Septembre
.jpg)
La première semaine de la rentrée est derrière nous. Helena vient de changer d´école. Elle enseigne maintenant à Richnava, dans une école essentiellement rom, à deux pas de l´énorme osada, dans laquelle nous avons tourné le film Cigán, il y a une quinzaine d´années.
Bien que la loi interdit maintenant explicitement les cours les après-midi, dans la réalité il en est tout autrement, faute de logistique, d´écoles, tout simplement. Dans les localités à forte concentration de population rom, on construit vite-fait des écoles en préfabriqué, mais même avant de commencer les travaux, on sait déjà que ces locaux seront insuffisants et que cela ne résoudra pas le problème. Hélas, cela va rendre Helena encore moins disponible pour nos répétitions, il ne restera que les samedis éventuellement.
C´est la même chose pour l´école de Veľká Lomnica, qui accueille 950 élèves de l´osada, et qui n´a pas d´autre choix que d´appliquer, elle aussi, les cours le matin et l´après-midi. Cela nous complique énormément la vie pour ceux qui n´ont cours que les après-midi. Dans la pratique cela coupe à ces enfant toute possibilité de participer à des activités hors d´école, ce qui ne touche pas beaucoup d´entre eux, mais pénalise totalement ceux qui viennent chez nous.
Bien entendu, avec un tel surnombre d´effectifs il est inutile de tenter quoi que ce soit pour remédier à la chose. Mais on va s´accrocher, d´autant plus que parmi les concernés il y a aussi la petite Véronika, championne des claquettes, qui vit corps et âme avec le groupe, et il est impensable qu´elle arrête.
Sinon, on va de nouveau miser plus sur les petits, heureusement il y en a quand même pas mal qui ont cours le matin, et il y a une belle brochette de ceux qui sont assez doués et motivés.
Nous travaillons intensément et en nombre. Nous avons une belle brochette de nouveaux de Rakúsy, une dizaine de garçons d´une dizaine d´années, motivés et pleins d´une dynamique juvénile qui fait du bien au groupe, bien que cela donne parfois du fil à retordre au niveau de la discipline et concentration élémentaires, heureusement il y a toujours notre remède miracle, les pompes, et tout se passe dans une bonne ambiance dynamique et même explosive parfois, mais dans le bon sens.
Ceux de Lomnica viennent en fonction de leurs horaires de cours, Véronika qui n´a l´école que les après-midi, a déjà utilisé ses « papiers », c´est comme ca que sont dénommés les excuses parentales, utilisables cinq jours par mois, et dont les Roms abusent allégrement, à tel point que le Ministère de l´Éducation a du intervenir en modifiant la loi, mais apparemment, ce n´est pas encore ca…
Lorsqu´il y a beaucoup de monde, la dynamique est au-dessus de la moyenne, il faut sans cesse maintenir l´énergie au plus haut, cela permet de maintenir la concentration et la discipline. Il y a comme de l´électricité dans l´air et cela produit parfois des courts-circuits, comme la dernière fois avec Marek.
Le Gendarme, comme tout le monde l´appelle, il a le même sobriquet que son père qui purge la perpétuité, mais espère être libéré dans une dizaine d´années, après avoir tiré 25 ans non réductibles… Marek est fragile, il s´emporte facilement, et après l´avoir remonté pour une broutille, il est parti en disant qu´il ne reviendra plus. Ce n´est pas la première fois que ca arrive, après quelques jours ou semaines, il fini toujours par revenir. Je ne peux pas le laisser partir comme ça, tout seul, j´essaie de le raisonner, mais ça ne sert à rien.
C´est assez violent, heureusement qu´il y a aussi Matej et Jakub, ses oncles à peine un peu plus âgés que lui, qui sont de mon côté, et finalement il repartira avec Jakub par le train. Mais ils ratent le train, la discorde a retardé le départ de tout le groupe, Rakúsy ratent le bus et Lomnica le train.
Dominik et Sara réussissent à bien gérer la vingtaine de jeunes qu´ils ont amenés avec eux, ils les font assoir sur un muret près de la gare des bus et attendent le prochain bus qui doit venir dans une heure. Je leur apporte du jus de fruits et des biscuits, ils sont ravis et attendent sagement. A la prochaine répétition ils reviendront tous.
J´amène les petits de Lomnica en voiture, il y en a aussi des plus grands qui ont pris le bus, mais ceux qui auraient du prendre le train, restent en rade, le prochain passera que dans une heure, alors je donne les clefs du local au grandes filles pour qu´elles aillent faire le ménage, le temps que je ramène une seconde fournée à Lomnica et je reviendrais les chercher ensuite. C´est ce qui se passe, mais le Gendarme refuse de monter dans la voiture avec moi, alors il prendra finalement le train suivant avec Jakub. Je dis à Jakub de dire à Marcela, la mère du Gendarme de m´appeler. Ce serait bien si elle pouvait venir de temps en temps avec son fiston aux répétitions…
Marcela ne m´a pas appelé, mais à la répétition suivante Matej m´apprend que quand elle a appris ce qui s´est passé, elle a administré une bonne raclée à son fiston. Ce n´est peut-être pas très pédagogique suivant les nouvelles normes de l´éducation, mais c´est bien qu´elle s´investisse, et qu´elle soit de mon côté, et pas bêtement du côté du Gendarme. Les déboires de Marek ne se sont pas arrêtés là. Il a eu la lumineuse idée de fumer quelques chose de provenance inconnue et indéterminée, il a eu un malaise, l´ambulance est venue, et il a fini en observation à l´hôpital… Heureusement, il n´y a pas eu de signalement à la police, mais il s´en est fallu de peu. Matej me demande si j´amènerais le Gendarme au prochain spectacle à Bratislava… en principe il devrait se calmer d´ici-là, ca ne devrait pas poser de problèmes.
Cette fois je fais attention à l´heure, pour ne pas rater les transports, et on finit à temps. Mais juste au moment d´arriver à Lomnica, un gros orage éclate, et ceux qui ont pris le train sont trempés instantanément en posant le pied à terre. J´ai déjà déposé les petits à l´osada, alors je fais monter ceux qui ont pris le train, une bonne dizaine, dans la voiture, il n´y a que trois cent mètres à faire sur le chemin jusqu´ à l´osada, ça le fera… Mais il en reste deux qui n´ont pas réussi à monter dans la voiture, alors je reviens les chercher sur le chemin, complétement, mais totalement trempés. Je les fais monter quand même dans la voiture, ce sera plus pour le principe, on ne laisse personne sur le bord du chemin…
Les deux, ce sont Ludka et Florian, frère et sœur de 9 et 10 ans, habitant dans une hutte des plus pauvres, dans le genre de celle de Roman, mais en pire, à l´entrée de l´osada. Je rentre ensuite encore à Kežmarok, pour vérifier si tout est bien fermé et que rien n´a été endommagé par l´orage. J´en profite pour prendre quelques vêtements que notre ami Andrea vient de nous envoyer de Paris (d´excellente qualité), pour les apporter à Ludka, qui vient toujours très mal habillée, il est évident que dans la famille ils n´ont rien à se mettre dessus.
J´appelle Roman pour qu´il vienne et pour qu´il assiste au dépôt des vêtements, pour qu´il participe à la chose, pour qu´il soit au courant et ne soit pas jaloux qu´on donne à quelqu´un d´autre que lui et sa famille. Il ne pleut plus, Roman arrive, je lui donne le paquet de vêtements et l´envoie déposer le tout chez Ludka, dans sa cabane.
Moi, j´attends dans la voiture. Mais il n´y a personne, à côté il y a la pompe à eau, avec du monde autour, les gens crient pour que la mère de Ludka vienne, et elle apparait quelques instants plus tard, avec le petit dernier dans les bras. Elle est toute jeune, dans les 20 ans et quelques, je lui demande combien elle a d´enfants, elle me répond que six, je dis à Roman de lui donner le sac avec les vêtements et je m´en vais. Je vais chercher Helena à la gare, elle ne rentre que maintenant, son train a eu du retard, comme d´habitude. Roman m´appelle, et me dit, comme je m´y attendais, que j´aurais mieux fait de donner les vêtements à lui, et pas à la mère de Ludka, car elle les a tout de suite vendus pour quelques sous, pour s´acheter du vin… Apparemment il en a gros sur le cœur, de se voir ne plus être le seul privilégié à recevoir des coups de pouce, mais de devoir partager avec les autres. Je savais qu´il y aurait une telle réaction et je prends ses informations avec réserve. Je le raisonne, lui explique de nouveau le topo de la fée Kesaj, si tu veux recevoir de l´amour, il faut savoir en donner…
Le lendemain, effectivement, il m´apprend que ce n´est pas pour s´acheter du vin, mais pour acheter du pain qu´elle a vendu une ou deux jupes. Roman les récupère, les rend a la maman, lui remonte les bretelles, elle promet de ne plus recommencer, moi je rappelle à Roman qu´il se souvienne combien de fois eux aussi, ils ont fait pareil, ont porté des instruments au Mont de Piété, etc. Bon, une petite formation de pédagogie de l´humanitaire de base vient de s´écouler, on verra bien ce que ça donnera…
Le gros orage a provoqué une chute partielle du plafond de la maison de la mère de Roman. Maison, c´est beaucoup, dire, c´en était une il y a très longtemps, maintenant c´est une bâtisse de deux pièces, qui tient à peine debout. Nous avons déjà, par le passé, essayé de revitaliser un peu cet habitat plus que précaire, puisque tout une partie de notre groupe y habitait, mais, comme avec le préfabriqué de Roman, c´était peine perdue, l´état de délabrement prononcé de ces bâtisses ne permet pas de faire quoi que ce soit de substantiel, ce n´est que du palliatif, il est évident que ces cahutes ne peuvent pas tenir longtemps.
Donc, la dernière pluie a eue raison du plafond de la seule pièce encore un peu habitable, et il faudrait un support en bois, un gros poteau, pour essayer de le soutenir, pour qu´il ne s´effondre pas complètement la prochaine fois qu’il pleuvra. Selon les spécialistes locaux, un tel ustensile couterait dans les 20 euros. Que faire ?! Le plafond risque de tomber sur les têtes des enfants, dont certains en bas âge, de même que sur la tête de la grand-mère qui a dans les quatre vingt ans. J´ai déjà donné des sous à Roman pour sa participation aux répétitions (en tant que père de famille nombreuse, il reçoit de notre part 15 eu pour les co-répétitions), alors je lui avance pour la prochaine répétition. Il n´a qu´ à acheter le poteau en bois pour sa mère et sauver ainsi ses frères et sœurs, mère et grand-mère. Pas très enthousiaste, il donne dix euros, mais il reste encore à trouver dix autres. Où ?! Bien-sûr, on s´adresse à moi. Mais pourquoi devrais-je subvenir à cette dépense, puisqu´il y a dans la famille deux frères, Kurmin et Kiko, qui travaillent, ont des ressources, et pourraient très bien à eux deux, à raison de 5 euro par personne, résoudre ce problème vital ! Voilà le genre de problèmes ordinaires, que nous avons sur les bras au quotidien, heureusement encore, que Pavel a acheminé une caravane à Roman, donc nous n´avons plus à gérer les rats, les morsures des rats, les vols, la pluie et le froid que subissait celui-ci avec ses petits.
Entre temps, nous avons eu des demandes désespérées de la part de Jakub pour une sortie scolaire, de la part de Terezka pour le transport à l´école, de la part de Klement pour un certificat médical, etc., etc… Non, il faut résister, résister au tsunami des demandes, requêtes, savoir choisir quand il faut intervenir vraiment, comme lorsque j´ai amené Nikolas six fois de suite à l´hôpital pour les contrôles des points de suture de son genou, car il avait vraiment du mal à marcher, ou quand la petite de Roman s´est fait mordre par un rat, il fallait aller aux urgences sur le champ… Et les autres fois refuser, tout simplement, car on ne peut répondre par le positif à toutes ces demandes, d´autant plus qu´elles ne sont pas toutes fondées, loin de là. Que ce soit vraiment un cas d´urgence réel, pour le quel in faut intervenir, ou tout simplement une broutille, mais présentée avec la même insistance tragique, le mode opératoire est le même, on fait appel à nous, comme à la dernière instance suprême, si on répond par la négative, ce sera la fin du monde, on ne saura pas comment s´en sortir. Mais à ce train-là, c´est nous qui finirons aux urgences ou au Mont de Piété…
Alors, comme en médecine de guerre, il faut trier par ordre de gravité, ne s´occuper que de ce qui est vraiment dramatique, et laisser de côté les autres cas gravissimes, qui, une fois qu´on a dit non, finalement ne sont pas si graves que ça, et sont oubliés aussitôt par ceux-là mêmes qui viennent de les formuler… Avec les années on acquiert une certaine pratique et expérience en la matière, mais on n´est jamais sûr de son fait, de son jugement, avec la meilleure volonté du monde on peut se tromper, et on finit avec des remords, soit parce qu’on a le sentiment de s´être fait avoir, soit parce qu’on croit qu´on a pas répondu alors que c´était nécessaire d´intervenir. Jamais tranquilles…
Grosse répétition, de celles qu´on appelle « méga » répétitions. Cette fois-ci ce sont ceux de Rakúsy qui arrivent en premier, Roman et les jeunes de Lomnica arrivent plus tard, car leur train est retardé à cause d´une alerte à la bombe à la gare de Poprad, alors on commence sans eux, mais heureusement, ils finissent par venir pas trop tard. L´alerte à la bombe a été lancée le matin, nous sommes en début d´après-midi, ça a assez duré.
Roman de Rakúsy, celui qui a failli avaler une épingle à nourrice pour crâner devant tout le monde est la après une assez longue absence. Qu´à cela ne tient, on va le prendre en main et lui faire passer ses envies de jouer au fakir.
Surprise, Marek, le Gendarme, qui a fait des siennes à la dernière répétition en jurant de ne plus jamais revenir est là. Il est assez tendu, je n´insiste pas lorsqu´il est distrait, ou fait le distrait, mais vers la fin de la séance je le fait intervenir dans une reprise que nous mettons de nouveau au point.
C´est une parodie de scène de ménage tsigane que nous avions à notre répertoire il y a bien longtemps, et qui avait un énorme succès auprès de nos jeunes, de même qu´auprès du public, à tel point que les organisateurs ont failli appeler la police, tellement bien était interprétée la dispute par nos jeunes qui se battaient sur scène pour du vrai, ou presque…
L´action bat son plein, les deux époux doivent crier très fort, hurler carrément, supportés de la même manière par tout le reste de la troupe. Je pousse tout le monde jusqu´au bout, le Gendarme ne peut plus faire le distrait, sous la pression de tout le groupe il doit y aller aussi à fond, extérioriser au maximum sa violence, un peu comme lors de la dernière répétition quand il se disputait avec moi pour du vrai. Là, ce n´est que du jeu, de la comédie, mais très réaliste, tout est dans l´engagement physique, tout autant que psychique. Et c´est bien, c´est ce qu´il faut, c´est une excellente thérapie pour évacuer toutes les tensions qui bouillonnaient dans la tête du Gendarme, comme ça, cela a pu sortir, et lorsque je le croise en revenant de Lomnica après avoir déposé les petits, il me fait des grands signes de la main comme les autres…
De nouveau, je repasse par le local des répétitions pour ramener encore une seconde fournée des grandes filles, Franko et Nikolas qui boite encore après son accident du genou. Lors du chemin aller de Lomnica à Kežmarok avec les petits, il y a Marek, le fils de Aurélia qui a vomi à l´arrière de la voiture. Mais je n´étais pas au courant, personne ne m´a rien dit. Au retour, rebelotte, le gamin a remis ça, bonjour les dégâts. Bien sûr, je suis en pétard, ils auraient dû me dire, je ne l´aurais pas fait monter encore en voiture, il serait rentré en train, et voilà. Mais il est trop tard pour intervenir, la banquette arrière de la voiture est ravagée, toute sale, il faut tout nettoyer, et bien, à fond. Alors arrivé au local il ne me reste qu´ à faire chauffer de l´eau, mettre des gants en caoutchouc et y aller.
Les filles ne sont pas de grand secours, Jadranka, en voyant les vomis, vomit, elle aussi, Simonka, ce n´est guère mieux, mais courageuse, elle tente quand même de me donner un coup de main, il n´y a que Franko qui ne fait pas de chichis et y va à fond, comme moi. Ça va, tout a été bien nettoyé, on peut enfin rentrer. Dans une bonne ambiance, les filles n´arrêtent pas de rigoler, même si elles avaient l´estomac retourné quelques instants avant.
Après longtemps, nous avons fait enfin une sortie à la montagne. Avec les petits, c´est eux qui étaient les plus demandeurs. Nos sorties montagnardes, qui étaient, il fut un temps, assez fréquentes, se sont estompées pour la seule et bonne raison de la prolifération anormale des ours. La surpopulation des ours est une réalité dure comme du fer en Slovaquie, des signalements de la présence des nounours même dans des endroits civilisés, urbains, sont à l´ordre du jour tous les jours. Les accidents sont relativement rares, mais il y en a quand-même, tout compte fait assez fréquemment, et il y a aussi, hélas, des cas mortels tous les ans. Cela donne à réfléchir avant de sortir…
Lorsque je fais mon footing le matin dans la forêt, j´en ai croisé à plusieurs reprises, il n´y a pas eu de dégâts, mais je ne suis pas très rassuré, surtout lorsque je vois des traces fraiches, et ça arrive assez souvent. Bref, on s´habitue à tout…
En été, quand il y a les grosses chaleurs, il faut partir en randonnée tôt le matin, à l´aube, mais c´est là que les ours sont les plus actifs, je ne voulais pas prendre de risques en y allant avec les jeunes, alors, maintenant, en septembre, il ne fait plus si chaud, nous sommes partis vers les 8h du matin. Lorsque j´ai passé le matin un coup de fil aux petits en leur disant qu´on y allait ils étaient prêts en moins de deux. Il y avait déjà pas mal de monde sur le sentier, ce qui limitait le danger d´une rencontre inopinée.
Nous étions sept à gravir le sentier de la montagne, j´aurais voulu les amener sur un endroit avec une magnifique vue des cimes, mais très vite il s´est avéré que ce ne serait pas possible. Autant il y en avait trois, la petite Véronika en tête, qui marchaient très aisément, courait dans tous les sens, autant les trois autres avaient du mal, le petit Zdenko, tout potelé, tout particulièrement. Le sentier montait dans la forêt, et Zdenko avait du mal à suivre. Nous avons eu beau ralentir le tempo, il fallait faire des pauses fréquentes, je pensais même rebrousser chemin. A un moment j´ai eu carrément peur qu´il n´attrape une syncope, je n´en menais pas large, je réfléchissais déjà comment appeler éventuellement le Secours de Montagne… Nous avons fait une grosse pause. J´en ai profité avec les trois valides pour faire des accélérations dans les montées, agrémentés de quelques claquettes, comme ça la journée ne serait pas perdue. Zdenko se tenait vaillamment, ne se plaignait pas, mais il était évident qu´on ne pourra pas continuer. J´avais de quoi boire avec moi, et aussi quelques sucreries, nous avons repris tout doucement la montée, et lorsqu´il fallait bifurquer pour aller sur les rochers, il ne nous restait qu´à prendre l´autre sentier, celui qui descendait doucement en bas.
A défaut d´atteindre les cimes, c´est l´ambiance qui s’envolait vers les hauteurs. Cela rigolait, ça chantait, les touristes qui nous croisaient n´en revenaient pas de voir des Roms en ces contrées, et qui de plus est, de si bonne humeur. Il n´y avait que des réactions positives, de part et d´autre… Zdenko a timidement repris ses esprits et son souffle, on maintenait toujours un tempo très modéré, même dans la descente il n´était pas question de forcer. Cela nous a fait en tout quand même une petite dizaine de km, tout compte fait pas trop mal pour des néophytes, bien que j´aurais aimé faire le double… mais chaque chose en son temps.
Le seul incident à déplorer était le partage des bonbons que nous a offert un couple de Polonais. Deux braves touristes venant de l´autre côté des Tatras nous ont laissé gentiment un sachet de bonbons glacés qui ont fait la joie de notre équipage. Cela tombait bien, c´était des bonbons rafraichissants, et lors de la presque syncope de Zdenko, cela l´a aidé à respirer. Bien sûr, lors de la distribution de toutes les denrées que nous avons avec nous, des biscuits, de l´eau et des fruits, je veille à ce que le partage soit absolument équitable, il n´est pas question que qui que ce soit soit privilégié, tous doivent avoir absolument la même part, on est une seule bande, un pour tous, tous pour un ! Mais, comme on pourrait s´y attendre, lors la prochaine répartition des bonbons, lorsque je laissai le soin de la distribution de ceux-ci aux jeunes, il n´en fut pas de même. Il y en a qui ont joué des coudes et en ont chipés plusieurs et d´autres n´ont rien eu. Ceux qui n´ont rien eu n´ont pas étés contents et l´ont manifesté, mais ce n´était rien à côté de la colère que j´ai piqué en expliquant quoi et comment à la bande de resquilleurs. Bien sûr, c´est toujours un peu théâtral de mon côté, je profite de ce genre d´incidents, incontournables et assez fréquents, pour expliquer en détail les bases de la collégialité, de la camaraderie, de l´amitié, de l´humanité, tout simplement. Tout un programme ! Mais le paradigme est simple, et toujours le même : peu importe comment ça se passe ailleurs (dans les osadas), ici, chez nous, dans le groupe, on est tous pareils et on partage tout ! Et basta ! Ceux à qui ça ne plait pas, n´ont rien à faire ici, et à la prochaine randonnée ils resteront à la maison ! Là, l´ambiance tout à coup tombe à zéro, s´en suit un long silence, ce qui est plus qu´inhabituel chez nous, et on marche sans rien dire. Cela dure un certain temps, Veronika essaie de tempérer un peu en blaguant (elle était la première à empocher les malheureux bonbecs), elle fait de son mieux pour amuser la galerie, mais ça ne prend pas, la marche funèbre se poursuit à travers les bois… Jusqu´à ce que Stanko, penaud, vient me dire gauchement que cela ne se reproduira plus, la prochaine fois ils partageront…
Bien sûr, la prochaine fois il en sera de même, mais il y aura eu au moins une petite prise de conscience, et c´est déjà ça… ! Rien que ça, ça vaut le détour par la montagne et les quelques km avalés aujourd´hui ! On peut rentrer tranquilles, dans la voiture, de nouveau les chansons sont braillées à fond, je les dépose à l´osada, et je peux rentrer, ma conscience de crypto komsomol tranquille…