Silkeborg

Danemark

La tournée au Danemark était scandinave, si l’on s’en réfère aux pays nordiques comme ceux de la paix et de la quiétude. Le tout agrémenté d’un paysage tout écolo allant de pair, et l’on pourrait dire que c’est le premier séjour Kesaj ayant des allures de Club Med. Ou presque. 

Cette tournée était à l’initiative d’Anne Risum que nous avons rencontrée avec deux de ses copines lors du Festival de Danse Tzigane de Tibor Lakatos en Hongrie l’année dernière. C’est un festival assez sympa, mais un peu huppé, vu le niveau social des organisateurs tziganes manifestement différent des nôtres. Avec Anne et les deux autres danoises nous avons tout de suite sympathisé, elles font de l’animation culturelles auprès des handicapés mentaux, et étaient plutôt de nôtre côté lors des réceptions que du côté des buffets et petits fours. Au début c’était juste une idée lancée en l’air, qui avait du mal à se concrétiser, mais à un moment donné les choses se sont décantées, et la tournée était rapidement mise en place. 

La nuit, ça roule tout seul, nous arrivons sans problèmes à Silkeborg, reconnaissants au chauffeur non seulement de bien conduire, mais aussi de conduire en partie gratis – nous lui devons encore la moitié sur la dernière tournée – le chèque de Latcho Divano n’est toujours pas passé. Et bien sûr, nous n’avons pas de quoi lui donner aucune avance. Il n’y a qu’à espérer que les finances se passeront bien au Danemark et aussi que nous arriverons enfin à toucher ce qui nous doit être versé par la Fnasat, Charlotte n’ayant toujours pas reçu mes derniers budgets – son ordi n’arrive pas à ouvrir les documents que je lui envoie. Bien sûr nous partons en laissant notre ménage avec une montagne d’impayés et nos enfants sans un sous.  Au Danemark nous sommes accueillis par Anne Risum, une peintre dont le mari tient un petit cirque et qui vivent dans un endroit parfait pour nous,  en pleine cambrousse, avec plein de vélos, balançoires, trampolines et autres gadgets dont l’internet qui fait ravage auprès de nos ados. S’il n’y avait pas le tracteur que Stanko a réussi à démarrer et déraciner quelques arbustes avec, ça serait parfait. Cet incident qui nous a donné des sueurs froides sert de parfait exemple que mes diatribes à propos de la sécurité partout ou l’on passe ne sont pas superflues. Mais, hélas, pas vraiment efficaces, il reste encore énormément à faire au niveau de la responsabilisation de tous en direction du collectif. Il faut dire que ce n’est vraiment pas dans la nature des choses, le parfait exemple en étant Véronika, mère de trois enfants nous accompagnant (Dushko, Perla, Erik), et ne prenant soin d’eux que s’il on le lui fait expressément signifier. Et ce n’est pas un mauvais trait de caractère où autre défect, c’est tout simplement cette habitude d’autonomie totale que tout le monde a par rapport à tous en milieu rom. Donc vigilance, vigilance et encore vigilance! Même si cette apostrophe n’a d’effet sans doute que sur moi-même, je n’arrêterais jamais assez  de la rabâcher à tout le monde ! Condition au premier abord un peu spartiates – matelas par terre, couchage collectif, mais finalement ce n’est pas plus mal que ça, au moins nous avons tout le monde sous l’œil. Autre nouveauté – absence des ados insomniaques et insolents, genre David, fait que nous ne sommes pas complètement détruits de suite à cause du manque de sommeil, et que le séjour prends pratiquement des airs de vacances. Il n’y a que Mira et Luba pour rappeler de mauvais souvenirs avec des coups de gueules passagers, en étant totalement scotchées à l’internet omniprésent, mais c’est sans aucune comparaisons avec ce à quoi nous étions exposés avec David et Co. Cela revient à se poser la question morale de l’investissement humain  en direction des cas difficiles. Finalement, il faut remettre les choses à leur place, il n’y a jamais eu de problèmes graves, ce sont des gamins que nous connaissons depuis toujours et qui ont des qualités indéniables, comme des défauts , d’ailleurs, mais force est de reconnaitre qu’il nous faudrait des effectifs plus nombreux et qualifiés pour pouvoir accompagner avec succès ce genre de caractères, sinon on va droit à l’effondrement physique et à l’échec de toute l’entreprise. J’en arrive à rêver d’être secondé par des jeunes du genre de Xavier à l’époque, qui sont capables de prendre le relais sans que l’on n’ait rien à leur expliquer, sachant s’orienter naturellement dans la problématique ados, des moniteurs de colo expérimentés, tout simplement. Je constate aussi, que je deviens de plus en plus susceptible aux contrariétés, sinon aciâtre, me l’expliquant par les énormes difficultés que j’ai à braver pour mener à bien toutes nos entreprises, donc mes exigences ensuite vis-à-vis de tout le collectif devenant plus grandes, et la demande d’investissement collectif sans pardon pour tous, petits où grands. Donc c’est un peu dans une ambiance de colo agrémentée de la vivacité à toute épreuve de Matej et de sa bande que nous abordons ce séjour danois à Silkeborg. Notre partenaire principal est le Festival de Formes théâtrales au quel participe une trentaine de jeunes de Pologne, Danemark et Slovénie, parmi les quelles – oh surprise, le groupe avec le quel travaille Seb. Se retrouver programmé ensemble dans ce coin quand même pas très fréquenté du Danemark, sans aucune intervention autre que celle du hasard relève du hasard total qui nous sert de règle de conduite. Je ne l’ai appris que vers le milieu de notre séjour, mais d’emblé il m’est venu à l’idée en les voyants, qu’il n’y a que Seb qui manque pour que cette équipe de doux dingues soit au complet. Nos spectacles étaient pour des scolaires et aussi quelques interventions pour tout public. Les réactions habituelles d’engouement, peut-être en peu renforcées par la présence de toutes ces têtes blondinettes qui dénotaient par rapport à nos gamins à nous, et l’harmonie qui résultait de ces rencontres n’en était que plus appréciée.   Du point de vue pédago, Matej a fait l’apprentissage que le spectacle pouvait tout aussi bien se passer de lui. Depuis quelques jours, la fatigue aidant, il devenait capricieux et faisait trop jouer son côté star adulée, donc la meilleure façon de le ramener sur terre était de le faire poiroter pendant que nous étions sur scène. Ce n’était pas forcément évident, car étant peu nombreux, toute absence est ressentie, mais c’était très bénéfique pour le gamin qui s’est un peu remis en place. Le spectacle à effectifs réduits a l’avantage de ne pas offrir de refuge à personne. Nul ne peut se cacher derrière d’autres, chacun doit assumer sa place. Rasto était un des heureux bénéficiaires de cette mise en avant. Cela, on le savait aussi avant, qu’il n’a besoin que d’être valorisé, mais dans un grand groupe on n’a pas le temps de s’occuper des cas individuels. Le résultat est que ces cas un peu spéciaux recherchent par la suite une audience ailleurs, et ils la trouvent la plupart du temps en transgressant les règles, ce qui devient bien sûr pénible à la longue. Donc tout comme Rasto est indésirable, car souvent exécrable en compagnie d’autres ados de son acabit, il est tout à fait praticable en petit comité, servant même d’exemple et entrainant les autres par sa dynamique et sa bonne humeur.  Ceci est aussi valable pour les autres – David, Viktor, etc., mais d’un  point de vue pragmatique, nous devons nous tourner plus vers les petits qui ont une perspective de rester avec nous plus grande et sont aussi plus malléables, que les ados qui sont déjà formés et qui de toutes façons vont devoir partir travailler pour nourrir les familles.  Donc cap sur la bande à Matej qui a fait ses preuves, tous les frères Conka se sont affirmés et confirmés dans leurs talents et aptitudes sur scène en spectacle, comme après spectacle. En effet, la troisième mi-temps du spectacle – l’animation après la production est tout aussi importante, attendue par le public, source de contacts nouveaux et aussi prolongement du spectacle. Dans ce registre il y eut deux soirées mémorables, durant lesquelles Matej, Janka et les autres de Lomnica ont excellés en prenant tout simplement leur pied lors des soirées spectacles d’autres groupes, ou ils se sont complètement lâchés et se sont éclatés à danser à ne plus en pouvoir. Les gens étaient bien sûr médusés, et moi, j’étais heureux qu’Hélène aie pu enfin assister à cela, et j’espère, comprendre ou je veux en venir en préconisant de laisser les mômes aussi faire ce dont ils ont envie. C’était magistral! J’en ai des remords de conscience de les obstruer et limiter avec mes petites mises en scène. Deux séances collectives à la piscine ont complété ce tableau idyllique et la conclusion financière ne nous laissant pas en perte ont parfait le tout. Pour sûr, que cela aurait été pas mal de pouvoir faire un peu de rab, de donner un peu de sous ne serait-ce qu’aux adultes (de toutes façons il faudra leur donner qque chose de notre propre poche car ils n’ont pas de quoi manger). Une image m’est resté du Danemark, c’est le directeur de l’école qui nous a hébergé dans sa salle de gym: ils nous ont laissés prendre notre petit déjeuner à l’heure à la quelle cela nous convenait. Même à midi! Et le Danemark n’en a pas été amoindri pour cela, et la terre a continuée à tourner ! C’est juste pour dire qu’habituellement on fait de ces petits riens des montagnes de sérieux à ne pas transgresser sous peine de rien, bien sûr, sinon de froisser des égos à la dérive des divers protagonistes de règlements de toutes sortes, servant la plupart du temps à rien, sinon de maintenir sur le piédestal de leur propre insignifiance les auteurs fades de ces tristes oukases des temps passés.

Le jour du départ nous avons droit à une représentation privée de la troupe avec la quelle nos amis danois se produisent en outre aussi en Roumanie devant les Roms. C’est un truc absolument loufoque, fait à la base pour donner une occasion de s’épanouir aux handicapés mentaux dont certains d’eux s’occupent. Le tout supporté par quelques pros et talents archi-confirmés. Absolument génial! Décalé, déjanté, efficace. Simple tout en étant très percutant. En tout cas, j’imagine la tête des Roumains en voyant un truc pareil débarquer de l’Ouest chéri chez eux. Très fort ! Très fort d’avoir conçu un spectacle pareil et de l’avoir ensuite exporté à l’Est. C’est un honneur que d’avoir été programmés par ces gens là! En même temps cela fait poser la question de cette fameuse Europe désespérée et rabâchée. Oui, l’Europe c’est ça, c’est nous, des gens ordinaires, des doux dingues avec leurs défauts pouvant jusqu‘à être qualifiés de retards mentaux, comme c’est le cas de nombreux de nos mômes. Que celui qui n’a pas pêché jette la première pierre, que celui qui se croit normal s‘ inscrive d’office au registre des handicapés et invalides...  

 

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