jeudi 6 décembre 2018 - soirée d´entreprise, Chateau de Zbiroh, République Tchéque

samedi 8 décembre 2018 - spectacle au Chapiteau Raj´ganawak, Saint Denis

dimanche 9 décembre - atelier avec les Intermedes au Chateau de Buno

lundi 10 décembre - atelier de claquettes avec Roxane au Flamenco France

                               sortie touristique a Paris

                               rencontre et atelier avec Tsuica au Consrvatoire de Clamart

mardi 11 décembre - spectacle a la Salle paroissiale de Pléssis-Robinson

 

 

 

Cette année nous n´aurons fait qu´une seule tournée, celle du mois de mai. Ca s´est très bien passé, mais une seule tournée, ca fait un sacré changement par rapport aux autres années, lorsque nous sortions en moyenne cinq à six fois par an. Je sens que tout le monde est encore en attente d´une sortie en fin d´année, naturellement, comme les autres fois. On ne va pas forcer, d´autant plus que notre budget est déjà pratiquement consommé avec la tournée que nous avons faite au printemps, et par les nouvelles contraintes financières dues au loyer des locaux que nous occupons. Je laisse un peu venir les choses, voir si une occasion se présente. Celle-ci vient sous la forme d´une proposition d´animation d´une soirée d´entreprise en Tchèquie. Le premier contact date d´il y a presqu´un an, je leurs ai dit alors que l´on verra un peu plus tard, qu´il est trop tôt pour nous pour nous prononcer. Et voilà que la responsable de la soirée nous rappelle, en insistant qu´ils souhaiteraient vraiment nous voir participer à leur événement. J´hésite à m´engager, toujours à cause de cette instabilité chronique au niveau des musiciens. En effet, comment promettre d´assurer une production que l´on peut qualifier de professionnelle, puisqu´il y aura un cachet, alors que je ne suis pas sûr de mes effectifs, donc pas sûr de pouvoir assurer une prestation en bonne et due forme, comme promis. Mais ils insistent, ne se laissent pas décourager par mes arguments, comme quoi autant nous passons très bien dans un contexte international, à l´étranger, mais devant un public tchèque ou slovaque, qui un a un rapport particulier aux roms, il y a un certain risque à nous produire. Il n´y a rien à faire, ils ne démordent pas, alors on finit par accepter. Cela nous fera une halte à mi-chemin, et un apport consistant au niveau du budget de transport. Nous nous mettons à monter une petite tournée en vitesse. Il est question de pratiquement juste d´un aller - retour, cela tombe parfaitement bien avec le projet que nous sommes en train d´élaborer avec des amis de Clamart, sur un échange avec des groupes de danses clamartois à finaliser au mois de mai prochain. La rencontre de décembre que nous sommes en train de préparer, constituerait le premier palier du projet. Heureusement, nos amis de Clamart se chargent de la majeure partie de l´organisation, et je n´ai qu´à coordonner nos différents intervenants.

En attendant nous nous produisons encore chez nous, à Strane pod Tatrami, lors d´une soirée dédiée aux seniors. C´est la municipalité qui fait appel à nous, et nous sommes contents de pouvoir nous produire après des années dans ce village, à forte majorité rom, où nous fûmes très présents dans le passé, et dont de nombreux jeunes ont fait partie du groupe. Tout se passe très bien, nous sommes en terrain acquis, les seniors, tout comme les jeunes d´antan apprécient notre prestation, et nous nous en donnons à coeur joie. 

Dehors, il faut gérer les jeunots qui n´ont pas pu entrer. Ils restent devant la porte, bien éméchés, et cherchent noise à nos jeunes, avec les quels ils ont des comptes à régler. Ce qui est tout à fait normal et habituel, tous les bidonvilles sont en constantes guégueres, et il y a toujours des bisbilles qui traînent entre les ados au sang chaud. J´ai de quoi faire, les jeunots ont bien bu, et il faut que je m´interpose physiquement entre les deux camps. Je fais évacuer nos gars dans la salle des spectacles, et je monte la garde devant la porte jusqu´à ce que ne vienne la grande-mère des agresseurs en personne et leurs fait passer un tel tabac qu´ils déguérpissent à toute vitesse et ne songent plus à revenir. 

La semaine qui suit nous avons encore la visite de deux jeunes femmes tchéques, Bára et Dorka, bénévoles d´une association humanitaire, qui nous ont rencontrés à la première du film Jenica et Perla, à Prague, il y a des années de cela, et elles ont insisté pour venir nous voir chez nous. Ce qui fut fait, et elles repartent, déterminées à nous organiser un spectacle à Prague, lorsque nous passerons par là au mois de mai prochain. A cela se greffe encore une sollicitation d´un lycée de Brest, qui travaille sur un projet socio-culturel, et qui voudrait nous inviter chez eux en 2020… Décidément, on ne va jamais s´arrêter…

Nous profitons aussi de cette période pour faire venir aux répétitions le plus grand nombre de participants. Surtout les tout petits. Il y a comme ca la petite Véro, qui n´a que quatre ans, plus toute une ribambelle de petits minots de 5 à 6 ans. Ils sont super accros, on les fait venir que de temps en temps, quand j´ai le temps de faire la navette en voiture, car on ne peut pas les laisser prendre le train. Par contre lorsqu´ils doivent rester à la maison, c´est la catastrophe, les grands ont de quoi faire pour leur échapper et prendre le train sans eux. Entre temps, la situation de Roman reste stable, c´est à dire complétement instable, toujours entre les excès de sa doulcinée, à faire la navette entre Lomnica et Spišský Štiavnik. J´aimerais bien qu´il vienne avec nous à Paris, mais je ne me fais pas trop d´illusions, même s´il est prêt à partir avec nous, déterminé à ne plus se laisser faire par ses accolytes de son nouveau groupe de Lomnica et leur fameux impressario, la situation dans la quelle il se trouve est tellement explosive, que tout peut arriver à tout moment, donc je prends sa participation à la tournée avec une très grande réserve. Heureusement, comme par enchantement est réapparu Rasto, un de nos anciens musiciens, il veut prendre un peu de repos dans son travail à Bratislava, où il est depuis presque deux ans, et nous promet de venir avec nous. C´est un très bon musicien, s´il vient, on n´aura aucun problème au niveau musical.


 

Les passeports

C´est aussi le moment de faire faire les passeports des nouveaux, ceux qui partiront avec nous pour la première fois. Il n´y a pratiquement plus d´anciens, tous sont au travail, et nous avons quatre nouveaux éléments dans le groupe qui n´ont pas encore 15 ans, donc n´ont pas de carte d´identité et ont besoin d´un passeport pour passer les frontières. Même si nous faisons partie de l´espace Schengen et que les contrôles sont rares, nos récentes expériences de rencontres inopinées avec les forces de l´ordre ne laissent aucun doute sur la nécéssité d´avoir les papiers en règle. Il nous est arrivé par le passé de risquer, et de prendre un jeune sur la carte d´identité d´un cousin, ou d´avoir oublié un passeport à la maison, ce qui n´est pas très malin ni très responsable, il est évident que nous ne pouvons pas nous permettre ce genre de fantaisie par les temps qui courent. Nous sommes à un mois du départ, juste ce qu´il faut pour faire le nécéssaire. Normalement, je vais chercher les parents au bidonville, je les ramène avec leurs enfants en ville, on va au bureau municipal, on fait la queue, j´achète un timbre fiscal, dépose la demande, et le tour est joué, dans un mois, parfois avant, le passeport est prêt. Avec l´âge, je deviens un peu plus pantouflard, je me laisse aller… Je délégue, je responsabilise, comme n´arrêtent pas de me le conseiller des conseillers éclairés (français)… Arrête de faire tout toi-même! Donc je ne vais pas au bidonville, je n´attends pas dans la queue devant le bureau et je laisse faire les autres, les parents. Bien mal m´en prend. Ca foire à toutes les étapes. Déjà, ils ratent le bus. Pas grave, ils prendront le suivant… Mais non, ils ont pris un taxi au noir, donc frais supplémentaires. Bon, on va au bureau municipal, avec un solide retard, va falloir attendre plus longtemps. Au lieu de poirauter avec eux, j´ai mille et une autres choses à faire, je leur laisse de quoi acheter le timbre fiscal et on se retrouvera tout à l´heure. Tout à l´heure, je les vois sortant du Lidl, avec un gros sac de provisions, les passeports, c´est promis, juré, ils les feront faire la semaine prochaine. Bien sûr, il n´en sera rien. Heureusement, il ne s´agit pas de grosses pertes financières, mais il est évident que si ce n´est pas moi en personne qui me tape toute la procédure, en „tenant par la main“ tout le monde, il est fort probale que cela finisse comme cette fois-ci. Sur 4 passeports, on a réussi à en faire 2. Ce qui est déjà pas mal. Mais c´est dommage pour les mômes qui auraient pu partir avec nous, et qui ne partiront pas, sans doute jamais.

Autre histoire de passeport : Roman, de nouveau. Roman semble bien parti pour partir avec nous. Tout baigne, il a les papiers en règle, Véronika n´est pas en train de prendre la poudre d´escampette, la petite est en garde chez les grand-parents du côté maternel, et l´impressario, sentant qu´il n´a plus d´emprise sur lui, nous fiche la paix. Deux jours avant le départ, coup de fil, Roman a perdu sa carte d´identité. Ou plutôt il se l´ai fait voler dans le train. Cela aurait été un jour avant, on serait sereins pour en faire établir une autre, en procédure accélérée cela prend deux jours, mais comme il me le fait savoir que mardi, elle ne sera prête que jeudi, le jour de notre départ. Et on ne sait pas à quelle heure, c´est un courrier de Bratislava qui apporte les documents à Kežmarok, donc ca peut très bien être à dix heures, comme en début d´après midi. Mais nous ne pouvons pas nous permettre d´attendre, il faudra partir au plus tard à dix heures, afin d´être en Tchèquie en début de soirée pour assurer l´animation pour laquelle on nous fait venir. Donc encore deux jours sans savoir à quoi s´en tenir, s´il y aura Roman avec nous ou non. Nous avons Rasto en réserve, mais pareil, tant qu´il ne sera pas assis dans le bus, on ne peut pas vraiment être sûrs qu´il sera là. Palo, le troisième remplacant, vient de nous annoncer la veille qu´il est obligé de participer à une formation de l´Anpe, donc il ne pourra pas partir avec nous. Tout cela ne serait pas grave, si nous allions donner juste des représentations dans un cadre associatif. Là, je pourrais assumer même juste avec ma balalaïka. Mais vu que nous avons cette prestation rémunérée pour le comité d´entreprise, il faut que nous soyons capables d´assurer une production professionnelle, pas uniquement une animation scolaire ou pour des bénévoles. 

Autre élément déstabilisant – les gilets jaunes. Les infos qui relayent les événements qui se passent à Paris ne laissent aucun doute, en France c´est la guerre civile. Tout spectateur slovaque voyant les barricades, les voitures en feu, la police et les manifestants en train de s´en mettre plein la figure, ne peut que partager cette certitude, aller à Paris ou à Kaboul, c´est du pareil au même, il ne faut pas y aller. Les parents ne veulent pas laisser partir leurs enfants, et on les comprend. Donc la veille du départ, il n´y a plus beaucoup d´adeptes au départ. Je fais la tournée des chaumières, j´essaie de rassurer tant bien que mal, ca se tasse, par la même occasion il y a une tentative de pression de la part des familles au niveau financier, toujours la même rengaine d´avant tous les départs, mais coment que va partir leur gamin sans rien à se mettre dessus, sans produits d´hygiène, sans chaussures… Ca va, on connait le refrain, les cas les plus pressés, on les a répértoriés, il y a tout un gros panier de baskettes et de jeans prêt en France qui nous attend, pour l´hygiène nous avons des gros shampoings familliaux, et ceux qui ne veulent pas partir n´ont qu´à rester à la maison. Donc tout le monde part. On ne sait toujours pas pour Roman, à quelle heure sera prête sa carte d´identité, il attend près du bus avec Véronika, il a même pleuré la nuit, mais il est exclu qu´on prenne du retard à cause de lui. Le bus est chargé, Rasto est là, on a l´indispensable pour la musique, on peut partir. Coup de fil du bureau municipal, la carte d´identité vient d´arriver. Ca va, 20 minutes pour aller la récuperer, c´est dans nos cordes, on prend Roman et Veronika avec nous. Et, miracle tsigane, nous sommes exactement trente, comme prévu initialement.


 

Zbiroh

jeudi, 6 décembre

Nous avons dix heures de routes devant nous. Nous ne nous arrêtons presque pas, uniquement l´indispensable nécésaire pour aller aux toilettes, toujours avec des mesures de sécurités draconiennes par rapport au dangers de la circulation. Nous atteignons Zbiroh, en peu au sud-ouest de Prague en fin de journée, ce qui nous laisse le temps d´aller nous restaurer et nous installer dans la pension où nous sommes logés. Très bonne surprise, l´hébergement est parfait, par chambres de deux à quatre, avec des salles de bain, le tout dans un solide confort, une vraie aubaine pour nos jeunes, dont la plupart n´ont jamais vu ni gouté un tel luxe. 

Les seul hic, c´est que les chambres sont réparties sur quatre couloirs différents, bien distants les uns des autres, avec des points d´accès séparés. Un vrai casse-tête pour dispatcher tout le monde, en prenant en compte toutes les priorités, les filles au plus près de nous, éviter les susceptibilités entre les bidonvilles et les affinités au niveau des coups tordus qui bien sûr, réunissent tout le monde à la même enseigne, prendre en compte les regroupements familiaux, etc. Pensée émue à nos amis de Tamèrantong, qui, un an à l´avance sont venus en Slovaquie pour prendre en photo les chambres d´hôtels pour savoir comment ils allaient repartir les jeunes… Nous, il faut que ce soit fait tout de suite et sur le champ! On y arrive, normal, on a de la pratique derrière nous… Suit une excellente goulash au restaurant de la pension et nous pouvons aller jouer.

La soirée d´entreprise que nous devons animer se passe dans un château renomé de Tchèquie, le Château de Zbiroh. C´est une soirée à thème, tout se passe comme au Moyen-âge, les convives sont affublés de semblants de costumes d´époque, ils ont eu droit aux jeux – compétitions sensées de souder les collectifs, il y a un magicien qui fait son numéro, et puis nous. Nous sommes prêts à déferler, à mettre toute la gomme, à dévaler tel un tsunami sur ces braves gens qui ne se doutent pas de ce qui les attend. L´énérgie, la force de la nature, c´est notre force véritable, avec l´authenticité, notre atout essentiel, partout ou l´on passe. Les organisateurs ont voulu avoir quelque chose d´inhabituel, une surprise, eh bien, c´est réussi, notre passage dénotte par rapport à tout ce qui est conventionnel et de mise dans ce genre d´événements. Même avec les nouveaux, nous réussissons à faire participer un maximum de spectateurs, en les faisant danser, courir, sauter, le tout dans un tourbillon d´euphorie générale, car beaucoup de nos nouveaux sont pareils aux spectateurs, ils ne savent pas vraiment ce qui les attend, ils se laissent entraîner par la musique, par la dynamique de la troupe, par la folie collective, du moins c´est l´impression qui s´en dégage. Évidamment, tout cela, je le dirige d´une main de fer, tapant à tout casser avec mon bâton en fer sur ma timbale cassée, vociférant des directives à Stéfan et Maria, les seuls anciens que j´ai sur le parquet, c´est un sacré numéro de dressage, mais du moment que j´ai mes musiciens sous la main, ca va. Helena est aussi à la rescousse, comme d´habitude, son caractere résérvé et son penchant pour le sérieux en prennent un sale coup, nous sommes à l´opposé de ce que l´on pourrait appeler une prestation conventionelle, une heure de spectacle que nous devons produire passe comme un rien. 

Le spectacle fini, nos jeunes continuent spontanément en s´en donnant à coeur joie sur le parquet avec une discothèque tsigane improvisée, comme à la maison, et c´est peut être ça encore, qui épate le plus les spectateurs, ce naturel, cette joie de vivre, la capacité de prendre du plaisir à l´instant même, peu importe où l´on se trouve, et aussi la capacité de partager ce plaisir, même avec des tchèques ou des slovaques. Donc tout se passe très bien, même en Tchèquie, il n´y a eu aucune tention à déplorer, comme je le craignais un peu au départ. On peut aller se coucher, je surveille un peu, mais tout se passe bien, la répartition avec les grands comme surveillants porte ses fruits, nous pouvons dormir tranquilles.

 

Buno

samedi, 8 décembre

Bien que partant le matin déjà de la moitié de notre trajet, ce n´est que vers deux heures du matin que nous arrivons à Buno. Le petit déjeuner tardif y est pour beaucoup, nous avons voulu profiter au maximum de cet hébergement hors normes pour nous, donc nous n´étions pas pressés de partir, ce qui explique l´arrivée tardive au château. Ce qui est sympa, c´est que nous sommes attendus sur place par Joana, Jenica et Mekles, qui n´ont pas hésité une seconde, et sont venus par leur propres moyens. Sinon il n´y a personne, le château est vide, les portes ne sont pas fermées à clef. Jamais on ne ferme les portes ici… Nous sommes contents de retrouver ces lieux, exceptionnels, qui nous arrangent aussi au niveau financier, nous sommes logés ici à titre gratuit, ce qui élargit considérablement notre champs d´action. Bien sûr, nous respectons méticuleusement les consignes sur place, à savoir bien nettoyer après notre passage, nous nettoyons toujours à ce que ce soit encore plus propre à notre départ, que ça ne l´était à notre arrivée. 

Pour l´instant, pareil que la veille, d´abord répartrir tout le monde selon la logique de regrouppement affinitaire et sécuritaire avant tout. Nous connaissons les lieux, nous avons une grande chambre pour les filles, les garçons serons répartis par leurs origines géographiques, il n´y a rien à faire, le local-patriotisme est un concept fondemental même dans les bidonvilles. Donc d´un côté les Rakusy, dans une grande chambrée, Lomnica sera dans le couloir, il n´y a que les grands qui vont se mélanger à l´interbidonville dans la tourelle du château… Le tout à grand renfort de matelas par terre, il n´y a pas assez de lits, mais ce n´est vraiment pas grave. Arrivés à 2 heures, répartis à 3, rassasiés à 4, couchés à 5 heures. Moi je me couche vers six heures, pour Helena et les anciens ce ne sera qu´à huit heures qu´ils iront au lit, ils feront encore cuire les boulettes de viande pour le repas de la journée qui est déjà entamée. Inutile de dire qui la nuit aura été courte. Avec l´excitation du voyage, les nouveaux surtout se lévent tôt, à dix heures déjà tout cela descend à la cuisine, et la vie de la troupe reprend.


 

Gilets jaunes

Nous sommes samedi, journée de prédilection des gilets jaunes, il nous faut contourner Paris par le périphèrique pour arriver de Buno à Saint Denis. Au château, le raccord internet est pratiquement nul, nous n´avons aucune information quand à la situation dans la capitale, ce qui fait que nous partons en explorateurs sur les terres des gilets jaunes, sans trop savoir où on met les pieds, ou plutôt les roues de notre bus… 

Le coeur quand même un peu serré, ce que nous avons vu à la télé slovaque avant de partir n´est pas pour nous rassurer, mais on n´a pas le choix. Sur le périf´ c´est marqué sur tout les panneaux : périphérique à éviter, risque de barrages, mais ca roule bien et nous arrivons sans encombres au Châpiteau Raj´ganawak de Camo et Ioanis. 

A l´origine il était question de faire deux représentations, une samedi et l´autre le dimanche, tant la demande était forte, mais avec les événements beaucoup de gens se sont désisté à cause des perturbations dans les transports. Donc ce n´est pas une salle archi-bondée comme la dernière fois qui nous attend, mais bien remplie quand-même, ce qui est déjà pas si mal. 

Les conditions sont toujours les mêmes, une toute petite caravane miniscule pour les filles comme vestiaire, un espace non éclairé de deux mètres carrés pour les garçons, mais un bon kebab en entrée de matière, alors tout va bien, on peut attaquer. Nous avons Dushko avec trois filles des Intermèdes avec nous, et les Tamèrantongue vont nous rejoindre en cours de spectacle. 

L´ambiance est au top, un moral d´enfer, de l´énergie à en revendre. Nous sommes en train de battre notre record de chant non-stop depuis le départ. En effet, lorsqu´on part en tournée, avec l´ethousiasme et l´énergie des départs tout le monde chante sans arrêt pendant le trajet, ce qui fait 24 heures, ensuite encore un jour, ce qui fait 48 heures, et là, ça fait déjà la troisième journée, donc près de 70 heures que ça ne s´arrête pas, à part les espaces de sommeil, ça chante et danse sans arrêt. 

Dans le bus, dans les vestaires, avant le spectacle, pendant le spectacle, après le spectacle. Preuve que le baromètre de la bonne humeur est au top. Donc le spectacle se passe on ne peut mieux, on fait participer tous les spectateurs, petits et grands, roumains, français, africains, tout y passe, sans distinction de couleur ni de race. 

Les Tamèrantong nous rejoignent sur scène, nous remettent en souvenir deux grands panneaux avec les photos de leur tournée slovaque. Émotions, remerciements, larme à l´oeil. Nous rentrons après minuit, contents quand-même de savoir qu´une journée de récupération nous attend le lendemain.


 

Divertissements

dimanche, 9 décembre

Le dimanche nous n´avons pas de spectacle, mais un atelier de danse avec les Intermèdes. Nous nous sommes mis d´accord avec Laurent qu´ils viennent un peu plus tard, en début d´après-midi, et non en fin de mâtinée comme prévu initialement, il ne faut pas oublier que samedi on s´est couché entre 6 et 8 heures du matin… Les Intermèdes débarquent vers 13 heures, on attaque à 14 h, ils doivent partir vers 16 h. On fait intensif, rigoureux, mais avec de la joie de vivre, selon notre bon vieux précepte. 

Cela se passe très bien, ce genre d´exercice est profitable à tous, cela nous permet de renouer avec Aven Savore, et ce n´est pas plus mal. Comme prévu, ils ne s´attardent pas trop, on se met d´accord pour retrouver Dusko et Hafsatou le lendemain, et on peut enfin souffler un peu en profitant d´une soirée de dimanche au calme au château. Mais ce serait sans compter les petits divertissements dont Roman et Véronika ont le secret. Alors que nous en sommes tous au mieux de la farniente, à prendre des douches, jouer au baby foot, quelques uns dansent et chantent encore, mais sans excès, d´autres se ravitaillent pour ne pas dire qu´ils se goinfrent, dans l´ensemble nous prenons tous doucement et surement la direction des lits et des matelas, qu´une banale dispute éclate, les petits font comme les grands, à savoir se distribuent des baignes à grands renforts de cris stridents et yeux en larmes. Qui c´est? 

Mais bien sûr, nos chers et inépuisables Roman et Veronika. Ca se passe à l´étage, dans la salle de bains des filles, je dévale les escaliers comme un jeune homme, sépare les deux tourteraux, je pique une bonne crise, il n´est pas question de sévices corporels chez nous, dussent-ils être commis même entre époux consentants. Bref, je dis mes quatre vérités à Roman, Helena prend en charge Veronika, qui fidèle à ses convictions veut s´enfuir tout de suite dans la nuit de la campagne profonde et non éclairée entourant le château. Ce n´est rien d´extraordianaire, nous avons eu droit à la même scène une semaine avant de partir en tournée, c´était pendant une répétition à la quelle sont venus assister des gamins de l´orphelinat voisin, accompagnés de leur psychologue, ce qui tombait bien, car elle pu prendre tout de suite en charge Véronika, là c´est Helena qui fait la psy. Il ne faudrait pas que la gamine parte dans la nature, on aurait du mal à la retrouver, déjà que nous, on est complètement paumés ici, alors Véronika… on pourrait très bien ne plus jamais la revoir. Je suis quand-même en pétard, j´imaginais autrement ma petite soirée tranquille de dimanche à la campagne. Là, il est minuit passé, et décidément, on est pas couchés… Finalement avec Palo, on était à côté du rythme, mais à part ca, on était tranquilles, là, avec Roman et Véronika, c´est clair que c´est intenable et il n´y a aucune perspective que cela s´arrange à l´avenir, ca ne fera qu´empirer. Que faire? On met Veronika sous surveillance rapprochée. Elle ne doit pas rester une seule seconde toute seule, même pas aux toilettes, un coup de cisailles dans les veines c´est vite fait. Et Roman, lui, je le prends comme lorsque je sors avec Laky, mon toutou, on part faire un gros tour dehors, il n´y a rien de mieux que l´air frais pour calmer les têtes chaudes. On sort de l´enceinte du château, on se balade dans ce bled qui est déjà archi paumé dans la journée, alors à une heure du matin, c´est le Sahara et l´Antarctique réunis au niveau de la densité de la population dans les rues. Déjà moi, je me calme, ce qui n´est pas plus mal. Roman est dans une mauvaise passe et il n´est pas près d´en sortir, c´est pas la peine de lui gueuler dessus, cela ne changera rien. De toute manière il ne fait aucune opposition, il reconnaît qu´il ne faut pas se comporter de la sorte et promet de ne pas recommencer. Du moins en tournée… Il se met à vider son sac. Me dit des choses que la plupart je savais déjà. Au bidonville de Véronika, c´est un espèce de curé qui l´a amené là bas. Un gars pas bien, il s´est fait condamner pour des attouchements sur mineurs peu de temps après… 

Mais les choses étaient engrangées. Roman s´est retrouvé dans une famille encore plus pauvre que la sienne. Mais surtout, plus perverse. Ils croyaient qu´il était riche, puisqu´il venait avec le curé qui avait de l´argent. Ils l´ont fait boire. Le lendemain, au réveil, il s´est retrouvé couché à côté de Véronika. Pas dans son lit, car il n´y a pas de lit chez eux, tout le monde dort par terre, à dix – douze à même le sol, dans une cabane branlebalante. Et ses futurs beaux-parents lui ont dit, soit tu la prends comme femme, soit tu vas en prison, car on ira te dénoncer à la police, elle n´a pas encore quinze ans, tu iras au trou pour trois ou quatre ans. Roman a eu peur, et le reste s´en est suivi. C´est un cas tout ce qu´il y a de banal. Nous avons eu quelque chose de similaire il y a une dizaine d´années, Maroš, notre guitariste de l´époque, a failli y passer aussi. Mais Helena a embarqué sur le champ la fille et sa mère chez le gynéco, qui a dit qu´il ne s´est rien passé entre les jeunes, et la fille a dû bien reconnaitre qu´elle a menti dans le but d´avoir Maroš ou de l´envoyer en prison. Avec Roman, ce n´est que plus tard que nous apprenons tout ca, et il n´y a plus rien à faire. Mais aussi, pas grand chose à espérer quand à l´avenir. A côté de ces problèmes fondamentaux, que Roman n´a d´autre choix que de subir, nos problèmes de manque de musiciens sont bien futiles, mais nous ne pouvons pas grand chose pour Roman, à part de le calmer ce soir et surveiller Véronika pour qu´elle ne fasse pas de bêtises… Bon, il est pas loin de 4 heures du matin, il serait temps de se coucher.


 

Ateliers

lundi, 10 décembre

Inutile de dire que la nuit fut courte, lundi nous devons partir en fin de matinée, pour passer d´abord par Chilly prendre Duško et Hafsatou et aller ensuite dans le 20e arrondissement participer à un atelier de claquettes américaines avec Roxane. C´est Marianne, notre amie de Clamart qui nous a arrangée cela, toujours en vue de ce projet que l´on prépare ensemble pour le mois de mai prochain. 

Roxane est danseuse de claquettes professionnelle, elle n´arrête pas de bourlinguer entre New York, Paris, Rio et je ne sais où encore, c´est une enthousiaste, passionnée, elle donne des cours aux quatre coins du monde, et elle est d´accord pour s´engager dans ce projet altruiste, elle devrait venir aussi passer quelques jours chez nous cette année. Les claquettes, ce qu´il y a de compliqué avec, c´est qu´il faut des chaussrues spéciales, que nous, on n´a pas. Alors on va essayer de monter quelquechose sur la base de mouvents tout simples, qui peuvent être pratiqués même sans les chaussures adéquates. 

L´atelier se passe très bien, tout monde joue le jeu, on fait d´abord une démonstration dynamique de notre programme et ensuite nous partons sur des syncopes de swing qui nous vont comme un gant. Après, comme à l´accoutumée, nous partons rendre une petite visite à la Tour Eiffel, que plus de la moitié de la troupe a déjà vue plus d´une fois, mais pour les nouveaux c´est une escale incontournable, et les anciens ont toujours plaisir à faire des photos et marchander les petites tours. 

Au début ils se faisaient arnaquer par les marchands africains, maintenant ils arrivent même à s´en offrir gratuitement, décidément l´amitié entre les peuples fonctionne à plein sur le Parvis du Trocadéro. Nous filons ensuite à Clamart, où toujours sous l´initiative de Marianne, nous devons rencontrer des membres de différents groupes de danses, pour voir ce que l´on pourrait mettre en place dans le cadre de ce projet d´échanges du mois de mai. Nous galérons pour trouver l´endroit, décidément le GPS polonais de nos chauffeurs polonais est toujours aussi performant, nous nous retrouvons dans un cul-de-sac, sans pouvoir avancer ni reculer, heureusement que les chauffeurs sont des pros et ils arrivent à nous extirper de situations impossibles, sinon on y serait encore. 

Cette fois-ci c´est un MacDo qui constitue notre récompense de la journée, et nous pouvons attaquer l´atelier – rencontre. Bien sûr, l´atelier commence d´abord par une démonstration musclée de notre programme, donc une bonne demi-heure de spectacle à fond, ensuite nous prenons tout le monde dans la ronde, il y a des danseuses orientales, des musiciens bérrichons, des amateurs de danses balkaniques, peu importe, tout le monde suit, et le programme du mois de mai est déjà ébauché. 

Ces ateliers, basés sur la participation des partenaires, sont pour nous des excellentes occasions de mise en place de nos interventions de participation du public que nous mettons en oeuvre lors de nos spectacles. Cela a l´air complétement spontanné, débridé, non contrôlé, mais toute cette spontanéité est travaillée, mise en place et gérée par moi, et pour cela je n´arrête pas de répéter ces interventions, le mieux en situation réelle, comme cette fois, lorsque le public ne sait pas dans quoi on l´embarque, et la plupart de nos jeunes non plus, puisqu´ils découvrent cet exercice pour la première fois. Finalement c´est du travail, sans que les participants ne se rendent compte qu´on les fait travailler. Et bien sûr, il faut que ce soit très dynamique, dans les conditions réelles d´un spectacle réel. La méthode rencontre un franc succès, l´atelier se prolonge, et ce n´est que vers minuit que nous quittons le Conservatoire de Clamart pour rentrer à Buno. Pareil qu´à l´aller, on passe d´abord par Chilly pour déposer Dusko et Hafsatou, et nous arrivons enfin au château vers 1 heure et demie du matin.


 

Mégots

La journée aura été longue et bien remplie, le frigo est pris d´assaut et les soupes chinoises instantanées partent commes des petits pains. Tout va bien, je surveille quand même du coin de l´oeil notre gentil couple infernal, mais on dirait qu´ils se la jouent à l´amiable ce soir, alors ne provoquons pas le destin et laissons faire la nature. Lubo vient me dire de venir voir ce qu´ils ont trouvé sous la table de la salle d´entrée. J´y vais, et effectivement, une petite surprise nous attend, un bon paquet d´une trentaine de mégots au moins trône sous la table, placés de façon à ce qu´on les trouve en entrant. 

A deux heures du matin, après une journée de 20 heures, remplie à ras bord, inutile de dire qu´un truc pareil secoue quand-même son bonhomme. Le bonhomme c´est moi, et je suis secoué. Je me dis que plus jamais on ne reviendra ici, tant pis, il y a des limites à tout. Je sais parfaitement qui a fait ça. C´est Deplphine, une des secrétaires de Vincent, le maître des lieux, qui travaillent dans la semaine dans les bureaux au deuxième étage. Delphine est d´ailleurs plutôt sympa. Elle nous aime bien, et si elle a fait ça, c´est pour nous apprendre à nous comporter d´une manière plus responsable et écologique. Plus d´une fois elle nous a expliquée qu´un mégot met trente ou trois cent ans, je ne sais plus, à se décomposer dans la nature. Et que dans le ventre d´une baleine ca fait désordre, etc. Je suis entièrement d´accord, et bien sûr je n´arrête pas de gueuler sur tout le monde pour qu´ils ne jettent pas les mégots n´importe où. A la longueur de la journée. Et bien sûr, on trouvera toujours des résidus de tabagisme dans le recoins des environs du château. Delphine, en arrivant au petit matin, elle fait d´abord le tour de la bâtisse, avec un sac en plastique (tiens, il faudrait que je lui dise d´utiliser des sachets en papier recyclable), elle ramasse tout ce qu´on a perdu en route le soir, en victorieusement elle me montre son butin au petit déjeuner. Ok, je le prends avec de la réserve, on a tous un petit grain, mais là, à deux heures du mat´, ca me fait quand même légèrement enrager. Ce qui me chagrine surtout, c´est que par son action, qui la satisfait elle, dans son amour-propre d´écologiste pratiquante, elle ne nous laisse aucune chance de pratiquer nous-mêmes, d´accomplir cet acte de conscience citoyenne environnementale de nos mains propres. Elle nous empêche de faire notre boulot, de remplir notre mission, qui est celle de faire faire ramasser les mégots par les jeunes eux-mêmes, comme première étape de la suivante, qui sera celle de ne pas les jetter du tout. Alors quand elle passe, pernicieuse, avec son petit sachet à mégots, elle nous sabote notre travail. Et surtout ce geste, qui se voulait sans aucun doute pédagogique et éducatif est perçu comme bête et méchant, comme le bon vieux Hara Kiri de l´époque… Bon, après un moment je me calme mais j´écris quand même un petit pamphlet à destination de Delphine, que je dépose devant le magot aux mégots, que nous n´avons pas touché. Le lendemain j´en touche deux mots à Vincent, il n´y a aucun problème, il connait son monde, il sait à qui on a affaire…


 

REMERCIEMENTS

Je voudrais exprimer, au nom de tous les membres du groupe Kesaj Tchave qui viennent de séjourner au Château du Buno du 7 au 11 décembre 2018, nos plus vifs remerciements pour l´accueil qui nous a été fait. Ce fut parfait. Royal. Et, cerise sur le gâteau, hier, en rentrant vers 2h du matin, après une journée de travail bien remplie – nous avons donné 3 concerts bien enlevés, une formidable surprise nous attendait en plein milieu de la salle d´entrée. Sous la table, se cachait, bien que visible et bien mis en évidence, un véritable magot, un trésor d´amour et d´élégance, une intention des plus délicates. Un exquis petit monticule bien fourni, de mégots du dernier cris. Il y en avait des petits, des grands, des avec du rouge  à levres ou sans… Ramassés, pas à la pelle, mais à la main, une âme bien pensante, avec amour et doigté, mais aussi, et c´est là tout son mérite, avec passion, pour ne pas dire obsession, a déposé cette petite cagnotte pour fumeurs en culottes courtes, là, en plein milieu de la salle, ne manquait plus que le sapin de Noël et nous nous serions crus à la crèche de Bethléem. Vous ne pouvez pas imaginer la joie des enfants tsiganes! Ils se sont rués dessus tels une horde sauvage. (Oui, les enfants tsiganes sont comme ca… ils se ruent et en plus, ils crient et chantent sans arrêt). Mais c´est là, que j´ai dit : Non! Arrêtez! Ne touchez à rien! Il faut penser aussi aux autres, pas qu´à soi. Oui, on trouve toujours plus malheureux que soi! Il faut savoir partager. Et, d´un commun accord, nous avons décidé de nous joindre à cette démarche altruiste et pleine de bonnes intentions, et laisser ce cadeau inespéré intact, tel que nous l´avons trouvé, afin que d´autres, en rentrant, tard le soir, éreintés, fatigués, puissent avoir le bonheur de vivre cet instant magique, que quelqu´un ait pensé à eux, s´est donné du mal pour leur préparer un petit instant de bonheur. Vous nous excuserez si nous n´avons pas joint d´autres mégots à ce petit pactole, nous ne l´avons pas fait fructifier. Et pourtant, les mégots, vous m´en direz tant, on sait ce que c´est. On peut dire que c´est un peu notre seconde nature. On les fume (en cachette), on les jette, on les répend, mais aussi, bien que cela puisse paraître incongru, on les ramasse par là – par ci. Toujours, en partant, mais aussi durant notre séjour, nous ramassons, nous cueillons ces fleurs du mal, et nous les déposons dans la poubelle. Pas en plein milieu de la salle. Mais on moins nous aurons appris quelque chose. Qu´il ne faut pas mégoter sur les bonnes intentions. Plus il y en a, mieux c´est. Même si parfois elles tombent complètement à côté… 

A Buno, le 11. 12. 2018, Ivan Akimov, le responsable de la troupe Kesaj Tchave


 

Crypte

mardi, 11 décembre

Mardi, nous quittons Buno, pour un spectacle le soir et pour prendre ensuite la route pour la Slovaquie, que nous espérons atteindre le lendemain. Avant cela, comme d´habitude, nous remettons les locaux, le château au propre, on se tape une bonne séance de nettoyage, de fond en comble de toutes les pièces, salles de bains, toilettes, cuisine, tout y passe. Cela se fait en bonne entente, je n´ai pas besoin d´insister bruyamment. Bien sûr, il faut superviser, mais sans plus, tout le monde prend naturellement part à la besogne, et nous arrivons à un résultat satisfaisant – c´est plus propre à notre départ, que ca ne l´était à notre arrivée! Le tout sans faire trop de bruit, car au deuxième étage il y a les secrétaires de Vincent qui travaillent (Delphine n´est pas là), il n´y a pas de portes, et le moindre petit bruissement est amplifié par les murs hyper acoustiques du château, alors on prend d´infinies précaution pour ne pas faire trop de boucan, et on y arrive, ce qui constitue un petit exploit, car tenir toute la troupe au silence toute la journée n´est pas une mince affaire.

Le soir, nous nous produisons dans la salle paroissiale de l´Église Sainte Magdeleine de Pléssis-Robinson. C´est Marianne, encore elle, qui a trouvée cette salle, elle n´a pas eu trop de mal à obtenir l´accord pour que nous puissions y jouer, sans doute que l´argument du partenariat avec le Ccfd a du peser positivement dans les démarches. Comme d´habitude, nous galérons dans les petites ruelles pour nous garer au plus près de l´église, et comme d´habitude, nous sommes accueuillis par les gendarmes. Ou plutôt par la police municipale, qui ne voit pas d´un bon oeil que nous nous voulions garer là. C´est à croire que lorsque nous arrivons quelque part en tant que partenaires du Ccfd, la police est automatiquement de la partie, et on nous envoie un comité d´accueuil, du moins nos aventures rocambolesques et variées avec les gendarmes de Saint Tropez et les environs lors de la dernière tournée dans le sud portent à le croire… Heureusement il y a sur place Rémy, le responsable de la paroisse, que je pousse gentiment en avant, alors c´est lui qui a droit au contrôle d´identité, numéro de teléphone, tout le pataquès. Bonne entrée en la matière. 

Ca crée des liens, nous entrons ensuite dans la salle avec Rémy comme de vieux potes qui en ont vu d´autres. Madeleine, autre responsable paroissiale, n´a pas bénéficié de cette expérience unificatrice, et elle est un peu plus sur ces réserves en nous voyant débarquer dans la crypte de l´église où on va se produire, mais l´enthousiasme juvénile de nos troupes palie naturelement à cette petite réserve de mise dans un endroit dont la vocation première n´est pas celle d´être une salle de music-hall. La salle se remplit gentiment, il y a les paroissiens, il y a aussi des fans à nous qui se sont déplacés, et des roms roumains qui ont fait partie de notre troupe il y a des années, je ne sais pas comment ils ont appris qu´on est là, ils doivent camper pas loin, et sont venus nous retrouver. 

Ca fait un coktail sympathique, avec le quel nous avons plaisir à faire, et nous ne nous en privons pas. Nous donnons un long spectacle, avec tous les ingrédiants, danse et chant d´abord, mais aussi le Conte de fées, les nombreuses sorties dans le public qu´on ramène avec nous sur scène pour danser avec nos jeunes, pour la plus grande joie des paroissiennes, et puis mes allocutions, avec l´incontournable Vive la France, dont je suis si friand. Tout le monde partage, se donne à fond, et c´est assez tard que nous finissons et partons enfin. Bien plus tard que prévu, mais ca va, Madeleine est aussi maintenant des nôtres, on se quitte en on ne peux de meilleurs termes.

Nous avons un long trajet devant nous. Certainement au moins 24 heures, nous allons passer par la Pologne, ce qui nous fait un léger détour, mais les routes y sont meilleures, et puis nos chauffeurs sont polonais, c´est plus simple pour eux. Ce soir nous avons un troupier de plus, c´est Luc, du Ccfd sud, qui nous rejoint pour un petit séjour impromptu dans les Tatras. Nous nous arrêtons comme d´habitude à Reims, où toujours fidèle à son poste, notre grande supportrice et amie, Monique, nous attend vers les 2 heures du matin avec sa break remplie de cartons de vêtements et ravilaillement. On transbahute rapidement le tout, comme des cotrebandiers rodés à la tâche, et nous poursuivons la route vers l´Est.


 

Véronika

La reprise des activités au retour de la tournée se fait sans transition aucune. Dès le lendemain il y a d´abord la distribution des vêtements que nous a donné Monique, il y en aura pour tout le monde, et cela servira à tout le monde. L´hiver s´annonce rude et les anoraks, doudounes, chaussures, etc., tombent à point. Nous reprenons insantanément les répétitions, il y ceux qui ne sont pas partis et veulent rattraper le temps perdu et il y a ceux qui sont partis et veulent continuer comme lorsqu´ils étaient partis, retrouver la bonne ambiance du groupe. Je trie les innombrables photos, Jean Barak nous a rejoint à Buno, alors on en a un bon paquet. Il faut abreuver le facebook au plus vite, les images de la tournée sont une sorte de rituel unificateur, dans le quel se reconnaissent tous les participants, et c´est aussi un signal vers l´extérieur, il y a une certaine forme de narcissisme, bien sûr, mais aussi de la fierté d´avoir accompli quelque chose d´exceptionnel, de méritant, de bien, tout simplement… que cela serve d´exemple. 

Sur les photos, il y a toujours un visage qui sort du lot. C´est celui de Véronika, la compagne de Roman. Elle a toujours une expression particulière, grave, on dirait qu´elle se demande ce qu´elle fait là, visiblement elle est en contradiction avec tous ces autres visages rigolards, épanuis, autour d´elle. Elle fait penser aux gravures de Dürer, qui illustrait avec un réalisme impitoyable son époque. C´est terrible, mais elle fait penser aux sorcières de ce Moyen Age féroce. Veronika a dû vraiment énormément souffrir, elle vient juste d´avoir 16 ans, elle perd déjà ses cheveux et a toujours cette expression d´anxiété permanente. 

Mais, miracle, sur certaines photos, prises à la sauvette, lorsqu´elle danse, on voit quand-même apparaître un sourire sur son visage. Alors là, ca change tout. Elle rajeunit de cinquante ans, et la vieillarde se transforme en fillette, en jeune fille qu´elle est par son âge physique. Au début elle ne voulait absolument pas participer aux répétitions, elle venait uniquement parce que Roman y allait, et il y avait toujours le danger qu´elle s´enfuie à tout moment. Maintenant, c´est elle qui demande quand est-ce qu´il y a une répetition, c´est elle qui pousse Roman à venir, elle est devenue accro. Il est évident que la danse et le chant sont pour elle une véritable thérapie, qui porte ses fruits, elle arrive au moins le temps de la répètition à sortir de son personnage, oublier ses peurs, reprendre pied dans une vie normale. A sourire. Cela semblait tout à fait impossible au départ. Elle revient de loin… 

Les autres revenants, Babovka et Perska, ne sont plus là. Ils nous ont laché la veille du départ en tournée, ce qui n´était pas très sympa. Babovka espérait que son engagement au sein du groupe se verrait courroné par un petit poste rémunéré d´instructeur de danse. Il en aurait la capacité, mais nous, nous n´en avons absolument pas les moyens. C´est dommage qu´il ne voyait sa participation que sous cet aspect, et qu´il a entraîné avec lui aussi Perska, son frère et la petite Eliška, leur fille, tout ce petit monde ne vient plus. Babovka a trouvé du travail, ce qui est bien, mais les autres auraient pu continuer à venir, ils subissent aussi un environement famillial épouventable, cela leur aurait fait le plus grand bien de pouvoir s´en échapper de temps en temps. 

Il y aussi d´autres revenants. Ceux qui sortent de prison. Ivan, le père de Manuela, vient d´avoir une remise de peine pour bonne conduite, au lieu des 8 ans, il n´en a fait que 6. Pareil, pour Marek, le père de Vilma, libéré après 4 ans. Il y en a un qui n´est pas près de sortir, c´est le Gendarme, il en a pris pour 25 ans. Pour meurtre. Nous avons son fiston de 8 ans qui vient de temps en temps aux répétitions, il a le même sobriquet que son père, Gendarme. 

Je me souviens, il y a 8 ans, juste au moments des faits, le petit venait de naître, je l´amenais aux urgences avec sa mère pour une banale gastrite, le père venait d´être mis sous les verrous, toutes les télés parlaient de l´horrible crime qu´il venait de commettre, et je me demandais ce qu´allait devenir ce pauvre môme qui somnolait sur la banquette arrière de ma voiture. Je dois avouer, que moi-même je ressentais envers ce gamin, ce bébé, une espèce de répulsion, ce qui était parfaitement stupide, j´en étais conscient, mais j´étais sous le coup des événements qui m´ont complètement boulversé, j´avais du mal à faire la part des choses et séparer le rationnel de l´émotionnel. Heureusement, la famille a pris le petit en charge, comme si rien n´était. Et c´est bien qu´il vienne maintenant aux répétitions. Dommage que le père ne soit pas venu plus souvent…


 

Le curé

Notre ami Martin Šulík, l´auteur du film Cigán, au quel nous avons eu la chance de participer en 2011, a fait une grosse étude de terrain, une recherche dans les bidonvilles, qu´il a étudiés pendant deux ans afin de trouver de l´inspiration pour le film qu´il allait réaliser. Tous ces bidonvilles se ressemblent, et en même temps sont très différents, ont leurs particularités. Par exemple, à Spišské Tomášovce, un village pas très loin de chez nous, que nous connaissons bien, nous avons des amis là-bas, il n´y a pratiquement pas de bidonville. Il y a juste des tsiganes qui ont pour ainsi dire fondu avec le reste de la population. Et pourtant, à l´origine, avant la guerre, il y avait aussi une colonie ici, qui aurait pu devenir un bidonville, comme dans bien d´autres endroits. Pourquoi il n´en a pas été ainsi ? Va savoir. 

Peut-être parce que, comme nous l´a rapporté notre notre ami cinéaste, qui a fait des recherches sur place, entre deux guères, alors que la situation des tsiganes était épouvantable, du fait des lois raciales du premier État slovaque, instaurées par le président Tiso, un curé, qui collaborait ouvertement avec Hitler, il y avait aussi un autre curé, le curé du village de Spišské Tomášovce. Ce brave homme allait tous les deux jours acheter du lait chez les tsiganes du bout du village. Voilà, ni plus ni moins. Deux ou trois litres par semaine. J´imagine qu´il n´avait pas le temps ni la capacité de s´engager dans d´autres actions ou activités, le temps n´était pas aux chorales, ni aux groupes de danse. Mais les autres villageois le voyaient, traverser tout le village pour aller chez les tsiganes avec sa petite cruche. Il a servi d´exemple. Et soixante-dix ans après, il n´y a pas de bidonville séparé du village, ni prenant la place de ce village, comme ailleurs, mais il y a un seul village, avec ses habitants, vivants en bonne harmonie, ensemble. Le curé, en allant acheter son petit litre de lait, pouvait-il se douter alors de la porté de son geste? Certainement, il n´y a même pas pensé. Il fallait déjà vivre son présent avant de se soucier de l´avenir. Mais, cet avenir il l´a construit en construisant le présent, il a bâti, et non détruit. En toute modestie, c´est ce qu´on espère, construire des édifices invisibles, improbables, mais puisqu´on a posé la première pierre, il y a une chance que le reste suive, sans ce premier caillou les perspectives d´avenir seraient totalement nulles.


 

L´orphelinat

vendredi 23 novembre

Je ne me souviens plus très bien comment nous nous sommes connus avec l´Orphelinat de la région de Poprad. Sans doute nous avons du les croiser un jour dans la rue à Kežmarok, lors de l´une de leurs sorties, nous les avons entraînés dans notre couloir, ils ont assisté à notre répétition, et puis c´est parti... On s´est revu, ils sont revenus, nous sommes allés les voir chez eux... Pendant un certain temps même de manière assez suivie, durant un an nous sommes allés animer des ateliers de danse a Spišský Štiavnik, le village qui les acceuilait. Puis l´organisation des orphelinats a changée, les enfants étaient réparties dans des petites structures de type familial, et de ce fait il est devenu beaucoup plus difficile de pouvoir se voir, réunir les enfants dispatchés aux quatre coins devient vraiment très compliqué. Mais malgré tout, de temps en temps, une fois par an, ils viennent. Les enfants de l´orphelinat ont la chance d´avoir une maîtresse exceptionnelle, Mme Kiššová, qui se donne du mal, se démène pour faire le tour des cinq petites institutions dans lesquelles sont réparties les gosses, et elle nous les amène. Juste le temps d´une répétition sans lendemains, car qui sait quand on se reverra... C´est comme ça que ça s´est passé le 23 novembre 2018. Mme Kiššová nous a appelé quelques jours avant, et puis ils sont passés, et repartis, les étoiles pleins les yeux... Nous n´avions plus de nouvelles d´eux. Jusqu´ à ce qu´un jour j´appelle Mme Kiššová et elle me dit que les enfants étaient ravis, à tel point que lorsque, un mois plus tard, ils se sont retrouvé à être invités chez Andrej Kiska, le président de la République Slovaque, qui les a fait venir dans le Palais présidentiel de Bratislava, dans le cadre des Fêtes de Noël, et lorsque Mr. le président a demandé aux enfants quel serait leur désir le plus cher, ceux-ci ont répondu, d´une seule voix, que leurs souhait le plus cher est d´aller de nouveau chez les Kesaj Tchave...

Voilà, c´était notre cadeau de Noël, à nous… Après un truc pareil on ne peut pas abandonner...