Bobrovec

Bobrovec – une sacrée dose de l´humanité. Taille XXXL. Bobrovec réuni en soi tous les attributs de nos actions, telles que nous les accomplissons depuis plus de deux décennies. Quand tout dépend avant tout du facteur humain, et celui-ci était cette fois-ci irréprochable ! Rien n´était préparé ni convenu longtemps à l´avance. En fin de compte nous nous sommes retrouvés ici par hasard, exactement pareil à d´innombrables fois au cours de notre incroyable „carrière“. Grace à de bons gens, généreux, ouverts et prêts à donner un coup de main même à quelqu´un qu´ils n´ont jamais vu auparavant. Et des gens comme ça, heureusement, il y en a de par le monde beaucoup. Oui, un sacré paquet...sinon on ne serait pas là.

Bobrovec est un exemple par excellence, une illustration plus vraie que nature, de notre fonctionnement, alors nous allons nous donner la peine, ou plutôt le plaisir, de conter un peu plus en détail comment tout cela s´est passé.

Il y a environ un mois, lors des retrouvailles des anciens sherpas au refuge de Zbojnícka chata, dans les Tatras, j´ai retrouvé un ancien copain, Doly et son amie Lenka. En bavardant, je leur ai dit que cette saison nous n´avons pas beaucoup de spectacles... Tous les deux m´ont retroqués à l´unisson que chez eux, à Bobrovec, la municipalité prépare des festivités qui doivent avoir lieu dans pas longtemps, et qu´ils vont demander. Rien de plus, sans rien promettre. Et quelques jours plus tard j´ai reçu un coup de fil d´une dame de la Municipalité, et l´affaire était conclue. L´affaire, façon de parler, car nous n´avons pas traité ni tergiversé d´aucune sorte à propos de quoi que ce soit, mais nous nous sommes mis d´accord que nous allons nous débrouiller pour venir et que nous viendrons.

Et c´est ce qui s´est passé. Dans moins d´un mois nous étions sur place, à environ une heure de route de chez nous. Dès que nous sommes descendus du bus, il était évident que tout sera ok, sans aucun problème. Partout que des gens bien intentionnés, amicaux, avenants, une atmosphère détendue et sans façons. Un peu comme si nous étions dans une autre galaxie, et pas sur notre petite mère Terre, notre chère planète bleue tellement mise à mal actuellement...

D´habitude, lorsque je me mets d´accord avec les organisateurs, que ce soit chez nous ou à l´étranger, j´évite les chiffres exacts quant au nombre de nos participants. Je biaise, en disant que nous serons une vingtaine, ou vingt-cinq. Il est vrai, que je ne sais jamais combien nous serons vraiment, mais surtout, je ne veux pas faire peur à nos partenaires en leur annonçant que nous serons toute une armée, alors je reste dans le flou artistique. En général, et cette fois-ci n´en n´est pas une exception, nous ne sommes pas loin du double annoncé. Nous étions 52, pour être exact. Mais aucun problème, pas le moindre signe d´un problème quelconque. Nos hôtes sont contents de nous voir, et sont ravis de nous voir si nombreux. Effectivement, nous sommes toute une armée, y compris des enfants en bas âge. Le plus petit, Matéo, a trois mois à peine, et sa grande copine, Livia, vient juste d´avoir un an. On n´avait pas où les laisser, alors on les a pris avec nous, de même qu´une demi-douzaine de petits entre 4 et 5 ans.

Sinon, la moyenne d’âge se situait entre 13 et 23 ans. Les conditions matérielles sont ce qu´elles sont, la municipalité ne va pas louer une sono hors prix pour nous, pas plus qu´une scène du même acabit, pour la cinquantaine que nous sommes, il aurait fallu un sacré investissement au niveau de la technique. Et ce n´est vraiment pas la peine. La pelouse un peu en pente devant la Maison de la Culture nous conviendra parfaitement, pas besoin de sono, on est assez nombreux pour se faire entendre, tout ce dont nous avons besoin est une rallonge pour notre synthé et on peut y aller. Nous sommes dans une période caniculaire, mais quelques arbres nous offrent un peu d´ombre, et la fin de journée approchant, c´est tenable. Nous avons envoyé une solide prestation d´environ une heure, ou peut-être un peu plus, avec toutes les composantes qui font notre spécificité, un chant choral antédiluvien, des claquettes démentielles, des rondes dansantes effrénées avec les spectateurs, et bien entendu, avec tout ça des tempos explosifs.

Ce n´est pas une production totalement impeccable, sans aucune faille, réglée au millimètre près. Tous nos spectacles sont avant tout des occasions uniques pour tous nos participants de sortir de leur cadre de vie habituel, d´aller ailleurs, en dehors de leur quotidien. Alors on en prend le maximum, des petits et des grands, même s´ils ne sont pas forcément tous au top. Avec les plus anciens, qui sont plus expérimentés, on s´en sortira.

Mais cela ne veut pas dire que nous voudrions léser notre public. Au contraire, avec ce mélange savant et improvisé d´anciens et de tout nouveaux, nous proposons quelque chose de tout à fait original, qui nous est propre. Qui consiste dans un engagement physique hors pair et d´une émotivité surdimensionnée, qui apportent une expérience exceptionnelle, tout autant à nos participants, qu´à nos spectateurs, qui sont témoins de quelque chose d´unique, sortant du cadre d´une conception habituelle des productions artistiques courantes, selon les standards en usage dans le monde du spectacle.

Mais pour que cette magie puisse fonctionner, il faut une humanité partagée, comme ce fut le cas dans ce petit village au pieds des Tatras, à Bobrovec. Grand merci à vous tous, qui nous avez si bien reçus, accueillis les bras grands ouverts...

Je voudrais juste remarquer, qu´il ne s´agissait pas d´une rencontre avec des militants de la cause rom ou des activistes des Droits de l´Homme. Non, ce n´était qu´une simple rencontre avec des gens qui aiment des gens, des enfants, des jeunes, peu importe leur provenance ou origine...

Donc voilà, c´est en quelque sorte comme ça que nous fonctionnons depuis nos débuts. Nous sommes la preuve vivante, que le monde n´est pas si mauvais comme il en a l´air si on se fie aux médias et infos à la télé... et si vous voulez avoir la preuve qu´il en est de même en Slovaquie, il suffit de faire un tour à Bobrovec.

 

Voici le texte, enthousiaste, que j´ai publié sur notre site le lendemain de notre prestation à Bobrovec. Enthousiaste, et encore, j´ai dû me retenir, tellement j´étais sous le coup de l´émotion après notre bref séjour dans ce petit village slovaque de la région de Liptov, aux pieds des Tatras. L´accueil, les habitants, tout était vraiment au top, merveilleux, relevant du miraculeux… 

Mon embellie psychique, l´état de nirvana qu´on ressent après un exploit véritable accompli dans l´adversité et la tourmente ne fut que de courte durée. Dès le lendemain, que dis-je, le soir même, après être rentré complétement éreinté, mais heureux, chez moi, je reçois les premières nouvelles des participants, et elles sont ce qu´elles sont. Perska (Nikola), m´annonce qu´elle a perdu son portefeuille, avec de l´argent dedans, plus les cartes d´identité et les cartes de crédit. Je vérifie auprès du chauffeur du bus, bien sûr, c´est du n´importe quoi, elle n´a rien perdu, c´est juste un stratagème sournois pour nous extorquer de l´argent. Et ça ne tarde pas, au message suivant, la demande de prêt des sous pour payer le renouvellement des documents est formulée, en des termes pas très délicats, comme quoi elle a bossée dur pour nous, avec ses enfants, alors… Mais dans le message suivant Perska nous apprend que ce n´est pas elle qui a écrit le message précèdent, qu´on lui a piraté son compte fb, et que c´est quelqu´un d´autre qui est à l´origine de ces diatribes. Bon, ok. N´empêche que les messages reprennent, cette fois-ci c´est apparemment Perska qui écrit, du moins c´est ce qu´elle affirme en personne, et elle reprend sa rengaine, comme quoi on pourrait lui prêter au moins 50 eu pour les papiers. On stoppe les communications, qui continuent du côté de Perska, et on laisse venir, laissant au temps le temps de calmer le jeu. Nous n´avons absolument rien promis à Perska, c´est elle-même qui a insisté pour venir, avec son mari Babovka, et quatre de leurs six enfants, dont le plus petit, Matéo, n´a que trois mois. Il y a quelque temps, j´ai proposé à Babovka de venir nous donner un coup de main aux répétitions, et je lui ai proposé de le rémunérer à hauteur de 15 eu par répétition, puisqu’il a avec Perska déjà 6 enfants. Il est venu deux fois, et après il a disparu, sans un mot, sans prévenir. Là, avant ce spectacle, le premier après une longue période de disette de 6 mois, Perska a refait surface, en demandant de venir, on lui a répondu que ok, bien que la présence de 4 enfants en bas âge ne collait pas forcément avec notre projet de spectacle, mais il n´était absolument pas question d´une rémunération quelconque. Tout s´est bien passé, il faut dire que Perska a bien géré ses petits, elle avait amenée avec elle une cousine pour lui donner un coup de main, donc en fin de compte nous avions 7 personnes en plus, ce qui n´est pas peu. Roman, lui aussi il a amené sa marmaille, donc ça nous faisait une crèche en villégiature, mais peu importe, au point où nous en étions, on n´allait pas chipoter. 

Car il faut bien dire, que non seulement l´après spectacle relevait de la psychiatrie, mais aussi toute la période avant de partir en spectacle valait son détour. Le cirque avec Perska n´était que la cerise sur le gâteau de toute cette affaire, ou plutôt de toutes ces affaires. En effet, selon la loi immuable des probabilités, deux jours avant la date du spectacle, nous ne savions absolument pas qui viendra, et si quelqu´un viendra. Comme d´habitude, le fond du problème, le nid à serpents se trouvait à Rakusy. A commencer par les filles de Rakusy (celles de la famille de Lubo), avec lesquelles nous avons déjà eu d´énormes problèmes avant de partir en tournée l´année dernière. Elles remettent ça de nouveau, depuis deux semaines on ne les revoit plus. Impossible de savoir ce qu´il y a derrière, les rapports entre les différents groupuscules d´ados du groupe sont complexes, on ne sait pas qui est avec qui, qui a raison ou non, à la colonie c´est Dominik qui gère la venue des troupes, et du haut de ses 17 ans il n´a pas l´autorité requise pour assumer cette tache comme il faut. On se rabat sur un groupe de 5 nouvelles filles de la famille de Sara, elles ne connaissent rien à notre répertoire, mais c´est mieux que rien, elle seront là pour le décor, pour le nombre. Mais trois jours avant le départ, elles aussi, viennent à flancher. Elles ne sont pas là à la répétition générale, elles ne viennent plus. 

Les adultes, les parents, n´interviennent d´aucune sorte (à part les ragots) dans notre organisation, nous en sommes réduits uniquement aux rapports avec les jeunes, ados de moyenne d’âge 12 -15 ans, c´est bien quand ça marche, et c´est la majeur partie de nos rapports, ils se prennent tout seuls en main, et gèrent leur participation aux répétitions, ce qui est méritant, mais quand ça flanche, il n´y a pas à qui s´adresser pour gérer les affaires et les malentendus, on se retrouve, toute proportion gardée, comme avec les enfants soldats en Afrique, avec des enfants qui jouent avec des armes, sans se rendre le moins du monde compte, de la gravité de leurs agissement, et des conséquences de ceux-ci. Ils n´en n´ont pas la capacité, ce ne sont que des enfants. Ici, heureusement, les armes ce ne sont que des ragots, mais les dégâts ne sont pas des moindres et font mal. Cela peut paraitre anodin vu d´extérieur, mais en plein dans l´action, ces entourloupes juvéniles produisent des effets de bombes atomiques. 

Car bien sûr, toutes nos affaires, tous nos spectacles, tous nos engagements, nous les prenons très au sérieux. Extrêmement au sérieux, Il ne peut en être autrement, vis-à-vis de nos partenaires, et vis-à-vis des jeunes c´est même la base de notre démarche pédagogique, nous voulons leur donner par nos agissements, par notre exemple, le bon exemple à suivre, le modèle auquel s´identifier. Celui du sérieux, responsable, fidèle et digne de confiance dans ses promesses et engagements. Donc toutes ces revirements de situations, nous les vivons très mal, c´est un stress incroyable, par rapport aux engagement que nous avons pris, en l´occurrence cette fois-ci avec la Municipalité de Bobrovec, qui s´est montrée très avenante et bienveillante vis-à-vis de nous, et de plus, le tout a été arrangé par l´intermédiaire des amis, et il était hors question de décevoir ou faillir à nos engagements. Mais comment faire avec tout ce remue-ménage ?! Bien sûr, il est hors question d´annuler le spectacle, ce qui aurait été normal, vu la situation de catastrophe annoncée. Mais aller se produire avec un tiers de nos effectifs, pratiquement sans danseuses, un autocar à moitié vide, alors qu´il coute une fortune… ! Et puis, finalement, la veille, Dominik laisse entendre que les filles viendront, toutes, sans doute. Entre temps nous avons fait appel aux anciennes, et Perska s´est manifestée d´elle-même, donc au final nous étions 52. L´autobus a une capacité de 53 places… 

Donc ça, c´est pour l´avant spectacle. Le spectacle en lui-même, ainsi que le court séjour à Bobrovec, c´est très bien passé. Ce n´était pas une mince affaire, car, il fallait gérer toute cette masse de 52 personnes que nous étions, tous des jeunes, dont beaucoup de totalement inexpérimentés, dont c´était la première sortie à l´extérieur de leur colonie, et aussi leur premier spectacle, sans avoir pour autant beaucoup participé aux répétitions. Mais le tout était une réussite, j´ose dire même  que cela relevait de l´exploit. Donc quand je parle du sentiment du travail bien accompli après être rentré chez soi, je ne pense pas exagérer le moins du monde. Et d´autant plus fortes sont les répercussions des ragots malveillants qui surgissent le soir même. Le nirvana fut de courte durée. Il n´y a pas de limites à la fantaisie, l´après spectacle était marqué par la communication avec Perska, qui après s´être calmée un peu, mais juste en apparence, a repris de plus belle, en allant voir Maria, qui n´a pas pu venir avec nous car sa petite avait de la fièvre, en lui disant qu´elle était bête de ne pas être venue, car elle, Perska, elle est venue, et elle a reçue de notre part 170 euros ! Bien sûr, ce n´est pas vrai, mais ça fait son effet, tout le monde y croit dur comme du fer, et les messages, pas très timorés, affluent, comme quoi pourquoi à elle, et pas à moi… ?! A ce stade, ce de l´art, du grand art. Perska a du talent. La fabulation, c´est son domaine. Il faut dire qu´elle pratique, et depuis longtemps. Elle nous a fait le même coup il y a dix ans, lorsque nous partions pour notre tournée à l´Olympia. Le summum de notre carrière. Un jour avant le départ elle a fait courir le bruit que nous lui avons donné 200 euros, et que les autres était des idiots, puisqu´ils n´ont rien reçu. Inutile de dire l´effet que ça a fait. Plus personne ne voulait partir. Quand nous sommes allés la voir à la colonie pour s´expliquer devant tout le monde, elle s´est enfuie en rigolant comme une folle. Elle avait 14 ans. Là, elle en a 24, déjà 6 enfants, et pas de changement dans la continuité…

Nous avons eu une discussion en tête à tête avec Dominik et Sara. Ce sont nos plus anciens actuellement, du moins à Rakusy. Nous les avons invité au petit restaurant du coin pour discuter de tout ça. Ils ont cru aussi aux élucubration de Perska. Pourtant ils ne sont plus des enfants. Dominik va sur ses 18 ans et Sara en a 23. Ils connaissent la chanson. Et pourtant… ils étaient prêts à s´embarquer dans cet imbroglio de médisances. Heureusement, pour Helena c´est son premier jour de congé à l´école, alors elle peut être là pour dispenser de la pédagogie appliquée en milieu défavorisé, comme ils disent… Oui, il n´y a pas de meilleur pédagogue, messager de la paix, que Helena, pour parler, expliquer, rire et gronder, lancer des sourires et des foudres, qui tous, font leur effet. Elle sait beaucoup mieux que moi, trop intello et compliqué, trouver les justes mots et le bon ton pour parler de tout ça. Et puis on passe à autre chose, comme d´habitude. Et c´est quand la prochaine répétition ?