Juin
Début juin, une reprise dynamique après une pause de dix jours, due a mon voyage en France et en Italie. Comme toujours, lors de mes déplacements je cherche des contacts en vue d´opportunités pour l´élaboration d´éventuels spectacles afin de constituer une tournée salvatrice… Il en fut de même cette fois-ci. Avec l´association Tsuica de Clamart nous pourrions participer a leur Folies Danses en fin novembre, et en Italie on pourrait avoir éventuellement un point de chute si on passe par la… Des modestes, très modestes pistes, mais c´est comme ça, et il faut faire avec.
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Il faut bien se rendre à l´évidence, l´embellie au niveau du chant, avec trois chanteuses de Podhorany n´était que de courte durée. C´était tout à fait prévisible, vu leur âge (13 – 15 ans) il ne pouvait en être autrement, mais la rapidité avec laquelle les choses ont évoluées a été quand même surprenante. Bon, c´est une page qui est tournée maintenant, heureusement, il nous reste encore Duško et Nicolas pour tenir le chant, et ils le tiennent bien. Cela permet d´avoir une bonne assise musicale, indispensable pour entrainer derrière soi tout le reste. Le reste, ce sont avant tout les petits, avec, en tête de file Zdenko et Stanko, plus tout une ribambelle de marmots, qui viennent au gré de leurs disponibilités par rapports aux cours à l´école, et aussi par rapport au hasard de leurs rencontres avec Roman, lorsque celui-ci vienne les chercher pour les amener en répétitions. Car tout ceci est très aléatoire, exactement comme tout le reste de la vie au bidonville, ou les relations sociales se plient aux règles de la survie, et cela influe et calibre tout le reste. Donc nous aussi, nous sommes directement dépendants de cette structure de la vie sociale, et nous ne pouvons que faire avec, en nous adaptant tous les jours à la réalité telle qu´elle est, tant pis si nous voudrions qu´il en soit autrement…
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Nous nous préparons intensément (dans la mesure du possible) au spectacle que nous devons avoir en fin de mois à Bobrovec, un petit village dans la région. La difficulté réside, comme toujours, dans l´instabilité des effectifs. Les filles de Podhorany n´ont tenu que quelques semaines, et les filles de Rakusy viennent de nous faire de nouveau faux bond, comme plus d´une fois, une fois elles viennent, la fois suivante elles abandonnent… Ces rapports sont complexes aussi du fait des rapports entre les différents groupuscules de la troupe. L´organisation de la venue des jeunes de Rakusy incombe à Dominik, qui est déjà un grand ado, ou jeune adulte, et du haut de ses dix-huit ans il n´a pas forcément des relations idéales avec les jeunes ados, dont les filles en question, qui ont une moyenne de 14 – 15 ans, et sont souvent en conflit avec leurs ainés. Bien entendu, les parents n´interviennent en aucune façon dans l´organisation de la vie du groupe, à part les éternels disputes et ragots avant les départs en tournées, qui sont toujours avant tout une occasion rêvée d´essayer de tirer un avantage matériel quelconque de la situation de dépendance, dans laquelle ils croient que nous nous trouvons par rapports à leurs enfants. Hélas, ils n´ont pas tout à fait tort, car après nous être investi durant des mois dans la formation de leur progéniture nous avons du mal à trouver une solution de remplacent à un jour du départ. Bon, ca c´est du classique, on a l´habitude, mais c´est vrai qu´à la longue ces stress inutiles influent sur notre volonté d´organiser des sorties à l´étranger. Non seulement ce sont des entreprises très compliquées et de plus en plus improbables du fait de beaucoup de facteurs (hausse des prix, etc), mais il faut bien reconnaitre, notre potentiel de combativité est diminué par ces problèmes complètements inutiles et futiles, mais constants et usants à la longue. Donc pour en revenir à la réalité de nos jours, nous avons, avec beaucoup de difficulté réussi à négocier un spectacle, ce qui est indispensable pour la motivation de toute la troupe, et ce dont tout le monde redemande, mais nous nous retrouvons à faire face à a cette situation avec une troupe à recomposer à la dernière minute au niveau des filles. Bien sûr, il serait plus simple et même logique de tout annuler, mais nous ne pouvons pas faire cela aux organisateurs, qui sont nos amis, et non plus au reste de la troupe, qui attend impatiemment le moment de monter de nouveau sur scène. Petit détail, à l´incertitude par rapport aux effectifs, se joint l´incertitude, chronique par rapport à la participation de Roman, notre unique musicien, qui est toujours imprévisible du fait de l´imprévisibilité de sa compagne, Véronika, qui peut disjoncter d´une minute à l´autre, peu importe les engagements de Roman vis-à-vis de nous. Au dernier versement de ses allocations familiales, il y a deux jours, Roman a réussi à rattraper Véronika juste avant qu´elle n´entre dans la salle des jeux, et à éviter ainsi une nouvelle catastrophe familiale, comme il y a un mois, lorsqu´elle a tout perdu aux jeux, et a ensuite démolie leur nouvelle petite pièce dans laquelle ils venaient d´aménager. Il n´a pas pu venir à la répétition, n´a pas pu prévenir, pris complètement par la poursuite de Véronika, mais peu importe, l´essentiel est que leur habitat tienne toujours et qu´il n´y ait pas eu de blessés.
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Notre objectif est de nous adresser avant tout à ceux, majoritaires, qui sont complétement à l´écart, même au sein du bidonville, qui sont dans une marginalité totale. Comme par ex. Anna – Maria, qui nous avons croisé après quelques mois à la sortie de l´osada, en train de promener le petit dernier de sa maman. Le petit dans la poussette aurait pu être le sien, mais non, pour l´instant ce n´est que sa petite sœur, la cinquième ou septième… Anna – Maria est venue chez nous l´année dernière, juste pour quelques répétitions, j´en avais déjà parlé il y a quelques mois. Apres nous ne l´avons plus revue, et je la retrouve par hasard, il y a deux jours, en venant chercher les jeunes pour la répétition. Elle ne peut pas venir avec nous, il faut qu´elle garde sa petite sœur, mais elle demande quand est-ce qu´il y aura la prochaine répétition, elle promet de venir. Il est pratiquement certain qu´elle ne viendra pas à la prochaine répétition, Elle aura la petite à garder, ou aura tout simplement oubliée, sera prise par autre chose, ne sera pas là lorsque je viendrais les chercher. Peu importe, c´est comme ça. Mais il fallait voir son visage s´illuminer lorsqu´elle m´a vue. Pendant un moment il y a eu de nouveau dans sa vie quelque chose d´autre que le banal quotidien. Elle était quelqu´un, elle avait un projet, un projet hors des sentiers battus de tous les jours. Et c´était très important, cela lui donnait un contenu, un projet d´avenir, qui même s´il ne se réalisera pas dans le concret aura le mérite d´exister quelques instants en son for intérieur, de lui apporter une contenance, une dignité, une humanité, tout ce qu´elle manque au quotidien, et ce que lui ont apporté les deux ou trois répétitions auxquelles elle a participée avec nous. Cela semble exagéré, pathétique au premier regard, mais justement, il fallait la voir avec sa poussette, complétement mal fichue, avec des vêtements sales, déchirés, de tailles aléatoires, accompagnée d´une copine, logée à la même enseigne, rasée ras à cause des poux, qui elle aussi, même si elle n´est encore jamais venue chez nous, s´intéressait à nous car elle a déjà entendu parler de nous, et bien sur elle voudrait venir, elle aussi, et même si, probablement elle ne viendra jamais, elle aura chérie l´idée de venir, elle aura entrevue la possibilité d´être autre chose, de se construire, d´être prête à évoluer, de vivre une vie normale, merveilleuse…
Préparatifs intenses en vue du spectacle qui nous attend en principe le 28 juin. De toute façon, tous les préparatifs, toutes les répétitions sont intenses. Le fait qu´on doit avoir un spectacle après une longue pause joue plutôt au niveau psychologique. On ne peut que prendre en compte la réalité, la troupe est de nouveau sérieusement diminuée, surtout au niveau des danseuses. Nous devons faire notre production avec des filles toutes nouvelles, qui n´ont absolument pas les acquis nécessaires pour, et hélas, ni forcément les aptitudes. En même temps on ne peut pas leur demander l´impossible. Notre répertoire, notre programme est très élaboré, c´est l´aboutissement des années de travail et d´expérience de la scène. Alors ne reste qu´a espérer qu´on s´en sortira, comme d´habitude, comme cela est arrivé maintes fois par le passé, mais tout cela est source d´un stress supplémentaire, et n´ajoute rien a la sérénité.
Bien sûr, j´essaie de tirer le maximum des répétitions, je pousse a fond, demandant a tous une attention et une concentration soutenue, sans la moindre faille. Mais en même temps je dois prendre en compte que nous avons affaire a des jeunes et a des enfants sortant d´un environnement social très particulier, qui n´ont absolument pas l´habitude de travailler de la sorte, et qui ne sont pas forcément motivés pour un travail de fond acharné. Alors tout en maintenant un rythme et un engagement très soutenu, je dois préserver des plages de détente, en n´oubliant pas que tout le monde fonctionne surtout, pour ne pas dire uniquement, sur l´émotion, alors la bonne humeur, malgré mes sauts d´humeur, doit être au rdv, et avec le sourire tout va mieux…
Coup de fil classique de Roman, me demandant de ramener Veronika chez ses parents, car de nouveau elle veut mettre à mal l´intérieur de leur habitat, les émotions étant au plus fort et prenant le dessus. Je refuse, à ce train-là je ferais des allers-retours à Štiavnik non-stop. Le lendemain il me demande si elle peut venir à la répétition pour se changer des idées. Pourquoi pas, ça ne lui fera que du bien. Mais au moment de monter en voiture avec sa plus petite dans les bras, Roman lui dit quelque chose, elle se fâche et elle ressort aussi vite qu´elle est montée, et repart en direction de la colonie. Je la rattrape, en lui ordonnant de monter, on avait prévu qu´elle allait passer l´aspirateur et faire le ménage, alors qu´elle ne fasse pas le mariole ! Elle monte. Bon, c´est déjà ça, je repars avec elle et les petits, les autres prendront le bus. Oui, le bus, pas le train, car hier il y a eu une bagarre avec ceux de Huncovce, l´unique station entre Lomnica et Kežmarok, la police a dû intervenir, et maintenant nos jeunes ont peur de monter dans le train, par peur des représailles. Nous atteignons Kežmarok une quinzaine de minutes plus tard, les autres nous rejoindront un peu plus tard. Klement n´est pas là. Pourtant il était là tout à l´heure, mais entre temps il a disparu. Par contre Tomáš est là. Il y a quelques temps c´était le contraire, c´était Klement qui était plus assidu et Tomáš lâchait prise, maintenant les rôles se sont inversés. Bon, ce n´est pas pour cette fois-ci, ce sera pour la prochaine. Lors de ma dernière visite à l´intérieur de l´osada, lorsque nous avons livré des meubles à Roman, que des gens lui ont donné, la mère de Tomáš m´a interpellé en me disant qu´il ne venait plus aux répétitions parce que j´étais trop dur avec lui. Elles espérait sans doute que je me confonde en excuses, mais je lui ai répondu en rigolant que c´était vrai, j´étais très dur avec Tomáš et avec tout le monde, avec elle aussi, parce qu’ils ne méritent pas autre chose. Elle m´a regardé avec des gros yeux, mais elle n´a rien trouvé à redire. Franko n´est réapparu qu´une fois, après son retour d´Angleterre où il ira rejoindre son frère dans quelque temps. Et Samko, c´est deux fois oui, et trois fois non. De toute manière lors du passage à l´adolescence, qui est très courte ici, c´est toujours comme ça.
Et avec ça, on maintient un tempo infernal aux répétitions, on ne lâche rien, et surtout pas le balai et la serpillière, précieux et indispensables outils de notre méthode pédagogique. Pas très élaborée, mais oh combien efficace.
Bobrovec
Bobrovec – une sacrée dose de l´humanité. Taille XXXL. Bobrovec réuni en soi tous les attributs de nos actions, telles que nous les accomplissons depuis plus de deux décennies. Quand tout dépend avant tout du facteur humain, et celui-ci était cette fois-ci irréprochable ! Rien n´était préparé ni convenu longtemps à l´avance. En fin de compte nous nous sommes retrouvés ici par hasard, exactement pareil à d´innombrables fois au cours de notre incroyable „carrière“. Grace à de bons gens, généreux, ouverts et prêts à donner un coup de main même à quelqu´un qu´ils n´ont jamais vu auparavant. Et des gens comme ça, heureusement, il y en a de par le monde beaucoup. Oui, un sacré paquet...sinon on ne serait pas là.
Bobrovec est un exemple par excellence, une illustration plus vraie que nature, de notre fonctionnement, alors nous allons nous donner la peine, ou plutôt le plaisir, de conter un peu plus en détail comment tout cela s´est passé.
Il y a environ un mois, lors des retrouvailles des anciens sherpas au refuge de Zbojnícka chata, dans les Tatras, j´ai retrouvé un ancien copain, Doly et son amie Renka. En bavardant, je leur ai dit que cette saison nous n´avons pas beaucoup de spectacles... Tous les deux m´ont retroqués à l´unisson que chez eux, à Bobrovec, la municipalité prépare des festivités qui doivent avoir lieu dans pas longtemps, et qu´ils vont demander. Rien de plus, sans rien promettre. Et quelques jours plus tard j´ai reçu un coup de fil d´une dame de la Municipalité, et l´affaire était conclue. L´affaire, façon de parler, car nous n´avons pas traité ni tergiversé d´aucune sorte à propos de quoi que ce soit, mais nous nous sommes mis d´accord que nous allons nous débrouiller pour venir et que nous viendrons.
Et c´est ce qui s´est passé. Dans moins d´un mois nous étions sur place, à environ une heure de route de chez nous. Dès que nous sommes descendus du bus, il était évident que tout sera ok, sans aucun problème. Partout que des gens bien intentionnés, amicaux, avenants, une atmosphère détendue et sans façons. Un peu comme si nous étions dans une autre galaxie, et pas sur notre petite mère Terre, notre chère planète bleue tellement mise à mal actuellement...
D´habitude, lorsque je me mets d´accord avec les organisateurs, que ce soit chez nous ou à l´étranger, j´évite les chiffres exacts quant au nombre de nos participants. Je biaise, en disant que nous serons une vingtaine, ou vingt-cinq. Il est vrai, que je ne sais jamais combien nous serons vraiment, mais surtout, je ne veux pas faire peur à nos partenaires en leur annonçant que nous serons toute une armée, alors je reste dans le flou artistique. En général, et cette fois-ci n´en n´est pas une exception, nous ne sommes pas loin du double annoncé. Nous étions 52, pour être exact. Mais aucun problème, pas le moindre signe d´un problème quelconque. Nos hôtes sont contents de nous voir, et sont ravis de nous voir si nombreux. Effectivement, nous sommes toute une armée, y compris des enfants en bas âge. Le plus petit, Matéo, a trois mois à peine, et sa grande copine, Livia, vient juste d´avoir un an. On n´avait pas où les laisser, alors on les a pris avec nous, de même qu´une demi-douzaine de petits entre 4 et 5 ans.
Sinon, la moyenne d’âge se situait entre 13 et 23 ans. Les conditions matérielles sont ce qu´elles sont, la municipalité ne va pas louer une sono hors prix pour nous, pas plus qu´une scène du même acabit, pour la cinquantaine que nous sommes, il aurait fallu un sacré investissement au niveau de la technique. Et ce n´est vraiment pas la peine. La pelouse un peu en pente devant la Maison de la Culture nous conviendra parfaitement, pas besoin de sono, on est assez nombreux pour se faire entendre, tout ce dont nous avons besoin est une rallonge pour notre synthé et on peut y aller. Nous sommes dans une période caniculaire, mais quelques arbres nous offrent un peu d´ombre, et la fin de journée approchant, c´est tenable. Nous avons envoyé une solide prestation d´environ une heure, ou peut-être un peu plus, avec toutes les composantes qui font notre spécificité, un chant choral antédiluvien, des claquettes démentielles, des rondes dansantes effrénées avec les spectateurs, et bien entendu, avec tout ça des tempos explosifs.
Ce n´est pas une production totalement impeccable, sans aucune faille, réglée au millimètre près. Tous nos spectacles sont avant tout des occasions uniques pour tous nos participants de sortir de leur cadre de vie habituel, d´aller ailleurs, en dehors de leur quotidien. Alors on en prend le maximum, des petits et des grands, même s´ils ne sont pas forcément tous au top. Avec les plus anciens, qui sont plus expérimentés, on s´en sortira.
Mais cela ne veut pas dire que nous voudrions léser notre public. Au contraire, avec ce mélange savant et improvisé d´anciens et de tout nouveaux, nous proposons quelque chose de tout à fait original, qui nous est propre. Qui consiste dans un engagement physique hors pair et d´une émotivité surdimensionnée, qui apportent une expérience exceptionnelle, tout autant à nos participants, qu´à nos spectateurs, qui sont témoins de quelque chose d´unique, sortant du cadre d´une conception habituelle des productions artistiques courantes, selon les standards en usage dans le monde du spectacle.
Mais pour que cette magie puisse fonctionner, il faut une humanité partagée, comme ce fut le cas dans ce petit village au pieds des Tatras, à Bobrovec. Grand merci à vous tous, qui nous avez si bien reçus, accueillis les bras grands ouverts...
Je voudrais juste remarquer, qu´il ne s´agissait pas d´une rencontre avec des militants de la cause rom ou des activistes des Droits de l´Homme. Non, ce n´était qu´une simple rencontre avec des gens qui aiment des gens, des enfants, des jeunes, peu importe leur provenance ou origine...
Donc voilà, c´est en quelque sorte comme ça que nous fonctionnons depuis nos débuts. Nous sommes la preuve vivante, que le monde n´est pas si mauvais comme il en a l´air si on se fie aux médias et infos à la télé... et si vous voulez avoir la preuve qu´il en est de même en Slovaquie, il suffit de faire un tour à Bobrovec.