtin, coup de fil de Pavel, chez le quel on a passé la journée d’avant-hier. Les bijoux de famille de Richard, un collier, des boucles d’oreilles et des bagues, tout ça en or ne sont plus à leur place, dans la salle de bains où sont passés tous ceux qui se sont baignés. Donc tout le monde. Il ne manquait plus que ça ! Pavel est un super copain, il nous reçoit, nourrit, nous a offert une bagnole l’année dernière, et voilà en guise de remerciement ! Discrètement, de suite on mène l’enquête. Heureusement, cela n’arrive pas souvent, mais on en n’est pas à notre première affaire (la troisième en dix ans…). Helena et les anciens passent en douce en revue tous les bagages. Rien. Finalement ce n’est pas la peine de chercher, les bijoux sont au vu de tous, sur la poitrine de Jarko et Matej, qui se sont servis, et s’en sont ornés naturellement, sans réfléchir, en toute simplicité. Ouf, ça va mieux. On n’en fait pas une salade, mais je choisis bien mon moment pour une explication virulente avec Jaro, qui était déjà, et comment, en mesure de comprendre la gravité de son geste. La prochaine fois, c’est les flics et la taule, sans aucun pardon!

C’est le 14 juillet. Tous les groupes assurent un défilé nocturne à travers la ville. On a la patate. Stano sent qu’il a exagéré la veille met le paquet, entraînant Ivana, et de façon totalement  improvisée nous arrivons à mettre une sacrée ambiance et d’amblée, attirer toute l’attention sur nous. Il s’avère que le groupe des Cosaques qui nous précédent dans le défilé, c’est celui de Stavropol, une troupe excellentissime, que nous avons déjà rencontrés il y a deux ans. Retrouvailles, émotions. Après un feu d’artifice magnifique, vu toute la foule qu’il y avait au stade, je préfère rentrer et ne pas participer à la discothèque afin d’éviter les ennuis éventuels. C’était sans compter que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Le temps que je me tourne pour appeler les chauffeurs du bus sur le portable une bagarre éclate. Qui c’est ? Mais Stano et Figo qui se distribuent des mandales devant toute la foule. Je saute dans le tas. Décidément je deviens physique et nerveux avec l’âge. Je suis tellement en pétard que je suis presque déçu qu’ils s’arrêtent, et m’empêchent par là de leur taper dessus. Une baffe quand même  à Figo, plus une série de pompes. Stano, c’est pas la peine, ce n’est pas son truc. Par contre, avec Hélène, on lui déballe nos quatre vérités. On se serait bien passés de tout cela. Surtout que Stano, sous le choc, sort des trucs pas trop sympas à Hélène, et elle, elle n’est pas du genre à oublier ni à pardonner. Moi, finalement, bien que je gueule pour la forme, au fond de moi je trouve ça plutôt marrant, deux danseurs qui se foutent sur la tronche pour savoir le quel est le meilleur. Au moins ça prouve qu’ils s’intéressent au groupe et qu’ils ne sont pas des mauviettes… Mais chez Hélène, il n’en est pas de même. Jusqu’à la fin de la tournée elle n’a pratiquement pas adressée la parole à Stano, et moi, lorsque je voulais communiquer avec lui (tant qu’il était là, il devait assumer sa fonction d’instructeur), je m’exposais au courroux d’Hélène, ce qui n’est pas peu de choses, comme tout le monde le sait. Mais bon, on enchaîne, on n’en est qu’au début de la tournée, cela ne fait que commencer. Nous donnons plus de responsabilités à Cyril, et Janka aussi, est plus en avant, Ivana ayant aussi parfois une approche mitigée de ses responsabilités. Sans toutes fois, jamais atteindre ce stade de provocation odieuse comme Stano en a le secret.

Dés les premiers jours les organisateurs font preuve à notre égard d’une attention toute particulière. Nous sentons une vraie émotion dans l’intérêt qu’ils portent au groupe et aux gamins. Matej, mais aussi les autres devenant instantanément les coqueluches du public et de tous les festivaliers, bien entendu. Et cela, ce fut une constante lors de toutes les étapes – festivals de notre tournée. Avec des pics – comme avec les Chiliens avec leurs Bandaconmotion, une fanfare délurée, complètement délirante, à la Kusturica, que nous croyons d’abord tzigane, mais qui, heureusement (dixit les nôtres), s’avère sud-américaine. Mais aussi les Russes, Martiniquais, Haïtiens, Kenyans… et même les Hongrois, arrivent à communiquer avec nous. Sans parler de l’équipe des jeunots de la plonge  de la cantine du festival, totalement sympathiquement barges, qui se sont pris d’une telle amitié pour notre groupe, qu’ils ont même offert une super guitare à Matej, et nous ont suivis lors des différentes étapes de la tournée.

Par contre, cette première semaine nous a complètement épuisés. Tous ont attaqués à fond, sans retenue, et nous nous retrouvons lessivés, à plat, avec plein de petits bobos, des viroses, Matej est KO, comment tenir à ce rythme jusqu’à la fin ? Moi-même, j’étais déjà usé avant de venir, alors maintenant, j’ai du mal à suivre. A tel point, que même la rencontre avec les Voyageurs du coin que nous avons élaborée avec Jean Claude, notre accompagnateur local, a du être annulée. Heureusement que l’étape suivante doit être à Autrans, où nous n’aurons pas le même rythme soutenu et il n’y aura pas autant de sollicitations de tous les côtés.

Il est temps de voir de quelle façon vont nous rejoindre les Roumains du 93. Nous ne connaissons toujours pas leur nombre exact. Par contre mon subterfuge lors du comptage au départ est découvert, nous savons maintenant que nous sommes un de plus. Au bout d’une semaine, il était temps ! Donc la fourchette roumaine est de 10 à 20. Finalement, ceux de Montreuil ne viennent pas. C’est dommage pour Jenika, que ses parents veulent marier malgré ses 14 ans. Le père d’Issaï est parti en Irlande acheter une bagnole à deux cent euros, donc Issaï du haut de ses douze ans reste le seul homme dans la caravane et doit rester à la maison pour surveiller les petits.  Il y en a qui sont repartis en Roumanie, d’autres ont peur qu’ils ne se fassent expulser pendant que les enfants seront pas là, et comment ils feront pour se retrouver, et d’autres encore ont tout simplement besoin de leurs gosses pour faire la manche pour nourrir toute la famille. Mais vu notre surnombre à Autrans, nous n’insistons pas trop, et c’est une équipe de Saint Denis, sous la responsabilité de Micha, drivée par Parada, que nous recevrons, à condition toutes fois de trouver un chauffeur pour conduire la camionnette antédiluvienne de Parada (du 30 à l’heure sur les autoroutes dans les montées, en mettant le chauffage à fond par 40 degrés dehors pour refroidir le moteur…), tous ceux qui étaient en lisse s’étant désistés. Heureusement que Johann, bien que sollicité au dernier moment, peut prendre la route et avec Alex nous rejoindre à Grenoble un jour après notre arrivée à Autrans. Ils sont 12. Micha, sa femme Vérona, Renata et Denisa, deux petites de Hanoul, Izabela, fille de Micha, Steluca et sa sœur Miamar, avec leur frère Michail et le cousin Fabian. Comme chez nous, ça va de 6 à 19 ans. Plus, heureusement, Coralie, la monitrice  de Parada. Nous avons réservés des places au camping, mais au final, nous avons réussis à nous caser tous à Autrans. Les filles et les Roumains dans la maison de l’OVE. Nos garçons sous les tentes. Ce fut parfait. 

Joëlle et les siens ont assurés une logistique sans faille, et nous avons pu entamer ce séjour qui était pour nous comme une reconvalescence après les excès d’énergie d’Issoire. Donc repos, farniente, piscine, et encore piscine et encore repos.  La piscine nous est offerte par la municipalité qui a fait ce choix en cours de route - grand merci, nous nous en lassons pas, et tant que c’est possible nous en profitons amplement. D’autant plus, que pour la plupart des gamins c’est une première, donc il ne fallait pas laisser passer cela. Inutile de préciser que  nous n’avions à disposition que juste quelques maillots de bains pour tout l’équipe, mais en faisant les fonds des tiroirs de Joëlle et de ses amis  et en sautant dans l’eau même en slips, cela passe, les maîtres nageurs étant pas trop regardants et plutôt sympas. Avec Micha, Coralie et Stano nous nous relayons pour assurer la surveillance. 

Dommage que le fossé qui sépare les anciennes des nouveaux se manifeste aussi là. Les filles de Krtíš ne sont pratiquement jamais venues ! Je n’ai pas le temps ni l’énergie pour m’attaquer à ce problème, de temps en temps je pousse une gueulante, mais cela ne suffit pas, et de loin, à mettre en place une cohabitation comme je l’aurais souhaité. Hélas, Helene est à ce niveau contreproductive, elle-même sujette à tous les préjugés et partis pris possibles et inimaginables, elle participe pleinement à cet écart qui se creuse de plus en plus entre les anciennes et les nouvelles. Ivana suit le pas, Mira et Louba ne sont pas en reste. Et Rakúsy s’adaptent. 

Heureusement qu’il y a les petits et les doux dingues comme Jackson pour échapper à tout cela et pour instaurer une bonne entente entre tous, et bien sûr, les nouveaux venus roumains, qui font diversion dans ce climat quand même tendu au sein du groupe. Mon explication personnelle de ce phénomène, comme quoi ces rapports insensés relèvent d’un reliquat du système des castes indien ne me satisfait pas du tout et cet état de fait me déçoit et blesse terriblement.  Surtout en ce qui concerne notre groupe. Au niveau de la cohabitation avec les roumains tout se passe bien, juste le partage de la cuisine par les trois reines des fourneaux, Helena, Véronika roumaine et Véronika slovaque donne lieu à des situations plutôt cocasses. La préparation des repas étant à notre charge, avec nos amis français nous concevions ces moments comme des occasions de mieux se connaître dans une activité en commun, d’échanger, de découvrir et aussi de faire des économies en cuisinant des repas adaptés aux goûts des enfants. 

En réalité il n’était pas question que certaines filles puissent toucher à la préparation de la nourriture, étant d’origine « impure » et même les plats cuisinés par les uns et les autres n’inspiraient pas la confiance, une suspicion de maraboutage étant toujours à l’ordre du jour, malgré le doctorat au quel va s’attaquer bientôt Helene ! Tout cela mû par un antagonisme intracommunautaire viscéral qui fait la joie des logis tziganes de par le vaste monde, tant pis pour le politico-ethniquement non correct !... Bon. Au lieu d’un service, en voilà deux, voir trois. A la trappe les résolutions d’économie. Vérona commence par préparer une soupe, Héléna ne dit rien et se met à râper les pommes de terre  pour des crêpes aux patates, Vérona réplique par une attaque aux beignets magistrale, plein la bassine, etc., en veux-tu, en voilà! 

On n’est que 49, et tout le monde a bon appétit. Heureusement. Tout cela sous le regard médusé des Français qui ont un peu de mal à suivre… Cela a eu au moins le mérite d’occuper les bonnes femmes et pallier aux carences alimentaires dont souffrent presque tous les mômes chez eux, et tout le monde a enfin mangé à sa faim. 

Le rythme des spectacles est d’un tous les deux jours, ce qui nous permet de nous entretenir tout en récupérant au maximum. Ce sont des prestations diverses dans les environs. Partout nous sommes bien reçus, impressionnants par notre nombre – 41 sur scène, et même presque 50 lorsque nous étions à la Fête du Bleu à St. Niziaire, où nous avons incorporés d’office une famille de Roms roumains que nous ne connaissions pas, qui étaient de passage à Grenoble, dans notre spectacle. Une ancienne de Parada les a montés de Grenoble, et sans rien leur demander ni expliquer nous les avons directement entraînés avec nous dans le spectacle. Ils n’en revenaient pas, de se retrouver instantanément en haut de l’affiche, direct de la rue avec sa manche, au feu de la scène avec les applaudissements ! 

Il est évident que cette expérience, ils ne l’oublieront jamais. Mieux que d’interminables discours, formations, rattrapages ou négociations, un tel choc émotionnel laissera au niveau du vécu une trace indélébile, un traumatisme positif, et je suis sûr, à sa manière infléchira sur l’inconscient de ces gamins qui sont devenu d’un coup des stars de leur vie, ne serait-ce ces quelques instants qu’ils ont partagés la scène avec nous. A mon sens, ce sont des expériences semblables, toutes en action, qu’il faudrait développer de par le vaste monde, qui ne manque pas de partenaires potentiels, sachant le nombre de migrants roms en constante augmentation, et ce n’est pas demain que cela va changer…  

   

J’oubliais qu’Issoire a marqué aussi le sacre de Janka comme vice reine du festival, suite à un concours de danse, qu’elle aurait dû, suivant l’avis général et même celui des gagnants, les Martiniquais, gagner. Ce concours était très sympa, précédé de toute une préparation démesurée de 4 heures par jour sous les directives de Jean Luc, maître de ballet de son état, qui s’est investi sans compter dans cet événement. Au début je craignais une surcharge de fatigue, je ne me trompais pas, mais c’était très bien, les chorégraphies de pointe de notre cher Jean Luc ont bien occupées tout le monde, et l’apothéose a eue lieu lors du concours en public, devant un jury impartial ( ?) dans une atmosphère bon enfant, populo, le dernier jour du festival, en plein centre ville. 

 

Ce fut aussi l’occasion de sa vie pour Roman Jackson d’utiliser enfin son fameux CD de Jackson, qu’il a toujours sur lui, et depuis 6 ans qu’il est dans le groupe, avant chaque spectacle il me demande s’il on peut le passer pour qu’il danse dessus. Depuis 6 ans, à chaque fois je lui dis que non, en général les endroits et les manifestations que nous fréquentons ne se prêtent pas à ce genre musical. Patient, il obtempère à chaque fois, range son CD pour le ressortir le lendemain pour me demander la même chose le jour suivant. Comme ça, depuis des années. Il faut dire que pour Roman, Michael Jackson est bien plus qu’une idole, c’est une idolâtrie, une religion, une vocation, une passion, et je ne sais quoi encore, si, une incarnation ! Depuis qu’il est tout petit il s’entraîne tous les jours devant la glace, et il a failli ne pas venir en tournée à cause du décès récent de Michael. Lui-même, Roman, il signe partout Roman Jackson et est constamment à la recherche de la perfection tant artistique, que vestimentaire pour s’approcher au mieux de son rêve. En ce moment il cherche un chapeau noir… 

 

Bon, Roman a eu quelques graves soucis de santé étant petit, il s’est construit son monde à lui, devenu grand il est au RMI, éboueur au service de la ville, et hormis sa passion jacksonienne, il adore aussi tout ce qui est tzigane.  Il a un charisme véritable, et j’aime le voir à mes côtés lors des spectacles, son engagement total m’aide dans ma démesure. Donc voilà, enfin son heure est arrivé. Dans le cadre de ce fameux concours de danse, vu l’actualité de la disparition tragique de Michael, les organisateurs sont tout à fait d’accord pour qu’il intervienne et lui laissent la scène, avec son CD. Pour Roman il y aura eu avant Issoire, et après Issoire! Sa prestation devant la foule qui l’acclame le transcendante, il y met tout, il n’est plus Roman Jackson, il est Michael Jackson! 

Alors à Autrans, encore sous l’effet tout frais de cette expérience quasi mystique, hors commun pour lui, tous les soirs, lors des discothèques improvisées il met en transe tout le groupe qui le suit comme un seul homme, et lui, luisant de sueur il est l’incarnation même de ce Michael Jackson, à l’évidence redescendu sur terre, devenant pour quelques instants Roman pour le plaisir des petits et des grands. 

Les Roumains, médusés, observent tout ça dès le premier soir du coin de l’œil, un peu déconcertés, frustrés de n’avoir pas osé se joindre  aux autres, mais dés le deuxième soir les appréhensions et retenues se dissipent et au troisième soir il n’y a plus aucune différence entre les deux groupes. Sur scène, pareil, ils ont pris d’emblé part à tous nos spectacles. Pour les filles cela allait de soi, on a fait déjà le Zénith ensemble… Notamment la petite Renata était une partenaire idéale pour Matej.

Mais le mérite revient surtout à Fabian et à Michael, qui malgré leur âge (17 – 18 ans) se sont vite adaptés. J’ai eu un immense plaisir à écouter Fabian m’exposer son parcours, après avoir fait pas mal de bêtises il est actuellement en apprentissage, il sait ce qu’il veut faire. Bravo Parada, chapeau Micha !

Le séjour touchant à sa fin, restait à trouver comment rapatrier Parada sur Paris avec cette fameuse  camionnette, reine des montées et des descentes. Laisser conduire Alex tout seul était trop risqué. Me taper le voyage était hors question, physiquement je n’avais pas le temps de faire l’aller retour sur Paris entre deux spectacles. Alors coup de fil à Colette, qui n’a pas trop de mal à convaincre Sorine, le père d’Issaï, de venir, bien que l’on ne lui donnera que 50 euros de dédommagement pour son déplacement. Ce n’est pas grand-chose, mais toujours mieux que rien. Mais je préfère m’arranger pour monter à Paris la veille pour le ramener personnellement. On se met d’accord avec Colette pour se retrouver à la Gare de Lyon où nous devons prendre le TGV pour Grenoble. Au rendez-vous, ce n’est pas Sorine, mais Vinky, frère de Jenika qui est là. Colette, très gênée, m’explique que Sorine n’a pas pu venir, et il n’y a que Vinky pour faire le voyage, mais il exige de nous 150 euros pour le faire. Sympa ! 20 minutes avant le départ du TGV, nous n’avons pas le choix. Je sens que si je ne lui promets pas ce qu’il veut, il ne partira pas. Alors je l’embarque avec son sac en plastique Lidl et sa bouteille de Coca à la main. Colette propose de participer à hauteur de 50 euros. J’accepte, pour que tout le monde voit que c’est  elle qui donne de sa poche à tous ceux aux quels elle a déjà tant donnée. Vinky, gêné, explique que c’est sa femme qui… etc. On monte dans le TGV, un contrôle inopiné de la police des rails nous met en émoi, mais à part ça le voyage se passe bien. Vinky me raconte sa vie, je comprends qu’il soit inconcevable qu’il vienne aider gratis ses semblables, mais… Arrivés à Autrans, problème. Micha s’aperçoit que Vinky est en possession d’un vrai faux permis de conduire, comme il en a arrangés plein pour ses compatriotes. Ce sont des vrais permis anglais, mais ceux qui les possèdent ne sont pas forcément de vrais conducteurs... Apparemment, ce n’est pas le cas de Vinky, qui a l’air d’être un as du volant, et de toute manière avec le bolide de Parada ses talents de Fitipaldi seront vite limités. Finalement Micha, n’ayant pas trop le choix, accepte de partir avec lui. Cela nous permet d’échanger des coups de fil avec Sorine, furieux de voir comment Vinky a abusé de la situation, car au début il avait accepté de venir pour les 50 euros, avant de faire du chantage à la dernière minute. Donc les Roumains nous quittent, avec beaucoup d’émotions nous les laissons et continuons sur Albertville, où Lisa nous a concoctés deux spectacles.

Avec Lisa, copine d’Evelyne des Etudes Tsiganes, nous nous sommes juste croisés à Marseille lors du Festival Latcho Divano en avril dernier, mais c’était assez pour qu’elle se décide de nous faire venir chez elle, et qu’elle le fasse. Le très court séjour à Albertville et à Confolens était un petit poème. 

 

Très bien reçus, excellent hôtel, excellente bouffe. Il y avait aussi plein de représentants de diverses communautés tsiganes de la région, des Roms français (avec femmes d’origine tzigane slovaque), des Manouches, et même Frank de l’Artague de Lyon avec des amis. Après avoir bien récupéré et bu une bière au bar du coin, offerte par le serveur, originaire de Poprad, notre ville, et pote de mes enfants, nous pouvons partir pour Sarran.

Revitalisés, requinquées et gonflés à block après les 10 jours de remise en forme, qu’a été pour nous la résidence dans le Vercors, nous arrivons tout fringants à Sarran, pour poursuivre notre défilé des festivals CIOFF. Cette étape sera de courte durée, nous n’y restons que trois jours, mais cela n’enlève rien à l’intensité et à la qualité de ce bref séjour dans le fief de Jacques Chirac, dont le Musé est pour nous aussi, une étape incontournable. Nous retrouvons surtout à Sarran nos amis chiliens de la Bandaconmotion, ainsi que le Paraguay et les éternels Cluzel, toujours prêts, fidèles à leurs postes d’anges gardiens de notre périple. Surprise, nous sommes rejoints aussi par quelques membres de l’équipe de la super plonge d’Issoire.  Chaque étape a son lot de petits bobos plus ou moins graves. A Issoire c’était Matej qui flanchait, à Autrans Ivana de Lomnica s’est foulée la cheville sur le toboggan de la piscine, et là, c’est Louba de Krtíš qui nous inquiète en se tordant de douleurs au niveau des reins. A chaque fois des visites médicales s’imposent, et là aussi, la logistique rodée des festivals prouvant son efficacité, les toubibs festivaliers dissipent nos craintes et font le nécessaire pour remettre tout ça d’aplomb.

 

 

L’étape suivante, Felletin, avec son Festival des Musiques, Danses et Voix du Monde est  un moment important de notre tournée. Felletin, c’est l’organisation qui, via les Cluzel, nous a organisé la totalité de notre tournée. Nous avons déjà été reçu par ce festival il y a 4 ans, et une réinvitation, surtout accompagnée de l’élaboration de toute la tournée est une preuve d’amitié et d’engagement en notre faveur qui n’a pas besoin de commentaires. A part, peut-être, qu’Alain et Anne Marie Cluzel, membres du comité d’organisation du festival se sont personnellement énormément impliqués et investi pour qu’il en puisse être ainsi.

Nous sentons bien que pour eux c’est aussi un engagement et un défi personnel, et nous ne voudrions en aucun cas les décevoir, que ce soit par la qualité de nos prestations, ou par la qualité de notre comportement. Heureusement, nos spectacles ainsi que les contacts étaient sans reproches. Cette tournée, et Felletin tout particulièrement, réunissait un excellent plateau au niveau de la qualité des groupes participants. En premier lieu, la troupe d’Etat des Cosaques de Stavropol, qui alliait un professionnalisme de très haut niveau avec une émotion artistique et humaine rare, les Chiliens, Paraguayens, le Ballet national du Kenya, celui du Myanmar, etc., n’étant pas en reste. Pour nous c’était une occasion d’avoir à faire à une vraie concurrence, se mesurer à des partenaires de très haut niveau. 

 

A vrai dire, notre « argumentation artistique », à, savoir l’attaque des petits, Matej, Janka, Kubo, en tête, plus le côté débridé de toute la troupe, derrière le quel on sentait quand même une rigueur et une détermination hors normes, ne pouvait pas laisser indifférent. En plus, ce qui peut être échappe à un public pas  forcément averti des petites ficelles du métier, il faut savoir que les gamins sont parfaitement éduqués, pour ne pas dire dressés, à faire face à toutes sortes de situations imprévues d’improvisations au contact du public, qui font la joie des petits et des grands. En effet, tout ce côté spontané et incontrôlé, que semblent être les parties de danses et d’échanges avec le public, est le résultat d’un travail de longue haleine, au résultat du quel on a l’impression que tout va tout seul, naturellement, dans un sympathique désordre spontané. 

 

Oui, il y a de ça, mais pour qu’il en puisse être ainsi, il a fallu beaucoup, beaucoup, de travail, de conditionnement, pour que les gamins puissent retrouver, ou mieux encore – garder des réflexes spontanés dans des situations ou d’autres seraient perdus et ne sauraient quoi faire. Tandis que là, nous avons affaire à un groupe, bien que composé d’enfants et de jeunes de 7 à 20 ans, qui réagit et opère de la même façon qu’une troupe professionnelle composée d’adultes expérimentés. Au niveau de la programmation je mets un point d’honneur à composer nos programmes de telle façon que jamais au cours d’un festival le même morceau, ni le même programme  ne soit répété, même à quelques jours de différence. Cela émane du souhait des organisateurs de diversifier les spectacles en cours des festivals, le même public revenant souvent aux concerts, désirant naturellement de voir à chaque fois des prestations différentes, même si ce sont les mêmes groupes qui sont sur scène. Au niveau du choix cela ne pose pas de problème, nous possédons un très vaste répertoire, mais aligner 5 voire plus de blocks d’attaque de 15  - 20 minutes, tous différents, n’est pas à la porté de tout le monde, la preuve, les autres groupes, pratiquement à l’unanimité reproduisent toujours les mêmes passages à l’identique. Personnellement, j’adore arranger les musiques et les dramaturgies de nos spectacles, donc c’est pour moi une occasion de tenir cet engagement et en effet, jamais nous ne reprenons quelque chose que nous avons déjà joué durant ce festival, et pareil lors de toutes les autres étapes.  Cela nous permet donc de tester des variantes nouvelles, et aussi mesurer une fois de plus, à quel point les mômes sont flexibles et adaptables à des situations nouvelles. Car il va sans dire, que nous n’avons pas le temps de répéter ces nouvelles trouvailles.  J’en touche juste quelques mots avant d’entrer sur scène à Stano et à Ivana, et c’est parti, comme si nous avions répété cela pendant des semaines. Des vrais pros!  Cette adaptabilité hors normes nous permet, justement, de nous adapter au grès des situations au moment présent, et plus d’une fois décider du répertoire et de la dramaturgie au moment même d’entrer sur scène, en fonction des performances des groupes qui nous ont précédés et des réaction du public, de l’atmosphère et  de l’ambiance dans la salle à cet instant précis. Je suis très content que tout se passe aussi bien, sentant bien que pour Alain et Anne Marie Cluzel cette unanimité à la Maison mère qu’est leur Festival, prend une saveur particulière. 

 

A Felletin nous retrouvons aussi Karine et Nathalie, deux accompagnatrices étalons, qui nous facilitent la vie de tous les jours à tous niveaux. Nous sommes aussi rejoints par Mélanie et Cécile de Yepce, qui savent très bien ce dont on a besoin en accompagnement logistique et humain et le font sans que l’on ait besoin d’expliquer quoi que ce soit. Bref, nous sommes entourés et choyés comme de vraies stars. Et puis, après des années, Xavier est là. Xavier qui nous a accompagnés pendant quelques années, apprenant même à baragouiner en slovaque et en tzigane, notre accompagnateur attitré durant plusieurs saisons est de retour. Cette fois-ci comme régisseur et metteur en scène du festival, toujours aussi sympa et généreux, comme avant, juste avec quelques projets personnels et professionnels qui l’ont un peu écarté de nos chemins récemment.  Une grosse frayeur quand Figo se prend les pieds en sautant de la scène et se fait très mal au coude, qu’il n’arrive plus à déplier. Cela se passe dans un de ces petits patelins ou l’on nous envoie faire des prestations au fin-fond de la France rurale, devant des publics émerveillés et des organisateurs merveilleux se mettant en quatre pour nous recevoir au mieux.  Malheureusement cet incident ternit une soirée magnifique dans une salle bondée. Il est minuit, nous sommes loin de toute antenne médicale. Que faire ? Après un coup de fil au toubib du festival de Felletin nous optons pour les urgences sur le chemin de retour à une heure de route de là. Donc vers 2 heures du mat’, radio, attente. C’est là que j’ai tout le loisir de méditer la situation : nous n’avions pas eu le temps de faire une assurance en bonne et due règle avant notre départ – il faudrait le faire nominativement un mois avant notre départ, beaucoup trop tôt pour savoir qui va partir. Il y avait aussi moyen de prendre une assurance pas trop chère en France, mais pas au dernier moment non plus, et faute de finances, je n’ai pas pris d’assurances comme d’habitude, qui ne servent de toutes façons à rien, à part le rapatriement des corps… Tous ont une assurance ordinaire au pays, comme tout le monde, mais à l’étranger ce serait compliqué de faire valoir quelque chose. Donc, connaissant le paternel de Figo, je vois la catastrophe qui nous attend s’il lui arrive le moindre pépin, et bien entendu je plains le pauvre gars qui a l’air de souffrir. Cela dit,  s’il est prêt à se battre (dernièrement avec Stano le 14 juillet dernier), il pourrait au moins savoir sauter d’un mètre de hauteur, en plus je n’avais pas donné d’ordre de descendre dans le public comme d’habitude. On attend. Avec Alain on n’en mène pas large. Les radios sont enfin faites. Ouf, ce n’est rien, c’est mieux que de gagner au  Loto, on peut rentrer, il n’est que 4 heures du matin.  Le lendemain on règle la clinique, rien de très douloureux,  et nous pouvons prendre la route pour Montoire-sur-le-Loir.  

 

Même avec le GPS, j’ai l’impression que nous nous trompons de route en approchant Montoire, tellement les chemins que nous empruntons sont petits et ne semblent mener nulle part. Mais il n’en est rien. Montoire est bien au bout de ces détours sur le Loir, et nous devant une autre étape, pas des moindres, de la tournée. En effet, si j’ai bien cru comprendre, il y avait des hésitations de la part des organisateurs de ce festival pour nous prendre, et Alain Cluzel au du, une fois de plus, batailler et  s’engager personnellement pour nous ouvrir des portes. Ces hésitations, je les comprends, elles sont légitimes. Prendre une troupe de gosses est osé dans un environnement d’adultes que sont ces festivals et peut engendrer des complications  supplémentaires. Je ne pense pas que le fait qu’il s’agisse des tziganes entre en compte, mais qu’il soit question des jeunes venant des milieux socialement déstructurés ne peux pas passer inaperçu, et peut engendrer des craintes et des réticences justifiées dans un milieu qui n’a pas à priori une vocation d´oeuvre sociale. 

 

Heureusement, dés les premières prestations il n’y a plus le moindre doute sur la nature et la qualité de notre troupe, au contraire, tout le monde, et le président du Festival, Jean François Prous en tête, nous est acquis. Bien sûr, plus les festivals sont importants, plus ils drainent du monde, plus les conditions sont dures, nécessitant de notre part une gestion de notre groupe des plus élaborées, surtout au niveau des temps de récupération qu’il faut savoir prendre dés qu’une occasion se présente. Je pense qu’à ce point de la tournée – la cinquième semaine sur les routes, nous sommes déjà sur un rythme de croisière, et nous arrivons à éviter les excès comme ce fut le cas au début de notre périple. Ici il n’y a pas de piscine, mais nous avons vécus une soirée mémorable à la Fête Foraine, où, après avoir joué et dansé pour les forains, nous avons été récompensés par des tours de manèges à volonté. Sans commentaires. Que du bonheur. 

 

Montoire a marqué une étape dans notre tournée. Un certain seuil de fatigue étant dépassé, surtout de ma part, sentant aussi que la fin de la tournée s’approche, mais aussi retrouvant enfin mes forces (déjà dés le départ j’étais complètement épuisé par le stress accompagnant les préparatifs), je pouvais de nouveau lancer des prestations à fond, sans ménagement. Il faut savoir aussi que nous n’avions que des interventions de 15 à 20 minutes à assumer, mais la plupart de temps dans des plages horaires qui nous fesaient rentrer toujours après minuit. Mais comme il n’y avait pas de spectacles dans la mâtiné, le groupe pouvait récupérer à sa guise jusqu’à midi.  Cette certaine aisance se sentait et se voyait même sur pratiquement tous les participants, notamment les petits, qui s’épanouissaient tout en prenant du poids, ils engraissaient littéralement à vue d’œil. Et ça, ça me remplissait d’une satisfaction indescriptible. C’est basique, mais quand on sait d’où viennent ces mômes, qu’ils sont plus  souvent affamés que rassasiés, que des journées où ils n’ont même pas un morceau de pain à se mettre sous la dent ne sont pas rares, les voir s’empiffrer tout au long des jours et des nuits me remplissait d’une sorte d’allégresse jouissive qui suffisait toute seule à palier les difficultés rencontrées.

 

Montoire-sur-le-Loir sera pour nous aussi synonyme d’un « fait d’armes » mémorable. Le défilé. Tous les défilés, de par leur principe de déambulation dans les rues, dans notre cas sans batteries, percussions ni fanfares, donc en position de faiblesse par rapport aux batagoudas et autres tam-tams hyper performants au niveau sonore, sont des épreuves, petites ou grandes, en fonction du parcours, de sa longueur, des conditions météo, etc. Ici, toutes les conditions pour un défilé archi éprouvant ont étés réunies. Il fallait faire deux fois le tour de la ville, en plein après-midi, avec 36 à l’ombre, dans un parcours sans ombre, bref, deux heures en plein soleil au plus fort de la canicule d’été. Même les Haïtiens ont déclaré forfait, en refusant tout simplement de danser sous ce soleil de plomb. Les autres groupes aussi ont étés ménagés, ils n’avaient que des prestations ponctuelles à certains endroits à assurer, sans déambuler comme nous. Finalement, nous nous sommes retrouvés pratiquement seuls à faire le défilé avec quelques formations bretonnes, fortes de leur puissance sonore grâce aux bignous et autres instruments aux timbres perçants, fortement représentés au sein de leurs orchestres. Au début je voulais faire à l’économie, en profitant de la moindre parcelle d’ombre pour s’y réfugier. Mais tout le monde était complètement amorphe, sans entrain, ce qui était tout à fait légitime, vu le soleil de plomb qui nous tombait carrément dessus et nous assommait avant que l’on ait pu tenter une quelconque manœuvre salvatrice. Il n’y avait personne pour entrainer les autres, tous ne fesaient que traîner lamentablement comme si nous étions en plein milieu du Sahara, et effectivement, ce jour nous étions au Sahara-sur-le-Loir…  Alors, réagissant impulsivement j’ai lancé l’ordre aux garçons d’arroser les filles avec les bouteilles que nous avions pour nous désaltérer, ce qui fut fait dans l’instant même, les filles rendant le même service aux garçons, et c’est dans un arrosage mutuel, tous entièrement trempés, que nous avons entamé notre défilé. L’ambiance devenant du coup euphorique, foldingue, nous avons interprété tout notre répertoire au pas de course en enchainant les danses telles qu’elles se suivent dans notre programme classique, toujours sans s’arrêter de s’arroser de plus belle.  Nous avons laissés les petits se reposer pendant le premier tour de la ville sur des chars allégoriques, pour mieux les lancer dans l’action au deuxième tour, lorsque les grands commençaient à tituber. C’était quelque chose de totalement insensé. Le public, enthousiaste, nous observait, écarquillant les yeux devant cette folie collective qui nous transcendentait dans une transe loufoque, digne des grands comiques du cinéma muet où tout le monde part dans un délire collectif à la chantilly que plus rien ne peut arrêter. Au bout de deux tours et demie de la ville, nous nous sommes arrêtés, trempés, épuisés, mais heureux d’avoir accomplis un exploit tous ensemble. Je crois que c’est exactement de ce genre d’expérience, de dépassement de soi collectif que nous avions besoin. Il nous manquait tout simplement, pour cause d’économie d’énergie, des dépenses, des dépassements collectifs de soi, comme nous en avons l’habitude tous les jours lors de nos méga répétitions – marathons, et qui sont ce qu’il y a de mieux pour souder un groupe. Il nous en a coûté de deux guitares qui n’ont pas tenues le choc, elles sont tombées au combat, sous les mains des danseurs, servant de tambours, les cordes à elles seules ne suffisant pas à entrainer tout le monde. Heureusement dans ce cas, nos instruments ne sont pas des pièces de collections, et à l’étape suivante nous avons pu en racheter une aux puces pour pas grand-chose.  Donc, dorénavant tous les spectacles allaient tambour battant, et ce, quelques soient les conditions dans les quelles nous nous produisions. A midi, ou à minuit, toujours le même engagement, sans retenue, toujours à fond. Finalement, les gosses ont énormément d’énergie, ils récupèrent très vite, c’était plutôt moi, qui avait besoin de reprendre mes forces pour pouvoir servir de moteur dynamiseur pour tous.  

 

Après Montoire, Haguenau. La 50e Fête du Houblon marquait la fin de notre tournée. La sixième semaine sur les routes, sur un rythme ascendant, plus rien ne pouvait nous arrêter. A vrai dire, quand Alain nous a annoncé en début d’année, lorsqu’il élaborait notre tournée, qu’il travaillait encore sur une sixième semaine de festival à Haguenau, nous nous sommes dit, que l’on s’en serait bien passé, cinq semaines nous paraissaient amplement suffisantes. Et c’est vrai, à la fin du Festival de Montoire, si l’on nous proposait de rentrer chez nous, personne n’aurait protesté. Mais, c’était déjà prévu, en plus Haguenau était sur le chemin de retour et je comprenais très bien, que plus il y avait de festivals, plus c’était facile pour les organisateurs de compenser les frais liés à notre séjour. Donc, c’est un peu en serrant les dents, en se disant que l’on va bien tenir encore une semaine, la dernière, que nous mettions le cap en direction de l’Est, pour nous rendre à cette 50e Fête du Houblon. 

 

Montoire – Haguenau était une belle étape de 700 km environ. Nous préférions alors la faire dans la nuit, sachant que de toutes façons, le dernier soir d’un festival on aura du mal à se coucher, il y aura d’interminables adieux avec les autres groupes, le rangement des chambres, les bagages, … alors tant qu’à faire, autant embarquer de suite après le spectacle, cela nous évitera de nous presser inutilement lundi et nous éviterons les routes sous la chaleur. Il en fut ainsi. Nous quittons Montoire vers 3 heures du matin et le lendemain à midi nous arrivons à Haguenau. Bien que notre arrivée fût prévue à l’origine qu’en fin d’après-midi, on nous sert sans problèmes un bon repas chaud et nous pouvons aller nous installer dans les locaux d’un ancien séminaire qui nous servent de dortoir. C’est assez excentré, mais a l’avantage d’être bien isolé, et cela nous convient parfaitement. Nous savions qu’à ce festival prendrait part hormis nous, un autre groupe slovaque, une fanfare de cuivres du côté de la Moravie, mais jamais nous n’aurions imaginés, que les organisateurs, pensant bien faire, allaient nous mettre côte à côte dans le même bâtiment, même étage, même couloir ! Découvrant ça, Heléne et moi sommes carrément tétanisés, hébétés, ne sachant quoi dire, quoi faire pour éviter cela. Nous essayons vainement d’expliquer gauchement à nos accompagnateurs respectifs les raisons qui nous portent à éviter nos compatriotes. Trop tard, il n’y a pas d’autres solutions que d’affronter une semaine de cohabitation entre les Slovaques et les Roms. Nous essayons de limiter les dégâts en délimitant bien les espaces respectifs des deux groupes au niveau des douches et des sanitaires, mais c’est en appréhendant le pire que nous attendons le lendemain, lorsque nous devons être rejoins par la fanfare de cuivres Buckovanka de Moravské Lieskové, qui se situe juste à la frontière slovaque et morave, presque à l’opposé géographique de nous. Nous apprenons aussi que nous avons quand même une prestation de prévue dés le premier jour de notre arrivé. Etant donné que c’est le 50e anniversaire du festival, celui-ci commence plus tôt, ce soir aura lieu l’inauguration, et nous sommes invités à participer avec une petite prestation de 20 minutes. Pourquoi pas ? Au contraire, cela nous évitera de traîner. Je ne pensais pas si bien dire. Après le dîner, nous attendons notre passage, et nous passons que vers minuit ! Que quatre heures à attendre ! Après une nuit de voyage, une journée à traîner à s’installer, sans repos véritable, attendre minuit pour passer sur scène devient un sacré challenge. Tout le monde tombe de sommeil, d’ailleurs il y en a pas mal qui dorment où ils peuvent, sur les bancs des vestiaires improvisés, ou même sur les tables ou par terre. Que faire ? Se plaindre eut été légitime, mais arrivés à ce stade de fatigue et d’endurance, il y a une sorte de résignation qui fait que l’on prend les choses telles quelles et on fait pour que ça passe le plus vite. La salle dans la quelle nous devions nous produire n’était pas non plus des plus engageantes. C’était une espèce d’énorme salle à manger, un peu façon cantine, avec plein de bruit des couverts et des gens qui parlaient, où tout le public était attablé et occupé à ingurgiter de la choucroute et surtout à s’abreuver de la bière sans modération. A priori cela ne donnait pas envie de se produire dans de telles conditions, en étant juste qu’une coulisse culturelle, un décor artistique pour mieux faire passer les saucisses et les Kanterbrau. Je plaignais les mômes, qui, heureusement ne s’en fesaient pas plus que ça.   Pour des raisons énoncées plus haut, je considérais cela comme une fatalité, et vers minuit, dans un dernier sursaut d’énergie j’ai lancé malgré tout une prestation kamikaze avec tout l’entrain et l’énergie dont nous sommes capables. Ce qui est merveilleux, c’est que tout le monde suit, donc malgré tout on envoie un sacré spectacle, et surprise, ce n’est pas ce temple de la bouffe gargantuesque comme je le voyais au départ, ce ne sont pas des goinfres qui ne pensent qu’à s’empiffrer, mais tout à coup c’est une salle merveilleuse et un public généreux qui nous fait des ovations et nous porte aux nues ! Et il en a été ainsi jusqu’à la fin du festival. Comme quoi, même en ayant du métier et de l’âge, on peut se tromper sur toute la ligne. Et c’est ce qui m’est arrivé avec cette fameuse Fête du Houblon, qui était en fin de compte une apothéose lors de notre périple de 6 semaines, et que malgré toute notre fatigue nous n’aurions en aucun cas voulu manquer et qui nous a laissé d’inoubliables souvenirs, de rencontres et d’amitiés. En effet, que ce soit au niveau de l’organisation, de la logistique et surtout au niveau humain, ce festival aussi réunissait tous les superlatifs comme jusqu’à présent.   A commencer par le trio d’accompagnateurs, dont deux Martiniquo – Antillais (qu’ils m’excusent mon ignorance géographico-ethnique), Bruno et David, merveilleux de générosité et de gentillesse, tout en étant très cool, plaisantant, matant les belles filles, bref leur façon décontracte de percevoir la vie à ce stade de la tournée a sur moi un effet quasi thérapeutique. Christian, notre troisième guide local n’est pas en reste, parfaitement efficace, réalisant le record des festivals du portage de Matej à califourchon sur les épaules, tout en nous accompagnant à la piscine, chez le médecin, aux magasins, etc. Pareil au niveau de la direction, qui a beau d’être d’une redoutable efficacité en gérant parfaitement l’enchevêtrement des multiples spectacles simultanés sur plusieurs sites de  la vingtaine de groupes participants, ils n’en sont pas moins profondément humains et plein de sollicitude à notre égard. Cette bienveillance bonhomme, nous la sentions à tous les niveaux. Partout, dans les cuisines, lors des spectacles, surtout nos petits fesaient l’objet de toutes les attentions de la part des bénévoles du festival. 

 

Arrive le moment fatidique de la rencontre tant redoutée avec le groupe slovaque. Tous les hommes sont en général très sensibles quand aux relations inter ethniques.  Il suffit d’un rien, et même des gens très sensés peuvent virer dans la démagogie, voir pire, l’agressivité, la haine. A vrai dire, nous n’avons pas eu jusqu’à lors à souffrir plus que ça de tels comportements, mais tout le monde a déjà eu des expériences négatives à ce niveau, et ça laisse des traces. Et encore une fois, il suffit d’une réaction anodine, d’une remarque déplacée, et cela peut dégénérer, créer un malaise, voir pire, un traumatisme impossible  à oublier. Et c’est ce que nous craignions en apprenant que nos prochains voisins de couloir seront nos compatriotes. Idem, comme plus haut, c’était tout le contraire. La vingtaine des musiciens de la fanfare Buckovanka s’avérèrent être  de braves gars, très sympas, affables, aimant avant tout la musique et tout ce qui va avec. Nous n’avons senti de leur part la moindre allusion à quoi que ce soit qui serait de nature à nous offusquer ou  contrarier. Dés qu’ils sont arrivés, en bon villageois qu’ils sont, ils ont sortis leurs bouteilles d’eau de vie maison, distillées par eux-mêmes, et n’ont pas arrêté d’offrir des tournées générales, moi-même n’y échappant pas, et pour une fois enfreignant ma règle d’abstinence, j’ai du aussi avaler quelques verres de leur célestes tord-boyaux. On ne peut même pas dire que les glaces étaient rompues, puisqu´il n’y en a jamais eu, et dés le début de notre rencontre il y avait déjà une chaleur et une humanité qui était pour nous comme du baume au cœur. Nous nous sentions vraiment  comme chez nous dans le bon sens du terme avec ces braves trompettistes, trombonistes, tubistes, et je ne sais quoi d’autre encore. Eux aussi, manifestement appréciaient notre présence et avec curiosité découvraient notre groupe. Il en fut de même par la suite. Ils suivaient avec intérêt chacune de nos prestations, devenant des fans à part entière de notre groupe. 

 

Il faut dire aussi que les festivals, c’étaient d’innombrables rencontres et expériences vraiment hors commun pour tous les participants, raison de plus, pour nos mômes. Chaque jour, à toute heure, c’étaient des échanges, des jeux spontanés, des blagues, des rigolades avec les membres de tous les groupes présents. Des matchs de foot improvisés avec des équipes mixtes composées de Russes, Haïtiens, Birmans, etc.  Je  ne vais pas tous les  citer, il y en eu une vingtaine de nations des cinq continents, et tous étaient très ouverts, amicaux, sans la moindre animosité, au contraire tous dans une cohabitation fraternelle, empreinte de curiosité et de générosité. Comment ne pas être sensible à toutes ces images, peut être banales, mais ô combien rares et précieuses pour nous, car hélas, illogiques justement  dans ce cadre de la logique implacable de la réalité des Roms en Europe. 

 

Chez nous, aucune de ces scènes familières des coulisses des festivals, lorsque nos jeunes échangent, s’amusent, parlent, discutent, gesticulent, d’égales à égales avec tous les autres, ne serait pas concevable dans le cadre d’une vie ordinaire de tous les jours. C’est comme ça.  On ne va pas changer le monde, mais là, pendant le un mois et demie de la tournée, nous l’avons changé, ce monde immuable, nous l’avons façonné à notre manière. Même si ce ne fut que temporaire, éphémère, l’important c’est que cela eut lieu. Donc, c’est possible! Mais, cette remarque est valable aussi pour nous, et plus d’une fois j’ai eu le même discours vis-à-vis de notre groupe lorsque les discordes internes entravaient un peu trop notre quiétude : «Les discordes, laissons les pour la maison. Nous savons tous pertinemment qu’elles font partie de la vie de tous les jours chez les Tziganes. Il n’y a pas un village, pas un hameau, pas un bidonville, ou il en soit autrement. Au sein des familles mêmes, des discordes futiles et féroces en même temps séparent jusqu’à la tombe frères, parents, cousins. C’est comme ça. A ce que je sache, personne ici n’échappe à cette règle. Nous n’y ferons rien. Nous le savons tous. Mais au moins ici, tant que nous sommes en dehors de cette sphère maudite de vendettas débiles, tant que c’est moi qui dirige la troupe, il en sera autrement et nous allons vivre ensemble jusqu’à la fin de la tournée, unis pour le meilleur et pour le pire! » En général, un silence à couper au couteau suivait mon discours, et pour quelques jours nous repartions de nouveau comme un seul homme. Il faut savoir qu’il n’y a jamais eu de problèmes de fond, à part celui, chronique, du fossé entre les anciennes et les nouvelles. Des querelles de filles éclataient surtout à cause du partage des extras – cela pouvaient être aussi bien des vêtements que nous amassions au fil des festivals, que des gâteaux et sucreries que nous recevions de tous côtés. Les filles des bidonvilles, habituées à une certaine âpreté de la vie, sachant que ce que l’on n’attrape pas de ses deux mains, on ne l’a pas, se ruaient à chaque fois sur les « magots » et il ne restait en général plus grand-chose aux anciennes, qui étaient plus en retrait, et qui n’étaient pas non plus, dans un tel dénuement que celles des bidonvilles. Cela choquait et contrariait profondément Helena, qui de temps en temps piquait une de ses colères légendaires en essayant de remettre les choses en place et en fin de compte rendre justes et équitables ces partages de « butin ». Bien entendu, des discordes suite à des disproportions évidentes éclataient aussi au sein même du groupe des filles des bidonvilles. Une Janka, croulante sous le poids de son « hyper baluchon » et n’ayant plus de place où mettre de bijoux sur son corps, ne donnerait en aucun cas ne serait-ce qu’une miette à sa sœur ou à sa cousine, et ainsi de suite. Mais, même s’il y a gueulante, cela reste entre les siens, et ce n’est pas si grave que si l’incident se produit entre des sous-groupes, castes, différentes. Nous avons déjà traité ce problème de partage de toutes sortes de manières. Au final, dans une attitude alibiste, nous préférons laisser la gestion des vêtements à Ivana, Stano et Véronika, mais jamais il n’y aura une justice reconnue de tous en ce bas monde… Les garçons ne sont pas en reste, mais cela n’atteint pas, et de loin, les mêmes proportions qu’avec les filles, ils se contentent, les petits comme les grands de leurs baluchons que Stano leur distribue au cas par cas, et n’en font pas des histoires (à part Matej, qui est très possessif).

A ce stade là de la tournée sont oubliés, et heureusement, les haillons et pieds nus du départ. Tout le monde est resapé, relooké, on a tous des beaux vêtements, des marques. Matej, Kubo, et autres Tomas ou Domino pavanent dans du Lacoste, Adidas aux pieds…  et ils ont, fait rarissime,  même des chaussettes et des slips! Super!  Kubachy, qui sont, elles aussi, parties pour deux mois sans absolument rien, ont de quoi s’habiller pour quelques temps. Et Janka, elle, elle  peut ouvrir une boutique! Comme d’accoutumé, une discothèque vers la fin du festival sera la récompense naturelle pour tous les participants, qui, toutes nationalités confondues, attendent avec impatience ce moment festif ou tout le monde se défoule ensemble, la musique et la danse n’étant plus uniquement une démonstration  - performance en public, mais devenant une consommation à la première personne pour le seul plaisir d’exister, justement à travers la danse et la musique. Finalement pour les nôtres cela ne change pas tant que cela. Heureusement, et c’est là leur force, le plaisir, ils savent le prendre aussi sur scène, mais rien que le mot « diskotéka », véhicule en soi quelque chose de magique, voire envoutant, à quoi il est impossible de résister.  Au point même que les blessés, éclopés et autres lazars, qui sont quand-même de plus en plus nombreux au fur et à mesure que les jours passent, la fatigue emmenant son lots de blessures bénignes diverses, nous faisant devenir des abonnés permanents chez le toubib du festival qui fait de son mieux, eh bien tous ces cas graves, qui boitent, sautillent en se tordant de douleur pour cause de bobos respectifs, au seul mot magique de « diskotéka » retrouvent instantanément l’usage de tous leurs membres et corps meurtris.  

 

En ce qui concerne tout ce qui concerne les sorties, contacts hors normes, etc., je suis toujours très anxieux. Bruno, notre guide d´Haguenau, dirait que j’hallucine. Mais comment faire autrement, sachant que la fin de la tournée approche, je compte littéralement les jours qui nous séparent du retour, bénissant les Cieux  que jusque là il ne s’est rien produit de grave, pas d’incidents, pas de bagarres, pas de blessures. Pourvu qu’il en soit ainsi jusqu’à la fin. Amen. Au fur à mesure que la fin de notre périple s’approche, je suis de plus en plus inquiet et anxieux, souhaitant bien sûr qu’une chose, c’est de les ramener tous sains et saufs, comme je les ai pris le jour du départ. Mais je ne peux pas les enfermer, et bien entendu, je ne veux pas non plus  les priver de cet événement qu’ils attendent et qu’ils méritent amplement. Alors je donne des consignes très strictes à tous ceux qui font partie de notre staff, à David, Bruno et Christian en premier, mais aussi à tous les autres adultes : ce soir nous sommes tous en service commandé, pas d’alcool, pas de folies, les yeux partout, on surveille tout, on ne laisse rien passer.  A ma décharge, il faut rappeler que nous avons déjà eu par le passé toutes sortes d’expériences, dont certaines musclées, et  en contact avec les jeunes non-participants aux festivals, on ne maîtrise pas forcément tout, ne sachant pas à qui on à affaire, ou des fois en le sachant que trop… Donc tous sur le pied de guerre, à surveiller les débits de boissons, les allées-venues, les sorties, les entrées, etc., n’oublions pas que nous sommes quand même à une fiesta du houblon, et que la bière coule à flots. Mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Le service d’ordre du festival est plus que parfait. D’ailleurs il n’y a que des participants directs au festival, donc encadrés, et tout se passe très bien. D’autant plus, mais cela personne le sait, que l’on sert une bière sans alcool. Cela n’empêche pas une super ambiance. Il faut voir les mômes s’éclater. Des véritables lions des parquets. Un Matej ou Janka lâchés en solo sur du disco sont des moments rares qui rivalisent avec les meilleures chorégraphies de tous les groupes réunis. Les autres ne sont pas en reste. Notre commando surveille gentiment qu’il n’y ait pas d’abus au bar, mais rien d’exceptionnel n’est à signaler. Les grands essaient naturellement de s’envoyer quelques bières de plus et envoient les filles les chercher, nous les interceptons, c’est de bonne guère, cool. Un peu avant 2 heures du mâtin nous décidons de rentrer. J’y vais quand même de mon petit  discours dans le bus, comme quoi lorsque je dis deux - trois bières, ce n’est pas neuf – dix. Mais sans plus, sachant qu’il n’y eut pas d’excès à déplorer. Hélas, cela a suffit à Ferko, qui croyant avoir bu de la bière alcoolisée, donc étant désinhibé quand-même, me provoque en m’applaudissant du fond du bus timidement, mais quand-même. Pas très malin – la fatigue produit son effet sur mes talents pédagogiques, je le fais sortir, lui explique le comment et le pourquoi, et nous rentrons. A la sortie du bus la consigne est très stricte. Il est plus de deux heures du matin, il y a eu abus d’alcool, donc sans pardon tout le monde au lit, et tout de suite. Tout le monde obtempère sans mot dire, mais au hasard d’un petit contrôle je retrouve Ferko avec les Rakúsy sortant pour aller fumer dehors.  J’ai bien dit qu’il n’en était pas question et pourquoi ! Rien à faire, ils refusent de m’obéir. Ils, c’est plutôt Ferko, les autres suivent. Je m’interpose, leur barre le passage. Il n’est pas question de céder. Explications. Pourparlers. Toujours les mêmes arguments qui ressortent, ils se sentent lésés, je n’ai d’attention que pour Lomnica, ce n’est plus ça, etc., Cela me permet de recentrer le débat sur les dernier coups fourrés que nous ont faits Rakúsy – absences aux spectacles et tournées sans prévenir, menaces, calomnies et j’en passe et des meilleures!  Ils n’en mènent pas large, mais Ferko, qui n’est même pas au courant  de tout ça, puisqu’il bosse à Prague depuis plus d’un an, reste toujours buté, assis sur les escaliers, refusant de rentrer. Le temps passe. Il faut qu’Heléne, qui passe par là, pour qu’ils se lèvent enfin et rentrent se coucher. Il doit être pas loin de 4 heures. Reste encore samedi et dimanche avant de rentrer. Bien sûr que moi je suis debout à 7 heures, et Ferko dort jusqu’à midi passé comme un bébé. Cet incident m’a beaucoup marqué, et que je le veuille ou non, a altéré mon humeur jusqu’à la fin de séjour. Jusque là, je n’ai jamais eu à déplorer un tel manque d’obéissance. Bien sûr qu’il y a des manquements aux consignes, c’est naturel et c’est à l’ordre du jour, chaque jour que nous passons ensemble, dans la mesure naturelle de rapports adultes – enfants dans tout collectif de ce genre. Mais c’est toujours rattrapé et ça ne se produit jamais de manière ouverte, provocatrice. On peut même dire, que de manière générale, les enfants et les jeunes qui sont avec nous sont beaucoup plus disciplinés que le reste de la population.  Là, il ne s’est rien produit de grave, mais il est évident qu’au niveau de mes décisions et instructions je dois avoir une autorité absolue. Pas pour mon plaisir. Pour assurer une sécurité maximum aux 37 personnes qui sont sous ma responsabilité.  Cela remet en question la participation des ados ou jeunes adultes à problèmes, comme par exemples, cette fois-ci nous n’avons pas pris ni Viktor, ni David. Et heureusement. Ils auraient canalisés et usé notre énergie dans de futiles, mais éprouvants et exaspérants conflits inutiles. Si nous étions plus d’adultes expérimentés à encadrer, d’accord. Mais là, vu nos effectifs, pas de regrets de ne pas les avoir pris. Pareil pour Ferko et sa bande. C’est un comportement que je ne peux pas admettre, puisque je ne peux pas l´assumer, ayant une trop lourde responsabilité à porter. Faire le guet sans arrêt pour que des grands gaillards et ados en mal d’émotions  ne s’envoient quelques bières en loucedé est trop pour un seul homme avec autant de gosses à sa charge. Idem pour tous ceux qui fument. Il y en a de plus en plus. Et de plus en plus jeunes. Même si c’est de règle dans la communauté, tout le monde clope pratiquement dés le berceau, je pense que ceux qui ne sont pas adultes, et qui veulent fumer n’ont qu’à rester chez eux. C’est peut être dur, mais avec tous les obstacles à franchir, toutes les difficultés à braver, je deviens, moi aussi de plus en plus expéditif au fur à mesure que les années passent.   

Les deux derniers jours vont en crescendo en ce qui concerne la densité et l’intensité des spectacles. Nous avons aussi droit à un défilé, mais c’est sans commune mesure avec celui de Montoire. Par contre l’enchaînement des prestations tout au long des deux jours avec des temps d’attentes parfois prononcés entre les différents passages mettent encore une fois de plus à l’épreuve notre résistance et notre endurance. La fin est à l’identique du début, nous finissons par un court passage, mais avec un très long temps d’attente, sur la scène principale dans le fameux  « temple » de la choucroute, bière et chansons réunies. Pareil que le premier jour en arrivant : tout le monde est fatigué, épuisés par les temps d’attente conséquents, ceux qui peuvent dorment partout ou c’est possible, sur les tables, par terre, sur les bancs… Mais,  toujours fidèles à nous-mêmes, rien de cette fatigue et lassitude ne transparait sur scène. Nous assurons une performance pleine de vie, entrainante et  dynamique comme si nous étions au saut du lit…

Après le spectacle, nous voulons partir de suite pour faire le voyage la nuit et espérer arriver le lendemain en fin d’après midi au pays. Les chauffeurs ont fait leur pause obligatoire de 9 heures, le car nous attend juste à côté. Nous avons déjà fait les bagages et le dernier tri des affaires en partant à midi du lieu de l’hébergement. Moi je reste pour partir sur Paris le mâtin, le groupe fera le voyage sans moi, avec Helene. Il est minuit, l’heure du départ. Tout le monde monte, Dusan vient me voir discrètement si je peux lui donner de l’argent, il a des dettes au magasin de l’alimentation du village, et n’a pas un sous pour les payer. Tout le monde est dans le même cas, mais Dusan est adulte, il a trois enfants, quand je peux je l’aide de mon mieux. Là, bien qu’il était explicitement dit et convenu avant le départ que nous ne pourrons pas le payer, il aimerait rentrer avec quelques billets. Le problème, c’est que je n’ai pas de liquide. Nous avons fait les comptes avec Alain cet après-midi et il m’a remis un chèque pour couvrir les frais de transport. Après avoir fait au mieux, nous n’arrivons quand-même pas à compenser toutes les dépenses liées à la tournée, le coût du transport en premier lieu. Le système des rétributions des groupes au CIOFF, les festivals ne prenant à leur charge  que les frais de route sur le sol français, est trop restrictif  pour nous. Encore, si nous avions eu des subventions de notre gouvernement, ça passerait, mais là, il n’y a rien eu, et malgré l’aide généreuse à la dernière minute du CCFD, ainsi que l’apport du Ver’Kesaj, les avoirs  ne suffisent pas à couvrir toutes les dépenses. Mais au moins, ce n’est pas le trou abyssal que je craignais. On va essayer de s’en sortir avec des apports financiers que nous attendons dans un futur proche -  le complément du Programme Roms et Voyageurs notamment. Ayant à l’esprit le problème de Dusan, j’essaie de retirer le maximum de liquide que je peux au distributeur. Mais là aussi, il y a des limites. Il faut aussi que je laisse un peu de liquide à Helena. A la maison il y a une montagne de factures impayées, nous avons investi tout dans la tournée et laissés de côté nos propres créances. Juste après le départ j’ai fait encore régler quelques chèques de Dusan, mais chez nous, plusieurs avis d’exécutions nous attendent. Donc je ne peux donner à Dusan que de quoi tenir quelques jours en lui promettant de l’aider de mon mieux dés que nous serons rentrés. Peu après, il revient, et me dit gêné, que Véronika n’est pas d’accord. Elle vient, et devant tout le petit par terre de nos amis venus nous raccompagner  éclate une explication virulente, qui bien qu’en slovaque, est explicite pour tout le monde sur la nature du conflit. La fatigue et le stress aidant, les arguments ne sont pas des plus policés et des choses sont dites qui aurait pu être formulées différemment en d’autres circonstances.  Nous appelons le chauffeur et Alain pour qu’ils confirment tous les deux ce qui a été donné et reçu. Il ne reste qu’à monter dans le bus et repartir. Pas sur une meilleure impression. Je monte pour dire comme à l’accoutumée quelques mots avant la route et aussi pour marquer la fin de la tournée. Le temps presse, alors juste l’essentiel : « Nous avons tous vécu des moments exceptionnels, merveilleux. Personne parmi vous ne pourra dire le contraire. Je le sais, j’ai vécu tout ce temps à vos côtés, tous les jours, je vous ai vu heureux. Cela me rend heureux. Je suis aussi content  de vous voir avoir tous pris du poids. Vous êtes tous bien grassouillets, cela me fait plaisir. J’ai aussi le plaisir de constater que nous avons laissés les locaux ou nous logions en parfait état, les toilettes étaient impeccables, sans que j’ai eu à intervenir personnellement. Cela semble rien, mais c’est beaucoup. Dans la vie, c’est important de savoir faire le ménage derrière soi. Il faudrait savoir aussi le faire en son intérieur, dans son âme, dans  son cœur. J’espère que vous y parviendrez aussi un jour. Bonne route à vous tous ! »          

 

 

 

De : Jean Claude WAGNER

Date : 21 octobre 2009 10:47:48 HAEC

À : Alain Cluzel

Objet : Bravo et merci

 

Alain,

Merci pour le dossier de presse et aussi pour le magnifique témoignage d’Ivan.

Le groupe Kesaj Tchavé est vraiment unique, sur scène mais aussi en coulisses. C’est vrai que, comme d’autres organisateurs, j’ai eu quelques appréhensions en programmant cet ensemble. J’ai pris aussi (sans m’en rendre compte) un « risque » en logeant le groupe dans le même internat et au même étage qu’une musique slovaque. Heureuse « faute » allais-je dire, après avoir lu les « confessions » d’Ivan. Que d’a priori balayés à ce rendez-vous de Haguenau ! Et j’en suis particulièrement heureux.

Voilà donc des jeunes dont le talent n’a d’égal que la parfaite discipline et l’extrême correction. On sent ici l’admirable engagement d’un homme qui est tout à la fois un artiste de grand talent, un meneur de jeunes exceptionnel et un monsieur au cœur « grand comme ça ». Il faut bien tout cela pour oser se lancer dans une telle aventure. Admirable !

Avec Kesaj Tchavé nous n’avons donc eu aucun problème mais ô combien de satisfactions, de joies et d’émotions.

Bravo et merci Alain pour tout ce que tu fais pour ce groupe et pour cette contribution vraiment unique et originale que tu as ainsi apportée à notre festival 2009.

Bien cordialement

 

Jean-Claude WAGNER

Chef du service Office des Sports et Loisirs

Pôle Epanouissement et Société

Ville de Haguenau

 

Tél. : + 33 (0)3 88 73 30 41

Fax : + 33 (0)3 88 73 44 04

Mèl : jean-claude.wagner@ville-haguenau.fr

 

Viac tu: https://www.kesaj.eu/fr/projekt/kesaj/ako-sme-pokracovali/velke-zajazdy/       

 

Fotogaléria: Festival du Houblon 2009, Haguenau

Fotogaléria: été 2009 presse

<< 1 | 2 | 3