Mai

Nous avons eu une visite express de Charlotte du CCFD. Même si c'était court, on a pu faire le tour de la question... du moins cerner la réalité qui est la nôtre et des problèmes qui sont inhérents à celle-ci. Charlotte a vu l'essentiel, les conditions de vie a l´osada, le ramassage pour les répétitions et la répétition en elle-même. 
Le nerf de la guerre est toujours le même,  le budget d´une répétition ordinaire est env. de 100 eu. 72 euros pour le bus de Rakusy, 20 pour le train de Lomnica, et 15 euros pour Roman (corépétiteur musicien). Au premier abord la somme de 100 euros pour une répétition nous semble excessive, mais si l´on prend en compte qu´environ 50 jeunes participent à la répétition, cela fait 2 euro par personne, et finalement c´est loin d'être excessif (ou alors, dans l´autre sens). 
Nous sommes à dix jours du départ en tournée, et ça ne faillit pas, les revirements de situation sont a l´ordre du jour ou même de l´heure. La particularité de ce départ tient au fait que la participation de au moins 7 filles, danseuses et chanteuses, tient sur la participation de Lubo, qui est leur oncle ou membre de la famille. Si Ľubo vient, elle viendront, s´il ne vient pas, elles ne viendront pas, les parents ont peur de les laisser partir sans surveillance. Ľubo est, hélas, imprévisible. Il a beau jurer un jour que tout est ok, le lendemain c'est le contraire, et ainsi de suite. Au tel. il affirme qu´il n´y a aucun problème, c'est sûr, on peut compter sur lui, puis une minute après il dit qu'il va voir encore s'il aura des commandes ou non, etc...  On a beau parler, s'expliquer, argumenter, il est toujours d'accord, sans savoir de quoi la minute suivante sera faite. 
Le pire, c´est d´etre dépendants de quelqu´un. C´est la certitude d´une catastrophe assurée. On essaie de prévoir plusieurs alternatives, mais c'est loin d'être évident, nous n'avons pas de surplus d'effectifs capables de partir et de tenir sur scène le programme, sans parler des pièces d'identité qu'on n'aurait plus le temps de faire faire. Et pendant ce temps résoudre les problèmes de logistique, loin d'être évidents, on ne sait pas ce que l´on va trouver comme matériel au château de Buno, il faut essayer d´anticiper... Et les finances, ce n´est même pas la peine d´en parler... La subvention de la Dilcrah n´est pas passée, il est question de lancer une collecte sur le net, ce qui est tout ce qu´il y a de plus aléatoire...
Nous avons eu une réunion avec les jeunes de Rakúsy, les filles sont dépendantes de la participation de Ľubo, car sans lui les parents ne les laisseront pas partir en tournée. Et Ľubo, fidèle à lui-même, un jour c´est oui, pour annoncer le jour suivant qu´il a des commandes (il est le meilleur coiffeur rom dans les larges environs) et que tout compte fait il ne partira pas. Il y a des filles qui disent qu´on les laissera partir sans lui, d´autres que non... 
Bref, c´est pas simple, et plutôt compliqué, et ce sera comme ca jusqu´au jour du départ, ou plus exactement jusqu'à la minute du du départ, c.a.d., qu´on connaitera vraiment les participants qu´une fois le bus sera en route. Malgré tout, il faut aller apporter les lettres d'excuses aux écoles, pour ne pas le laisser à la dernière minute. Heureusement, nous avons d'excellents rapports avec les directrices des différentes écoles, elles connaissent parfaitement la situation, je rectifierais les noms des partants au moment du départ. 
Nous sommes allés récupérer les cartes d´identité avec la mère de Veronika et Terezka et celle de Tomas. Autant Anička, la mère de deux filles est coopérente, elle n'est pas là à demander sans arrêt quelque chose, celle de Tomas, c´est tout le contraire. J´ai beau venir la chercher en voiture, elle se plaint déjà qu´elle n´a pas eu le temps de boire son café et fumer sa cigarette. Il est pourtant 11 h... Et elle n´arrete pas de dire que Tomas n´a rien à se mettre sur lui, et bien sur, comment qu´elle va rentrer, elle n'a pas les 50 centimes nécessaires pour le train. 
Pour couronner le tout, comme il fallait s'y attendre, les parents des filles de Rakusy passent à l'attaque, leurs filles n ́ont tout à coup plus rien, pas de sous vêtements, pas de shampoings, pas de chaussettes, bref, elles ne peuvent pas partir comme ca...! Helena pique une crise, si c´est comme ca, elles n´ont qu'à rester à la maison, on ira sans elles ! 
Bref, c'est le même scénario, immuable, de tous les départs en tournées qui se met en place. Les parents ne se soucient pas où vont partir leurs enfants, comment ils vont partir, avec qui, etc., mais le souci principal est de tirer profit de la situation et de nous obliger à débourser quelques sous pour acheter des choses dont ils n'ont même pas un besoin crucial. En parlant le language d´aujourd´hui, on dirait que c´est pour le "fun". Il serait absolument inutile de leur expliquer nos problèmes, le trou abyssal de notre budget, d'ailleurs, nous l´avons déjà fait tellement de fois, sans résultats probants... La misère, séculaire, générationnelle, fait que certaines choses ne peuvent pas passer. 
Il faut se donner un ordre de priorités et agir en fonction. La priorité, ce sont les jeunes, ce serait bête de les priver d'une chance exceptionnelle à cause de leurs parents. Les parents, on ne les changera pas, ca, on le sait, alors on va essayer de tout faire pour que les jeunes puissent partir, mais sans se laisser faire, ni sans perdre la face...A cela il faut quand même aussi ajouter que nous avons des productions de spectacles à assurer, et que pour ce faire, il serait préférable que nous soyons au mieux, au complet, avec tous ceux avec lesquels nous avons travaillé ces derniers mois, pour être prêts au top.
 
La collecte vient d'être lancée. C'est Lény de la Fnasat qui l'a rédigé. Les dés sont jetés... 
 
Nouvelle visite des urgences. Cette fois-ci c´est avec Romanka, la fille de Roman, 4 ans. Elle s´est fait mordre la nuit dernière par un rat. Vers 3h du matin Roman a du s´endormir, et il n´a pas eu le temps de chasser les bestioles qui viennent rôder dans leur cabane, comme il le fait chaque nuit. Ils se sont réveillés sous les cris de la petite, qui pleurait, tout en sang. Heureusement que c'était juste une petite morsure sur le bout du doigt, mais c'est quand même très dangereux à cause des infections possibles, alors la visite aux urgences s´imposait. Nous y sommes allés le lendemain, Romanka a été orientée aux urgence des traumatismes, on lui a nettoyé la blessure, donné un pansement et dit d´aller voir son médecin pour vérifier le calendrier des vaccinations (qui n'est certainement pas à jour). Les médecins ont été gentils, ils ont même offert des bonbons à la petite. 
Lorsque Roman est sorti de la clinique, il avait en main un récépicé, qu´il a signé, comme quoi il n'a pas payé les 10 euros obligatoires pour les soins. Il faut qu´il règle sa dette au plus vite, sous peine de poursuites pénales. Je lui ai donné un billet, et il est allé payer son dû. Il n´y a pas à tortiller, c'est le même barème pour tout le monde, la loi doit être respectée par tous. Tout le monde a les mêmes avantages, mais aussi les mêmes devoirs. C'est l'égalité à tous les niveaux, même pour ceux qui se font mordre par les rats la nuit dans leurs cabanes. 10 euros. Bien entendu, il ne viendrait pas à l'idée de personne de ne pas payer ou de contester quoi que ce soit, d'ailleurs c'est très bien d'avoir accès à une médecine accessible à tous. Mais que l´on soit traité de maniére égalitaire si on se fait mordre par un rat, ou plutôt, que le fait qu´un gamin se fasse mordre par un rat, ne pose apparament pas de probleme, c´est un patient comme un autre... cela pose problème quand même. Une égalité avec un très large périmètre, qui englobe tout le monde, tout en en excluant certains...
 
Nous sommes vendredi, à 5 jours du départ. Les filles emportent les costumes chez elles pour les passer à la machine à laver. Ľubo a promis de le faire, mais apparemment il n'a pas eu le temps. Hier il jurait de partir en tournée avec nous, car la participation des filles dépend de sa participation à lui. Mais on apprend aujourd'hui qu´il doit se faire opérer la semaine prochaine de la colonne vertébrale... Sans commentaire. Les filles disent, qu' à part la plus jeune, elles partiront même sans lui, alors ne reste qu'à voir venir...
 
Pas de nouvelles de Roman, qu´on a pourtant vu tout au long de la semaine dernière pour de multiples et diverses interventions (urgences, etc). C'est sa spécialité, de s'évaporer une fois qu'il n'est plus dans l'urgence immédiate. Alors pareil, ne reste qu'à voir venir...
Cela n´ajoute pas à la sérénité d´avant le départ. Roman est un élément fondamental de notre grand orchestre de deux musiciens. Étant conscient des réalités, je me suis adapté aussi à une formule sans lui, en assurant musicalement que tout seul, mais accompagner musicalement notre spectacle uniquement à la balalaïka, qui n´est pas un instrument harmonique, ni très puissant, est plutôt périlleux. Nous n´avons pas d´autres musiciens capables d´assurer musicalement notre programme qui en grande partie tient sur la musique, qui doit être irréprochable dans son exécution, d´un niveau professionnel et qui ne s´acquiert qu´avec des années de pratique. Roman en est l´exemple par excellence, il a un niveau musical extraordinaire, puisqu´il est avec nous depuis ses quatre ans, et il jouit aussi d´un talent naturel, grâce aux prédispositions qu´il a, venant d´une famille de musiciens. Donc sans lui ce serait beaucoup plus dur pour moi, ainsi que pour les autres, alors ne reste qu´à espérer qu´un événement imprévu ne vienne contrer sa participation à la tournée. 
 
Il est le plus grand temps de finaliser la liste des participants pour les demandes de congés aux écoles (ça change tous les jours). A part l ́histoire des filles avec Ľubo, il y a aussi les demandes pressantes de l ́achat de tout et n ́importe quoi de la part des parents. On fait front, on a de quoi assurer le nécessaire (des baskettes), ceux qui ne sont pas contents n'ont qu'à rester à la maison.
Un cas de conscience. Marek, le Gendarme. Marek, dont le pere purge la peine maximale à cause du meurtre qu´il a commis quand le gamin est né, il y a maintenant de cela une quinzaine d´années. Marek, ou le Gendarme, comme tout le monde l'appelle (le même sobriquet que celui de son père emprisonné), est un jeune pas très facile à gérer. Il a été élevé par sa grand-mère, il est capricieux et imprévisible. Nous, on le mène un peu à la dure, aucune exception, il faut absolument qu´il respecte toutes nos règles, sinon on n´y arriverait pas. Mais cette fois-ci son oncle, Jakub, ne part pas avec nous. D'ailleurs il a décroché depuis quelque temps, ce qui est normal, il est déjà adulte et il doit partir travailler, donc ne pourra pas venir avec nous. Mais amener avec nous le Gendarme sans quelqu'un de sa famille pour le surveiller au plus près nous paraît périlleux, et on craint de s'embarquer dans cette aventure. Ca nous fait de la peine pour le gamin, on ne sait pas encore quelle décision on prendra...
 
Nous sommes samedi après-midi. Roman appelle, il s'excuse pour hier, son beau-frère leur a rendu visite, il était ivre et voulait se battre, alors il a fallu que Roman le raccompagne à la maison, et il n'a pas eu le temps de venir à la répétition. On ne sait pas comment gérer l'absence de Roman, lorsqu´il partira en tournée avec nous, du moins c'est ce qu'on espère. Que faire avec Veronika et ses 4 enfants en bas âge. La laisser à Lomnica, dans la cabane aux rats, ou l'amener à Stiavnik, chez ses parents, ou apparemment ce n'est pas très tranquille, et les bagarres sont à l´ordre du jour... Un jour c´est Lomnica, le lendemain de nouveau Stiavnik qui prend le dessus, mais ni l´un ni l´autre sont loin d'être idéals...
 
Dominik nous envoie un message demandant de le rappeler. En général ça ne présage rien de bon. En effet, de nouveau, les filles ne partent pas. Elles ont lavé les costumes, mais une fois de plus, c´est la panique, Ľubo ne part pas à cause de son histoire de colonne vertébrale, alors elles non plus, elles ne partiront pas. Coup de fil à Ľubo. Il nous apprend qu´il a eu un accident de voiture la semaine dernière, qu´il n´a rien dit pour ne pas faire peur, et qu´il doit passer un contrôle médical le 14, pour vérifier si tout est ok. C'est bizarre comme histoire, peu vraisemblable, car s'il aurait eu un accident, il aurait été impossible de le cacher, tout le monde l'aurait su... Il a pris sur lui la responsabilité de la participation des nouvelles filles, qui sont presque toutes de sa famille, et maintenant il y a un revirement de la situation chaque jour, ce qui nous pose un sérieux problème, car nous n'avons pas de remplaçantes. Cela ne fait que confirmer ma théorie, qu´il faut toujours avoir un gros surplus d'effectifs, pour éviter ce genre d'histoires. C'est pourquoi je fais des grosses répétitions, avec plein de monde, sachant que ce n´est que comme cela qu´on peut s´en sortir. Cette fois-ci nous n´avons pas procédé de la sorte, et nous en sommes pénalisés, nous nous retrouvons dans une situation catastrophique. Si encore hier, vendredi, les filles auraient annoncées la couleur, nous aurions eu le temps de faire faire les cartes d ́identité à d ́autres, mais là, samedi, c'est trop tard, même en procédure accélérée, il faut deux journées travaillés pour faire établir une carte d ́identité, donc si nous entamons la procédure lundi matin, elles ne seront prêtes que le mercredi, le jour de notre départ, mais on ne sait pas à quelle heure exactement. Cela peut être dans la matinée, comme en début d'après-midi. Et nous devons être à Prague en fin de journée pour donner un spectacle à 19h.
Bien entendu, ces histoires ont de quoi nous rendre fous. Nous nous donnons un mal incroyable pour réaliser la tournée, les subventions ont failli, il faut trouver des solutions de rechange, assurer la logistique, le transport, l'hébergement, la restauration... sans parler qu´on a travaillé dur avec leurs enfants pour leur apprendre les rudiments du spectacle, de la bonne conduite, les bases de la sociabilité... Et les parents sont non seulement complètement absents de ces processus, mais sont totalement contre productifs, en fait ils sabotent tout, ne prenant d´ aucune sorte en considération nos efforts et notre engagement envers leurs enfants. 
Mais c'est comme ça à chaque fois. Le poids néfaste de toute la communauté, qui suit de très près ce qui se passe, et se délecte à rendre impossible notre entreprise, est un poids titanesque, une force centrifuge, qui ne veut pas que quelques individus s´extraient de cette fatalité collective, qui unit tout le monde dans le même malheur, le même destin à tout jamais immuable... 
De l'extérieur, il semblerait qu'il suffirait de parler aux parents, de leur expliquer... Ici, ce n´est pas le cas, ce n'est pas pareil. Les parents ne sont pas comme ceux de la majorité. Les parents sont conditionnés par la misère générationnelle dans laquelle ils vivent depuis toujours, ils ne voient que l'effet immédiat, l'avantage qu´ils pourraient tirer de la situation, le gain immédiat, coute que coute. Leur communication verbale est très basique, des concepts un peu plus élaborés, tels que le bien être de leurs enfants, leur évolution, leur développement positif, sont inabordables, car inconcevables... dans un tel environnement social. 
Jusque là on s'en est toujours sorti, on verra bien cette fois-ci... 
En attendant on continue a préparer le voyage, les sacs de couchage sont prets, les provisions de nourriture pour les premiers jours aussi. Il faudra encore apporter les demandes d´absences aux directeurs des écoles des jeunes, a condition de savoir qui mentionner dessus...
 
Mardi
Mystères du départ
Vient le week-end d´avant le départ. Mystère et bulle de gomme… Ľubo est inatteignable, il doit être en train de concocter ses créations hyper baroques avec le géno-fond chevelu de la gent tzigane de Kežmarok et ses larges environs, et à trois jours du départ, de nouveau, c´est black out complet sur notre départ. De nouveau, les filles ne partent pas, on cherche désespérément des solutions de replie qui ont de la peine à se manifester. Non, les quelques filles susceptibles de partir, à part celles de Lubo, n´ont pas de cartes d´identité, et il est trop tard pour en faire établir de nouvelles. Terezka, à qui on en a fait faire une il n´y a pas longtemps, n´est pas bien en forme, depuis qu´elle s´est fait mordre par un tique, elle ne va pas très bien, il faut absolument que sa mère l´amène chez le médecin. J´ai été avec elle aux urgences il y a une dizaine de jours, mais ça ne suffit pas. Et il n´y a personne actuellement dans la capacité de partir avec nous sur le champ, à cause des documents, principalement. 
Vers midi nous appelle Valentina, une danseuse de Rakusy, nous réussissons à parler avec sa mère, elle nous affirme qu´elle laissera partir sa fille avec nous, ainsi que les autres mères, elles ne vont pas tenir compte des ragots que fait courir Lubo et d´autres, comme quoi c´est du n´importe quoi pendant les tournées, qu´on ne fait pas attentions aux filles, et que les noirs vont les enlever… On se met d´accord, que le lendemain, lundi, elle viendront toutes à Kežmarok, et qu´on va débattre de tout ça tranquillement. Voilà une bonne nouvelle. On charge Domino d´organiser le tout, de les amener en bus, je les ramènerai ensuite en voiture.
Le lendemain nous sommes à Kežmarok, à attendre tout ce petit monde. Et personne ne vient. Il n´y a que Domino et quatre filles. Les mères n´ont pas pu venir. Une devait garder son petit, l´autre n´avait pas de chaussures, et la troisième est allée faire des courses… Et pourtant Domino était là, prêt à les ramener. Helena amène quand même les filles au magasin chinois acheter quelques sous-vêtements, chaussettes et des baskets, tout ce qui a de moins cher, pour qu´elles aient de quoi se mettre sur elles au cas ou elles partiraient, ce que l´on espère toujours. En plus Domino a utilisé l´argument absolu, si les parents ne laisseront pas partir leurs filles, ils n´ont qu´à préparer l´argent qu´ont coûté les cartes d´identité et les extraits de naissances que nous avons payé. Il passera prendre le tout pour nous rendre l´argent demain.  Apparemment, cela a fait son petit effet, et tout le monde semble maintenant plus conciliant. 
Donc mardi, à un jour du départ, de nouveau, les filles sont prêtes au départ. Lubo nous envoie un sms, comme quoi il part aussi, sa colonne vertébrale est ok, et avec lui aussi toutes les filles, au nombre de 7.
Pendant ce temps nous faisons les provisions pour la route, Helena cuisine des boulettes de viande pour la route, moi, je passe voire les directrices des écoles pour leurs donner la liste des futurs absents. Heureusement, elles sont très coopératives, et elles comprennent que je n´aurai la liste vraiment complète, qu´une fois que nous serons partis. 
 

TOURNÉE DE PRINTEMPS

Mercredi
Départ
Le mercredi le départ est fixé à 8h du matin. Roman, un nouveau de Rakusy doit encore passer au bureau municipal pour retirer sa carte d´identité, on l´enjoint d´y aller encore avant l´ouverture, pour être le premier à passer, pour qu´on ne prenne pas de retard, Domino l´accompagnera. Il arrive à obtenir sa carte d´identité dans les temps, mais nous recevons un coup de fil du père de Valentina, son passeport n´est pas encore prêt, il ne le sera que dans le courant de la journée, peut-être. Nous ne pouvons pas attendre plus, on doit être à Prague en fin de journée pour le spectacle, il faut partir. On ne sait pas pourquoi les parents de Valentina lui ont fait faire un passeport et pas une carte d´identité. Le passeport coûte plus cher, et prend plus de temps. C´est Lubo qui avait la charge de gérer tout ça, et voilà le résultat. Comme quoi déléguer n´est pas toujours la solution la plus efficace…Si le passeport arrive avant midi, elle pourra nous rejoindre encore à Prague par train, mais il n´y a pas beaucoup d´espoir que cela puisse se réaliser.
Ce n´est pas le bus qui était prévu qui vient nous prendre. Celui qu´on avait contracté est tombé en panne la veille, parait-il, et il a fallu trouver une  solution de rechange à la dernière minute. C´est le transporteur qui s´en est chargé, mais on n´aime pas trop ça, des histoires invraisemblables. Hélas, les transporteurs sont dans la majorité des cas pas trop fiables, toujours à se lamenter des coûts d´entretient de leurs véhicules, du prix de l´essence, etc., ils nous font payer des sommes monstrueuses, et la qualité du service ne correspond pas toujours aux prix qu´ils nous font subir. Leur spécialité, c´est de créer des situations dont ils apparaissent comme des sauveurs à la dernière minute, donc nous devons leurs être redevable, donc heureux de payer et en redemander… Bien entendu, à 5 minutes du départ on n´a pas le choix, heureux encore qu´on ait avec quoi et qui voyager.
Le trajet jusqu´à Prague se passe sans problèmes. A Zilina, à 200 km de chez nous, nous embarquons Tomas et Stefan, qui tous les deux travaillent à Bratislava, et ont réussi à prendre des congés pour venir avec nous. Tomas travaille dans une chaîne de pâtisseries, et son chef nous a envoyé une cinquantaine de sandwichs pour la route comme sponsoring. Plutôt sympa de sa part, d´autant plus qu´il ne nous connaît pas. Apparemment Tomas doit être un bon employé. Les sandwichs sont avalés sur les champ, et on poursuit en direction de Prague. 
 
Prague
Initialement il était prévu que nous arriverons vers les 17h, pour avoir le temps de manger et attaquer le spectacle à 19h, mais nous sommes sur place qu´un peu avant 19h, alors on inverse, on fera le spectacle d´abord, et on mangera ensuite.
L´endroit est du genre de ceux qu´on classe dans la catégorie des alternatifs. Un lieu de spectacles et d´événements organisés et programmés par une équipe de jeunes en liaison avec la municipalité du quartier. C´est une espèce de cour d´immeubles anciens, remplie de cafés avec des terrasses, avec une clientèle plutôt cosmopolite, attablée à siroter des bières et des jus de fruits cosmopolites, cela va de soi. Notre espace scénique consiste en la cour cimentée de cette mini-agglomération urbaine. Hélas, ce n´est pas un endroit enfermé sur lui même, l´acoustique est nulle, le sol pas très droit, une bouche d´égouts trône en plein milieu de ce qui doit être notre scène. Martin, qui est notre relai sur place, a mis deux grosses enceintes en hauteur sur des pieds surélevés, cela risque de faire une sacré disproportion au niveau de l´amplitude du synthé et du reste du groupe, il essaie de brancher encore deux micros, un pour le chant de Roman et un pour ma balalaïka. Bref, que des éléments pas très enthousiasmants au niveau du son, mais il y a de la bonne volonté, et ce n´est pas la peine de tenter quoi que ce soit. On poireaute pendant ce temps à attendre les réglages, alors j´y vais de mon couplet, et j´apostrophe les spectateurs assis dans les trois rangées de chaises diverses devant nous, pour leur expliquer un peu, de manière informelle, qui est quoi, et surtout pour faire passer le temps. Le public est composé de gens très divers, d´âges divers, d´origines diverses. Il y a tout d´abord nos amis archis fidèles de longue date, nos relais pragois, Karla et Jarda Vladíkovi, il y a aussi Honzo, un pote des temps anciens lorsque j´étais sherpa dans les Tatras, et puis un peu de tout, quelques Roms, dont une journaliste du romea.cz, un journal en ligne rom tchèque, qui me posera quelques questions après le spectacle. 
Nous attaquons relativement allégrement, les heures de voyage ne sont font pas trop sentir, mais il est évident que certains, notamment les filles, en sont à leurs premiers balbutiement sur scène, elles ne peuvent pas encore avoir le sens du spectacle, de la scène, elles n´arrêtent pas de me regarder pour savoir ce qu´elles doivent faire. Tout reste encore à faire, et tout sera fait le temps de la tournée. Et puis il y a Petra, qui bien qu´étant une ancienne, s´est abstenue de venir aux répétitions les quelques derniers mois et qui fait carrément tout à l´envers… On l´a prise avec nous car avec les histoires de Lubo et les passeports on ne savait pas s´il y aura des filles au départ, mais au niveau du n´importe quoi sur scène, elle met le paquet. Heureusement, Stefan et Tomas qui nous ont rejoint sont de vieux routards du spectacle, ils font partie du groupe depuis plus de 15 ans, alors on arrive à sauver les meubles et à donner une production honnête, comme on en a l´habitude. Les spectateurs suivent, ne rechignent pas à se laisser entraîner dans nos rondes dansantes,  et c´est un spectacle bon enfant qui se déroule sous les yeux des spectateurs et qui ravit tout le monde. Après la fin, cela ne fait que continuer. Pratiquement sans interruption, les jeunes continuent à jouer et à chanter, rejoints par quelques musiciens amateurs qui se trouvaient parmi les spectateurs, et qui ne demandaient que cela. Heureusement que Roman est là, et il se prête volontiers à ce petit jeu. Nos nouveaux collègues sont des chercheurs et professeurs en linguistique ou autres  domaines savants des sciences universitaires, ils aiment vraiment faire de la musique, cela se voit tout de suite, et c´est une petite jam session à la tsigane qui se déroule dans la plus pure tradition de l´improvisation pour le seul plaisir de jouer ensemble. Un des organisateurs est aux fourneaux en nous servant des grillades et des boissons, on papote les uns avec les autres, on fait connaissance, on retrouve de vieilles connaissances, le tout est très décontracte et très sympathique. Vers dix heures du soir nous plions bagages, et nous rejoignons notre bus pour poursuivre la route. 
Jeudi
Château de Buno
Le trajet se passe sans problèmes particuliers, on réussi même l´exploit de trouver le Château de Buno du premier coup, sans se perdre dans les champs et les petites bourgades de l´Essonne profonde, comme de tradition à chaque fois que nous débarquons ici. A vrai dire, je ne pensais pas que nous nous retrouverons de nouveau un jour en ces lieux. Il y eut tout une époque, 4 ou 5 ans, lorsque nous avons pleinement profité de cet endroit magique, en y séjournant fréquemment, parfois même plusieurs fois par an. Cela nous a énormément aidé, réduit nos dépenses hébergement, nous avons pu non seulement loger dans cet endroit hors du commun, mais aussi y mener des résidences, des ateliers, lorsque des jeunes Roms et migrants de tous horizons venaient nous rejoindre, par les bons soins des Intermèdes Robinson. 
Les résidences et les séjours au Château de Buno étaient tout simplement magiques. Hors temps, hors réalité... surréalistes, pour tout dire. Déjà, se retrouver dans cet endroit réservé par définition à des seigneurs, des châtelains, et non à des manants, de surcroît tsiganes, venant des contrées lointaines, débarquant sans s'annoncer ni crier gare... Et reçus comme des seigneurs, véritables châtelains le temps d´un séjour comme sur une autre planète, et pourtant, nous ne sommes pas des extraterrestres, mais tout simplement des humains, des vrais humains comme Vincent, le propriétaire de ce château, qui nous reçoit les bras ouverts.
Et là, de nouveau par un coup de magie, lorsque l´hébergement sur le quel nous comptions, l´Auberge Municipale de Saint Denis, est tombé à l´eau, à un mois du départ, un coup de fil à Vincent, le propriétaire du château, a tout résolu. Je l´ai appelé dans les 5 minutes qui ont suivi l´annulation de l´Auberge, sans grand espoir, puisque je savais que depuis pas mal de temps le château n´était plus disponible comme avant, Vincent a changé de formule, et là, Vincent me dit que justement hier, les locataires qui ont loué le château pendant 2 ans, viennent de partir, et que c´est bon, on peut venir quand on veut ! Si ça, ce n´est pas du miracle… ! Sans cette opportunité inouïe nous n´aurions pas pu partir en tournée, d´ailleurs même si le plan initial avec l´Auberge de la Municipalité de Saint Denis aurait marché, nous n´aurions pas pu partir, car nous n´aurions pas de quoi payer l´Auberge, puisque la subvention demandée par Les Enfants du Canal à la Dilcrah a été refusée, ce que nous avons appris que quelques jours avant le départ prévu. 
Donc, nous revoilà, de nouveau à l´entrée de ce château magnifique, d´un autre âge, mais en parfait état de marche, qui nous accueille les bras ouverts, c.a.d. le portail et les portes grandes ouvertes, car on ferme jamais à clef ici, il n´y a pas de gardien ni de concierge, personne, à part le bon esprit de ce château pas hanté, et cet esprit, c´est celui de Vincent, ne venant pas de l´au-de-la, mais bien réel et vivant, plein d´une générosité tout ce qu´il y a de simple et direct, vous avez besoin de loger quelque part, alors venez, faites comme chez vous…
Isabelle, avec deux bénévoles des Intermèdes est déjà sur place, elles viennent d´arriver, en nous apportant des provisions, du matériel de cuisine, et surtout, une vingtaine de matelas gonflables, car le château n´ayant plus fait office d´accueil depuis quelques années, les objets de base faisaient défaut. Ce qui fait que nous avons renoués par la même occasion, non seulement avec Vincent et son château, mais aussi avec les Intermèdes Robinson, avec les quels nous avons fait beaucoup de choses, et puis les rapports se sont détériorés, jusqu´à se rompre pratiquement complètement. Donc ce n´est pas plus mal que de reprendre, on n´a pas le temps pour de grandes explications, beaucoup de choses ont changées chez eux, notamment au niveau du personnel, Laurent, l´ancien directeur de l´association et Abdel, son bras droit ne sont plus là, on en parlera plus tard... 
La répartition se fait sans mal, on mettra finalement les chauffeurs à l´étage, à côté des garçons, car la petite chambre qu´on leur réservait d´habitude en bas, pour qu´ils soient un peu à l´écart, est trop humide, il ne fait pas trop chaud pour un mois de mai. Ce qui fait que tous les gars seront au second étage, sous la surveillance de Stefan, Tomas et Domino, et les filles seront toutes dans une grande chambre, juste à côté de nous, au premier étage. Nous sommes un peu moins nombreux que d´habitude, une vingtaine au lieu de la trentaine, voire quarantaine certaines années, et ce n´est pas plus mal, il y a de la place pour tout le monde dans les chambres, on n´a pas besoin de mettre des matelas dans les couloirs. Le baby foot qui trône dans le vestibule du premier étage fait le bonheur de tous, de même que toutes les provisions que nous avons apportées de chez nous, avec en tête de liste les soupes chinoises, dont nous avons quatre grands cajots. Chacun prend ses aises, et découvre ce magnifique lieu qui nous accueille, et qui, compte tenu des réalités qui sont celles de la plupart de nos jeunes, qui habitent dans des conditions plus que précaires, il faut bien le dire, des bidonvilles, donc ce lieu relève du surnaturel, du magique, surréaliste est peu dire…
Heureusement, le château n´a pas trop changé durant les quelques années qui viennent de passer, si ce n´est en mieux, car maintenant il n´y a personne à part nous. Vincent n´y habite plus, et ses bureaux, avec ses secrétaires ont changés d´adresse, nous n´avons plus à être aux aguets au moindre bruit comme ce le fut lors de nos derniers séjours, maintenant c´est du gâteau, tout est parfait, dans le meilleur des mondes… Ce mois de mai est plutôt frais, nous avons bien fait d´apporter avec nous tous nos sacs de couchage, personne n´a à craindre le froid, ni la faim d´ailleurs, nous avons fait ce qu´il faut au niveau des provisions, il y a de quoi pallier aux petits, et même grands creux. Avec Isabelle nous nous sommes mis en vitesse d´accord sur le programme du lendemain, nous irons sur le terrains des Roms à Massy, dans le quel ils interviennent avec leurs ateliers une fois par semaine. Toujours sur le coup de l´excitation du voyage, l´énergie débordante de tous les côtés, nous enchaînons deux répétitions de suite, ça ne fait pas de mal à personne, évacue le trop plein d´énergie, et des mises au point au niveau du répertoire, on en a le plus grand besoin. Les répétitions sont entrecoupées  de pauses ravitaillement, on liquide les provisions de boulettes de viande, dont Helena a fait une bonne réserve pour le voyage et elles tombent à point pour cette première soirée au château, comme ça on  a pas à faire la cuisine dès le premier soir.
Vendredi
Le camps de Massy
Nous sommes attendus à Massy pour les 15 heures. Il y a un ravitaillement de prévu sur place, mais on préfère nourrir nos troupes avant le départ pour tenir le coup sur place, il y aura de l´énergie à dépenser. Nous optons pour un menu spaghettis, sauce bolognaise. On a tout ce qu´il faut pour. Comme c´est une recette simple et pas chère, nous avons acheté de quoi faire encore chez nous.  Isabelle doit nous attend à Chilly Mazarin, accompagné de Zirona, une de leur stagiaires roumaines qui fera le relais au camp et servira de traductrice en roumain et rom. Il y a avec eux un autre de leurs employés, et ils trimbalent un énorme générateur, pour fournir de l´électricité sur place pour notre synthé. Nous embarquons le tout dans notre bus et partons vers Massy. Sur place, comme toujours,  problème pour se garer, on fini par trouver une place pas trop loin, et nous allons à pied en direction du camps des migrants roms dans le quel les Intermèdes interviennent avec leurs ateliers d´éveil à raison d´une fois par semaine depuis pas mal de temps. L´endroit et tout ce qu´il y a de typique dans son genre, c´est un bidonville situé en dehors de la ville, à la périphérie de la zone industrielle, et bien entendu, sous une rocade d´autoroute, dans la pure tradition de ce genre de localités. 
L´accès se fait directement sous la rocade, il faut monter une pente assez ardue, heureusement les Roms ont taillées des espèces de marches pour la monter, mais c´est une épreuve physique quand même, surtout pour une des accompagnatrices des Intermèdes qui n´est plus toute jeune. Comme d´habitude, je pars le premier, en éclaireur, avec Zirona, pour repérer les lieux et les gens. Rien à signaler, on nous attend, on peut venir. Tout le monde me suit, on débarque comme on a l´habitude, un peu à l´improviste, comme si rien n´était. Tous nos jeunes viennent des bidonvilles, alors ils ne sont pas impressionnés le moins du monde, ils sont comme chez eux. Les Roms sur place sentent bien cette connivence naturelle, et les rapports spontanés s´établissent instantanément. 
Quelle surprise de retrouver parmi les habitants Ronaldino et Ionuts, qui ont fait partie de notre troupe il y a dix ans, lorsque nous intervenions au camps de Champlan, et à l´époque ils sont même partis en tournée avec nous. Maintenant ils sont pères de familles, ils nous montrent leurs petits derniers, et se joignent instantanément à nous.  Ce sont des retrouvailles vraiment émouvantes. Les grands gaillards qu´ils sont devenus sont tout émus, visiblement, tout comme nous, surpris et heureux de nous retrouver après tant d´années. A l´époque, lorsque nous sommes venus pour la première fois au camps de Champlan, je n´aurais jamais imaginé qu´il y aurait une suite à notre intervention. Ce premier contact était dans un contexte particulier. 
C´était en 2014, lorsque nous venions pour les concerts à l´Olympia avec les Ogres de Barback, et nous étions accompagnés par une équipe de tournage, qui a ensuite réalisé le fameux reportage d´Arte de 58 minutes, avec tous les détails de la tournée, d´avant la tournée chez nous, l´Olympia, les camps, etc. Et l´intervention au camps de Champlan y figurait aussi. Au moment du tournage je me sentais pas très à l´aise, ça me gênait de venir au camps uniquement pour faire des images pour la caméra, cela me semblait de l´abus par rapport aux gens sur place. Mais je comprenais que le reportage était très important, c´était une occasion unique de montrer notre action au grand public, de montrer que ce genre d´endroits existent, et de plus, nous intervenions régulièrement dans les camps, alors je me suis dit qu´il faut faire cette intervention, même s´il ne devrait pas y avoir de suites. Et finalement la vie a fait qu´il en est devenu tout autrement. A Champlan, nous y sommes revenus par la suite plus d´une fois, nous y avons fait des ateliers surréalistes (toutes les interventions dans les camps relèvent du surréel, mais à Champlan encore plus qu´ailleurs), nous avons fait connaissance des familles, et Ronaldino et Ionuts, plus quelques autres, étaient parmi les premiers des camps roumains à partir avec nous lorsque nous étions en tournées en France. Il n´y a pas eu de suite, car il ne peut pas y en avoir. Ces camps sont constamment détruits, rasés, les habitants et leurs enfants fraîchement scolarisés, chassés, se déplaçant au hasard et au grès d´autres endroits invraisemblables, dans les quels ils s´installent, en attendant les prochains bulldozers… Mais, à Champlan, comme dans d´autres camps, nous avons fait connaissance avec des jeunes, des parents, des enfants, la plupart sans les revoir par la suite, du moins dans l´immédiat, mais tous se souviennent de ces rencontres. Nous le voyons par exemple sur ces fameux réseaux sociaux, ils nous suivent, un autre horizon s´est ouvert à eux, tsigane, dans le quel ils se reconnaissent, et pas fait uniquement de la misère de leur quotidien. Le hasard de nos spectacles non prévus longtemps à l´avance nous fait aussi rencontrer, souvent des années après, ces anciennes connaissances, toujours dans l´émotion et l´amitié. Combien de fois on nous a dit : vous m´avez fait sentir d´être fière d´être tsigane… Pareil cette fois-ci avec Ronaldino et Ionuts. Ils sont tout gentils, attendris de nous revoir.  On voit bien la différence par rapport à leurs compagnons, qui n´ont pas eu cette expérience de partager un moment de vie avec nous. Ils sont plus sur la défensive, habitués uniquement aux rapports de force avec le monde extérieur, agressif, sans concession. Ronadino et Ionuts ont vécu autre chose. Juste quelques jours, deux ou trois semaines en tournée dans leur enfance, et des années après ça laisse des traces. On le voit, c´est clair et évident. 
Bien sûr c´est une grande satisfaction et un immense plaisir pour nous. Car à l´époque, comme maintenant d´ailleurs, on n´est jamais certain de ce que vont donner ces actions ubuesques et utopiques que nous menons. Parfois on voit même tout en noir, le quotidien au jour le jour n´est pas toujours très engageant, loin de là. Et puis viennent des éclaircies, comme aujourd’hui, à Massy… on reprend de l´énergie pour la suite, et on se dit que si c´était à refaire, on le referait à l´identique. Que faire d´autre… ?!  D´autant plus, que outre la joie et le plaisir de retrouver nos anciens compagnons, le constat cruel est que dix ans après, ils se retrouvent au même point qu´alors. Que ces jeunes adultes, maintenant pères de famille, ont vécu toute leur vie dans des conditions des bidonvilles d´un autre âge, sur un subcontinent européen de misère inéluctable, inextricable… Et ils ne sont pas des voleurs, ni des trafiquants, ils travaillent, mettent leurs enfants à l´école, quand ils peuvent, quand ils ne sont pas de nouveau chassés ailleurs, à côté. Ils rêvent leur rêve européen de se construire une maison en Roumanie, avec des petites tourelles, d´avoir une grosse voiture, et ils vivent toujours dans des cabanes rapiécées, comme celle, que me montrait, tout fier, Ronaldino. 
 
Le générateur´que nous avons à grande peine monté jusqu´au camp, ne marche pas. C´est toujours, pareil, lorsque nous allons dans ce genre d´endroits, on nous promet de l´électricité, il y a de la bonne volonté, et puis il y a quelque chose qui cloche, et il n´y a plus de jus… Finalement pour nous peu importe, ce n´est pas vital, juste un peu embêtant, mais pour la vie au quotidien ici ça doit être bien plus grave. On commence quand même avec l´accordéon édenté que nous avons heureusement quand même apporté avec nous. Ce n´est pas génial, car cela manque de décibels, qui sont partie intégrante de toute manifestation musicale digne de ce nom chez les Roms. 
Mais la sauce prend quand même, un des Roumains se joint à nous, on l´accompagne, le cercle des spectateurs s´élargit. 
Pendant ce temps des gars essayent de réparer le générateur qui a une fuite, ce qui m´inquiète un peu, une fuite d´essence en ces lieux n´est pas ce qu´il y a de plus idéal. On poursuit notre production, la fuite est réparée, le générateur démarre, le synthé peut être branché, tout en jouant nous passons à la vitesse supérieure, les décibels sont de nouveau de la partie, y compris ceux du générateur, tant pis pour les pianissimos et nous tournons à plein régime. 
Nous sommes en costumes, malgré la terre battue, heureusement il ne pleut pas, la fête bat son plein, on fait participer les spectateurs qui ne demandent que cela, Ionuts nous accompagne à la darbouka, je suis sidéré de voir qu´il arrive à suivre nos rythmes, décidément, la tournée à l´époque a laissé des races positives pas qu´au niveau du mental. 
On nous offre un rafraîchissement, des sandwichs avec du jambon de Parme (un énorme gigot qu´on emportera ensuite avec nous). On remet encore un ça, maintenant plus en mode disco, tout le monde danse, un des anciens du camps, Vasile,  se joint à nous, on réussit à l´accompagner dans ses doinas roumaines pleines d´une nostalgie qui touche tout le monde, particulièrement la petite tribu des mamies tsiganes qui se sont installées dans leurs fauteuils comme à l´Opéra. Un voyage hors du temps. Ubuesque. Utopique. L´Opéra de la rocade de la N10  tourne à guichets fermés… 
Fidèles à notre expérience, c´est au meilleur moment qu´il faut partir, nous quittons le camps, tranquilles, dans la bonne humeur, comme nous sommes venus, dans une haie d´honneur des habitants qui nous saluent comme des vieux amis, en empruntant de nouveau les énormes marches taillées dans la terre, dignes d´un Robinson Crusoé ou Indiana Jones, et nous rejoignons notre bus. Je repère un Burger King pas loin, et je me dis qu´après toutes ces émotions le groupe mérite bien une récompense, alors on s´engouffre dans le Burger pour passer à l´étape des découvertes gastronomiques qui font aussi faire partie de notre séjour découvertes… 
Ce qui n´empêche pas qu´il y aura une troisième mi-temps culinaire en rentrant le soir, les émotions, ça creuse, et tout le monde investi la cuisine du château pour une partie de rillettes – saucisson avant d´aller se coucher comme des princes en cette demeure somptueuse dont on ne revient toujours pas d´être des locataires de passage. 
 
Samedi
L´Insurrection Gitane 
La commémoration de l´Insurrection Gitane à Saint Denis, par l´association la Voix de Rroms, fait partie de nos destinations traditionnelles depuis pas mal de temps. Le tout est organisé par Saïmir Mile, le directeur de ladite association, un militant de la cause rrom dans tous les sens du terme, qui, heureusement, après des années tumultueuses de sa jeunesse lorsqu´il n´était pas simple à cohabiter, a réussi à trouver un équilibre tout a fait praticable, et on peut se lancer dans des projets avec lui en toute tranquillité. 
Bien sûr, il y a toujours des imprévus, comme sa subvention de la Dilcrah, qui tout comme celle qui nous concernait, n´est pas passée, donc il n´y aura pas de cachet ni de défraiements, juste un ravitaillement sur place. Lorsque nous arrivons vers les 14h30 il fait un cagnard de tonnerre, le soleil bat son plein, il y a juste une tente à côté de la scène pour mettre ses affaires, mais pas pour s´y réfugier, car à l´intérieur on se croirait au Sahara, il n´y a pas non plus de toilettes, bref, tout pour plaire. Mais, nous sommes habitués, les militants c´est toujours comme ça, sympathiques et dévoués, mais un peu à coté de la plaque en ce qui concerne la logistique élémentaire. 
Sur la scène il y a une rangée d´intervenants rroms et non-rroms, qui interviennent sur le sujet de l´antitsiganisme, autant dire que ça ne rigole pas, le micro passe des mains des uns et d´autres, en l´occurrence, des unes et des autres, car il y a une majorité de femmes, des romni comme il est de bon usage de dire en ces lieux de militantisme aggravé… Oui, là je charrie un peu. Du fait de mon appartenance à la gent du spectacle, j´ai toujours un petit à priori par rapports aux militants de tous horizons, c´est l´expérience des années qui parle, mais je suis conscient de ne pas être objectif, et je salue le mérite de ces gens qui s´engagent pour des causes qui leur tiennent à cœur, même si le tout n´avance que très lentement, si ce n´est pas du sur place. Et cela est tout aussi bien valable pour nous, qui sommes de la culture, que pour nos amis de la politique. Mes impressions proviennent toujours à cause de cette gestion défaillante de tout ce qui concerne la logistique et le matériel, dont font preuve nos amis militants, qui pour nous, qui sommes avec des enfants et des jeunes, est primordiale, et bien entendu pour des combattants révolutionnaires, ce n´est que du détail insignifiant, il y a bien des choses plus importantes au niveau universel à traiter. Mais en attendant, pas de toilettes, les cafés autour de la place refusent des clients non consommateurs, alors on commande des cafés pour palier au plus urgent. Par contre rien à dire au niveau de la restauration qui est assuré par un couple de Roms roumains, et dont les sarmelés sont plus que délicieux. Hélas, c´est un peu trop innovateur pour nos jeunes qui débarquent pour la première fois dans la gastronomie roumaine, heureusement il y a des poulets frites pour les frileux des découvertes culinaires balkaniques. 
Tout le monde doit manger, c´est un ordre ! On récupère les provisions que nous a apporté un bénévole, Jacques-Olivier, suite à l´appel qui a été lancé par la Fnasat et on se prépare pour le spectacle. Il y a quelques Roms roumains qui profitent de l´occasion de cette manifestation contre l´antitsiganisme ambiant pour récupérer ce qu´ils peuvent, qui sont outrés qu´on nous donne des provisions à nous, et pas à eux. Pourtant, il n´y a pas grand-chose, Jacques-Olivier a fait de son mieux, mais ça fait juste quelques sacs avec des rillettes et des yaourts, plus un paquets de couches pour les petits de Roman au pays, mais ce n´est pas passé inaperçu et ça va causer des problèmes au brave Jacques-Olivier, car ils se connaissent, puisqu´il essaie de les aider aussi, sauf aujourd’hui… bonjour l´antitsiganisme.
La scène est toute petite, encore plus petite que les années précédentes. La Mairie de Saint Denis n´a accordée qu´à la dernière minute l´autorisation à la Voix des Rroms pour leur événement, et ils font avec ce qu´ils peuvent. Donc on ne sera pas sur scène, on se produira sur le parterre devant, il y aura quelques rangées de chaises pour les spectateurs, heureusement, le sol est correct, on pourra évoluer sans danger. Pour le son, comme toujours, il n´y a rien à espérer. Il y a du matériel de sonorisation sur scène et un gars pour s´en occuper, mais il n´a reçu aucune information nous concernant, donc on fera avec ce qu´il y a, c.à.d. avec rien. Mais au moins il est sympa, il essaie quand même de faire quelque chose, il colle avec du scotch un micro contre notre petite enceinte, à la Kusturica, ça donnera ce que ça donnera. Par contre son patron, le propriétaire de la sono verrait bien les choses tout à fait différemment, sans savoir du tout qui et comment nous sommes, il veut prendre la direction des événements en nous installant sur scène, mais nous, vieux routards de ce genre de manifestations et connaissant parfaitement ce type de personnages pour les avoir pratiqués maintes fois, on fait à notre guise sans s´émouvoir le moins du monde, et ce n´est pas plus mal comme ça.
On attaque gaiement, j´ai prévenu et harangué tout le monde, que plus les conditions sont difficiles, plus il faut y aller à fond, surtout ne pas se ménager, car ce serait encore pire. Heureusement, il y a encore l´énergie débordante des premiers jours, et on envoie un spectacle tout ce qu´il y a de honnête, les jeunes se donnent sans se ménager, et tout se passe pour le mieux. Il y a une bonne foule de spectateurs acquis, qui suivent et même interviennent au fur et à mesure de notre production. Des vieux, des jeunes, des bébés, des blacks, des ceux qu´on connaît, comme Cassandra ou Camo, et bien sur Roxana avec sa fille Zuli, qui prendra part activement à tout ce qui se passe sur scène, sans oublier Joana avec sa petite Stella de 2 ans qui ont participées à tout le spectacle, et d´autres qu´on voit pour la première fois, mais qui s´intègrent dans notre production spontanément, comme s´ils nous connaissaient depuis toujours. Ça donne un bon mélange, un espèce de bazar universel, rempli de bonne humeur et de joie d´être ensemble. Mais, l´air de rien, derrière cette bonne humeur et joie de vivre qui sautent aux yeux, derrière cette facilité déconcertante à manier le public, à initier des scènes de partage spontané, il y a tout un travail de longue haleine que nous menons pratiquement lors de toutes nos répétitions, habituant nos jeunes à ces situations de contact direct avec le public, à avoir les bons réflexes, à ne pas avoir de craintes, pas d´inhibitions, d´aller au devant de l´autre, d´offrir et pas que prendre, de recevoir de l´amour autant qu´en donner…
Miro, qui nous a donné il y a bien des années nos costumes splendides est là, malgré son état de santé fragile il est venu, on profite pour lui refiler quelques robes en mauvais état pour qu´il les rapièce et nous les rapporte  au prochain spectacle. Helena me chuchote à l´oreille que ce serait bien de lui rendre un hommage en public, ce que je fais volontiers avec le seul micro qui est à notre disposition, il vaut mieux tard que jamais. A la fin on fait danser tout le monde, personne ne rechigne à l´appel, c´est une sacré ronde qu´on forme à la fin du spectacle pour la farandole tzigane finale. Quelques rappels sous les applaudissements, et on laisse la place à Marcela, qui investi la scène avec quelques musiciens pour la suite. Marcela est une chanteuse rom slovaque qui entame  une bonne petite carrière sur la scène tzigane française, ce dont nous sommes très heureux. Car Marcela, nous la connaissons depuis toujours, quand elle était encore tout petite, chez nous, et cela nous fait plaisir de la retrouver des décennies plus tard en France. D´ailleurs nous avons été souvent en contact lors de nos tournées, ou lors du tournage du film Cigan avec Šulik, au quel nous l´avons fait participer avec son mari, Miro. Marcela y va de son couplet, envoie ses tubes disco, nos jeunes suivent et dansent devant la scène, elle les fait monter ensuite à côté d´elle, cela donne une bonne ambiance sympathique, un bon prolongement de ce que nous avons fait quelques instants auparavant. 
Vers les 18 heures tout doit s´arrêter, c´est la Mairie qui en a décidé ainsi, ce n´est pas très pratique pour les organisateurs, la Voix des Rroms, ils ne peuvent pas profiter de la buvette pour faire un peu de recette, donc encore un mauvais point pour notre cachet qui passera ainsi complètement à la trappe. 
On repart vers le bus, le trajet à Gironville nous prendra le double du temps habituel, on mettra plus de trois heures pour rentrer, la circulation en région parisienne est devenue infernale, on en fera les frais lors de tous nos déplacements. Une fois au Château, comme d´habitude, la cuisine fait le bonheur de tous, heureusement il a encore de quoi faire, nous avons fait les provisions solides en partant de chez nous, alors tout le monde ira se coucher le ventre plein. 
p.s.
Deux mois plus tard, en juillet, nous avons recu un coup de fil de Saimir, nous annonçant qu'après avoir fait les comptes il est en mesure de nous envoyer 500 euros pour notre participation a l´Insurrection. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le virement est passé quelques jours plus tard, nous en remercions Saimir et la Voix des Rroms.
 
Dimanche 
La friche 
Je ne sais même pas comment nous sommes tombés sur Roxana, animatrice de la friche de l´association Terrain d´aventures à Bagnolet. Sans doute par les contacts qu´a élaboré Johann avec la Médiathèque de Stains où il intervient pour la création de sa nouvelle BD sur l´emplacement communal des Rom du Mesnil et auxquels on a demandé de chercher d´autres occasions de nous produire lors de notre venue en région parisienne. Roxana est sans doute le résultat de ces investigations, elle m´a contactée il y a environ un mois avant notre départ. Je ne savais pas trop qui elle était, ni ce qu´elle nous proposait concrètement, mais nous nous sommes mis d´accord pour une intervention chez eux le dimanche 19 juin. Quand, quelques jours avant le spectacle je découvrais qu´il s´agira d´un spectacle informel dans un lieu de tout ce qu´il y a d´informel, une friche gérée par une association d´habitants du quartier, je n´étais pas trop chaud pour  y aller. Déjà, tous nos jeunes venant d´endroits plus qu´informels, les bidonvilles, je préfère les faire évoluer lors de nos sorties dans des endroits plutôt formels, classiques, où il y a tous les bienfaits de la civilisations, les toilettes, l´eau courante, pour qu´ils puissent profiter un peu de tout ce qu´ils n´ont pas chez eux. 
Une friche alternative, avec des splendides toilettes sèches dans une petite cabane rappelant un petit module spatial ne correspond pas vraiment à notre perception d´acquis de la civilisation occidentale. Et puis on se serait très bien vu rester une petite journée au Château à rien faire, récupérer du voyage dont les effets commencent quand-même à se faire sentir. Mais on s´est mis déjà d´accord, Roxana a fait une affiche sympathique, elle a fait de la com pour faire venir du monde, la cuisine était prête pour nous, alors il faut y aller. 
En arrivant sur place, nous marquons quand-même un petit moment de stupeur, pour de l´alternatif, c´est de l´alternatif. On se croirait sur l´Ile de Robinson Crusoé. Tout est est fait à la main, uniquement qu´avec du récupérable, c´est impressionnant, même par rapport aux bidonvilles, cela dénote. On nous fait visiter en premier lieu la fierté nationale (pardon, internationale, vu la composition des autochtones) de l´endroit, les fameuses toilettes sèches dans un module spatial. Je ne pense pas qu´il y aurait quelqu´un pour s´aventurer dedans, on se débrouille pour envoyer Helena et les filles dans un café aux alentours. 
Le pôle cuisine est intéressant aussi, de la barbaque en plein air, régie par une ribambelle de bénévoles qui ont l´air plutôt sympas, et qui sont manifestement spécialistes en cuisine orientale. Oui, tout a l´air plutôt sympathique, alors nous ne faisons pas les difficiles, on prend les choses telles qu´elles sont et on décide de passer à table. Un espace séparé est réservé pour nous, et nous pouvons attaquer le magnifique couscous préparé spécialement pour nous. 
J´ai insisté pour que la restauration soit des plus classiques, afin que nos jeunes qui débarquent d´un tout autre milieu culturel puissent se rassasier, mais c´est comme ça, heureusement il y a aussi une bonne ration de merguez et de salades de pommes de terre, alors tout le monde mange à sa faim. Les plats sont délicieux, ainsi que nos hôtes, qui sont aux petits soins pour nous, alors les appréhensions des premiers instants sont vite dissipées.  
Nous retrouvons parmi les spectateurs des anciennes connaissances. Dominique Secher, un éminent photographe, spécialiste en milieux artistiques alternatifs, notamment les cirques, dont nous avons fait connaissance au Cirque Romanes il y a de cela bien des années, et qui nous a gratifié à l´époque de plusieurs séries de photos exceptionnelles. Cela fait du bien de se retrouver après tout ce temps et de pouvoir discuter un peu des années passés, de nos amis d´antan, les Romanes en l´occurrence. Beaucoup de choses se sont passées depuis, il y aurait beaucoup à se dire… 
Mais le temps presse, nous devons attaquer le spectacle. Il y a sur place aussi Abdel, un ancien des Intermèdes, avec quelques anciennes danseuses du feu groupe Aven Savore, qu´on a initié à l´époque  aux Intermèdes. Ils mettent déjà un peu l´ambiance, et on investi notre espace scénique, le lieu de notre production du jour en ce temple de l´alternatif, des toilettes sèches cosmiques et de la cuisine des contes des Mille et une nuits. 
La scène vaut le détour aussi. C´est un tout petit carré avec un tapis au sol sous un gros arbre, avec une grosse bâche qui tient sur un bâton de bambou d´environ  trois mètres, planté en plein milieu de notre supposé espace de danse. Ne pas faire tomber ce bâton, et la bâche qu´il soutient, relève du miracle et de la mission impossible réunies, mais  non, il n´est pas tombé, personne n´est entré dedans, la bâche n´est pas tombée sur la tête des danseurs, tout s´est très bien passé, comme à l´Opéra. Les spectateurs, et il y en a pas mal, sont installés un peu partout, pareil que les enfants, dont il y en a plein et sont en pagaille dans tous les sens, autour de la scène, sur scène, dans l´orchestre, bref partout. 
Un barbecue bien fumant continue à produire de la saucisse tout à coté de la musique et tout va bien. Après un repas aussi délicieux et un accueil aussi fraternel nous ne pouvons que répondre par pareille, et nous attaquons allégrement notre spectacle. Tout se passe très bien, dans la plus pure tradition des Kesaj, avec en entrée une démonstration de la virtuosité des claquettes, des rythmes infernaux et de l´énergie débordante, pour continuer, de bien entendu, dans une partie dansante sans retenue, tout le monde participe, les petits comme les grands, personne ne reste assis, y compris la petite Stella de Joana qui fais ses premiers pas de danse sur ce parquet de danse tsigane improvisé. 
Je profite d´un petit moment d´accalmie pour moi, lorsque pendant la partie disco je ne suis plus aux commandes directement avec ma balalaïka à la main et la fête bat son plein sans moi, pour discuter un peu avec Abdel, l´ancien salarié aux Intermèdes Robinson, qui me relate ce qui s´est passé chez eux depuis que nous ne sommes pas vus, donc depuis plusieurs années. Un véritable cataclysme. Il a quitté l´association, ainsi que l´ancien directeur, Laurent Ott. Il y a eu des histoires abracadabrantes de toutes sortes, finalement c´est bien que nous avons pratiquement rompu avec eux à l´époque, comme ça nous n´avons pas eu à être témoins de tout cela.  On sent un énorme ressenti chez Abdel, décidément le social peut être périlleux par moments. Notre bilan avec les Intermèdes n´est pas que positif, nos relations se sont détériorées jusqu´à pratiquement une rupture totale, j´aurais aimé pouvoir en discuter tranquillement avec eux, mais ce n´est pas le moment, et je vois bien qu´ils sont encore complètement absorbés par leurs problèmes qui sont loin d´être réglés, pour pouvoir aborder la problématique qui nous touchait ensemble. Finalement, tout cela, c´est du passé…
 
Les organisateurs marquent un petit moment de stupeur, lorsque nous annonçons que nous allons partir, ils nous auraient bien gardé jusque tard dans la soirée, mais fidèles à nos marques, c´est au meilleur moment qu´il faut partir, nous regagnons notre bus sous une haie d´honneur, ravis autant que surpris d´avoir passé un moment aussi agréable et amical en ce lieu qui nous a déconcerté au début et compétemment conquis par la suite. 
Il n´y aura pas de veillée tardive ce soir au château, après le passage obligatoire par la cuisine, tout le monde va se coucher tranquillement, l´effet d´usure de ce grand voyage se fait sentir même chez les plus endurcis. Cette tournée est aussi extraordinaire par l´absence d´éléments perturbateurs, ce qui permet des nuits calmes et des moments de récupération véritable. Ce n´est pas plus mal, je ne me voyais plus à faire le guet la nuit pour qu´une Maria ou un Cyril, en pleine crise d´adolescence, n´essayent pas de dénicher une bouteille de bière ou de vin dans les combes du château, ou Matej à faire du vélo alors qu´on lui a expressément interdit de la faire. Ce n´étaient pas des gros délits, juste des petites entourloupes, mais qui étaient usantes à la longue, et dont nous sommes très heureux de nous passer cette fois-ci. La troupe, constituée en grande majorité de tout nouveaux éléments, qui en sont à leur première sortie internationale, ne pose pas problèmes particuliers, bien sûr, il faut surveiller, mais tout se passe dans un rapport normal d´autorité naturelle, et nous sommes bien secondés par les grands, Štefan et Tomáš, qui sont adultes et qui veillent aussi au grain. Alors tout le monde, nous y compris, arrive à récupérer, ce qui est indispensable pour tenir tout le voyage.
 
Lundi
Goulasch
Enfin, une journée de libre. Après cinq jours de voyage et spectacles non stop, cette pause nous fait le plus grand bien. Une farniente bien méritée au château fait le bonheur de tous. Les chauffeurs ont déniché un Lidl pas loin, alors je pars avec eux faire les courses, aujourd’hui´hui il y aura au menu de la goulasch, pareil, après cinq jours de cuisine cosmopolite un petit retour aux sources gastronomiques nous fera le plus grand bien. Nous avons la chance d´avoir des chauffeurs plutôt sympas, même s´ils ont été recrutés à la dernière minute, ils s´adaptent sans problèmes à notre groupe. Le plus jeune des deux un un baroudeur des grands chemins, il a fait toute l´Asie post soviétique en solo, ainsi que le Maroc, et nos excursions insolites dans les campements roms le ravissent. Le plus âgé vient tout droit de la frontière ukrainienne, il fait aussi de la musique en amateur en jouant pour les mariages, alors il est aussi en phase avec nous. Nous réussissons à acheter les 6 kilos de viande de bœuf, des patates il y en a au château, alors nous avons tout ce qu´il faut pour la fameuse goulasch. Cette fois-ci nous avons amené avec nous aussi des épices de chez nous, alors on peut passer aux fourneaux. Helena supervise le tout, mais ce sont Stefan et Tomaš qui se chargent de l´exécution manuelle de l´ouvrage, secondés par les grandes filles pour le traitement des patates, elles épluchent le tout comme un rien. Pendant ce temps je fais travailles les garçons pour les claquettes et Helena s´occupe des filles. 
Stefan réussit à s´échapper de temps en temps de ses casseroles pour apporter son grain de sel aussi à la danse, étant un ancien, il connaît les anciennes chorégraphies que nous essayons de remettre sur l´orbite avec les nouvelles filles. En début d´après midi on peut passer à table, décidément ce menu nostalgie convient à tout le monde et la goulasch ne fait pas long feu. L´après-midi, pareil, décontracte, un peu de danse, du baby foot, de la colonie de vacances pour des tsiganes en vadrouille logés au château, svp…
Johann arrive en fin de journée. Initialement il pensait venir en début de tournée, puis ça a été le contraire, pour pouvoir  nous seconder lors de nos passages à Stains, où il intervient pour sa nouvelle BD. Il est accompagné par Simon, le scénariste avec le quel il collabore pour la BD de Stains et par Gérard, un de ses collègues de la Chorale des Têtes à l´Est. Il y a plus de dix ans nous avons fait une tournée mémorable avec une résidence à Rennes, et nous avons aussi participé au Festival des Têtes à l´Est. Gérard nous connaît depuis ce temps, il est aussi photographe, il a fait des photos de nous à l´époque, et il a profité de l´occasion pour revenir sur l´ouvrage. Leur arrivée est apprécié par tous, Johann est un ancien du groupe, et Gérard se met instantanément à la page. Nous les installons dans un coin du vestibule du second étage, sur des matelas comme tout le monde. Simon devra nous quitter le surlendemain, mais Johann et Gérard resteront avec nous jusqu´à la fin de notre séjour francilien. 
 
Mardi 
Tour Eiffel et la Fnasat
Si on n´y prenait pas garde, on ne verrait même pas les monuments de Paris, du moins la pièce maîtresse, la Tour Eiffel tellement nous sommes pris par nos spectacles. Mais mardi nous avons juste une intervention en fin de journée à la Médiathèque Matéo Maximoff, à la Fnasat, alors c´est le moment idéal de faire un peu de tourisme. 
Donc direction Trocadéro, la Tourcifelle, et puis le 19 éme pour notre intervention à la Médiathèque. En prenant en compte la circulation impossible que nous aurons à affronter, nous partons en début d´après-midi du château pour être vers les 15h30 au pied de la Tour Eiffel, faire plein de photos, acheter quelques mini-tours et continuer à la Fnasat. 
Avec les souvenirs nous n´avons pas eu de chance, la horde des vendeurs africains qui d´habitude se délecte à nous vendre tout et n´importe quoi n´est pas là, ils ont du être chassés par la police, alors nous repartons les mains vides. Il y avait un seul vendeur qui a réussi à échapper à la razzia, mais il a tellement monté les prix qu´il a du se garder ses bricoles pour lui. La Tour Eiffel fait toujours son effet sur les jeunes qui se retrouvent en position de touristes devant ce monument touristique mondial par excellence, et moi, ravi de les voir, eux, les « Tsiganes » être aussi bien dans ce rôle du touriste banal, qui est tout sauf banal pour eux… Avant de partir du château nous avons, comme tous les jours, tout rangé, j´ai passé en inspection toutes les chambres et les couloirs et dépendances, les jeunes doivent eux-mêmes tout entretenir dans un état impeccable, pas question du moindre bout de papier par terre, les couvertures des lits et des matelas doivent être tirés comme à l´armée, sans le moindre pli.  A midi, avant de monter dans le bus nous avons encore liquidé les restes de la goulasch d´hier en l´assaisonnant avec des spaghettis, donc nous avons aussi une réserve solide de calories, alors nous ne sommes pas trop pressés pour refaire le plein. Il y a un kebab de prévu à la Médiathèque, on va l´avaler en arrivant. 
La Fnasat est notre plus ancien partenaire en France, encore du temps quand elle portait la dénomination Études Tsiganes. Nous avons réalisés plusieurs projets avec eux, notamment à nos débuts avec le programme Roms et Voyageurs, initié par le Ministère des Affaires Étrangères français, et qui nous a bien aidé à l´époque. D´ailleurs le projet de la tournée actuelle a démarrée aussi à la Fnasat, lors d´une rencontre avec Stéphane, son directeur et Lény, le nouveau responsable de la Médiathèque après le départ d´Evelyne en retraite. 
Lény a fait une bonne communication, il y aura pas mal de monde. D´ailleurs il a aussi mis en ligne la cagnotte de soutien pour la tournée après la défaillance de la subvention de la Dilcrah. Je ne suis pas trop partisan de ce genre de procédés, qui laissent toujours traîner un doute quand au bien fondé de leurs intentions et aboutissements. Mais la situation dans laquelle nous nous sommes retrouvés me pousse à laisser mes principes de côté, et j´accepte la cagnotte, à condition qu´elle soit lancée et gérée par quelqu´un d´autre que nous, en l´occurrence la Fnasat. Au désastre de la subvention refusée par la Dilcrah, s´ajoute la défaillance du nouveau Festival Le Printemps Tsigane que vient de lancer Ignace Corso, alias DJ Tagada. Quand nous avons commencé à parler avec la Fnasat de notre tournée, l´année dernière, c´était aussi sur la base de discussion avec Ignace, qui nous proposait de participer à son festival. Pour cela nous avons changé nos dates, initialement nous voulions venir en juin, mais Ignace nous a dit que son festival aura lieu en mai, alors nous les avons changé pour venir en mai, comme ça nous pourrions participer un week-end à l´Insurrection Gitane à Saint Denis, et le week-end suivant au Printemps Tsigane de Tagada. Et on essaiera de joindre les deux bouts entre ces deux dates. Mais une fois que nous avons pris toutes nos dispositions, la date du Printemps Tsigane a été subitement rapportée en juin, et nous ne pourrions plus y prendre part. Donc un cachet en moins. Bien qu´en ce qui concerne le cachet supposé, nous avons eu un semblant de discussion avec Ignace qui a jeté un sérieux froid entre nous, et au final ce n´est pas plus mal que nous n´ayons pas pu prendre part à son monumental festival tsigane. Ignace, dans la plus pure stratégie d´une démarche commerciale destinée à négocier le meilleur prix, m´affirmait que nous ne pouvons pas compter sur une somme conséquente, car il n´a pas d´argent et puis, nous sommes un groupe comme les autres, donc se sera très peu ou pas grand-chose, voire rien du tout. Moi, me souciant absolument pas des retombées commerciales de ma démarche, donc pas en discutant le cachet, mais en posant le principe de base, je refusais le concept d´être pris pour un groupe comme les autres, peu importe qu´il nous paie des clopinettes ou rien du tout, par définition nous ne sommes pas un groupe comme les autres. DJ Tagada et moi, nous sommes comme les autres, on fait dans du « tzigane », lui il fait du business, moi de l´humanitaire, ok, si on veut c´est du pareil au meme, mais les jeunes de Kesaj Tchave, ils n´ont rien à avoir avec toute la faune artistique, humanitaire, sociale ou autre, qui fait « du tsigane ». Eux, ils ne sont  pas un groupe comme les autres. Pas parce qu´ils sont meilleurs ou plus mauvais, ou qu´ils soient plus chers ou ne coûtent rien du tout, mais tout simplement parce que « le tsigane », pour eux, c´est tout simplement leur vie de misère qu´ils mènent au quotidien, et cette vie n´a rien à avoir avec celle de leurs collègues présupposés du show-business, qui ne font qu´à jouer à cette vie, dont ils ne connaissent rien en vérité. Pour faire court, la culture, l´art, les chansons, les musiques, les danses, l´exubérance, tout ce qui fait partie de cet imaginaire tzigane qui plaît tant au grand public, tout cela vient de cette vie de catastrophe permanente que vivent ces jeunes, et pas des paillettes et feux de la rampe dont ce prévalent nos amis de la scène tzigane internationale. Je deviens vieux et j´ai du mal à accepter certaines choses, dont je ne me serais pas soucié dans ma jeunesse. Cela vient aussi du fait, que plus les années passent, plus je vois qu´il n´y a pas de solution à ce « problème tzigane », qu´il n´y a pas de solution pour Roman, Zolo, Véronika, et tant d´autres que nous côtoyons au quotidien,  nous sommes témoins de leur misère et au final, nous n´arrivons à rien changer.  Et puis, sans entrer dans le pathétique, maintenant, hélas, il est le plus grand temps d´aller à l´essentiel. Et l´essentiel, ce n´est pas sous les projecteurs, sur les grandes scènes, bien que cela a son importance aussi, l´essentiel c´est d´aller là, où ce que nous faisons, ce que nous apportons, a le plus d´importance, d´aller là où personne ne va jamais, à part la police et les bulldozers… Oui, une intervention dans un camp rom la veille de son démolition, dans un hospice de vieux pour des vieux dont les lendemains sont comptés, auprès des malades, dans des orphelinats, a plus de sens, plus d´importance que toutes ces scènes soi-disant tziganes, où on joue aux tziganes en étant à mille lieux de leurs réalités et de leurs problèmes. Ce n´est pas une démarche militante, ni une défense ou revendication de quoi que ce soit, c´est tout simplement le résultat du constat des réalités qui nous entourent et qui nous dépassent. Ce n´est pas non plus une reproche envers tous ceux qui « font du tzigane » et se meuvent dans le show-business tzigane. Pourquoi pas. Il y a en a qui le font très bien, qui apportent du bonheur aux gens, à leurs spectateurs, et qui arrivent à s´en tirer bien financièrement. Tant mieux pour eux. Ce sont de bons professionnels.  Mais ils pourraient au moins avoir la décence de respecter, tout en jouant aux tsiganes, de respecter ceux qui le sont vraiment, dans leurs bidonvilles et camps, et sans les quels toute cette culture, si riche en émotions, si séduisante et prenante, ne verrait pas le jour. Il y a un proverbe qui vaut ce qu´il vaut, mais qui dit bien une vérité cruelle : les plus belles fleurs poussent sur des décharges… Oui, toutes ces chansons, ces mélodies, musiques et les façons de les faire, tout cela vient du fin fond de ce monde tsigane, habité par des Roms, manouches, gitans… etc., qui ne sont pas des locataires de châteaux, comme nous le temps de cette tournée, mais qui survivent dans des cabanes qui tiennent à peine debout, avec des rats comme animaux de compagnie, j´ai amené la petite de Roman aux urgences la veille du départ, elle s´est fait mordre par une de ces bestioles… Des cabanes construites à même les décharges, sur des tas de détritus, sans aucun espoir de s´en sortir, même en faisant des tournées, en faisant l ´Olympia ou le Zénith. Leur seule richesse, c´est cette culture, ces innombrables chansons, mélodies, musiques, qu´ils donnent à tout le monde, au monde entier. Gratuitement. Prenez, servez-vous. Jouez aux tziganes si ça vous amuse... Nous, on a d´autres rats à fouetter...
 
Le passage à la Médiathèque se passe très bien. La petite salle qui fait office aussi de bibliothèque est bien remplie, ce qui n´est pas difficile vu sa taille, mais ça fait toujours plaisir de jouer pour une sale comble. Le public est acquis d´avance. Il y a des sympathisants, des amis, des habitués, des spécialistes… 
Alors avant de commencer j´y vais d´un petit speech d´explications géopolitiques concernant la Slovaquie et son contexte rom en particulier. Il y aurait tant à raconter… et j´aime raconter, mais il faut me calmer, nous sommes là pour jouer et par pour raconter des histoires, alors on attaque le spectacle, à fond, sans retenue, même dans ce local exigu, dont il faut garder les portes grandes ouvertes pour avoir le minimum d´oxygène pour ne pas s´évanouir. 
Le repos d´hier nous a fait le plus grand bien, les répétitions aussi, le spectacle est ultra dynamique, les petites fautes et défaillances des premiers jours sont corrigées, tout le monde, les spectateurs comme nous, prend du plaisir à notre production. 
Après une bonne heure de déferlante Kesaj non stop, on fini sous les applaudissements et les rappels, et on passe à la partie de drink après le spectacle, informel, dans la cour, la majorité des spectateurs restent sur place, on sirote des jus de fruits, on papote, on échange au moins quelques mots avec des anciennes connaissances retrouvées. Des bénévoles et des sympathisants nous ont apporté des paquets avec des vêtements, on finira par les oublier et il faudra revenir les chercher quelques jours plus tard. 
Nous partons pas trop tard, mais nous rentrons très tard, toujours à cause de cette circulation impossible qui ne nous fait pas le moindre cadeau, comme tous les jours. En rentrant au château c´est le couvre-feu rapidement, demain il faudra se lever tôt, alors pas de veillées tardives. 
 
Mercredi
Le Mesnil
Je craignais un peu cette journée chargée à cause du réveil matinal qu´elle nous imposait. Lorsqu´on a un rythme de nuit, du fait de nos rentrées tardives, il n´est pas évident de tirer tout le monde du lit au petit matin. Mais mes craintes ont été vite dissipées, aux premières aurores tout le monde descendait prendre le petit déjeuner et à 9h nous étions prêts au départ pour la traversée de Paris en direction de Stains, où nous étions attendus au Mesnil pour une rencontre informelle avec les Roms roumains en fin de matinée et un spectacle à la Médiathèque d´Épinay en début d´après midi. 
Le Mesnil est un centre d´habitat pour des Roms, initié par la Municipalité de Stains et géré par l´association Les Enfants du Canal, qui était aussi porteuse de la demande de subvention auprès de la Dilcrah pour notre tournée, qui n´a pas aboutie. Nous sommes déjà intervenus par le passé dans ce genre de structures, notamment à Aubervilliers, nous en connaissons les principes de fonctionnement, assez stricts, nous savions à quoi nous attendre. Guidé pas Johann qui connaît bien les lieux, pour y intervenir depuis quelques mois pour la réalisation d´une BD sur leurs activités, nous arrivons sur place sans trop de mal. Il y a des locaux communautaires pour nous accueillir, Cassandra est aussi la, elle connaît tout le monde puisqu´elle intervient ici avec Johann, et elle a même retrouvé des anciennes connaissance du temps de son enfance dans les camps de Saint Denis. 
Notre « programme de communication culturelle »  se met en place spontanément,  c.a.d., les choses se font d´elles mêmes, nos jeunes en soif de représentation positive, nota bene auprès de leurs semblables roumains, se mettent tout seuls à danser, chanter, bref ils s´occupent comme si rien n´était, je n´ai pas à intervenir, je suis en retrait et j´observe le tout en donnant de temps en temps une directive discrète pour orienter les choses dans la bonne direction. La sauce prend, les jeunes d´abord, puis aussi quelques adultes viennent peu à peu, interloqués, voir ce qui se passe chez eux. Alors, toujours l´air de rien, on passe à la partie dynamique de notre répétition qui est en fait une présentation de ce qu´on fait, de ce qu´on est, une mission de communication envers le public, constitué en ce cas de Roms roumains de la structure du Mesnil. 
Bien entendu, ça fait son effet, on a pas besoin d´insister, tout le monde est séduit, on ne prolonge pas trop et on passe à table, le repas nous est offert sur place. En fait, le repas est plutôt frugal, il faudra compléter plus tard, mais c´est mieux que rien, nous avalons les pizzas et les salades, les jeunes remettent encore ça avec du disco, maintenant avec une large participation des Roumains du coin, et un peu avant 14h nous partons pour notre spectacle à Épinay, les habitants du Mesnil nous rejoindrons plus tard. Ce n´est pas loin, une place est réservée pour notre bus, nous investissons la Médiathèque et nous nous préparons pour notre production. 
L´idéal aurait été de faire le spectacle dans l´auditorium qui aurait été parfait pour cela, mais pour les organisateurs c´était mieux de faire le tout dans la bibliothèque au rez-de-chaussée, ainsi plus de gens nous verraient d´extérieur par les grosses baies vitrées, et pourraient éventuellement nous rejoindre à l´intérieur pour suivre le spectacle. Et c´est ce qui s´est passé, au final nous avons eu pas mal de spectateurs, et parmi eux, aussi les Roms du Mesnil qui nous ont rejoint avec des assistantes sociales un peu avant le début du spectacle. Il y avait donc un public éclectique, sympathique, tous se sont joint volontiers à nous au fil du spectacle, et nous avons fini comme d´habitude, c.à.d., qu´on aurait pu continuer encore un bon bout de temps, mais il fallait bien abréger pour rester dans les temps et pour prendre la route du retour, qui, comme nous le savions déjà maintenant, allait être longue. 
On nous a offert un goûter après le spectacle, mais un repas solide s´imposait, la collation de midi n´était que symbolique, nous n´avons pas eu le temps hier soir et encore moins ce matin de préparer quoi que ce soit au château, alors une halte dans un fast food s´imposait et c´est ce qu´on a fait. La veillée gastronomique au retour au château sera constituée ce soir uniquement de soupes chinoises, je pensais au début qu´on en ramènerait à la maison, tellement on en avait pris avec nous, mais visiblement, tout sera consommé sur place, il n´y aura pas de pertes inutiles à ce niveau...
 
Jeudi
Vendredi
Au château
Initialement il était question de faire une intervention sur un terrain de Voyageurs dans l´Essonne, le contact a été établi par la Fnasat, mais ça n´a pas abouti. 
Finalement ça a été pas plus mal, nous allons profiter des deux journées de repos au château pour nous ressourcer un peu, faire quelques répétitions pour passer le temps avant tout, bien qu´il y ait encore pas de détails à travailler, et surtout, pour remettre tout en ordre, faire le ménage de fond en comble pour laisser le château dans un état impeccable avant de partir, tel que nous l´avons trouvé en arrivant. Le programme est appliqué tel que prévu. La grasse matinée est de rigueur, pas question de se lever tôt, il faut récupérer, et rien de mieux pour cela qu´une bonne dose de sommeil. Il n´y a pas difficultés pour faire appliquer la consigne, tout monde la respecte volontiers, sauf moi, je profite de ce séjour prolongé de la troupe dans les bras de Morphée pour faire mon footing matinal, entretenir la forme physique est pour moi une question de survie, alors je m´évade tous les matins pour une petite heure à l´orée du bois voisin pour faire l´indispensable nécessaire. 
A mon retour Helena est déjà en place devant son café à la turque taille XXL, et peu à peu apparaissent aussi les autres pour se retrouver autour de la petite table à l´extérieur et débattre les dernières nouvelles de la tournée, mais aussi, et surtout, celles des deux bidonvilles d´où viennent tous nos jeunes. Les potins, les ragots, tout y passe, les mariages, les enfants, les séparations, les bagarres, les urgences, la police, la prison… Tout le monde connaît tout le monde, tous nos anciens sont passés au crible, il n´y a pas de secret ici, pas de frontière entre le privé et le public… Les langues tournent à plein régime, chacun y va de sa petite perle et on ne voit pas le temps passer.  Je laisse Helena poursuivre son atelier d´éducation civique appliquée, et je pars avec Johann et Gérard faire les courses. 
Aujourd’hui ce sera des escalopes de poulet pannées et de la purée. Lorsque nous rentrons deux heures plus tard, la table ronde continue de plus belle, mais il faut passer aux travaux pratiques si on veut manger à midi, alors les deux cuistots d´office, Stefan et Tomas partent en cuisine, accompagnés de quelques filles, toujours la corvée de patates…
Les autres vont vaquer à leurs occupations, c.a.d. à pas grand-chose, mais c´est ce qu´il faut, de la détente et de la décontraction après toutes ces journées bien chargées que nous avons derrière nous. Ce qu´il y a de bien avec les enfants et les jeunes des osadas, c´est qu´ils sont complètement autonomes. Il ne viendrait à l´idée de personne de venir me dire, Mr. je m´ennuie, qu´est-ce que je dois faire… ? Non, comme à la maison, à l´osada, chacun s´occupe de soi soi-même, personne ne prend personne par la main, les enfants, dès qu´ils savent marcher se débrouillent tout seuls. Il en est de même lors de nos tournées. Bien sûr, il faut surveiller, et c´est ce que je fais, discrètement, mais il n´y a aucun incident ni excès à déplorer, on joue au baby foot, à la guitare, ça discute, on profite des salles de bains qu´on a pas chez soi, bref, on se la coule douce. Nous lançons encore une ou deux petites répétitions et on peut passer à table. A tous ces passe-temps informels il faut ajouter un constant entretien de la propreté. Que ce soit dans les chambres, les couloirs, les vestibules et surtout la cuisine et les toilettes, tout doit être propre en permanence, aucune saleté ne doit traîner, la vaisselle doit être faite en temps réel au fur à mesure qu´elle est salie elle est aussi lavée… Et tout se passe sans forcer, on arrive à inculquer un sentiment de responsabilité et d´investissement pour tout ce qui touche la communauté, ce qui dénote par rapport à la maison, mais ça marche sans trop de problèmes. Incroyable, mais vrai, nous avons devant nous deux journées de parfaite décontraction, de vacances, la vie au château. Quelques chose de semblable ne nous est encore jamais arrivé… Et ne nous arrivera pas. Parce que à peine ai-je eu le temps de réaliser la conjoncture exceptionnelle de paix et sérénité qui nous arrivait, que l´on vient me dire que Kamila est en train de mourir, que je vienne voir. Bon, adieu le calme et la sérénité, l´embellie aura été de courte durée, allons voir la mourante à l´étage. 
En effet, Kamila n´en mène pas large. Elle est couchée dans son lit, entièrement recouverte par son édredon, parait-il qu´elle a une forte fièvre, qu´elle est malade, que ça lui arrive aussi au pays, que c´est grave, il faut qu´elle prenne ses médicaments, il faut prévenir sa famille, appeler un hélicoptère… bref, la panique totale.  Les excès en ressenti des malaises, maladies, accidents divers, qui arrivent a nos jeunes font partie de notre décor de tournées depuis la nuit des temps. A maintes occasions nous avons pu constater que la perception de tout ce qui touche au physique et à la maladie est perçu avec un fort coefficient d´émotion sur-ressentie, le moindre bobo est insoutenable, et le moindre petit malaise est digne des urgences en tout urgence. Bref, ce sont les émotions qui régissent tout. Ça, c´est notre expérience qui parle, mais il n´en reste pas moins que nous ne sommes jamais surs de notre évaluation de la situation, et qu´il faut prendre en compte aussi que cela peut être réellement grave et il faudrait peut être vraiment  appeler un médecin ou filer aux urgences. Il en est de même cette fois-ci. Alors passons d´abord aux examens et évaluations de base. Kamila ne répond pas aux sollicitations, elle n´ouvre pas les yeux, elle est amorphe, ne réagit pas. Mais elle n´a pas de fièvre, elle respire, quand je lui prends la main pour lui mesurer son pouls elle a un petit mouvent de recul. Bon, il y a de l´espoir. On lui administre du thé, un paracétamol, elle doit rester sous surveillance, les filles restent avec elle au lit pour la surveiller, et nous, on va aviser. On interdit les coups de fil au pays, ce n´est pas la peine d´appeler les pompes funèbres et d´effrayer les parents. Helena irait bien aux urgences, mais les antennes médicales, ce n´est pas la spécialité du pays, les recherches sur le net ne donnent rien en ce sens. On revient voir Kamila, elle a entrouvert les yeux depuis, du moins un peu, elle a bu son thé, on dirait que ça va un tout petit mieux, mais elle est toujours semi-inconsciente et ne réponds pas quand on lui parle. On continue dans la même ligne thérapeutique, hydrater, surveiller, espérer. Tout ce petit manège dure prés de deux heures, intenses, pendant les quelles nous ne savons pas trop à quoi nous en tenir, mais petit à petit la situation s´améliore quand même, Kamila commence à communiquer, timidement, mais quand-même, tous les espoirs sont permis… Une déshydratation est sans doute à l´origine de ce malaise, Kamila est de constitution plutôt fragile, le programme a été très intense depuis notre départ, rien d´étonnant qu´une telle défaillance survienne.  En fin d´apres midi elle a preis sur elle, elle essaie meme de descendre en bas et de prendre part a la répétition qui bat son plein, mais ce serait trop, elle va rester un peu et puis ira remonter se cocher, mais plus tard dans la soirée elle redescendra de nouveau pour passer par la cuisine, donc on peut considérer que le dur est passé. 
Ce gros paquet de temps libre dont nous disposons inopinément nous permet de passer à une activité dont tous nos amis et partenaires français raffolent, mais que nous ne pratiquons pratiquement jamais – la discussion en groupe. Et nous avons de quoi discuter, ce ne sont pas les sujets qui manquent ! Surtout un, celui des finances, du rapport à l´argent en général et de toutes ces histoires à dormir debout qui nous tombent dessus avant chaque départ en tournée, en particulier, lorsqu´on nous fait du chantage de tous les côtés pour nous sous-tirer quelques euros pour les soi-disant indispensables affaires qui manquent tout à coup aux jeunes pour le voyage. Nous réunissons tout le monde dans le vestibule du rez-de-chaussé et nous entrons dans le vif du sujet. Le mieux, c´est de se servir d´exemples concrets. Stefan et Tomas seront les outils pédagogiques du jour. En effet, tout le monde les connaît, ils viennent des mêmes bidonvilles que tout le monde, ce sont des jeunes Roms comme eux tous, pareils, ce sont deux des leurs. Stefan et Tomas travaillent actuellement à Bratislava. Ils gagnent bien leur vie. Pour pouvoir venir avec nous en tournée, ils ont du prendre des congés dans leurs entreprises respectives. Donc pendant ce temps, lorsqu´ils seront avec nous, ils vont gagner moins d´argent. Ils vont perdre de l´argent, ou vu différemment,  c´est comme s´ils payaient pour pouvoir venir en tournée avc nous. Nous faisons exprès de tout expliquer en détail, comme aux tout petits enfants pour que tout le monde comprenne tout. Stefan et Tomas se prêtent volontiers à ce petit jeu, ils y vont aussi de leurs explications, et affirment haut et fort qu´ils ne nous ont pas demandé de l´argent pour venir, qu´ils n´en ont pas reçu, et qu´ils sont venu en tournée avec nous uniquement sur leurs propres fonds. Et qu´ils sont très contents d´avoir pu le faire, et qu´ils espèrent que ça se reproduira. Et en plus, tous les deux sont de véritables apports, nous aident vraiment, tant sur le plan artistique que sur tout le reste, la cuisine, la surveillance, etc. Donc ils pourraient légitimement avoir des prétentions au niveau financier (comme d´autres au pays), mais non, ils n´en ont pas eu, ils sont venu gratuitement ! Voilà pour le décor de notre séance de pédagogie de groupe, et le contenu en est ce rapport exacerbé à l´argent, au profit qui doit être généré de toute activité, quelle qu´elle soit, on ne fait rein gratuitement chez les Roms au bidonville… Et pourtant, Stefan et Tomas sont venus gratuitement nous aider ! Donc, la conclusion, s´il peut il y en avoir une, est que, d´accord, au bidonville ça se passe comme ça, mais ici, entre nous il en est tout autrement. Et d´ailleurs, pas qu´ici, mais aussi dans le vaste, grand monde en dehors des bidonvilles, en dehors de la misère éternelle, les gens aident, les gens s´aident, aident ses prochains sans forcément en attendre toujours du profit, les gens s´aident parce que c´est comme ça que marche le monde, c´est comme ça que la terre tourne. Nous sommes dans la deuxième moitié de notre tournée qui touche bientôt à sa fin. Les jeunes ont découvert et vécu que des choses extraordinaires, dont ils n´auraient même pas pu rêver s´ils seraient restés à la maison, s´ils n´étaient pas partis avec nous. Et pourtant leur départ était sérieusement compromis par toutes ces histoires d´argent qui ont pourries les journées d´avant le départ. Nous, ça nous a coûté beaucoup d´énergie, nous avons du énormément batailler pour que finalement presque tous puissent partir. Presque tous, parce qu´il y en a qui sont restés à la maison et n´ont pas pu partir et vivre tout ca, tout ce que vous avez vécu. Cela n´aurait pas été dommage si vous aussi, vous ne seriez pas partis ? Ce n´est pas une véritable discussion, mais plutôt un monologue mené par Helena et moi. Les jeunes n´ont pas l´habitude de s´exprimer comme ça, officiellement en public. Mais plus tard, d´une manière informelle, le sujet reviendra, entre eux, avec Helene... Le plus jeune des chauffeurs est là, intéressé, il suit nos palabres. On lui demande tout de go combien va coûter le bus. Dans les 8 – 9 mille euros, il répond. Est-ce qu vous avez de quoi payer, nous demandons aux jeunes. Dans les autres groupes folkloriques semblables au nôtre, mais slovaques, les parents se cotisent à raison de 2 – 3 cent euros par enfant et le bus est payé. Vous, vos parents n´ont pas de quoi payer, il y a des gens en France, qui ne vous connaissent même pas, qui ont trouvé de l´argent pour que ce voyage puisse se réaliser. Ils ont payé à votre place, à la place de vos parents. Sans cela vous n´aurez pas pu partir. Il faut en être conscients, et mériter ce formidable cadeau. Bien se tenir, bien se comporter, et se rendre compte que la vie peut être aussi faite d´entre-aide, d´amour de son prochain, on en parle dans la Bible, on en parle aussi dans le conte de fées tsigane de la bonne fée rom Kesaj, qui dit que si tu veux recevoir de l´amour, il faut que tu saches en donner…
On décortique bien le sujet pour que les jeunes comprennent au maximum ce dont il est question, et aussi pour « vider notre sac », Helena et moi, et c´est important aussi. Nous avons tellement souffert, oui souffert, avant de partir en tournée avec toutes ces histoires, que nous en avons encore « plein sur la patate », et il vaut mieux sortir tout cela au grand jour que garder au fond de soi du ressenti et de la frustration envers tout le monde. On passe ainsi une petite heure de la sorte et puis on insiste plus, on passe à autre chose, c.à.d. encore une petite répète et puis hop, au dodo. Kamila a repris ses esprits, la nuit sera calme.
 
Vendredi est dans la même ligne de conception, repos, cuisine, répètes et rangements. Samedi nous devrons quitter les lieux tôt, vers 9 heures, pour être le plus tôt possible au Mesnil à Stains, pour pouvoir immobiliser le bus pour sa pause obligatoire de 9 heures avant de prendre la route du retour. Nous avons arrangé le coup avec Julie, responsable municipale à Stains, pour que nous puissions nous poser pendant ce temps sur l´aire d´accueil du Mesnil, alors déjà des vendredi nous mettons tout en ordre, pour ne pas avoir à le faire samedi matin. Le calme de ce séjour vient aussi du fait que nous n´avons pas de petits avec nous. 
Il y a juste Veronika, mais elle va déjà sur ses 12 ans et est parfaitement autonome, et il n´y a aucun problème avec elle à ce niveau. J´aurais aimé amener avec nous aussi quelques petits, comme Stanko et Zdenko, qui ont 8 et 9 ans. Ils le méritent, ils sont assidus aux répétitions, pleins de bonne volonté et ils apportent une bonne dynamique juvénile au spectacle, mais force est de constater que s´ils étaient là, il aurait fallu beaucoup plus d´efforts de la part de Helena et moi pour les surveiller, et nous n´avons plus assez d´énergie pour cela. Nous avons besoin de plages de récupération, ne nous pouvons pas être sans arrêt aux aguets, en surveillance non-stop. Nous le sommes déjà partiellement, mais avec des tout petits cela aurait été démultiplié et nous aurions été complètement, totalement épuisés. Nous avons pensé amener des parents avec nous pour nous aider avec leurs enfants, nous l´avons déjà fait par le passé, mais cela c´est avéré inefficace, car les parents n´ont absolument pas l´habitude de surveiller leur progéniture, ils font comme au bidonville, les laissent complètement libres, donc cela revient au même, tout le travail de surveillance nous reste sur les bras, avec en plus des personnes adultes dont il faut s´occuper comme des enfants parfois… Donc il est indéniable que pour cette fois-ci nous avons bien fait, bien qu´à notre regret, de ne pas amener les petits avec nous. On cherchera une solution pour une prochaine fois, s´il y en aura une, peut être que sur un séjour plus court, deux ou trois jours, nous pourrions tenter le coup. 
 
Samedi, dimanche
Urgences et retour
Décidément, le groupe de cette tournée est sérieux et responsable, aucun problème pour se lever tôt, donner un dernier coup de balai et à 9 heures pile embarquer dans le bus.  
Ainsi nous atteignons le Mesnil à Stains à 11 heures, une place de parking réservée nous attend juste devant le Centre d´accueil, comme ça le gardien aura le bus sous l´œil durant son service et les chauffeurs pourront se reposer tranquillement. 
Nous avons une heure devant nous, tout de suite une discothèque improvisée s´enclenche, les filles roumaines me demandent si elles peuvent apporter leur enceinte, bien sur qu´elles peuvent. Elle reviennent quelques instants plus tard avec une énorme caisse et la disco atteint une dimension professionnelle. 
C´est notre deuxième rencontre avec les habitants roms roumains du centre, il n´y a plus aucune distance entre nous, tout se passe comme si on se connaissait depuis longtemps, comme si on faisait parti du même camp. Pourtant, au niveau culturel il y a des différences sensibles. Les Roms roumains sont, comme dans la plupart des cas, issus de milieux plus conservateurs, traditionnels, que nos jeunes. Chez les Roumains on sent encore la présence des mœurs archaïques en ce qui concerne les rapports entre les hommes et les femmes, dans la façon de s´habiller, de se comporter. Chez les nôtres, au contraire, c´est l´émancipation et la modernité qui prime. Bien sûr, ça plaît aux Roumains, surtout aux jeunes, et ils ne se font pas prier pour se joindre à nous. 
Il n´y a pas de repas de prévu sur place cette fois-ci, alors nous filons vers le centre commercial voisin pour nous attabler devant des Big Mac, dans un établissement du même nom. 
A 15 heures nous devons être devant la Mairie pour notre première intervention, alors nous nous attardons pas trop. Nous passerons d´abord par la Médiathèque pour nous poser un peu en attendant, et ensuite direction la Mairie. 
Nous irons à pied, Gérard emportera en voiture les costumes et les instruments de musique. Mais au fur et à mesure que nous approchons la Mairie, nous recevons des coups de fil désespérés de Gérard, qui est complètement perdu dans le petites rues de la banlieue parisienne, son GPS ne tient visiblement pas la route, alors nous sommes prêts à attaquer en civil, sans les costumes, et uniquement avec la balalaïka comme orchestre. 
Ça ne sera pas l´idéal, car l´intervention doit se passer en extérieur, mais nous n´avons pas le choix… Juste au moment de commencer Gérard arrive quand même, alors on se donne 5 minutes pour se changer et nous pouvons attaquer comme si rien n´était. 
Cette première partie de notre intervention, initialement conçue comme une déambulation, se passe dans le cadre du Festival Langues et Cultures du Monde, organisé par la Mairie. Il n´y a pas beaucoup de monde, quelques élus et des habitants du quartier, mais peu importe, nous accomplissons notre intervention avec toute la fougue et énergie qui nous sont propres, et tout le monde, nous tout autant que les spectateurs, passe un bon moment. 
Après une petite demi-heure nous reviendrons dans la Médiathèque, où nous attendrons avant d´entamer notre seconde intervention, le spectacle de 18 heures. La médiathèque dispose d´un auditorium du dernier cri, alors nous optons pour cet endroit pour notre spectacle. Enfin un vrai lieu de spectacle, ça fait toujours plaisir. Nous sommes rejoins par les jeunes du Mesnil, on leur donnera des costumes pour qu´ils puissent se joindre à nous, on se débrouillera pour les inclure dans notre spectacle comme si rien n´était. 
Pour ameuter les gens, les spectateurs, nous commençons d´abord dans l´immense préau, et puis, suivis par les spectateurs, nous descendons dans l´auditorium. Nous entraînons de la sorte pas mal de monde et nous attaquons notre spectacle, le dernier de cette tournée, mais avec autant de verve que le premier. Nous sommes maintenant bien rodées, la scène, l´acoustique impeccable et aussi le public acquis nous donnent des ailes… 
 
Mais c´est là que, vers la moitié du spectacle, quand nous sommes au mieux, tout à coup Sara tombe en poussant un cris strident, et ne se relève plus. On arrête la musique, je vais vers elle, elle gémit en montrant son genou, visiblement, elle a très mal. Je n´ose pas la bouger ni relever. Une personne des organisateurs me demande s´il faut appeler le Samu, oui, il le faut. On apporte de l´eau à Sara, on joue en musique de fond un chant sacré, mais il n´y a rien à faire, il faut arrêter la représentation, j´annonce aux spectateurs que nous sommes dans le regret de stopper le spectacle. 
L´ambulance des urgences arrive rapidement, et nous amène à la clinique la plus proche. Sara a toujours mal, dès que nous arrivons on nous envoie faire une radio et nous attendons d´être pris en charge pas un médecin. La radio a été faite en un temps record, c´est après que ça va se gâter. Les heures passent, et toujours pas le moindre médecin en vue. Helena n´arrête pas de m´appeler, je n´ai rien a lui dire concernant le temps d´attente, la salle d´attente est pleine, nous ne sommes pas les seuls à attendre. 
Finalement ce n´est qu´au bout de cinq heures que le médecin examine Sara, heureusement rien de grave, un bandage et on peut repartir. Pendant ce temps tout le groupe était au Mesnil, ça commençait à être un peu tendu, il y avait quelques gars éméchés, mais heureusement, d´autres Roms du centre d´accueil sont venu se joindre aux nôtres et ont veillé à que tout se passe bien. Les chauffeurs sont nerveux, ils ont projeté de rentrer en fin de journée dimanche, comme ça ce ne sera que dans la soirée. Mais on n´y peut rien, ce sont des impondérables indépendants de notre volonté. 
Enfin, à 11 heures du soir nous quittons le Mesnil et Stains et nous prenons la route du retour pour la Slovaquie. Nous ferons encore une tout petite halte à Reims, où, fidèle comme toujours, nous attend malgré l´heure tardive, il est 2h30 du matin, Monique, avec une montagne de cartons remplis de vêtements, que nous chargeons en vitesse dans les soutes et nous poursuivons la route. Comme tous les retours, celui-ci est rapide et direct. 
Exténués, tous dorment, on fera le minimum de pauses, juste pour se restaurer avec les sandwichs que nous avons préparés encore au château, et on trace. L´arrivée est à 22h, on décharge le bus en vitesse, les chauffeurs peuvent filer, nous appelons deux voitures de Rakusy pour ramener les leurs, et je rapatrie ceux de Lomnica, et enfin, vers minuit Helena et moi, nous aussi, nous sommes à la maison. Plus d´une fois, en rentrant à bout de force des tournées, on s´est dit, plus jamais… tellement on est épuisés, lessivés, essorés… bref, on n´en peut plus. Mais cette fois-ci, non, ça va, on se dit même que si tout va bien, on repartirait bien l´année prochaine, dans la même période, avec une équipe comme celle de cette année, en ayant comme destination les Saintes-Maries-de-la-Mer et le fameux pèlerinage de la Sainte Sarah. Donc le constat est que nous sommes moins usés que d´habitude, et que finalement nous avons plutôt bien tenu le coup. C´est important comme donnée pour nos projets futurs, on essaiera d´en avoir si tout va bien d´ici là…
 
Dès le lendemain nous faisons venir tout le monde pour faire la répartition des vêtements que nous a donné Monique. Cette fois-ci ce sera sans les parents, il n´y a que les jeunes. Cela va relativement vite, il y a beaucoup de choses, de qualités diverses, mais certains vraiment de qualité, pour tous les âges et toutes les tailles. Chacun repartira avec un gros baluchon, ce sont des choses qui vont vraiment servir, et ce qui reste, on le distribuera aux plus démunis au bidonville. Il y a aussi trois poussettes pour des petits enfants, elles seront prises instantanément. Les jours suivants nous ne projetons pas de répétitions, nous sommes saturés… 
 
Mais Paľo Pekarčík m´appelle pour me dire que le tournage du film dont nous avons parlé avant notre départ est prévu pour mercredi et jeudi. Je n´y pensais même plus, oui, Paľo m´en a parlé  avant de partir, mais depuis il ne m´a plus rappelé, alors je pensais que cela aurait été remis à plus tard. Mais non, on tourne. Alors mercredi nous étions déjà sur place, à 9h du matin, toute l´équipe de tournage prête, avec le régisseur Ivan Ostrochovsky, nous attendait pour se mettre au travail. Au travail, c´est le cas de le dire, car les deux journées de tournage étaient hyper bien remplies. Nous étions devant les caméras du matin au soir, à répéter à l´infini les mêmes scènes, avec des cadres différents, affûtant au mieux les prises d´images pour que le résultat soit au top. Du vrai travail de professionnels, mené par une équipe des plus expérimentées. Ivan et Paľo ont en ce moment le vent en poupe, leur dernier film, la Photosynthèse, qui parle des enfants ukrainiens réfugiés dans le métro de Kharkov, récolte que du succès et des prix un peu partout. Nous avons déjà eu plus d´une fois l´occasion de tourner ensemble, à chaque fois c´étaient des moments uniques et très enrichissants, du fait de la grande expérience professionnelle des réalisateurs et aussi de l'amitié qui nous lie. Spécialistes de sujets sensibles, Ivan Ostrochovský et Paľo Pekarčík ont abordé cette fois-ci le thème de la stérilisation forcée des femmes roms dans les années 80 du siècle passé. Ce sujet est encore en grande partie tabou dans la société slovaque, notre participation relève du  spectacle, nous intervenons dans le domaine qui nous est propre - des scènes de chant et de danse, mais nous sommes heureux de participer à notre manière à la sensibilisation de ce sujet on ne peut plus délicat. 
Participe avec nous au tournage aussi un groupe de filles d´un village voisin, Krížová Ves. C´est une chorale d´église, une vingtaine de jeunes filles, d´un mouvement pentecôtiste qui pulluent dans le secteur. Dès le premier regard nous savons à qui nous avons affaire. Nous avons une solide expérience avec ce genre de groupe sectaristes, et pas des meilleures. Pendant 6 ans nous avons eu comme voisins dans nos locaux de répétitions des pasteurs évangélistes, nous étions au rez-de-chaussée et eux au premier, et ça ne se passait pas bien. Leurs quotient d´empathie était nul, ils se sentaient supérieurs, et ils le faisaient volontiers sentir à toute occasion, pas question de partager le paradis, pas plus que les toilettes, tout cela n´était réservé qu´à eux seuls, et surtout pas aux manants, aux intouchables, qu´étaient à leurs yeux les autres Roms, les enfants y compris. Ceux de Krížová Ves, qui devaient partager le plateau de tournage avec nous étaient du même acabit. C´est à peine s´ils daignaient poser leur regard sur nous, et encore moins se mélanger, ils nous faisaient bien sentir qui est qui, qui est l´élu divin et qui ne l´est pas… Manque de chance, ils n´avaient pas le choix, car autant ils devaient être performants dans leurs chants sacrés, autant ils ne connaissaient rien dans le répertoire traditionnel rom que nous devons interpréter pour les besoins du scénario. Il y avait aussi dans l´équipe de tournage un responsable de la musique, mais il n´était pas plus érudit en culture musicale tsigane que nos choristes, alors j´ai du prendre l´initiative pour mettre les choses en place le plus vite. Le régisseur me connaît parfaitement, ainsi que notre groupe, et il me laisse carte blanche. La scène que nous devons tourner est une répétition de chorale de jeunes filles, mené par le mari du personnage principal du film. Le mari en question est joué par un acteur professionnel, il m´observe attentivement lorsque je mets en place les chants qui seront filmés.  Ça dure quand même un certain temps, tout est à faire, les choristes ne sont pas du tout habitués à ce genre de répertoire, alors on répète et répète encore et encore, c´est une belle épreuve d´endurance. L´acteur a le temps de bien observer ma façon de faire, comment je dirige, mes gestes, comment je frappe sur la chaise, comment je harangue les chanteurs, et en bon professionnel il reproduit le tout à merveille une fois la caméra enclenchée. Le premier jour on répète et met en place les différents chants, et le second on tourne pour du vrai. A chaque fois du matin au soir. A la fin on tient à peine debout, mais les scènes sont dans la boite, à la grande satisfaction du régisseur Ivan Ostrochovsky. C´était un travail très exigeant, professionnel, et très bien payé. Je n´ai pas discuté le prix avec la production, mais ça été très correct. Tout le monde a reçu un cachet qui dépassait de loin toutes les espérances. Le cachet était perçu directement par les jeunes, j´ai transmis l´argent des plus petits aux parents. Dans l´absolu, on aurait pu faire passer les honoraires par notre association, et les utiliser pour payer le manque que l´on avait sur le transport après notre tournée, cela aurait été légitime et peut être rationnel et normal, mais je n´avais pas le cœur à cela. Tous ont travaillé dur et ont mérité cette récompense, alors qu´ils reçoivent cet manne du ciel insensée. Les sociologues constatent que les comportements apparemment irrationnels des personnes dans le grand besoin qui, si elles se retrouvent par hasard en possession de sommes dépassant leur ordinaire, les dépensent immédiatement pour des besoins non vitaux, mais ayant un fort coefficient jouissance dans l´immédiat et de visibilité, de représentation, par rapport à leur entourage, comme par ex. les mariages coûteux qui les font s´endetter, ou l´achat de produits ou denrée périssables, qui sont consommés dans l´immédiat et n´ont aucune valeur en terme d´investissement dans l´avenir. Le constat est que de toute façon ces sommes n´auraient en rien changé le devenir de ces personnes, qui de toute manière est plombé, mais cette façon exubérante de profiter du moment présent, de tout consommer, flamber à l´instant même, en l´extériorisant au maximum, qui est choquant et incompréhensible aux gens « normaux », permet d´accumuler une bonne dose d´énergie, un réservoir de  dynamique positive, pour affronter les temps qui vont venir, lorsqu´ils vont se retrouver de nouveau démunis, comme depuis toujours. C´est un peu dans cette optique que nous avons laissé profiter tout le monde de ce cachet faramineux qui nous est tombé dessus comme un véritable cadeau du ciel… Et tant pis, s´il n´y a pas eu sur le moment la moindre esquisse d´une reconnaissance quelconque de la part des principaux concernés… En tout cas, nous, nous sommes très reconnaissants aux régisseurs, Paľo  Pekarčík et Ivan Ostrochovský d´avoir fait appel à nous, et de nous avoir traités de la sorte.
Petite anecdote pour clore ce chapitre cinématographique. A la fin du tournage, lorsque nous allons tous repartir chez nous, après avoir touché les honoraires plus que conséquents, nos nouveaux collègues et presque amis de la chorale évangélique nous accusent tout à coup d´avoir volé 10 euros dans le sac à main de leur responsable qui était posé dans les vestiaires. C´est complètement absurde, qui aurait eu l´idée d´aller voler 10 euros après avoir touché un si bon cachet, et puis ce n´est vraiment pas notre style, nous venons de rentrer de notre tournée, il n´y a pas eu le moindre problème de ce genre, il est vraiment très peu probable qu´un des nôtres ait fait cela. Lorsque je reviens d´une course extérieure, leur responsable a déjà fait les poches d´un de nos jeunes. Oh là, s´il y a un problème il faut d´abord voir avec moi avant de faire le gendarme. Mais je ne discute même pas, ce n´est pas la peine, je sors un billet de 10 euros de mon portefeuille, je le donne au gars, et on passe à autre chose. Cela me surprend et déçoit, mais vraiment, après ce marathon devant les caméras, je me fiche complètement des délires des choristes et je laisse tomber. De sources différentes, je reçois l´explication de ce fait divers impromptu qui vient de nous tomber dessus. En effet, indépendamment des uns et des autres, Roman, Domino, et aussi Helena à qui je raconte l´incident, disent à l´unisson la même chose, les choristes se sentant diminuées, frustrés de devoir se plier à notre façon de faire, à mes directives, de ne pas avoir pu jouer le premier rôle, ont opté pour cette fourberie mesquine pour se venger, et ils ont monté ce bobard minable pour nous discréditer aux yeux de la production. Et pourtant j´ai pris le maximum de précautions pour les traiter au mieux, d´égal à égal, j´ai usé de tout mon savoir-faire d´ancien cabaretier, de meneur d´hommes, pour les mettre à l´aise, les faire jouer et chanter en les avantageant, jamais en aucune façon je ne leur ai fait sentir leur incompétence. Cela n´aurait servi à rien, et j´étais là pour faire avancer le tournage, les réalisateurs sont nos amis, il fallait que ça se passe au mieux. Et puis je reconnaissais et le répétais haut et fort à tout l´entourage, que les filles avaient des belles voix, qu´elles chantaient juste, et complétaient parfaitement l´authenticité de notre groupe. Mais cela n´a pas suffi, il fallait que le naturel reprenne le dessus, débordants de rancœur, ils n´ont pas pu résister à utiliser ce vieux stratagème en faisant usage de la calomnie et de la médisance mesquine. Heureusement, cela n´a servi strictement à rien, la production ne s´est aperçue de rien, et de toute façon ce sont de vieux amis, qui nous connaissent parfaitement et nous font confiance. 
La communauté rom, ou tsigane parait cohérente, unie, vue d´extérieur, mais c´est tout le contraire à l´intérieur. Les Roms, du moins ceux que nous côtoyons ou avons fréquenté, se définissent avant tout pas leur différenciation interne. Le terme de ségrégation interne est mieux approprié. Le système des castes perdurant des temps anciens peut en être une des explications, toujours est-il qu´ils se définissent comme différents des autres, de leurs voisins, de ceux des villages ou bidonvilles d´à côté, bref des autres. Les autres Roms, ce sont les mauvais, nous on est les bons, les seuls. Hélas les nombreux groupuscules évangéliques, d´obédience diverses autant que variées, que nous avons eu à côtoyer, et les choristes de ce tournage n´en sont pas exception, en sont la concrétisation par excellence. Il n´y a pas dans leur démarche de volonté d´aller vers l´autrui, vers son prochain, il y a la volonté avant tout de s´affirmer comme différent, sortant du rang, pas comme les autres, d´être les élus, les seuls à posséder les clef du paradis, tant pis pour les autres, les portes du ciel resteront fermées pour eux à jamais, à nous la béatitude là haut et les bienfaits matériels ici bas… Bien sûr, il y a des exceptions, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Mais notre expérience personnelle est hélas sans équivoque, et ces choristes menteurs n´ont fait que la confirmer.