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Etat des lieux

 

Actuellement la situation en Slovaquie est très tendue par rapport aux Roms. Le gouvernement met en place une reforme du tout répressif et les médias ne ratent pas un jour sans une information sur l'apocalypse tsigane. La particularité slovaque est dans le fait, que dans la partie orientale du pays, dans de nombreuses localités, la population rom est en train de devenir majoritaire, si ce n'est déjà pas fait. Donc nous ne sommes plus dans un discours sur les Roms en tant que minorité (dérangeante, touchante, repoussante, folklorique, à sauvegarder, ou au contraire à faire disparaître,… etc.), nous avons ici une composition démographique qui évolue nettement en faveur de l’ethnie rom, avec des territoires « ethniquement purs », sans aucune mixité, sans échanges avec les Slovaques. On assiste à un inversement des rôles, la minorité qui devient une majorité.

 

 

Ecole

 

Pour palier à un manque flagrant d´éleves roms dans l´enseignement secondaire et supérieur, nous avons ouvert  à Kezmarok  en 2011 une classe délocalisée du collége privé rom de Kosice. L´établissemnt de Kosice fonctionne depuis dix ans, et les premiers bacheliers et universitaires sont sortis de ses rangs. Vu l´énorme concentration de la population rom dans la région de Kezmarok l´existence d´une telle institution nous parait plus que pertinente.  Le collège fonctionne un peu comme le groupe Kesaj Tchave, les enfants viennent tous directement des bidonvilles des alentours, ont jusque là suivis une scolarité au sein des écoles "normales", mais du fait de leur localisation géographique, c'étaient des écoles tsiganes, qu'avec des élèves Roms, et un enseignement qui se voulait égalitaire, donc apportant les mêmes possibilités au niveau pédagogique aux enfants roms qu'aux autres enfants slovaques. Ce qui est bien et louable, car pas évident à mettre en pratique dans la vie de tous les jours. Il manquait uniquement la prise en compte de la spécificité culturelle, linguistique, sociale... et ethnique de ces élèves comme les autres. Au final, le constat est  que, malgré des bonnes volontés manifestes (pédagogues investis, dévoués, écoles bien équipées, etc.), cet enseignement passe à côté de son objectif, et ne produit la plupart du temps que de l'échec.  C'est un terrain très délicat. Comment définir la différence culturelle, l'écart social, la particularité ethnique... tout en ne tombant pas dans le sordide discours racial? Mais à force de vouloir rester à tout prix dans du politiquement correct, on n'arrive même pas à définir le problème - puisque nous sommes tous égaux, nous avons tous les mêmes chances, les mêmes droits... On dirait qu'en fait les Roms n'existent pas. On le voit d'ailleurs très bien par les innombrables dénominations officielles qui viennent enrichir le vocabulaire administratif au fil des temps: citoyens d'origine tsigane sous les communistes, populations souffrantes de la marginalisation et de la ségrégation, après la Révolution de Velours, etc., pour en venir à des communautés socialement arriérées et marginalisées et à des citoyens inadaptables,  suivant le slogan à la mode de nos jours dans la majorité, qui se définit comme « polie », par rapport aux autres, qui sont les « mal-polis »… 

Lorsque nous nous battions pour obtenir des locaux normaux pour notre école, bien sûr la réponse du Conseil Général (l'équivalent) fut qu'il y a assez de place pour les Roms dans les établissements publiques, ils n'ont qu'à y aller... Et pourtant il y a  un pourcentage absolument minime d'élèves roms en cours moyen et en études supérieures encore pire. L'échec scolaire comme une constance dans le premier cycle. Sur 500 élèves du primaire, que 4 ou 5 arrivent au bout du cursus de l'enseignement élémentaire! Alors, faute de mieux, nous avons ouvert le collège dans la salle d'un café. L'année suivante, encouragés par le succès de nos premiers étudiants, nous avons augmenté les effectifs avec deux classes supplémentaires. Nous avons eu aussi plusieurs dénonciations anonymes allant jusqu'au Ministre de l’Éducation. Il s'est avéré que les vingt signatures des professeurs du Lycée slovaque de la ville, qui figuraient en bas de la lettre, étaient des faux.  Tous les profs se sont par la suite publiquement distancés de ces propos et ont porté plainte pour usurpation d'identité, mais cela n'a pas empêché le tsunami des contrôles pointilleux qui s'en sont suivis. Tout est passé au crible, les livres des classes, les stylos, l 'éclairage, etc. Jamais la question sur les conditions de vie des élèves n'a même pas été abordée. Tout cela se passe au niveau élémentaire d'une petite école de province (mais il n'y  en a que 2 dans tous le pays). Au niveau du Ministère et du discours politique, nous en sommes uniquement sur des volontés d’assimilation sous couvert d'intégration, en passant par le tout-répressif.

Les bonnes intentions de la majorité (écoles, internats, emploi...) tout en étant fondées, ne sont pas abouties, ne correspondent pas aux réalités et besoins du terrain. La politique de l'État se résume par une assimilation bienveillante forcée, sous couvert d'une égalisation générale par rapport au respect de la loi, ce qui est louable, mais ne suffit pas uniquement, le tout-répressif n'a jamais été une réponse universelle. Le fait, que l'on n'a même pas songé que cette population aurait pu avoir le droit à recevoir un enseignement, donc une autonomie intellectuelle dans sa langue maternelle, en dit beaucoup sur tout le reste. Les parallèles avec les bonnes intentions méritantes du temps des colonies viennent naturellement à l'esprit. La question d'une autonomie politique comme réponse naturelle à ces manquements flagrants vient à se poser, mais c'est complètement utopique et surréaliste,... et pourtant la majorité n'est pas capable même théoriquement et intellectuellement de concevoir une solution à ce problème... et les Roms dans leur marasme ne sont pas en mesure de participer pleinement au débat.

Nous ne prétendons pas apporter des réponses universelles à un tel vaste problème. Nous nous cantonons à notre position d´intervenants socio-culturels, mais en faisant le constat de la situation au niveau de l´éducation et de l´instruction de la population rom, il nous apparait clairement que l'enseignement dans la langue maternelle a été complétement abstrait jusqu´ à lors et pourtant, vu l'état de la communication verbale sur le terrain, c´est une composante fondamentale de toute avancée dans ce domaine. Bien entendu, en n'omettant pas l'apprentissage de la langue du pays, qui est tout aussi essentielle. Mais pour bien apprendre une seconde langue, il faudrait déjà bien posséder la première, la sienne, sa langue maternelle. A notre niveau, avec le groupe et ensuite avec le collège, nous avons  réussi à mettre en place un modèle, qui bien que légèrement alternatif, fonctionne. Les enfants sont à l'aise grâce à des détails comme la musique pendant les récréations, des pratiques artistiques les après-midi, etc., et l'air de rien on a réussi à rattraper le niveau, puisqu’ils s'identifient à l'école, ils ont  plaisir à venir... Bref, ils fonctionnent sur le mode de leurs repères culturels.  La première chose que les anonymes ont dénoncé était que l'on fait de la musique dans l'école, que l'on danse, que je transporte les enfants avec ma voiture particulière, bref, tout ce qui plaisait aux élèves et ce qui les incitait à venir et à travailler en classe.

 

 

Assimilation

 

En Europe centrale les volontés d'intégration, d'assimilation ne datent pas d'hier. Depuis les temps de Marie-Thérese,  l'assimilation de la population tsigane est une constante dans la politique à travers  les âges, les régimes et les gouvernements.  A part quelques intellectuels épars, personne ne s'est jamais offusqué de ce dictât, et les Roms "ordinaires" en premier, ne demandent pas mieux que de s'assimiler, fondre dans la masse, et ce, de préférence, à travers la consommation... Ça a marché en partie pour de nombreux individus, ayant accédés aux études, métiers, fonctions, en s'intégrant parfaitement dans la majorité. Ce fut très sensible durant le régime précédent, qui par définition favorisait les Tsiganes, privilégiant leur origine soi-disant prolétaire. Mais souvent ces bonnes volontés idéologiques étaient, comme le reste du discours de l'époque, empreintes d'un formalisme et d'un faux semblant à toute épreuve, menant à des échecs sans appel. Bien que, dans l'ensemble, on peut constater qu'une part certaine de la population rom a pu s'élever au niveau social durant les années du communisme dans les pays de l'Est (d'où le regret à l'unanimité chez les Roms des temps des  communistes).

Cette intégration n'est plus à l'ordre du jour, non seulement parce qu'il n'y a pas de travail (le meilleur facteur de brassage social et aussi ethnique), mais surtout du fait d'une concentration sans précédent de la population rom dans des colonies-bidonvilles, véritables ghettos, absolument ethniquement purs, tous dans une dynamique démographique croissante, générant une population évoluant culturellement, socialement et économiquement complètement en marge de la société majoritaire (env. 200 - 250 mille personnes vivant dans env. 600 bidonvilles en Slovaquie). On fait souvent le procès d'une ségrégation, oui c'est vrai, ségrégation il y  a - mais comment faire de la mixité dans des localités où il n'y a absolument pas d'autres ethnies que les Roms... Lors des dernières élections communales, il y a eu 29 municipalités avec des Maires roms, des conseils municipaux composés uniquement ou  majoritairement de Roms... Pareil, nous comptons une cinquantaine d'écoles qu'avec des élèves tsiganes, ... et les chiffres ne font qu'augmenter.  Porter des jugements de l'étranger sur la situation est facile, mais ne mène pas à grand-chose... Et  le pire est, que l'étranger ici, c'est Bratislava, la capitale, ou n'importe quelle ville régionale. Pourtant le gouvernement s'intéresse, et même de très prés, à la question tsigane. Sous la pression de l'Europe, mais aussi, et surtout, sous la pression croissante de l'opinion publique slovaque qui est exacerbée par tous les faits divers sur l'exécrable  cohabitation qui lui sont servis tous les jours par les médias. Et il serait irresponsable et malhonnête de nier les difficultés au quotidien générées par cette cohabitation apparemment contre nature...

Il y a aussi les extrémistes de tous bords qui s'abreuvent volontiers sur ce sujet champion au niveau de la fusion des opinions toutes tendances confondues... Mais le pire, ce sont les bonnes volontés. Et là, je me réfère sur notre expérience personnelle, de ce que l'on a eu à subir avec notre collège rom  depuis plus d'un an maintenant que nous essayons de le maintenir

Le niveau de vie de la population dans les colonies est tellement déplorable, qu'aucune résistance ne vient même pas à l'idée. Le concept d'une identité, culture, langue à sauvegarder, etc., est un luxe inimaginable pour une population réduite à  la survie au quotidien. Mais obligatoirement une question toute simple, basique vient: pourquoi s'acharner à cette assimilation, puisque selon toute évidence ça ne marche pas! Et ce, depuis cette brave Marie-Thérese, impératrice d´Autriche-Hongrie... Pourquoi ne pas essayer tout simplement de prendre en compte que ces enfants viennent tous à l'école en ne parlant pas la langue du pays, ou alors très mal, qu'ils vivent dans leur culture, dans leur civilisation, véhiculée avant tout pas la langue.

 

 

Utopies et mirages

 

Tout cela, on pouvait l'omettre il y a encore quelques décennies. L'intégration, ou l'assimilation, c'est comme on veut.., étaient encore de l'ordre du possible.  De l'utopie communiste on est passé au mirage capitaliste. Avec au bout du compte dans les deux cas que des chimères lamentables.  Maintenant, selon toute évidence, il est trop tard. Cette population est beaucoup trop nombreuse pour pouvoir fondre dans la majorité sous l'effet de la baguette magique de l'emploi présumé, qui est quasi inexistant pour eux. Cette minorité est en train de devenir la majorité au niveau régional, elle va évoluer avec sa langue, sa culture, son mode de vie. A l'heure actuelle, il n'y a pas de classe intellectuelle rom suffisamment nombreuse, capable de prendre en charge le devenir de cette population. Mais il est indispensable de faire tout pour que cette intelligentsia émerge, ce qui n'est pas évident, car jusqu'à maintenant toute émergence, toute intégration, était synonyme d’assimilation voulue et consentie, de rupture complète avec tout ce qui touchait le milieu d'origine. Les bidonvilles étaient tabous, impurs, intouchables physiquement et intellectuellement. Les parias des parias. L'idéal aurait été de les gommer de la surface de la terre... mais c'est plutôt le contraire qui se produit, ils sont en nette croissance...

La vie va apporter des solutions. Les Roms sont les champions de la débrouille, de la survie, des solutions improbables. Alors il est à espérer que même dans cette situation sans issue, lorsque nos approches rationnelles sont à court d'arguments, quand uniquement des solutions apocalyptiques viennent à l'esprit, une autre réalité va émerger.

C'est ce qui est en train de se passer d'une certaine façon avec les bidonvilles, qui, manifestement appelés à ne pas disparaître, mais au contraire à perdurer et croître, trouvent leurs modus vivendi naturellement, nous amenant au delà de nos horizons cartésiens. On voit aussi des classes sociales bien différenciées se profiler au sein de ces bidonvilles. Des maisons de luxe côtoient les cabanes délabrées. Force est de constater que les rapports entre ces différentes couches sociales font plus penser à un système féodal de seigneurs assurant leur suprématie par tous les moyens  qu'à une démocratie que nous chérissons tant, et notre système  de cohabitation humaniste, qu'il soit basé sur le concept chrétien de l'amour du prochain, ou idéologique, du partage universel, aura encore du chemin à faire pour être admis et appliqué ici.

Mais loin de ces considérations générales, c'est avant tout la question de l'éducation qui nous préoccupe. L'éducation, l'instruction, passent par l'écrit et par l'oral. La langue maternelle en est un outil essentiel, matériel de base dans la construction de la personnalité de l'individu. Il est irresponsable, immoral, et du fait des conséquences sur la population, même criminel, de ne pas donner aux enfants tsiganes la possibilité d'apprendre, d'évoluer, de grandir… et de s'intégrer, dans leur langue maternelle.  Cette langue est codifiée, structurée, les outils pédagogiques existent pour un  enseignement en romani.

L'émergence d'une véritable intelligentsia rom, d'une classe moyenne rom, consciente de ses devoirs, mais aussi de ses droits, fait peur, pose problème quand au devenir politique des régions concernées. Mais il vaut mieux aller au devant des problèmes, qu'éternellement fuir devant eux!  L'autonomie qui fait si peur, de fait elle existe déjà sur le terrain. Il tient à nous, vers quoi elle va évoluer. Nous demandons qu'une chose: que l'on  laisse  les écoles tsiganes se développer... (de fait elles existent déjà, officieusement elles font pleinement partie de la réalité scolaire slovaque, mais elle ne remplissent pas leur fonction première – elle ne dispensent pas un enseignement adapté à ses élèves).

 

 

Espoirs

 

De par notre expérience avec les Roms en Slovaquie, et on peut faire le constat aussi avec les populations des migrants roms des Balkans en France, un accompagnement adapté aux besoins de l´élève est bénefique et apporte des effets escomptés. Avec le recul de 5 ans, depuis que nous intervenons en périphérie parisienne,  nous voyons que les enfants qui ont été soutenus par des associations ou à titre individuel, ont en grande partie intégré le systéme scolaire et poursuivent des études. Pratiquement tous les jeunes que nous avons connus sur Saint Denis à travers les groupes avec les quels travaillait à l´époque l´association Parada, et qui ont pu par la suite poursuivre des axctivités artistiques grâce à l´engagement  personnel de Misa Boti, sont dans un cursus scolaire. Nous sommes heureux de constater que notre investissement au niveau de la motivation et formation de la personalité avec nos activités artistiques (contacts, répétitions, résidences, spectacles) n´ont pas été vains, et que nous avons pu participer à ce processus d´intégration. Sur le groupe de Saint Denis, la personalité de Misa Boti a une influance dominante. Depuis l´année dernière il a intégré un travail à temps plein (entretient des ascenceurs) et a changé de domicile (sa famille a obtenu un logement social à Rosny-sous-Bois), mais  il continue à soutenir l´engagement artistique de sa fille et du groupe de jeunes qui s´est formé autour d´elle. A Montreuil, Jenika poursuit sa formation, et doit passer cette année son CAP d´assistante aux  personnes. Mékles a enfin pu nous rendre visite en Slovaquie. Profitant de notre derniere tournée, il nous a accompagné lors de notre voyage de retour et a passé deux semaines au sein de notre collège. Ce garçon n´a jamais fréquenté une école, à 18 ans il ne sait pas lire ni écrire. Sur un travail de contact, mise en confiance, motivation et valorisation, de pratiquement 5 ans,  nous avons pu lui permettre de se situer lui-même par rapport aux valeurs fondamentales de l´existence, et il a pu, de son propre arbitre, venir chez nous, pour entrer dans une dynamique pédagogique, en découvrant et en suivant les cours au sein de notre collège. Bien sûr, il a fallu s´adapter à son niveau, mais justement, et c´est là le fond de tout le problème, nous partons du constat qu´il faut s´adapter aux besoins des individus et populations, et ne pas attendre étérnellement que ceux-ci s´adaptent à nous (ce qui peut très bien ne jamais arriver… ). Mekles  voulait rester en Slovaquie, mais il a du retourner en France pour mettre à jour ses papiers (délivrance d´un passeport à l´ambassade roumaine). Il va profiter de son retour pour suivre une formation professionnelle et il peut ensuite envisager de nouveau un séjour en Slovaquie, toujours dans le cadre scolaire.

Actuellement un autre projet intéressant est en cours. Dusko, notre joueur de sinthétiseur, est en formation de langue francaise à Montreuil, il suit un cours intense sur 12 mois, et il voudrait ensuite entrer conservatoire de musique. Cette initiative est due aussi à l´investissement de son amie Joana, une franco-roumaine, qui elle aussi, a pu intégrer une école de deuxième chance et est en ce moment en train d´effectuer un stage chez les éditions Robert Lafont. Tous, ils continuent leur engagement auprès de Kesaj Tchave et ils s´investissent aussi dans les activités de l´association Ecodrom, en participant aux cours de soutien scolaire sur les terrains ainsi qu´aux ateliers artistiques.  

 

A vrai dire, il y a 5 ans, lorsque nous commencions avec nos interventions et puis nos actions et activités dans le 93, je n´envisagais pas une telle évolution. Nous nous cantonions juste au domaine culturel et artistique, à travers les quels nous voulions infléchir sur  le social et éventuelement approcher  le pédagogique.  Finalement, lorsque les conditions élémentaires sont réunies – contact, motivation, encadrement, une reconstitution de la personalité peut être entreprise, et à travers la valorisation de son identité on peut retrouver une certaine stabilité – et c´est le premier pas vers la poursuite dans cette démarche, afin d´affirmer les acquis et les développer par suite, ayant fait l´expérience de ce que c´est la dignité humaine, on veut en principe continuer dans le même sens…

Nous rencontrons aussi au fil de nos interventions lors de nos tournées les autres, ceux qui n´ont pas participé d´une manière aussi intense à nos actions et activités. Ils sont venus au hasard de nos rencontres de temps en temps, parfois avec plus d´assiduité, d´autres fois non, suivant aussi les diverses évolutions individuelles de leurs parcours (déplacements, opportunités,  expulsions…). Nous pouvons constater que toute notre action a aussi pénétrée leur conscience, leur vécu. Nous avons montré à tous, que „c´est possible“! C´est possible de sortir du cadre prédéstiné de son existence, du moule dans le quel notre environement nous emprisonne et du quel il n´est pas possible s´extraire. Eh non. C´est possible! C´est possible de changer son destin, de briser les chaines dans les quelles nous mêmes et nos proches nous emprisonnent. Il n´y a qu´ à voir les jeunes que nous avons cités, et aussi, heureusement, tous les autres qui ont eu la chance de trouver sur leur parcours qulqu´un qui leur a donné une main secourable.

 

Il est impossible à l´avance de projeter en détail, et même en gros… de tels parcours et de tels investissements. Comment savoir ce qui va se passer en venant sur un terrain, sur un camp, rencontrer des gens que l´on ne connait pas, qui nous ont jamais vu, et qui auront toutes leurs raisons du monde de croire que nous ne venons pas dans une bonne intention. Cette politique de mettre en avant les jeunes, les enfants, se transforme finalement par une stratégie qui est porteuse avant tout en direction d´autres jeunes, d´autres enfants. Qui mieux, qu´un gosse, peut rencontrer, parler, échanger avec un autre gosse. Nous avons mis juste notre expérience et notre savoir à leur service, mais ce sont eux qui sont les principaux acteurs de cette histoire. Et comme les jeunes, c´est l´avenir, souhaitons leur bonne chance, et dans la mesure de notre possible, aidons les!

 

 

Culture

 

Ce n'est rien de nouveau que de constater que la culture fait figure du parent pauvre de nombreux gouvernements, en premier lieux ceux de " crise", car justement, la crise oblige, ils ont d'autres chats à fouetter, pour parler simple, que de s'inquiéter d'une quelconque "culture", nourriture de l'esprit, quand, selon toute évidence la nourriture du corps est à pourvoir en premier lieu...

Chez les Roms, il n'y a pas de gouvernement, les gouvernements de référence ont d'autres priorités  en ces temps de crise et d'éternelles transitions, la majeure part de la population rom est en situation de détresse face aux questions fondamentales de l'existence, la survie au jour le jour est devenue tout simplement une culture de la vie tout court, alors il ne faut pas s'étonner si,  du moins dans la représentation intellectuelle, parfois même politique, toutes origines géographiques confondues, nous sentons chez les Roms souvent une réticence, voire un refus à se positionner d'une manière non  équivoque par rapport à la Culture, au culturel. Bien sûr, le cliché romantique du Tsigane artiste, sorti tout droit d'une imagerie populaire allant de Victor Hugo en passant par Hollywood, a fait son temps, et en aucun cas ne peut servir de référence à un discours intellectuel tant soit peu cohérent. Il y aussi, et dans plus d'un cas, une distance, sinon un rejet de ses propres origines sociales, nombre d’intellectuels roms émanant de familles de musiciens... mais gardons nous de généraliser.  

Qu'en est-il sur le terrain – sur les terrains, dans les camps, dans les ghettos, dans les bidonvilles? Sans se prévaloir d'une prérogative de "science infuse" quelconque pour se prononcer d'une manière générale, donc en se référant uniquement aux localités que nous connaissons directement, personnellement, pour les avoir fréquenté aux cours de nos tournées (les camps des migrants roms roumains franciliens, les terrains des Gens du voyage à travers la France, villages roms en Roumanie) et bien sûr, comme référence directe les osada slovaques,  où vivent tous les membres, les enfants et les jeunes des Kesaj Tchave, nous ne pouvons que constater que la culture est vitale, fondamentale, ce "quelque chose" qui reste quand il n'y a plus rien, et Dieu sait qu'en ces endroits c'est le constat de l'évidence – en effet il n'y a plus rien...

Alors que ce soit le manelé, tant décrié par les puristes, adorateurs du seul, vrai folklore roumain, que ce soit le disco-rom slovaque, la risée de tout " musicien sérieux" slovaque, qu'il soit dans le classique ou le populaire, ces deux courants, pardon, pour n'offenser personne, disons juste ces deux manières soi-disant simplistes de faire de la musique de consommation, eh bien pour les auditeurs, pour tous ceux qui les écoutent, les vivent au fond de leurs caravanes délabrées éparpillées au jour le jour on sait trop où, qui les écoutent dans nos osadas, et ce, bien sûr, à grand renfort de décibels débridés, c'est une culture populaire dans tous les sens du terme, et en premier lieu dans le sens de la nourriture  non seulement de l'esprit, mais aussi celle de l'âme, nourriture sans la quelle il ne serait pas possible de survivre, même, et avant tout, quand on se bat pour survivre tout simplement... au jour le jour, mais en musique, s'il vous plaît... 

Oui, la culture, la musique, la danse, est ce brin de paille au quel on se raccroche quand on coule, c'est la mélodie du départ au front... des images d’Épinal, oui, pour nous, chez Kesaj Tchave, c'est ce qui nous fait vivre, exister, et sans donner de leçons universelles, dans l'univers tsigane, qui est celui des gosses de Kesaj Tchave, cela aide énormément, au jour le jour. En attendant les jours meilleurs lorsqu'ils auront fini l'école, le lycée, la fac... tout cela peut être envisageable, c'est même une réalité, puisque a  terme de plus de dix ans de scène avec notre groupe de chants et de danses tsiganes, les Kesaj Tchave, nous avons ouvert ce fameux collège rom, et si nous arriverons à durer, à résister, à survivre, eh bien ils iront jusqu'au bac, jusqu’à l'université, même en sortant de l'osada, de la colonie, du bidonville, et même si c'est en musique...

 

Le détail de nos interventions et actions est décrit dans les Narratifs 2012.  Du fait du calendrier de nos spectacles, ces actions chevauchent l´année 2012 (tournée d´été) et l´année 2013 (tournée de printemps).