narratif

6 novembre 2017

Suite à l’inspection académique du début d’octobre, nous devons cesser nos activités pédagogiques. Depuis l’ouverture de notre école, il y a 6 ans, une telle alternative était pratiquement constamment à l’ordre du jour. Dans le contexte qui est le nôtre – premier contact avec des populations précarisées et marginalisées, il n’est pas possible d’être parfaitement conforme aux normes en vigueur dans la société majoritaire. Par ex. nous ne disposons pas de salle de gym, nous n’avons pas de labos, pas plus que de lavabos dans chaque salle de classe, etc. Et tout cela est obligatoire. Mais l’inspection a surtout constaté que le niveau général de nos élèves est bien en dessous de la norme (c’est bien pour cela que nous les prenons chez nous, et nous essayons de remonter la pente progressivement…). Nous avons aussi procédé de manière trop  bienveillante lors des examens d’entrée des nouveaux élèves (sinon il n’y aurait eu personne). C’est simple, on peut comparer le niveau de nos élèves à celui des banlieues difficiles. Il est certain qu’une remise à niveau s’impose, le tout est, comment y arriver… pour motiver les élèves, trouver le moyen de communication adéquat, et persévérer… L’inspection a fait son travail, à ce  niveau on ne peut pas leur reprocher de malveillance ou parti-pris, il faut se plier à la règle, c’est tout. Par la suite nous avons eu des réactions affolées de la part des hautes instances académiques au niveau national, du Ministère de l’éducation, et aussi au niveau international, relevant de la Commission européenne, car en effet, notre école qui ferme, c’est la moitié de l’enseignement rom en Slovaquie qui disparaît (il n’y a que deux écoles comme la nôtre au pays), ce qui n’est pas très bon pour l’image de marque par rapport à toutes les attentions que l’on porte aux Roms, mais lorsque dans le passés nous nous sommes adressé à ces instances, par ex. pour l’éternelle question des locaux, jamais on ne s’est soucié de notre sort…

Dans l’immédiat, il fallait s’occuper du sort de tous les élèves, trouver des solutions pour les recaser dans d’autres écoles. Pour  les plus jeunes ce n’était pas évident, car partout c’est surchargé, l’éducation nationale n’arrive pas à suivre l’explosion de la démographie de la population rom. C’est maintenant que l’on s’aperçoit à quel point ils se sont identifiés à l’école. Ils étaient ceux qui voulaient aller plus loin, ceux qui voulaient y arriver… Retourner dans des écoles ordinaires ou des centres d’apprentissage est très mal vécu pour la plus part d’entre eux, et il faut bien dire que leurs perspectives se trouvent maintenant bien amoindries. Mais le point positif est, que tous les anciens sont conscients des causes profondes de ce qui vient d’arriver, c’était une histoire rom, ce sont eux, les Roms, qui ont fait cette école, c’était leur succès, mais aussi leur faillite, s’ils n’étaient pas assez assidus et assez studieux. A ce niveau, on peut s’en prendre qu’à soi, ce n’est pas la peine de chercher des causes extérieures, des excuses toutes faites. Tous les élèves, les Roms, sont responsables de leurs agissements, de leur destin. Personne ne pourra faire le travail à leur place…

Cela nous déstabilise énormément aussi au niveau du groupe. De nouveau se pose l’éternelle question des locaux. Par le passé nous avions, pendant des années, profité des locaux de l’ancienne maison familiale de Helena, mais les choses ont bien changées, en l’espace d’une année plusieurs des anciens sont partis, et nous ne pouvons plus disposer de ces lieux. Nous avons un sursis jusqu’à la fin de novembre avec les locaux de l’école, mais il faut absolument trouver autre chose ensuite, au moins pour avoir où mettre nos affaires, les costumes de scène et les instruments de musique. Et bien sûr, pour avoir un endroit où répéter, où se retrouver. Dans la petite ville de Kezmarok, il n’y a pas de locaux qui seraient disponibles et qui conviendraient à nos activités. Et c’est partout la même histoire, il est très difficile de se faire accepter lorsque l’on arrive avec des populations marginalisées… Nous avons déposé une demande auprès de la Mairie, nous cherchons nous-mêmes, il faut absolument trouver une solution, au moins pour avoir où entreposer le matériel. Pour les répétitions, nous pourrions éventuellement les faire de nouveau dans les bidonvilles, cela nous est déjà arrivé plus d’une fois, mais les costumes et les instruments, nous ne pouvons pas les entreposer à la maison, il nous faut un local pour cela.

Tout compte fait, la sortie qui se prépare aura l’avantage de nous permettre de nous retrouver tous et de nous ressourcer ensemble, il en a été de même dans le passé lorsque nous nous retrouvions à la rue, nous profitions des tournées à l’étranger pour répéter, je ne pensais pas que nous serons de nouveau dans cette situations lorsque j’ai planifié cette tournée. Nous allons amener avec nous aussi beaucoup de nouveaux, des tout jeunes de notre région, et une dizaine d’un groupe venant d’un Centre d’apprentissage de la Slovaquie centrale. Ce sont des jeunes roms de 18 – 20 ans, qui suivent des formations de cuisiniers et de serveurs. Cette formule, se tourner vers des groupes d’autres régions, pour les amener avec nous et leur faire profiter de nos acquis, tant artistiques, qu’éducatifs, peut s’avérer comme une alternative à nos activités si nous n’arriverons pas à trouver une solution au problème de locaux dans un proche avenir.

Pour ce qui concerne l’école, il faut d’abord clore ce chapitre avec l’inspection, qui n’a pas encore rendue son rapport. Il faut « sauver les apparences », que tout soit en règle, qu’il n’y ait pas de pénalisations. Hélas, les questions de fond, comment faire avec cette réalité rom, ne sont jamais posées ni même abordées. C’est d’autant plus consternant que c’est un vraiment un problème récurrent chez nous, la preuve, le débat politique des élections régionales qui ont eu lieu ce weekend, était en grande partie tourné sur la question rom et sur les manifestations d’extrémisme que cela génère. J’espère que, une fois que tout sera réglé, nous aurons l’occasion de débattre de notre expérience avec des institutions concernées, car c’était quand même une expérience inouïe, et ce serait dommage de ne pas en tirer des enseignements au niveau de l’enseignement… L’école de Kosice, qui était à l’initiative de notre lycée, continue ses activités, il y a plus de 300 élèves qui suivent les cours du premier cycle. Dans l’immédiat, nous ne pouvons pas nous prononcer sur l’éventualité d’une reprise d’activités pédagogiques telles que nous les avons pratiquées avec notre collège et lycée. Il est certain qu’il faut persévérer dans cette voie, on ne peut pas caser indéfiniment des jeunes sur des voies sans issues…