Mai

Nous continuons dans un régime ados, les petits sont plus rares en ce moment pour les raisons évoquées plus haut. Les cours les après-midi. Bon, on fait avec, quelque part ce n'est pas plus mal, car cela permet de se concentrer plus sur un travail en profondeur, en répétition et réglage des détails, en élaboration de nouveaux passages, dans la révision des passages qu'on a pas vu depuis un certain temps et qu´il faut se remémorer. Tout cela est plus délicat, voire impossible à pratiquer lorsqu´il y a toute une petite meute de marmots, qui demandent une attention soutenue, et qui ne sont pas en mesure de se concentrer longtemps, ni de répéter les mêmes passages inlassablement. 
Alors on "bosse", on remet ça, encore, et encore. A chaque fois je me pose la question est-ce que je n´ai pas poussé le bouchon trop loin, car les grands sont aussi comme des grands enfants, et ils n´ont pas l´habitude d´une assiduité trop prononcée, mais si les petits ne sont pas là, ca me fait de la peine, et il faut absolument ne pas perdre de temps inutilement, au contraire, il faut en profiter au maximum, alors il ne faut pas se ménager. 
En gros, on peut dire que ca donne des résultats, les grands suivent, je suis intransigeant sur la discipline et sur l´engagement personnel, je ne me lasse pas de leur répéter que nous travaillons dans un régime professionnel, pareil qu´au Théâtre national, aucune excuse ni relâchement ne sont tolérés, on travaille comme des pros, des pros de haut niveau, qui veulent aller encore plus haut.
Bien sûr, tout en tenant compte des réalités du terrain, qui se concrétisent avant tout par cette inconstance chronique des effectifs, due à l'environnement social particulier qui est le leur. Mais, c'est comme ça, cela toujours été comme ça, il n'en sera pas autrement. Du moins dans le proche avenir en ce qui nous concerne. Donc il faut être prêt à faire face à des défections à la dernière minute, aux changements à la dernière minute, ne pas s'en tenir au projet qu´on a élaboré il n´y a que quelques instants, mais prendre en compte la réalité telle qu´elle est à l'instant même, et reprendre inlassablement le même ouvrage, tout en sachant qu´il faudra de toute façon, quoi que l´on fasse, reprendre et recommencer de nouveau, tels le Sisyphos avec son caillou...
Dans tout groupe ou ensemble artistique, ou autre collectif de travail, on bâtit en vue d'un avenir commun. Ceux qui sont parvenus à un certain niveau de connaissances et d'habiletés transmettent celles-ci naturellement aux nouveaux, aux plus jeunes, qui reprennent le flambeau, pour servir de transmetteurs plus tard, une fois qu´eux aussi, auront atteint le niveau adéquat pour être en position de transmetteurs. 
Durant des années, nous avons, nous aussi, fonctionné ainsi. Mais depuis quelques temps, surtout depuis la fermeture de notre collège et lycée, nous ne pouvons plus compter sur cette base d'anciens, qui servaient naturellement d'instructeurs aux nouveaux. Les grands ados partent au travail, fondent leurs familles, nous ne pouvons, en aucune façon, compter sur leur présence. 
Parfois il y a des essais de reprises de contacts, comme récemment avec Perska et Babovka, mais ce ne sont pas des essais transformés, malgré la bonne volonté, il s'avère compliqué, et finalement impossible de mettre en place un plan de travail qui tienne tant soit peu debout. Perska et Babovka on 6 enfants en bas âge, Babovka doit sans arrêt courir apres des occasions de travail, la plupart de temps au noir, et il ne lui reste pas de place ni dispositions pour autre chose. Et, évidemment, Perska a de quoi faire à la maison avec ses six marmots...
Donc nous nous remettons, inlassablement, encore et encore, à l'ouvrage...  
 
Je reviens fréquemment sur cette problématique d'inconstance des effectifs, car cette particularité constitue notre "marque de fabrique". C'est le principal obstacle que nous devons affronter au jour le jour, dans l'élaboration de notre projet et dans l'organisation de notre travail au quotidien.
Car, même si cela ne semble pas évident au premier regard, nous sommes tenus au résultat. Nous sommes un groupe, un collectif artistique, dont le produit final est une production artistique qui doit faire ses preuves en public, séduire les spectateurs, autant que les interprètes. Le succès de notre production est le résultat de notre travail, de notre engagement, et constitue une motivation directe, palpable, pour la poursuite de l'effort collectif et individuel. Une équipe sportive qui ne serait pas performante, n'attirerait personne, elle n'aurait pas de fans, personne ne viendrait voir ses matchs, et il n'y aurait pas beaucoup de prétendants pour devenir membres d'une formation de bas de tableau. Normal, tout le monde a envie de jouer la première ligue. Il en va de même pour nous. Il faut que nous soyons performants, attractifs, tout autant en spectacles, vis-à-vis du public, que vis-à-vis de nous-mêmes, lorsque nous travaillons en répétitions. Et bien entendu, tout cela est extrêmement difficile, périlleux, voire impossible, dans les conditions de précarité sociale, de misère, il faut bien dire les choses telles qu'elles sont, qui sont celles des jeunes qui évoluent dans le groupe. 
La fluctuation constante des effectifs est un obstacle majeur pour un travail de fond, dans le temps, que ce soit en individuel ou en collectif. Repartir constamment de zéro est lassant, usant et démoralisant. A chaque fois que l'on arrive à obtenir des résultats, lorsque le travail et l´engagement produits "payent", la troupe devient performante, et bien entendu, si l´on poursuivait dans la même direction, elle deviendrait encore plus performante, susceptible de devenir extraordinaire, et de ce fait être capable d'accéder à un niveau supérieur, de devenir semi-professionnelle, ou professionnelle, avec des retombées financières que cela engendrerait qui pourrait apporter une solution aux problèmes financiers chroniques des jeunes. Eh bien non, cela flanche, cela se casse la figure, car pour des raisons qui peuvent paraître futiles, les uns et les autres partent, abandonnent, et il ne nous reste qu' à recommencer à zéro, et qui de plus est, sans le soutien des anciens, formés dans le groupe. Mais ces fameuses raisons futiles, du moins à nos yeux, sont fondamentales, capitales pour les premiers concernées, les jeunes. Tout simplement parce qu´il y a va de leur survie. Étant constamment dans cette précarité absolue, la survie au jour le jour est l'élément fondamental de leur évolution sociale. Alors bien sûr, la possibilité d'aller gagner de l'argent tout de suite, même de façon aléatoire, et risqué parfois, prime sur un engagement à moyen ou long terme, sérieux, qui pourrait apporter des fruits plus tard. Évidemment, on va vers ce qui apporte un bénéfice immédiat, au détriment de la construction du projet collectif auquel on a participé parfois même durant de longues années. Outre les départs pour le travail, il y aussi les départs pour la construction de vie de couple, qui interviennent relativement tôt, et sont tout aussi intransigeants, bien entendu. Et pour nous, il ne reste que ce constant renouvellement, repartir à zéro... ou rien ! En étant toujours dans une logique de performance quand-même, car il y a des engagements vis-à-vis des productions en public, des spectacles, que nous devons honorer, et cela, bien entendu quelles que soient nos problèmes internes, nous devons toujours être à même de présenter une production d´un bon niveau, pour de pas faillir à nos engagements et ne pas décevoir nos spectateurs, pas plus que nous mêmes. 
Tous ces facteurs d'instabilité et d'impossibilité de se projeter, constituent une réelle charge, très lourde, porteuse d'un énorme stress pour nous, les organisateurs et les réalisateurs de ce projet socio-artistique. Nous prenons des engagements personnels, en direction des organisateurs d'événements, de spectacles, nous ne pouvons pas faillir à ce niveau, cela compromettrait complétement nos évolutions futures. De même, dans nos projets de productions, surtout à l'international, interviennent beaucoup de personnes, des amis, ou parfois des inconnus, qui s'engagent personnellement, consacrent énormément de temps, déploient beaucoup d'énergie, pour que nos projets aboutissent. Bien entendu, nous ne pouvons pas les décevoir et faillir au dernier moment. Alors tout cela, cette incertitude quand au résultat final, est source d´un stress considérable pour nous, qui fait que toujours, nous sommes déjà complètement épuisés avant même le départ en tournée, tant ont été laborieux les préparatifs, justement à cause de toutes ces incertitudes au niveau des participations individuelles que nous avons évoqué. 
Mais ceci est le constat d'une pratique qui s'étend sur deux décennies. Je ne vois vraiment pas comment nous pourrions faire autrement. La preuve - je ne connais pas de par le monde aucun autre groupe, ou formation semblable à la nôtre, issue que des bidonvilles, qui aurait durée autant de temps que nous... 
 
 
 
 
 

Lors de la dernière répétition Kamila est tout à coup partie, furieuse, en balançant son portable par terre, qui s´est brisé. Parait-il que Duško lui a fait une remarque par rapport à son comportement avec le Gendarme, qui manifestement, s´intéressait un peu trop de près à elle. Kamila (14 ans) n´en est pas à son premier contact – abordage avec la gente masculine. 

La première fois qu´elle est venue chez nous, il y a deux mois, elle a été surprise en train de s´enlacer avec Nicolas dans la pièce de répétition des garçons. S´en est suivie une sévère remontrance de la part de Helena et une exclusion du groupe sur le champ. Mais le lendemain Kamila est revenue, toute en repentances, et on lui a accordé une seconde chance. Entre temps sa mère s´est manifestée, comme quoi elle ne laisserait plus venir sa fille chez nous, les garçons lui courent trop après.. Mais Kamila est revenue quand même, accompagnée de sa maman, s´est excusée, fut pardonnée, tout ça pour recommencer le même manège le lendemain, cette fois-ci avec un autre de nos danseurs. De nouveau, mise au pilori, menaces de tout révéler à sa mère, repentances et absolution. Passent une ou deux semaines, Duško a entre temps déménagé de Podhorany à Rakusy, donc il n´y avait plus personne pour ramener les filles aux répétitions, et on ne les a pas vues. Mais son changement de domicile fut de courte durée, il est de nouveau revenu à Podhorany, et a pu de nouveau servir d´accompagnateur aux filles, qui, de ce fait, sont revenues aux répétitions. Du moins, Aurélia et Kamila, car Maria, ça fait pratiquement un mois qu´on ne la revoit plus. 

Et voilà que Kamila remet ça, avec notre Gendarme. Ce n´est pas bien méchant cette fois-ci, juste quelques œillades bien appuyées pendant les solos sérés de danse, mais la remarque de Duško suffit pour qu´elle parte en trombe, jurant de ne plus jamais revenir, à cause de Duško, parce que c´est lui qui fait des histoires... Duško nous explique qu´il a eu le plus grand mal à calmer les mères des filles, qui craignent pour celles-ci et le tiennent responsable de leur conduite lors de ces escapades chez nous. Duško a du mal à faire respecter son autorité auprès de ces jeunes ados, et bien sûr, ce qui devait arriver, arrive, les mères, et même les grand-mères nous font savoir que leurs filles et petites-filles ne participeront plus aux répétitions, qui s´avèrent trop risquées quant à leur avenir immédiat. Elles doivent en savoir quelques chose, car elles-mêmes sont très jeunes, les mamans n´ont pas la trentaine,  et les grandes mamans ne dépassent pas la quarantaine, elles ont dû avoir leurs premiers enfants autour de la quinzaine. 

Kamila et Aurélia n´ont que 13 et 14 ans, mais elles en paraissent 4 de plus, et sont en proie à tous les dangers relatifs à leur puberté précoce. Soit, nous sommes tout à fait d´accord avec les tendres mamans et grandes mamies, il ne faut surtout pas prendre de risques, et il vaut mieux qu´elles restent à la maison. Tant pis pour les efforts et le temps que nous leurs avons consacré, même si nous répondons de tout ce qui se passe lors de nos répétitions, chez nous, nous ne pouvons pas nous porter garants de ce qui se passera sur le chemin du retour, et même accompagnées par Duško, tout peut arriver sur le trajet entre Kežmarok et Podhorany, alors on n´insiste pas, et on loue la sage décision des parents de ne plus envoyer les filles chez nous. C´est dommage, car elles chantaient bien, et cela nous arrangeait bien de les avoir comme nouvelles recrues, mais la sécurité avant tout, il vaut mieux qu´elles restent chez elles. Nous ne prenons pas en compte le ton un peu hautain de leurs parents, qui nous font bien comprendre qu´eux, ils sont responsables et savent prendre soin de leur progéniture, alors que chez nous tout peut arriver... Tout en sachant bien, qu´en général dans les osada, la surveillance des parents est nulle, inexistante, les jeunes font ce qu´ils veulent, et cela fini en général comme avec leurs parents, ils deviennent parents, eux aussi vers les 14 – 15 ans. 

Donc les filles de Podhorany ne viennent plus. Alors quelle ne fut ma surprise, lorsque quelques jours après, à la sortie de notre répétition, nos jeunes me disent que les filles de Podhorany sont là, devant le portail. Je vais voir, et en effet, il y a Aurélia et trois autres filles. Aurélia n´a que 13 ans, jusque-là elle s´est très bien comportée, et elle m´explique, un peu confuse, qu´elle a raté son bus et n´a pas pu venir à temps à la répétition. Cela me paraît un peu bizarre, puisqu´elle est interdite de répétition, mais je n´ai pas le temps de m´étonner plus que ça, qu´apparaissent quatre garçons de Rakúsy, avec lesquels, manifestement, les filles avaient rencard. C´est des grands gaillards, dans les 17 – 18 ans, et qui, selon toute apparence, n´ont pas froid aux yeux. Ils savent pourquoi ils sont là, pour les filles, et ne se laissent pas impressionner par mes allants de grand chef d´orchestre sortant de la répétition. Ils sont pas trop respectueux vis-à-vis de moi. Je m´explique. En général, tous les Roms, surtout les jeunes me connaissent et me manifestent un respect naturel qui sied à mon âge et à ma „renommée“. Mais cette fois-ci il n´en va pas de même. Les jeunots sont tout pleins d´un aplomb inhabituel, celui que j´ai abordé en premier, prend une posture et un ton conflictuel, faisant bien paraître qu´il n´en a que faire de mon autorité. C´est un peu bizarre, ils ne sentent pas l´alcool, ils n´ont rien bu, mais ils ne sont pas cleen, j´ai bien l´impression qu´ils ont dû fumer de l´herbe, ce comportement n´est pas naturel. Heureusement, il y en a un qui commence à me faire une démonstration de claquettes, il a du faire certainement partie du groupe dans le temps, et ça détend l´atmosphère. Je les laisse à leur sort, je dois raccompagner en voiture les petits à Lomnica. Entre temps les filles sont reparties vers la gare, lorsque je passe à leur niveau, je ralentis pour échanger quelques mots, et je me rends compte qu´elles non plus, elles ne sont pas dans leur assiette habituelle. Les drogues, heureusement, ne sont pas encore ici un fléau comme en Occident, mais l´herbe apparait de temp sen temps, et visiblement, c´était le cas aujourd´hui. Le trajet à Lomnica me prend une petite demi-heure, et à mon retour je retrouve toute cette petite troupe pas loin de notre local, en train de se prendre du bon temps, dans des dimensions bien plus prononcées que chez nous, en répétition. 

Je suis sidéré de voir Aurelia, qui paraissait la plus sage et raisonnable de toutes et passe pour une sainte nitouche à  la maison, se comporter de la sorte ! Hélas, notre expérience ne fait que se confirmer, en effet les parents, tout en s´offusquant envers nous, ne prennent en aucune sorte garde à leurs enfants, la preuve, ce qui se passe sous mes yeux. La mère et la grand-mère d´Aurélia m´envoyaient encore hier des messages comme quoi chez nous c´est trop risqué, elle ne viendra plus,  et voilà que Aurélia est lâchée dans la nature sans la moindre surveillance ni souci de savoir ce qu´elle fait, ou est-elle et avec qui. J´hésite à intervenir, les jeunots sont de grands gaillards, sous l´effet de quelque chose, cela risque de ne pas bien se passer. Je ne veux pas appeler la police, il n´y pas de raison véritable à cela pour l´instant. Le mieux aurait été de les prendre en photo et envoyer cela à leurs parents, mais je ne veux pas être quand même trop méchant et mesquin. Le temps que je cogite, ils quittent les lieux et disparaissent en direction de la gare. Donc pour l´instant ça nous fait trois chanteuses en moins...

Malgré cela, nous envoyons des répétitions très dynamiques. Heureusement, il y a Nicolas et Duško pour bien tenir le chant, et surtout, Dominik, pour tenir toute la troupe au niveau de la danse et de l´enchainement du programme. C´est indispensable pour le bon déroulement de la répétition et pour la transmission du répertoire aux nouveaux membres. 

Dominik avait, il y a quelques mois, un passage à vide, je craignais qu´il abandonne, entrainé par ses copains. Il a déjà 18 ans, il est le seul de cet âge dans le groupe actuellement, et cela ne doit pas être toujours passionnant pour lui de servir d´instructeur aux petits. Mais il s´est ressaisi, il s´investi pleinement lors des répétitions, et il mène ce petit monde avec beaucoup d´intelligence, il est le parfait relais entre moi et le reste de la troupe. En plus de ça, il est l´organisateur et le financeur de la venue en bus de ceux de Rakusy, il avance l´argent pour les tickets pour tous, que je lui rembourse ensuite. Il nous rend un sacré service de la sorte.  

En musique, c´est toujours Roman qui est notre unique musicien, avec moi nous formons ainsi à nous deux tout un orchestre, avec des renforts passagers et aléatoires aux percussions, tout ce qui a des bras et des pieds peut taper dans notre large éventail de choses à frapper pouvant faire du bruit en remplaçant les batteries et tambours divers. Actuellement ce sont de vieilles chaises qui font office de percussion et on s´en sort très bien de la sorte. Cela paraît démesuré et loufoque à première vue, mais taper dans le rythme fort et énergiquement est la meilleure méthode pour acquérir celui-ci, et passer ensuite, une fois ayant fait ses preuves et son apprentissage basique, à autre chose. Bien entendu, cette méthode, très  efficace pour l´apprenti, est tout ce qu´il y a d´éprouvant pour celui qui apprend, car le chef d´orchestre (moi) doit endurer toutes les écarts de tempo et de rythme en temps réel, pendant qu´on joue pour accompagner les chants et les danses, et  cela demande un effort en plus considérable, car bien entendu, le tempo excessif et le rythme soutenu sont les bases de notre édifice musical et artistique. C´est une véritable épreuve pour moi, que de tenir dans ces conditions le bon tempo, pour tenir et maintenir toute la troupe en haleine, mais il y a une réelle satisfaction, celle de voir émerger des talents  stupéfiants, comme par exemple la petite Veronika ou Sébastian, qui sont de véritables petits prodiges.

Roman a, en son temps, suivi le même parcours. Avant de passer aux claviers et à la guitare, il était danseur et percussionniste, ce qui lui a permis d´acquérir un sens du rythme hors commun, qu´il ne cesse d´ailleurs de perfectionner, car on n´est jamais arrivé à la perfection, il y toujours de quoi améliorer, à chaque répétition, à chaque entrainement, telle est la philosophie de ma méthode que j´applique consciencieusement à chaque répétition, en l´appliquant en premier lieu à moi-même et ensuite aux autres... De toute façon, je ne sais pas faire autrement, et je ne veux pas faire autrement.

Autant Roman s´améliore en musique, autant il a du mal à améliorer son quotidien matériel. Pourtant, un changement fondamental est survenu dans sa vie dernièrement. Il a enfin pu accéder à un logement plus décent, digne de ce nom, il a pu quitter son effroyable cabane aux rats, source de tous ses maux et malheurs, véritable taudis d´horreur. Heureusement, car sa situation n´était vraiment plus tenable. Ses enfants se sont fait mordre pas ces bestioles, lui, il était couvert éraflures faites par les rats qu´il chassait de son lit toutes les nuits. Et hormis cela, plusieurs incendies de la cabane présageaient un drame inévitable dans l´avenir. Donc, qu´il ait pu sortir de ce bourbier, relève du premier prix au loto. C´est Kevin, un de ses cousins, un ancien  du groupe, qui lui a proposé de partager sa petite maison en dur, de deux pièces, quand il a vu tous ces rats chez lui. Moyennant 500 eu il lui a cédé une pièce, gardant l´autre chambre pour lui et sa famille. La maison ne paie pas de mine, mais elle est en dur, il y fait moins froid en hiver, et surtout, il n´y a pas de rats ! Roman n´a pas hésité une seconde, il a déménagé le jour même, ils ont emmuré la porte entre les deux pièces, et Roman s´est enfin, après avoir passé 4 ans dans son cabanon éventré, retrouvé avec un toit véritable au-dessus de sa tête, et il va enfin pouvoir dormir tranquillement, n´ayant plus à faire le garde-rats toute la nuit. Il a arrangé comme il a pu l´intérieur, et c´est devenu même coquet, agréable à voir et à vivre. Roman devait recevoir les allocation sur ses enfants, puisqu´il s´est fait porter comme entrepreneur, et les allocations sont calculées à la fin de l´année fiscale, en fonction du chiffre d´affaires de son entreprise. Cela représentait une belle somme, autour de trois mille eu, qui devait tomber ces jours-ci. Avec cela il pourrait régler Kevin pour la maison, et entrevoir quelque temps un avenir sans la menace de la faim et du froid. Cette histoire d´entrepreneurs est tout ce qu´il y a de banal dans les osadas. Les Roms se mettent comme entrepreneurs, déclarent qu´ils ont un chiffre d´affaires conséquent, et espèrent toucher ensuite l´arriéré sur leurs allocations familiales qu´ils n´ont pas perçues durant l´année, puisqu´ils sont censés d´avoir fait des affaires. Bien sûr, dans la réalité, il en est tout autrement. Dans la grande majorité, ce sont des travaux et facturations fictives, émises par des petits malins qui organisent le tout, et qui prennent une solide commission, pratiquement la totalité de la somme à percevoir. Bien sûr, aux Impôts ils ne sont pas dupes de ces petits stratagèmes, et lorsque las magouilles sont trop évidentes, les contrôleurs interviennent, et les différents protagonistes finissent sous les verrous, ou ils ne perçoivent rien du tout, ce qui est encore toujours mieux que la prison. Il en a été de même avec Roman. Alors qu´il attendait impatiemment le jour du miracle, le miracle n´est pas survenu. A la Poste il n´y avait rien pour lui, et aux Impôts on lui a fait savoir qu´il était sous le coup d´une exécution, que toute la somme a été retenue pour couvrir les arriérés à la Sécurité sociale, qu´il n´a jamais payés comme il l´aurait dû, étant entrepreneur sachant entreprendre, puisqu´il a officiellement généré même un chiffre d´affaire certain à l´année. Donc rien. Mais toujours mieux que la prison. Ce qu´il y a de coquet, c´est que les Impôts savent parfaitement que ces sommes qu´ils auraient dû verser, et qu´ils retiennent pour la Sécu, sont illégales, mais ils agissent de la sorte pour essayer de boucher  tant bien que mal le „trou“ de la Sécu, qui est, comme partout de par le vaste monde, infini, en Slovaquie, pareil qu´en France ou ailleurs.

Roman s´est consolé en démontant son cabanon. Je lui  ai d´abord suggéré de le proposer gratuitement à un autre encore plus malheureux que lui, qui vit dans une cabane de 2 mètres sur 2, mais celui-ci a refusé, arguant que les voisins de Roman sont trop méchants. Hélas, il n´avait pas tort. Alors Roman m´a appelé une fois de plus, car il n´avait pas un seul malheureux euro pour acheter le disque nécessaire à la tronçonneuse pour cisailler la structure en fer de sa cahute. Je lui ai acheté 2 disques pour 2 euros vingt, et il a pu dépecer sa cabane, et monnayer ensuite les pièces détachées chez le ferrailleur le plus proche, Ça lui a fait quand même un petit obole pas négligeable, de quoi voir la vie sous de meilleurs auspices au moins pendant quelques jours. Mais le jour suivant je reçois un SMS, c´est Veronika, la femme de Roman qui m´écrit que celui-ci a tout perdu à la machine aux sous et qu´elle veut que je la ramène chez ses parents. Quelques instant après c´est Roman qui appelle, en me demandant de ramener Veronika à Stiavnik, chez ses beaux-parents, car c´est elle qui a tout perdu aux jeux, et en furie, elle est en train de tout casser dans la nouvelle maison. Il m´envoie la photo de son fiston qui a déjà reçu un coup, et a un hématome au front. Elle a brisé une fenêtre, veut casser la télé, et promet de tuer Roman quand il va s´endormir. Hélas, rien de nouveau, on a déjà eu le même cas de figure il n´y a pas longtemps, pareil, lorsque Roman a perçu quelques centaines d´euros de cachet pour ses prestation avec un groupe de musique de danse. Décidément, un sacré atavisme familial. Roman me rappelle, me passe sa mère, sa grand-mère, tous jurent que ce n´est pas Roman, que c´est Veronika qui a tout perdu, il n´y a qu´à voir les caméras de surveillance... 

Tout ça, c´est du pareil au même. Une situation inextricable. Comme celle avec son cabanon dans lequel il vient de passer 4 ans avec ses 4 enfants. Mais cela a fini par se résoudre. Du moins pour l´instant. Ne reste à espérer qu´il en sera de même avec ses explosions atomiques familiales, qu´ils survivront tous, et qu´il adviendra des jours meilleurs... Autant croire en des miracles. Mais nous avons déjà vu dans notre entourage, parmi nos anciens, des couples explosifs, en général c´étaient des épouses du même genre que Veronika, qui paraissaient invivables, voulaient jeter leurs bébés par la fenêtre, etc., mais elles ont fini quand même par s´assagir avec des années. Elles et ils ont survécu. C´est déjà ça... Espérons qu´il en sera de même pour Roman.

Les relations conflictuelles dans les couples tsiganes, ni plus ni moins fréquentes que dans la majorité, sont souvent sans appel à cause de la loi sur la protection contre les violences conjugales. En effet, il suffit que la femme ou compagne en colère appelle la police pour dénoncer son mari ou compagnon et porte ensuite plainte contre celui-ci, et même si les fait ne sont pas forcément avérés, le gars risque fort de se retrouver en prison pour quelques années. Les juges ne font pas dans le détail, ce genre d´affaires courantes est réglé vite fait, peu importe s´il y a eu vraiment des coups et violences ou non. Cela ne veut pas dire, que la violence conjugale n´existe pas, mais dans la vie courante il m´arrive de rencontrer plus d´hommes victimes de fausses dénonciations que d´épouses malmenées ou frappées par ceux-ci. Rien que pour le petit bidonville de Kubachy, pas loin de chez nous, qui doit compter dans les 200 habitants, je recense une bonne douzaine de gars devenus SDF, qui préfèrent passer leur vie dehors, même par les hivers à moins 20°, que de revenir chez eux, car, me disent-ils, leurs femmes les dénonceraient immédiatement et ils iraient en prison. Pour certains cette situation perdure depuis des années, malgré les froids sibériens, fréquents dans notre région.  

fin de mois de mai dans les Tatras...

 

Nous avons déposé pour cette année deux demandes de subventions auprès de notre Ministère de la Culture. Un pour financer un pèlerinage aux Saintes Maries de la Mer, et l´autre pour un weekend à la montagne. Nous venons d´apprendre que ni l´un ni l´autre n´ont pas été retenus. Pour les Saintes Maries, cela ne m´étonne pas trop. C´était un projet financièrement important, un tel voyage avec tout ce que cela comporte, le transport, l´hébergement et la nourriture, aurait couté dans les 18 000 eu. C´est beaucoup, mais dans le passé des projets similaires posés par d´autres organisations sont passés, et d´autre projets, très couteux, de festivals, symposiums, etc., passent actuellement, alors nous avons tenté notre chance. Ce n´est pas passé, tant pis, nous restons sur l´excellent souvenir de notre passage aux Saintes Maries en 2018, que nous avons réalisé en 2018 dans le cadre de notre tournée CCDF, et bien entendu, grâce au soutien de celui-ci. 

Ce qui m´étonne par contre, c´est que notre second projet, le weekend à la montagne n´a pas été accepté. Cela devait être une sortie à la montagne, deux nuits dans un chalet dans les Tatras, on aurait profité du séjour pour des sorties dans la nature et pour des ateliers de danses et de chants. Financièrement cela aurait été beaucoup moins couteux, dans les 2 500 euros. Les deux projets sont passés devant une commission, dont la moitié des membres les a approuvés, mais l´autre a déclaré que ces projets n´apportent rien à la communauté rom. Bon, tout cela est très aléatoire, et chaque année les décisions du Ministère donnent lieu à d´interminables disputes sur la place publique, les mécontents sont légion, et ils ne se gênent pas pour exprimer leur mécontentement, tout cela sur le fond de corruptions, copinages, batailles de clans… bref, que du plaisir, plaisir que nous avons le plaisir de ne pas partager du tout… Mais pour la montagne, c´est vraiment sidérant… !