avril

Tournée de mai - les préparatifs

Cette tournée s´est faite à l´iniciative de l´équipe de l´antenne du Ccfd de Bourges, qui est venue, avec Marie, la maman de Mélanie, une de nos anciennes de Yepce, en tête, nous voir lors de notre passage à Clermont-Ferrand l´année dernière, lorsque nous y avons fait escale entre Marseille et Paris. Déjà lors de cette première rencontre, leur décision était manifestement prise, ils tenaient coûte que coûte à ce que l´on vienne chez eux l´année prochaine. Ne restait qu´à définir la date, mais aussi, à trouver des partenaires de complément pour compléter la tournée, qui ne pouvait se faire sur une seule étape. Rapidement ce fut fait, Jeannine Le Merer, qui nous a vue à Paris, lors de la réunion du Ccfd à la Porte Dorée, puis au spectacle qui a suivi cette réunion au Musée de l´Immigration, a réussi à convaincre ses collègues de Toulouse, et le gros de la tournée était sur pied. Nous ne voulions pas partir pour longtemps, pour ne pas trop grignoter sur le temps scolaire, mais c´était aussi une excellente occasion pour passer là, où l´on ne pourrait pas passer dans d´autres conditions, c.a.d, si on n´avait pas déjà de trajet prévu pour y passer, sinon le coût de ce trajet, trop onéreux, ne nous permettait pas de le faire. Alors j´ai contacté des amis à Prague et dans les environs de Prague, pour leur proposer de saisir l´occasion. Ils ne se sont pas fait prier, et en moins de deux, les deux spectacles, un à Prague, et l´autre à une centaine de km de là, étaient convenus. Dans les deux cas, il s´agissait d´actions avec des associations de terrain, qui oeuvrent avec des Roms, nous connaissaient, et étaient ravis de pouvoir enfin nous recevoir chez eux. Pour des raisons d´organisation, les spectacles étaient programmés le weekend, et quoi que l´on fasse, le spectacle organisé par Bourges ne pouvait avoir lieu aussi que le samedi 11 mai, donc il nous fallait encore trouver de quoi faire entre Prague et Bourges. Le Châpiteau Raj´ganawak à Saint Denis était toujours prêt à nous accueillir, mais spontanément s´est présenté aussi le collectif Romeurope d´Antony, alors nous avons opté pour eux, puisque Saint Denis, nous y sommes déjà passés plusieurs fois en l´espace d´une année. Le Château de Buno était à notre disposition, alors ce serait parfait pour se remettre en place et aussi pour de nouveau répéter un peu avec Aven Savore, avec les quels nous avons repris contact en décembre dernier. Le point culminant du séjour à Paris devait être une manifestation sur le Parvis des Droits de l´Homme au Trocadéro. Nous avons déja manifesté à deux reprises ici. Une première fois en 2009, c´était notre première action avec le Ccfd, avec „La vie sans la manche“, pour montrer à tous que les enfants roms n´ont pas que la mendicité comme objectif dans la vie. Le Ccfd s´est à l´époque chargé de l´impression des flayers et l´obtention de la permission auprès de la Préfécture de Paris, ce qui n´a pas été simple. Après les premiers refus, il a fallu insister au plus haut niveau, et finalement, au lieu du Parvis de l´Opéra, au quel nous avons pensé initialement, nous nous sommes rabattus sur celui du Trocadéro, et ça s´est très bien passé. En 2014 nous avons remis ça, à l´occasion de notre passage à l´Olympia, nous avons défilé, ou plutôt dansé et chanté, sous la banderole „Kesaj Tchave, l´École de la réussite des enfants Roms“. Donc, pour rester dans le rythme d´une manif tous les 5 ans, nous voilà partis pour la troisième édition, avec „Les Copains d´abord“, de Georges Brassens. Tout simplement. Pour montrer que sans le côté humain, sans l´amitié, sans l´engagement pour l´autre, rien ne serait possible, que ces simples qualités humaines sont essentielles et constituent le fondement de notre condition d´humain… Mais nous voulions apostropher aussi d´autres associations et mouvements engagés pour les Roms, pour qu´ils viennent se joindre à nous, alors, après consultation avec Laurent Ott des Intermèdes-Robinsons, nous y avons joint, sur sa proposition aussi le slogan „L´Éducation d´abord“. Tout cela constituait au final une trame solide pour la tournée, même un peu trop longue, car nous voulions aussi passer par Lourdes, puisque nous ne serions pas loin, à Toulouse, et nous voulions aussi marquer un arrêt dans la région PACA, ne serait-ce pour revoir au passage nos amis de l´année dernière. Alors s´est greffée encore une étape à Toulon et une, toute dernière, dans la Drôme, avec des amis des l´association BizzArt Nomade (Mylène Sauloy), qui nous ont filmés lors de la dernière tournée au spectacle de Pléssis-Robinson, à l´atelier des claquettes au Flamenco France, et sont même venus nous voir en Slovaquie en février 2019. En tout, cela fera 16 jours, un peu plus que ce que l´on projetait au départ. Inutile de dire que pour monter ce vaste projet de nombreux bénévoles se sont engagés, n´ont pas ménagé leur peine, se sont investis pleinement pour la réussite du projet. On ne pouvait pas les décevoir. Pour tout ce qui touche aux répétitions et l´organisation des préparatifs de notre côté, ça va, mais là où le bât blesse, ce sont les relations humaines, qui font intervenir des intervenants extérieurs, les parents, les familles, au sens propre, et au sens large, les jours qui précédent le départ, ce sont souvent des clans entiers qui se mobilisent, et pas uniquement dans le bon sens, et nous avons de quoi faire pour réussir à prendre le départ dans la constellation que nous aurions souhaité.

 

Les choses se compliquent en général un mois avant le départ. C´est le moment de faire les passeports des nouveaux, il ne faut pas trop tarder, sinon ils risquent de ne pas être prêts à temps. Comme c´était une tournée avec des partenaires du social, il n´y avait pas de productions dans le milieu du spectacle à proprement parler, nous n´étions pas obligés d´avoir un niveau artistique irréprochable, alors nous pouvions nous permettre de prendre plus de nouveaux, et c´est ce que je voulais, pour donner une chance de participer à un plus grand nombre et aussi pour pallier enfin au manque d´effectifs, quitte à prendre même des tout petits, une tournée c´est ce qu´il y a de mieux pour se former, et aussi pour apprendre la vie en dehors du bidonville. Alors nous avons réussi à déposer les demandes pour 5 nouveaux passeports, qui devraient être fait à temps, bien que ce serait un peu juste, car le premier rdv avec les parents a du être annulé, et ce n´est que la semaine suivante que nous sommes allés tous ensemble au Bureau de la Police pour déposer les demandes. J´aurais voulu en faire encore plus, mais je n´ai pas réussi à attraper les parents de Franko et Agnesa, ceux des petits qui étaient les plus performants et sur lesquels je basais mes répétitions et ma conception du spectacle avec les nouveaux. Donc tout ce travail tombait à l´eau, tant pis, on prendrait quand-même les autres, bien que bien moins doués. Au fur et à mesure que le temps du départ approchait augmentaient aussi en crescendo les désistements, les retours sur les désistements, bref, les revirements de situations les plus divers, qui bien que déjà connus de nous de par le passé, n´en finissent pas de nous surprendre par d´infinies inovations qui vont toujours au-delà de notre imagination. Cette fois-ci, avec une régularité d´horloge suisse, ce sont les nouveaux jeunes de Rakusy, qui ont mené la danse. Passés du stade des tout nouveaux, à celui des nouveaux parmi les anciens, ils se délectent dans l´annonce régulière de leur fin de pratique dans la troupe, pour revenir le lendemain comme si de rien n´était, et ainsi de suite. Ils se font désirer. Toujours ce besoin viscéral de compenser la frustration du sentiment d´infériorité par des chantages inappropriés et démesurés lorsque l´occasion se présente enfin d´être dans une situation dans la quelle on a enfin de l´importance ou du moins on croit que l´on est enfin important et irremplacable... Inutile de dire que ça déstabilise, et n´ajoute rien à la sérénité de la direction du groupe. On a l´habitude, un coup on gueule, le jour suivant on fait semblant de ne pas faire attention, mais cette fois-ci leurs bêtises ont pris plus d´empleur que d´habitude, et pendant une dizaine de jours nous croyons vraiment qu´ils ont abandonnés, donc nous nous rabattions que sur ce qui nous restait, un groupe de garçons plutôt versés sur le chant et pas du tout performants au niveau de la danse. Il fallait tout recommencer à zéro. Malgré toute la bonne volonté et assiduité, les résultats n´étaient pas probants. Nous bossions consciencieusement tous le jours, mais il n´y avait rien à faire, ils n´étaient vraiment pas doués pour la danse, et ça se voyait. Mais nous n´avions pas le choix, nous nous obstinions à répéter coûte que coûte, pour mettre sur pied tant bien que mal au moins quelques numéros de claquettes, qui sont notre spécialité par excellence, notre marque de fabrique. Je pensais arranger le coup avec les tout petits, mais manque de chance, comme je le disais, ceux qui étaient vraiment performants ne pourront pas partir avec nous, et nous en restions réduits même pas au strict minimum, nous étions en deçà de tout ce qui était imaginable. Rasto, le danseur le moins doué, celui en le quel on ne pouvait placer aucun espoir, tant son inaptitude était évidente, devenait du coup notre danseur soliste. Jamais nous n´aurions pu imaginer une telle catastrophe. Car il n´y a pas de miracles. Chez les tsiganes, comme chez les autres, il y a ceux qui sont doués, en général ce sont les enfants des familles des musiciens, et puis il y a les autres, dont certains aussi doués que des manches à balais. C´était le cas de Rasto, notre nouveau frais danseur étoile. Et le pire était que l´on n´avait à disposition aucun des anciens qui aurait pu au moins leur montrer ces claquettes démentes, Tomáš était en Tchéquie, et Jakub a eu la lumineuse idée de bouder et ne voulait rien apprendre à personne, même pas à son frère Matej. Bien sûr que je lui ai dit ma façon de penser, mais sur le coup cela ne servait à rien. Surprise, pour une fois les filles avaient l´air de ne pas poser de problèmes, c´est comme si elles avaient épuisées leurs ressources les fois précédentes… Bien sûr, la question de musique restait posée, rien ne certifiait que Roman, notre clavier, partirait avec nous. Bien qu´il proclamait tous les jours qu´il serait du voyage, tous les jours une affaire éclatait avec sa fille ou sa belle-famille, qui remettait en question ses engagements. Cela ne m´empêchait pas, au contraire, de m´investir à fond dans la gestion de ses déboires, toujours dans cet espoir-désespoir de le voir partir quand-même avec nous.

Pour couronner le tout, un mois avant le départ, notre transporteur polonais, avec lequel nous nous étions mis d´accord depuis 6 mois, venait nous annoncer qu´il ne pourrait pas partir avec nous pour des raisons administratives. Nous trouvons dans la foulée un remplacant, qui, lui aussi, nous annonce une semaine avant le départ, qu´il ne pourra pas partir. Il vient d´acheter un nouveau bus d´occasion, et les papiers ne seront jamais prêts à temps. Horrible. On fait le tour de tous les propriétaires de bus de la région et des alentours, même du côté polonais, impossible de trouver quequ´un de libre sur le champ. Que faire. A l´interminable ronde des départs, désistements, pas de papiers, pas de chaussures, du côté des jeunes, s´ajoute l´absence de bus, ce qui est encore plus catastrophique. Nous sommes à 3 jours du départ. Mais comment que l´on va faire? J´élabore des scénario fantasmagoriques de départ en train pour Prague, revenir ensuite, pour attendre les papiers du nouveau bus d´occase… Cela ferait des frais supplémentaires considérables, sans dire que l´on ne serait toujours pas sûrs qu´il aura ses papiers à temps. Enfin, à trois jours du départ nous trouvons un bus disponible. Ouf, on est sauvés. Ca, c´est le matin. Le soir le chauffeur nous téléphonne pour nous dire qu´il vient de se faire casser une vitre en Italie, et il ne sera jamais prêt à temps. La poisse ! Que faire ?! Sachant parfaitement tout l´investissement humain du côté des organisateurs, il est impossible d´annuler la tournée. Je tente encore de tous les côtés, mais j´ai déjà essayé partout. Au détour de la conversation j´en parle à mon fils. Il me dit que le père d´une de ses copines de classe a une compagnie de transport. On l´appelle. Des clients qui devaient partir en Finlande avec lui viennent d´annuler sans prévenir le jour même. Il peut partir!