printemps 2011

 

FRANCE

Paris – sortie de la BD „Les Nouvelles d’Alain“ d’Emmanuel Guibert, 26.1.2011

Roms, 1er peuple européen, TV, chaîne parlementaire, 1 – 12 février 2011

 

SUISSE

Genéve – spectacle scolaire, école élémentaire de Genéve, 15h, 15 avril 2011

Genéve – spectacle tout public, Collége Staël, 16 avril 2011

Morges – Fête de la Tulipe, Parc de l’Indépendance, 17 avril 2011

 

FRANCE

Sainte Croix en Vallée Française – spectacle pour Foyer rural, 18 avril 2011

Montpellier – spectacle et animation à la pleine Lune, 19 avril 2011

Montpelier – radio, spectacle, Pleine Lune, 20 avril 2011

Auch – Ville d’enfants, UNICEF, Théâtre de la Ville, 21 avril 2011

Auch – Festival Welcome in Tziganie, ateliers enfants, Maison de Gascogne,22 avril 2011

Auch – Welcome in Tziganie, spectacle, Kociani, 23 avril, 2011

Auch Welcome in Tziganie, animations, Mahalaï Raï Banda, 24 avril 2011

Lourdes – pélérinage, 25 avril 2011

Capbreton – présentation à la colonie de vacances EDF, 25 avril 2011

Boucau – spectacle associatif, 26 avril 2011

Boucau – intervention et rencontre au terrain des Gens du Voyage, 27 avril 2011

 

ESPAGNE

Irun – visite touristique, 27 avril 2011

 

FRANCE

Paris -  spectacle scolaire, école Bérangére, 28 avril 2011

Paris – spectacle et discothéque à la Java, 28 avril 2011

Paris – Primavera Tzigane, spectacle au Cirque Romanès, 29 avril 2011

Montreuil – Akana me, terrain de la MOUS à Montreuil, 30 avril 2011

 
 

Akana savore.

Jeudi 9 juin 2011. Bidonville de Velka Lomnica. Slovaquie orientale.          

Une centaine de participants. Des grands, des petits, des femmes, des enfants. Des vieux, des touts jeunes. Ils se connaissent touts, habitent la même colonie, sont souvent des parents proches, voire des parents directs. Et pourtant tous ont participé jeudi dernier à la énième bagarre générale, dont a le secret Velka Lomnica. Presque tous, à l’exception des membres de notre groupe qui ont tout bonnement participé à une énième répétition dont Kesaj a le secret… Le tout a été généreusement relayé par les médias (la bagarre, pas la répète). Les journaux, la télé. On voyait Edo le patriarche, le sage, avec une plaie sur le côté du front faite par un coup de hache qui mériterait les caméras d’Hollywood, les petits avec des monocles à la Halloween et puis les registres d’entrées aux urgences – blessures par coups, jets de pierres, casseroles et divers objets tranchants, enfoncements crâniens dus aux coups de haches et un IGV comme dommage collatéral. Le plus pittoresque est que tout cela a commencé au beau milieu de l’après-midi tout simplement parce qu’une grand-mère a donné une tape sur les fesses de son petit fils qui lui disait des choses pas gentilles. Là-dessus la maman, donc la belle-fille de la mamie, a pris celle-ci par les cheveux et lui a expliqué sa façon de concevoir l’éducation, et puis le reste s’en est suivi presque instantanément. Comme d’habitude, la patrouille de police appelée au secours a du battre en retraite, ainsi que leurs collègues venus en renfort. Ce n’est que le commando spécial des « cagoulés » avec mitraillettes, chiens et lacrymogènes qui a réussi à rétablir un semblant d’ordre pour que les ambulances puissent passer et fournir les urgences. …C’est à ce moment que nous rentrons tranquillement de notre répétition. Heureusement il n’y a pas de dégâts parmi les nôtres, à part quelques œil au beurre noir des petits (Matej, etc.), qui n’ont pas pu venir à la répète parce qu’ils avaient l’école l’après-midi et de ce fait ont pu entrer dans le vif du sujet en balançant des cailloux à tout va avec les autres. 

 

Pourquoi décrire une énième fois ce scénario qui, manifestement, n’a, hélas, rien d’exceptionnel en ces lieux? La veille je participais à une rencontre avec des jeunes lycéens à Kosice, et avec d’autres personnes engagées auprès des Roms nous avions pour mission de leur expliquer  que tout ce qu’ils perçoivent par les médias et ce qu’ils voient autour d’eux n’est pas la seule vision de la réalité rom. Autant dire qu’avec un pareil objectif auprès des jeunes qui vivent souvent au contact direct avec des bidonvilles, il y a de quoi faire… Au lieu de parler, je préfère cent fois passer en spectacle avec le groupe, et tout est dit. Mais là, ce n’était pas le cas, il s’agissait qu’un de ces innombrables trainings qui ont pour mission d’expliquer par des paroles des réalités qui dépassent l’entendement. Ce n’est pas notre tasse de café, si nous sommes là, c’est uniquement pour rendre un petit service aux organisateurs. Sans fausse modestie, je ne pense pas que les interventions de mes collègues étaient très pertinentes. Les paroles sont les paroles, auprès des jeunes surtout, l’exemple concret est le seul argument vraiment valable. 

 

Heureusement que j’avais avec moi une demi douzaine des jeunes de Kesaj que j’ai pris avec moi pour leur changer un peu les idées. Ensemble nous avons tourné tous le débat à la rigolade, finalement les lycéens et les Kesaj étaient les uns et les autres tout aussi contents de sécher officiellement un peu de cours pour l’occasion, donc un sujet d’entente était tout trouvé et avec quelques blagues on a tous compris que nous pouvons rire et voir la vie de la même façon. Aux autres tables de débat c’était plus sérieux, ça ne rigolait pas tellement, mais ça, c’est leur problème. Dans le cadre de cette rencontre j’ai donné plusieurs interviews expliquant en long et en large nos activités et notre démarche. Et à la fin de la journée je suis passé en vitesse voir notre belle-sœur Hanka, directrice du lycée rom de Kosice pour voir ce que nous pouvions faire ensemble. Il serait temps d’ouvrir une filiale à Kezmarok, alors on essaie d’établir une stratégie pour y arriver. Ce serait pas mal d’avoir enfin des locaux dignes de ce nom et surtout il serait temps qu’une alternative plausible s’offre à tous ces innombrables jeunes Roms des alentours de Kezmarok. Donc ouvrir une ou deux classes d’un lycée, mais surtout réfléchir quelle structure mettre en place, pour qu’elle soit adaptée aux réalités du terrain et ait un sens pour cette population, pour créer une motivation aux jeunes et aux parents afin qu’ils conçoivent enfin l’éducation comme un moyen de s’en sortir, alors que le fait de ne pas s’en sortir fait partie des axiomes de base dans les bidonvilles. Pourquoi ? Parce que tout simplement c’est vrai, et il faut bien survivre malgré tout. Là nous arrivons avec notre petit « cirque », qui, bien que désuet et n’apportant rien de concret, prouve que l’image tsigane peut avoir aussi d’autres contours que ceux des poubelles et haldes de détritus, et que tout simplement il est possible de participer à une autre réalité que celle de tous les jours. Jusque là rien de nouveau. Cela fait partie de notre « discours », de notre communication, de notre réalité. En général le message passe bien, sauf quelques cas chroniquement récalcitrants, mais ceux là, nous les qualifions joyeusement « d’intellos » et on continue à pousser la chansonnette… Bien sûr lorsqu’une de ces intellos est notre propre belle-sœur, donc la sœur d’Helena, Hanka, la fameuse directrice du lycée tsigane de Kosice, ancienne élue du parlement, etc.,  qui a chaque fois nous demande gentiment, toute étonnée, pourquoi nous poursuivons encore toutes ces activités qui ne mènent à rien, ne sont pas sérieuses, n’ont pas d’apport véritable, ne sont qu’un passe-temps dénué de fondement et de perspective, alors moi-même, j’ai beau me dire que ce n’est qu’une réaction par rapport au fait qu’elle est aussi issue d’une famille de musiciens, et comme nombreux autres dans pareil cas, elle a une réaction de rejet par rapport à ses origines, je suis à chaque fois tellement surpris pas une telle franchise et position sans équivoque, que je ne trouve sur le coup rien à dire… 

 

Donc le petit massacre du lendemain est une réponse par le concret : une bonne répétition sert à éviter des coups de hache et aussi à ne pas en donner. Ce n’est pas trop intello ni très sérieux, mais c’est vrai et c’est comme ça. En tout cas chez nous à Velka Lomnica, ainsi que chez des voisins, d’autres bidonvilles et colonies, où avant d’avoir envie d’entrer au lycée il faudrait déjà éviter d’entrer en prison ou au cimetière rien que parce que l’on a rien de mieux à faire un jour où les haches volent particulièrement bas…

 

Nous sommes en plein « entre-deux » tournées. Il y a un plus d’un mois nous sommes rentrés de celle de printemps, et celle de l’été doit commencer dans moins de trois semaines. Celle qui s’est achevée par la fameuse Primavera Tzigane au Cirque Romanés à Paris était très chouette. Une bonne entente, des super rencontres et échanges. S’il n’y avait pas tous ces impondérables faits de changements et impromptus dus aux désistements de dernière minute, il n’y aurait rien à signaler. Mais comme l’imprévu est partie intégrante de tout projet Kesaj, ce n’est pas la peine de s’y attarder plus que ça. Juste une pensée émue au jour de le veille de départ alors que l’on nous annonce que l’étape de trois jours en fin de tournée est supprimée, pareil il y a une semaine pour celle par la quelle la tournée devait commencer. Toujours juste ce qu’il faut d’adrénaline pour partir quand même, mais totalement épuisé après toutes ces incertitudes et raccordements, qui finalement, grâce à un engagement de bénévoles et amis de tous les côtés finissent par s’arranger quand même. Et donnent même lieu à des rencontres incroyables, comme ce fut le cas au petit village des Cévennes, Sainte-Croix-en-Vallée-Française ou au camp des Gens du Voyage à Boucau. Rien de tout cela n’était prévu et c’était formidable. Mais il y a aussi, heureusement, des programmations qui tiennent et se passent très bien. Comme le passage par Genève, où le hasard a fait que juste au moment où nous rencontrions Inès, notre contact sur place, il y avait une manifestation devant le siège de l’ONU, et en rigolant nous remarquons que les manifestants scandent quelque chose comme « maro, maro, chan, chan », ce qui veut dire « du pain, du pain, à manger, à manger ». Nous croyons en rigolant que cela ressemble à du romani, et nous découvrons, stupéfaits, que c’étaient des manifestants originaires du Nord-ouest de l’Inde… donc il n’y avait pas de méprise, ni de rigolade, ils réclamaient tout simplement du maro, du chan – du pain, et à manger… Je suis content d’avoir eu dans notre passage à Genève aussi une prestation dans une école pour des élèves du primaire. Cela s’est très bien passé et a bien inauguré ce premier contact avec l’association Mesemrom et Caritas de Genève qui nous ont très bien reçus. Ce n’est pas évident, et surtout pour une première fois, de s’occuper d’un groupe de trente sept personnes, donc là aussi il y avait un peu d’imprévu, mais finalement tout s’est très bien passé. 

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Normalement après Genève nous aurions du passer par le Mont-de-Marsan, mais les subventions étant ce qu’elles sont, ou plutôt n’étant pas, la semaine là bas fut annulée et heureusement que Mélanie a réussie à trouver deux points de chute au pied levé. Le premier, au village de Sainte Croix était une incroyable niche de montagnes digne de la Cordillère des Andes. En plus nous nous étions trompés de route, nous avons pris celle que l’on a dit à tout prix d’éviter, je passe les détails, je ne voudrais pas repasser par là. Le précipice à moins de 5 cm à chaque virage. Nous avions 3 heures de retard. Et pourtant tout le monde nous attendait paisiblement devant l’école, tranquille. Nous avons prévenu que la route est un peu plus longue, mais je ne me sentais pas très bien à cause de ce retard. Nous avons commencé directement en descendant du car, heureusement les petits et les nouveaux sont avides de se donner en spectacle et tout de suite une ambiance de tonnerre démarre. Pour ne s’arrêter que lorsque, après un bon repas et une soirée super sympa à danser tous ensemble, nous nous répartissons chez les habitants pour la nuit. Que des hameaux et bâtisses perdues dans les montagnes, chez des gens très sympas qui ont fait le choix de vivre dans cette nature pour en faire partie corps et âme.  Le mâtin une farniente en commun tous ensemble sur le pré du village et nous prenons la route de Montpellier. Un tout autre cadre nous attend au café-concert de la Pleine Lune qui nous a accueillis pour deux nuits. C’est un vieux quartier gitan, turc, arabe, très chaud, où la nuit tient lieu du jour… Mais pareil, accueil super sympa et des interventions en terrasse, à l’intérieur, le jour, la nuit, qui ont le mérite de servir de répétitions en live pour une troupe fraichement reconstituée. En effet, pour la première fois, nous ne pouvons pas compter sur des anciennes, Ivana est enceinte, Luba s’occupe de toute la famille, Andreja est mal fichue et Maja sort avec Tomas et ne veut pas le quitter. En plus, juste une semaine avant le départ, Jaro et Shnurki ont eu un coup de folie et ont voulu arrêter Kesaj pour des histoires d’argent, soi-disant nous donnons de l’argent qu’à Dusan et eux aussi veulent s’acheter des jeans à 50 euros… Sans jamais citer leurs petits frères qui n’ont rien à manger, et que nous soutenons déjà en aidant leur mère quand c’est trop critique (quand ils titubent et manifestement n’ont pas becté depuis qques jours). J’imagine que c’est suite à leur périple de 100 km qu’ils ont du se taper en rentrant de Pribilina où est mariée leur sœur Marcela. Pour l’aller ils avaient de quoi payer le train, pour le retour aussi, mais leur beau-frère a tout perdu dans les machines à sous, donc il ne restait qu’à rentrer à pied en errant à travers les forêts et bois. En rentrant ils étaient pratiquement en état de choc, donc je ne m’étonne pas trop de leur réaction. Mais c’était fait, et ça eu le mérite de m’obliger à me mettre d’accord avec Gusto pour qu’il vienne jouer du saxo si les deux chanteurs adeptes des balades en forêt venaient à manquer. Comme ils ont pris aussi en otages leurs petits frères (Matej, Kubo, etc.) qui constituent en ce moment le gros de nos troupes en garçons, nous étions de nouveau plutôt mal partis au niveau des effectifs, et c’est là que par le plus pur des hasard débarquent une dizaine de garçons de Rakusy qui ont fait parti du groupe lorsqu’ils étaient petits et reviennent pour voir quoi de neuf. Bien sûr que ça tombe bien, au moins nous ne sommes pas dépendants de Jaro et Shnurki, mais lorsque ça se calme, nous ne voulons pas laisser tomber ni les uns ni les autres, et nous nous retrouvons avec 5 nouveaux, qui, bien que méritants et doués, ont encore pas mal à apprendre du point de vue d’orientation scénique. Donc tous les spectacles qui s’enchaînent à raison de plusieurs par jour ont le mérite de palier aux répétitions qui n’ont pas pu avoir lieu avant notre départ. Pour autant je ne pense pas avoir lésé les spectateurs car leur enthousiasme et l’énergie étaient déjà un spectacle en soi et le public le recevait très bien. 

www.courrierdesbalkans.fr/bazar/balkanophonie/raki-balkans-sound-system-welcome-in-tziganie-2011.html

Donc après une semaine de tournée, lorsque nous arrivons à Auch pour le Festival Welcome in Tziganie, nous sommes déjà bien rodés pour l’essentiel. Heureusement qu’au moins ce festival a tenu ses engagements et nous sommes reçus comme des petites stars, avec une attention et un soin particulier. C'est-à-dire en omettant juste l’accueil de l’ingé son qui devait assurer la sono pour la première soirée organisée avec l’UNICEF, dans le cadre de Auch – Ville amie des enfants. Nous avons prévenus que nous serons en retard, car la  route était longue, donc la balance son passait après le rafraichissement des gosses après 10h de route, car il fallait tenir encore pour le spectacle du soir. Il n’en a fallu pas plus pour que ce monsieur nous invective et refuse de sonoriser la soirée, en punissant injustement non seulement notre groupe, mais aussi les quelques centaines d’enfants des écoles d’Auch et leurs parents qui devaient présenter lors de cette soirée le programme qu’ils ont préparé tout au long de l’année. Tous, les organisateurs, les enseignants, les directeurs étaient consternés. Mais c’était comme ça depuis une semaine qu’ils avaient affaire à lui. Explication – il était employé de la Scène Nationale. Bon… Le reste était parfait. Nous étions à l’affiche avec Kociani orchestar et Mahala Rai Banda. Autant dire avec ce qu’il y a de plus en vent aujourd’hui sur la scène tzigane internationale. Bien que dans une formation toute fraîchement reconstitué, nous étions contents de pouvoir nous confronter directement à une concurrence digne de ce nom. Nous étions superbement logés, dans un espèce de manoir, ancien couvent reconverti en gîte, dont les murs datent du 13éme. Magnifique, tranquilles, tout seuls, personne à la ronde, un cadre de films de chevaliers. Justement c’est ça qui posait problème. Alors que je m’émerveillais devant les chambres arrangées d’époque, avec même la literie de circonstance, je constate un certain effroi chez les jeunes, qui se répand très vite, et rapidement nous sommes obligés de changer la disposition des lits par chambres, afin qu’il y en ait le plus possible de groupés, car tous ont peur de cette bâtisse d’un autre âge, et c’est bien le cas de le dire, la chapelle centrale datait du 11éme siècle, et qu’il y a des esprits partout, ce n’est même pas la peine de se poser comme question, bien sûr il y en a partout.  Après une première nuit, que tout le monde a juré d’avoir passé sans dormir, tout rentre dans l’ordre, l’environnement est trop bien, on peut jouer au foot, jouer à cache cache, prendre des douches, passer des shampoings… On se fait la cuisine tout seuls. Le lendemain les petits, pour se donner du courage, vont tout seuls, dans le noir au cimetière qui fait partie du hameau, et prient à genoux à tue voix des Notre Père à fond comme lorsqu’ils sont sur scène. Ils rentrent tout fiers. Les esprits ne leur font plus peur.  

 

Notre spectacle est prévu en soirée. Il y a une bonne sono et un gars normal pour la servir. L’après-midi je dois participer à un débat sur la situation des Roms en Europe. Pour faire plaisir aux organisateurs j’accepte, et avec Joana qui remplace sa mère, Colette, nous passons le petit docu filmé de Bielka (toujours prêt à nous rendre service), et abordons le débat, que nous partageons aussi avec Claire Auzias. Jean-François et Domi, venus de Decazeville sont là aussi, et JF, tout enthousiaste, m’explique qu’il a lu les bouquins de Claire et que c’est plutôt bien écrit, pertinent, et me conseille de les lire. Je ne demande pas mieux, et suis d’autant plus étonné de découvrir que Claire a une façon de communiquer à la Dostoïevski, on se croit puni et châtié pour le seul fait de ne pas être Rom, de leur prendre la  parole, la culture, etc. Décidément il y a un paquet de problèmes personnels derrière cela, mais on n’a pas le temps de réagir, bien qu’on le sent passer quand même. Heureusement que Helena n’est pas là, on évite l’incident diplomatique grave, sinon pire, et tout compte fait la façon de se comporter de Claire par la suite explique à elle seule suffisamment le pourquoi de cette  bizarrerie. Notre soirée est super.  On est à fond. On fait que du tsigane pur jus. On ne compte pas la dépense ni l’investissement. On dégage une énergie à toute épreuve. Ce n’est pas de la vantardise. C’est un constat. Bien sûr les autres groupes, même de pointe, ne peuvent pas rivaliser à ce niveau. Ils sont tous pro, des super pros, et justement c’est ce qui fait que sur les paramètres énoncés ils sont en défaut par rapport à nous. Ils ont un son, des décibels, mais ils n’ont pas la niaque. Ils n’ont pas de raison de l’avoir. A la différence des nôtres. Mais tout se passe bien, le gars à la sono est juste légèrement endormi, il branche les micros que quand la chanson est bien entamée, son pote à la lumière fait des effets qui font rater tous nos enchaînements (il éteint et rallume à chaque fin de chanson sans s’apercevoir que c’est là que nous en mettons encore plus) et qui font notre spécificité… mais bon, il n’y a pas de mauvaise intention. C’est pareil pour les cuistots qui se sont mis en tête de nous faire goûter un repas végétarien ultra-bio-écolo qui, hélas, fini dans les poubelles. Le soir du spectacle n’est pas le mieux choisi pour ce genre d’expériences gastronomiques. Les contacts avec les autres musicos tsiganes sont pareils à l’habitude. Une crainte de concurrence et surtout une estime de soi démesurée de leur part font que ces rencontres ne sont souvent que superficielles. Là, nous sommes dans la norme, sans plus ni moins. Le lendemain c’est le spectacle de Mahalai Rai Banda, ce qui veut dire Grand Orchestre de Bidonville. Lorsque Shnurki attend tout content la sortie de scène des musiciens pour leur serrer la main, ils ne lui tendent pas la leur… Lamentable. Je ne l’ai su que plus tard, mais au moins je n’ai pas regretté de ne pas avoir chanté Djelem djelem avec eux à la fin de leur spectacle, comme me l’avait demandé Florian, le président du festival. Nous attendions tous sur le côté de la scène pour monter avec eux au final. A plusieurs reprises nos filles sont allées spontanément danser sur le devant de la scène, apportant un peu de fraîcheur juvénile à ces vieux routards de la balkan occidental. A la fin, nous devions être invités à participer ensemble au final en chantant l’hymne tzigane Djelem djelem. Mais personne ne nous a appelé, ni présenté. Dans un autre contexte, cela n’aurait aucune importance, mais là, vu le rapport hautain et froid de la part des musicos, ce n’était pas pareil. Ces gosses qui viennent vraiment des bidonvilles ne sont pas là pour servir de coulisse pour des gars qui se servent de l’image des bidonvilles, de la misère des bidonvilles, de la misère de ces gosses, pour leur image de marque et ne sont même pas capables de serrer la main à un collègue parce qu’il est justement du bidonville… 

 

Je ne me sentais pas très fier en refusant d’aller à ce final, c’était une espèce de geste de révolte qui pénalisait le public, et nous n’étions pas là pour ça, au contraire. Peut-être que je hallucinais, que je me montais des histoires, mais quand j’ai appris le coup de la main refusée à Shnurki je ne pouvais pas faire autrement. Il y  a une multitude de personnages de toutes sortes qui font dans du « tsigane ». Ca peut être des chercheurs, des politiques, des écrivains, la plupart du temps des artistes. Peu importe. Ils peuvent mettre des chapeaux pour faire tsigane, mettre des habits déchirés pour faire « déchiré », jouer aux durs, mal polis, truands romantiques, petits malins… On s’en fout. A chacun sa vie. Mais marquer au moins un peu de respect élémentaire pour ceux qui sortent du fin fond de ce monde tsigane me semble être la moindre des choses. Car, immanquablement, à chaque fois que l’on fait référence au « tzigane », il y a aussi l’aspect de la misère, de la pauvreté incroyable qui en est synonyme qui entre en jeu, et le public par son émotion et sa générosité suit. Les organisateurs, producteurs, programmateurs, qui se servent consciemment ou non de ce concept, pourraient eux aussi suivre un peu. Nous savions qu’en fin de tournée se préparait à la Villette une série de spectacles dont un était intitulé « Rue Tzigane. ». Nous avons contacté les organisateurs dans l’espoir d’y être programmés. Cela tombait pile au moment de notre retour sur Paris. On n’a pas fait affaire. J’ai su que l’événement était plutôt pâle, morne, sans émotion ni vie que nous aurions pu lui apporter. Mais il n’y a pas que nous. Il y a aussi d’autres groupes venant directement du milieu tzigane. Jamais on ne les voit à l’affiche. Ca serait tellement dur de prendre le risque de les programmer de temps en temps? Je pense à des organisateurs qui programment du tsigane, donc font référence au monde tsigane. Mais bon, on ne peut  pas se plaindre. Tout ce qui manque dans le monde professionnel, on le retrouve partout ailleurs où nous passons. Des inconnus qui deviennent des amis, des gens de tous horizons qui réussissent des prouesses au niveau de l’organisation et qui arrivent à tenir ce pari incroyable qu’est d’accueillir plus de trente Tsiganes sans se prendre la tête pour cela.

 

Après Auch, direction Bayonne, plus précisément Boucau, qui nous a concocté une étape au Capbreton. Dés que j’ai eu Michel Molina d’une assoc de Voyageurs de Boucau au téléphone pour mettre au point notre passage, j’ai compris que c’était un grand enthousiaste. Tout était ok. Même le cachet. On nous donnerait encore plus, on le mérite. C’était trop beau pour être vrai, mais j’étais trop heureux d’avoir enfin un  partenaire  miraculeux pour me poser des questions, et de toutes façons je n’avais pas le choix. Tout était convenu plus d’un mois à l’avance. Le  seul problème, c’était le gars de la sono qui n’était pas disponible le jour prévu pour notre concert. Nous devions nous produire sur une super scène de la Scène Nationale. Je n’y prêtais pas attention, on finirait bien par  trouver quelqu’un pour la table de mixage, au pire, on fera sans sono. La veille du départ Michel m’apprend que l’étape chez eux est supprimé parce qu’ils n’ont trouvé personne pour sonoriser. Je n’en reviens pas. Pour nous cela équivaut à du terrorisme. On est mutilé sans aucune raison ni possibilité de se défendre. Trois jours à meubler avec plus de trente gosses. Je l’implore de nous prendre quand même, même sans le spectacle, au moins qu’ils nous fournissent un hébergement et de la nourriture, nous ferons des concerts gratuits, on jouera sur des terrains, pour des écoles, peu importe, l’essentiel est qu’on ait où se poser trois jours. Michel promet de faire son possible, et malgré la déconvenue qui vient d’arriver, je le crois, sentant au bout du fil le brave gars qu’il est. En catastrophe nous cherchons quand même d’autres alternatives, mais vu l’urgence, il n’y a pas beaucoup d’espoir de trouver une solution. Finalement le groupe Rodinka se propose pour nous héberger chez eux, à Carcassonne, mais Molina nous appelle pour nous dire que la municipalité de Boucau nous propose une prise en charge hébergement restauration dans un super centre de vacances EDF à Capbreton, juste en face de l’océan… Bon, Lourdes est sur notre chemin, c’est le moment où jamais d’aller allumer un cierge.

En effet Lourdes est pratiquement sur le tracé de notre route, tous sont croyants, certains même pratiquants, du moins c’est ce que je déduis en les voyant faire le signe de croix chaque fois que nous passons devant une église ou un crucifix. Alors je demande à Julie du CCFD de me passer un contact sur Lourdes qui m’expliquerait comment ça se passe là bas, car vu que nous y passerons le lundi de Pâques, je crains une affluence record, et j’aimerais avoir quelqu’un sur place pour m’aiderait à m’y orienter. En même temps cela pourrait être une occasion de rencontres, d’échanges, nous pourrions par exemple chanter dans une église, etc. Le garçon que j’ai au bout du fil me propose d’abord des ateliers découvertes pour les enfants moyennant 4 eu par personne, j’essaie de lui expliquer gentiment notre propos. Je dois  rappeler plus tard. Finalement on se met d’accord  pour passer au centre dans le courant de l’après-midi. En arrivant à Lourdes un orage éclate pile lorsque nous voulons nous garer. On a un peu de mal à trouver l’adresse, nous passons par la gare des bus où une tribu de Roms roumains campe à même le bitume mouillé. Le temps que j’aille chercher le centre, nos gars font connaissance avec eux, une vielle mamie nous demande comment marche la manche en Slovaquie et voudrait rentrer avec nous. A vrai dire nous n’avons pas la force d’intervenir et de leur chanter au moins une chanson comme nous l’aurions fait une autre fois. Nous sommes crevés, il pleut, tout le monde a faim, on n’a pas de provisions et on ne sait pas trop ce qui va se passer. Nous arrivons au centre, Luisette nous reçoit gentiment, nous invite à monter dans la petite salle qui a juste assez de sièges pour nous accueillir. Il n’y a qu’elle, donc pas de rencontres, ce n’est pas grave, je lui demande de bien vouloir nous expliquer brièvement ce qu’est Lourdes, pourquoi les gens y viennent du monde entier. Elle se met à nous conter l’histoire de Bernadette, la petite gamine pauvre, sans chaussures, vivant dans une cabane… Je traduis, Luisette continue, en décrivant de manière simple, ce qui a amené Bernadette jusqu’à la fameuse grotte où elle a eue ses visions. Au fur et à mesure que nous entrons dans le récit, je m’aperçoit que tout ce qui est censé d’être décrit comme faisant partie d’un autre monde, la misère de la famille de Bernadette, son extrême dénuement, la maladie de son père, etc., fait partie du monde ordinaire de ces gosses qui écoutent un peu leur propre histoire. Eux non plus n’ont pas de chaussures, ou alors juste une ou deux paires pour toute la famille, n’ont pas à manger, habitent dans des huttes sans lumière ni chauffage… J’en fais part à Luisette qui continue son récit et arrive au moment des apparitions. Là pareil, rien de surprenant, au contraire, le surnaturel étant tellement présent dans leur imaginaire, que la question que Luisette pose dans tout son honnêteté sur les apparitions ne se pose même pas pour eux. Bien sûr que la petite a vue la Vierge. Il ne peut pas en être autrement. Les miracles existent. Sinon ils ne seraient pas là…   Il est temps de s’en aller. Nous proposons de chanter une chanson pour remercier Luisette. Lors de toutes les tournées nous avons toujours une chanson différente, qui est un peu le tube du moment, que les gosses chantent spontanément à toute occasion. Et celle de la tournée en cours, comme par hasard, raconte exactement la même histoire, celle d’une gamine de misère, dont la mère est malade et sait qu’elle va mourir… Que dire. Même moi j’ai eu des larmes aux yeux lorsqu’ils l’ont chanté.  Suit la visite de la grotte, plein de petites bouteilles d’eau bénite, les cierges à l’église. Pendant ce temps je réussi mon petit miracle à moi, à savoir trouver le lundi de Pâques une épicerie ouverte et apporter de quoi faire des sandwichs le temps que  tout le monde rentre de l’église. Nous pouvons mettre le cap sur le Capbreton.

Le Capbreton fait partie de cette fameuse étape annulée le jour du départ de Slovaquie et finalement reconfirmée dans le courant de la tournée. En effet, le spectacle initial était prévu sur la Scène Nationale, et le fameux ingé son n’était toujours pas disponible, et comme on a compris, ça ne rigole pas sur les Scènes Nationales, le spectacle, et donc tout le séjour était tout simplement supprimé. Le jour de notre départ de Slovaquie! Heureusement que la municipalité de Boucau par l’intermédiaire de Michel Molina a réalisé dans quel pétrin nous étions et nous a mis à disposition ce centre de vacances de l’EDF qui était absolument hors normes. A deux pas de l’océan, les chambres nickel et la restauration ultra soignée. Le tout dans une ambiance très sympa et conviviale. Nous partagions ce centre avec une colo composée d’enfants de cadres d’EDF, autant dire un autre monde, mais tout s’est très bien passé, au contraire, le contact entre les jeunes est établi de suite et le lendemain ils louent carrément un bus pour venir nous voir au spectacle. 

 

Celui-ci a lieu dans une petite salle associative. Sont présents des Gitans et des Manouches du coin, un groupe d’excellents musiciens de Pau ouvre la soirée et nous enchaînons notre programme. Que du plaisir, malgré que j’ai réussi à me fendre la tête avec ma balalaïka! On aura tout vu. J’espère que le public ne s’est aperçu de rien. Au final du spectacle je saute au devant de la scène et par un grand geste de bûcheron je marque la fin avec mon instrument. Mais là, j’ai mal calculé mon coup, il n’y avait pas assez de place, nous étions serrés, et tout en me lançant je réalise que je vais taper un des gosses qui sont devant moi. C’était des fractions de seconde, j’ai pris déjà l’élan, alors je tire la balalaïka vers moi et elle atterrit sur mon crâne, en fendant heureusement pas celui-ci, juste la peau, mais ça suffit pour que le sang gicle immédiatement. Je m’évacue de suite aux toilettes, essaie de m’éponger  la blessure dont je ne connais pas l’étendue, ça coule, il faut revenir dans la salle, tous sont sur scène, personne ne sait quoi faire, les anciens ne sont pas là, les nouveaux sont perdus. Je reviens pour saluer en cachant ma blessure et je réussi à évacuer tout le monde. Heureusement ce n’est pas bien grave, ma tête et surtout ma balalaïka ont résistées, j’en garderais juste un beau chtar pendant quelques jours. La soirée est malgré cela magnifique, j’espère que personne ne s’est aperçu de mon automutilation, et nous continuons par des bœufs avec les Manouches.  Nous profitons aussi du séjour pour faire trempette dans l’océan. La semaine précédente nous avons déjà gouté la Méditerranée, maintenant l’Atlantique, beau palmarès pour des gosses qui n’ont jamais vu la mer et n’ont même pas rêvés qu’ils la verraient un jour. 

 

Comme nous voulons rouler la nuit, nous disposons de toute une journée pour faire un peu de tourisme. L’Espagne est juste à côté, on y fait un petit tour, histoire de dire que nous y étions. Avant nous faisons une visite impromptue sur un terrain de Gens de Voyage de Boucau. Comme d’habitude, les gens sont plutôt un peu déconcertés en nous voyant débarquer, mais rapidement l’ambiance se détend à grand renfort de chants et de danses. Nous avons l’habitude de ce genre de contacts, on discute petit à petit, les femmes papotent malgré le fait qu’elles ne parlent que très sommairement le romani. Deux pasteurs se présentent. Très sympa. Pas du tout prosélytiques. Au contraire, ouverts et généreux, ils commencent par nous apporter des cadeaux. Un qui fait les marchés nous offre un lot d’une vingtaine de paires de chaussures noires toutes neuves pour des enfants. Inouï. C’est exactement ce qu’il nous manque depuis toujours pour nos spectacles. Les autres ne sont pas en reste. Une femme donne un pot de pâté maison, une autre plein de pacs d’Orangina, et ainsi de suite. C’est incroyable, ces gens qui manifestement ne roulent pas sur l’or nous couvrent spontanément de cadeaux, cela arrive de partout, Helena dit qu’il faut partir, car ils vont se retrouver sans rien… C’est vrai que cette rencontre était tout à fait exceptionnelle. Une telle générosité spontané et sans arrières pensée, nous n’en avons pas encore rencontré sur nos chemins, et Dieu sait que l’on en fait du chemin… 

 

Il faut partir. Les filles nous accompagnent jusqu’au bus. Elles pâmissent devant nos costumes. On voudrait les amener avec nous. Je crois qu’il n’y aurait pas beaucoup à faire pour les convaincre. Bayonne, Boucau est très loin de chez nous. L’autre bout du monde du point de vue européen. Mais cela vaut vraiment le détour et ne reste qu’à espérer que l’on pourra revenir un jour.

 

La nuit nous roulons sur Paris, ou plus exactement sur Montreuil, où le gymnase de la municipalité nous attend. Toute somme, depuis quelques années nous y avons maintenant nos quartiers, et la Mairie de Montreuil nous rend un sacré service en nous le mettant à notre disposition. Une trentaine de lits de camp, plus les petits déjeuners et des tables et de quoi faire la cuisine. Cette fois-ci il n’y a qu’une dizaine de lits, pas de tables, ni autres ustensiles. Tout a été détruit par les Roms qui ont été accueillis ici suite à leur expulsion des terrains. Ce sont les mêmes que j’ai déjà eu l’occasion de critiquer, comme quoi ils ne méritent pas la défense que  leur procurent les associations et citoyens français émus par leur sort. Bien sûr qu’en apprenant ce dont ils sont capables – ils ont tout cassé et volé, nous ne pouvons qu’être révoltés contre eux, et nous leur souhaiterions d’autres soins, à la Ceausescu, qu’ils regrettent tant. Mais on fait avec. On dort sur des matelas par terre et on fini par avoir des tables pour manger. Le jour même de notre arrivée nous donnons deux représentations dans une école du 19e moyennant un repas et qques sous. On joue pour la maternelle et le repas est pris à la cantine de l’école en face. La directrice n’a manifestement pas reçu le message que nous passerons, elle arrive et nous vire manu militari, croyant que nous sommes venus de la rue. Heureusement que l’on a déjà mangé et qu’elle n’a pas appelée la police. 

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Le soir encore un passage à la Java avec DJ Tagada. D’habitude c’est une occasion pour des ados de sortir en discothèque, sans plus, mais cette fois-ci Ignace a annoncé notre passage comme un spectacle, et titubant de fatigue nous y allons quand même. Juste à la descente du bus à Belleville, une patrouille de police traine dans les parages. Je ne sais pas quoi faire. Je crains qu’ils n’interviennent en voyant tous ces gosses débarquer en discothèque. Finalement rien ne se passe. Nous entrons sur piste comme des rois de scène, des lions du parquet de dancings que manifestement, excités par l’endroit et l’ambiance, ils deviennent tous instantanément. Inutile de dire que ça fait l’effet d’une bombe. Tout le monde se donne à fond. D’abord et ensuite une partie impro, spontanée, tout le monde s’éclate en dansant. Et au milieu un passage plus spectacle, qui même sans sono produit un effet génial. Bien sûr que tout le monde voudrait rester, mais il n’en est pas question, on rentre à minuit, le lendemain nous attend l’apothéose, la soirée de toutes les soirées, la Primavera Tzigane, concoctée par notre ami Andréa au Cirque Romanès. 

Andréa nous suit depuis pas mal de temps, nous avons même fait un passage chez lui, à Vicenza, en Italie. Il nous a proposé d’organiser une soirée à Paris, lors de la quelle il voudrait mobiliser son réseau d’amis et de connaissances afin de nous faire connaître et aussi par la même occasion remplir un peu notre caisse dont il connait le vide chronique. Il prend l’organisation en main et avec deux bons mois d’avance s’investi à fond dans l’événement. L’essentiel est de mobiliser le maximum de monde susceptible de se déplacer pour voir un groupe inconnu du grand public. Les Romanès sont d’accord pour mettre à disposition leur chapiteau, la date du 29 avril en fin de tournée colle bien sur un weekend de rentrée de vacances, le mailing part dans tous les côtés, tout est fait pour que ce soit une réussite. De notre côté, les amis de Yepce s’investissent dans la création de « produits dérivés », cartes postales et badges. C’est plutôt chouette. Emmanuel Guibert et Krrist Mirror nous réalisent des affiches. A vrai dire, nous en espérons beaucoup, de cette soirée. Du point de vue des spectateurs, nous voudrions toucher un public qui nous ne connait pas et qui pourrait nous apporter des ouvertures sur de nouveaux contacts. Et l’aspect financier n’est pas négligeable non plus, si on remplit le chapiteau, cela pourrait être un apport consistant au budget de la tournée. Surtout qu’avec les deux étapes annulées nous sommes non seulement dans le passif, mais carrément dans la catastrophe. Nous avons, avec beaucoup de mal, réussis à trouver des alternatives logistiques aux différents désistements qui ont marqué cette tournée, nous avons pu, heureusement, être logés et nourris, ce qui était déjà formidable vu les circonstances, mais nous avions par ce fait deux cachets importants en moins. Et le bus à payer quoi qu’il arrive. Donc il nous manquait carrément la moitié du budget pour équilibrer la tournée. Initialement, avec la préparation de la soirée au Cirque, nous espérions pouvoir enfin produire un bénéfice dont a tant besoin l’association et tous les membres du groupe. Depuis pas mal de temps nous sommes sans aucune subvention, et autant dire que nous avons du mal à tourner que sur nos fonds propres… Donc nous voyons cette opportunité que nous propose Andréa presque comme un miracle, tant la situation de tous est précaire. En principe tout devrait bien se passer. Nous sommes super motivés, Andréa fait le maximum, tout un réseau d’amis et de connaissances s’investi pour faire passer l’information et faire venir du monde. Mais en même temps, n’ayant que trop l’expérience de ce genre d’événements, je suis lucide, et j’estime que si une centaine de personnes viennent, ça sera déjà pas mal. Cela ne résoudra pas nos problèmes financiers, mais ça sera mieux que rien. Cette soirée et le festival d’Auch, étaient les deux points principaux qui ont fait que nous nous sommes lancés dans cette tournée. Sinon, avec tous ces désistements, nous aurions tout simplement annulé le tout. Mais vu l’importance de ces deux manifestations, et surtout l’investissement personnel de nos amis qui étaient derrière tout cela, il n’en était pas question.  Alors nous avons fait l’impossible pour y arriver, et pas qu’au sens figuré… 

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Au Cirque, et pas que là d’ailleurs, la sono est toujours notre talon d’Achille. Soit il n’y en a pas, ce qui n’est pas le pire, nous préférons de passer en acoustique dés que c’est possible, ou alors elle est non adaptée et mal servie, et c’est vraiment l’horreur.  Et ce fut le cas  cette fois-ci. J’avais, bien à l’avance, demandé à des amis de nous prêter du matériel et venir sonoriser. Le jour même il y a juste Tagada qui passe avec deux micros et il ne peut pas rester. 3 micros pour 30 personnes. On a pas assez de rallonge, donc l’orchestre ne peut pas être placé au devant, ce qui peut paraître anodin, mais pour nous c’est vital d’avoir le contact visuel avec toute la troupe, et puis les musiciens et moi-même, nous faisons aussi une part importante du visuel, le public suit mon contact avec toute la troupe et ça fait partie du spectacle. Donc là nous étions cachés derrière la piste, et les gosses n’arrêtaient pas de se retourner pour avoir ce contact des yeux au quel ils sont habitués, et cela donnait la pénible impression qu’ils ne savaient pas quoi faire et étaient perdus au milieu de la scène… Dés que nous avions commencés, j’ai vu les spectateurs, les enfants surtout, se boucher les oreilles. Manifestement c’était trop fort. Il y en avait qui ont carrément quittés la salle à cause de cela. Et personne pour baisser d’un cran. J’étais rivé à mon instrument, il fallait absolument que je mène la musique et donne la dynamique et l’énergie au groupe. En même temps que le public souffrait des décibels, les musiciens, n’ayant aucun retour du son, étaient persuadés qu’on ne les entendait pas, eux ils ne s’entendaient pas, et avaient du mal à jouer et à chanter ensemble, à tenir le rythme. Heureusement qu’au milieu du spectacle Alexandre Romanès saute derrière la table de mixage et baisse le son. Mais complètement, et on n’entendait plus rien du tout. Cela, plus le décalage visuel avec toute la troupe, a produit une prestation qui n’était pas des meilleures que l’on a données. Nous étions aussi très fatigués, éreintés après un nombre démesurés de spectacles pour survivre. Moins on est payé, plus on joue. En moyenne deux, voir trois spectacles par jour, au rythme qui est le nôtre, ont de quoi entamer les réserves d’énergie inépuisables des gamins. Mais je crois que malgré cela nous avons bien tenu. Tout le monde s’est donné à fond. Sans retenue. Mais le résultat était tel qu’il était. Mitigé, pas au top. Une espèce d’agonie en bout de course. Horrible. Tout ce mal qu’on s’est donné, que d’autres se sont donné, pour un piètre résultat. Le Cirque était plein à craquer. Autour de cinq cent personnes se sont déplacées. A Paris c’est une prouesse incroyable. J’étais le premier à ne pas y croire. Ce n’est pas la centaine que j’escomptais, loin de là. Et pas n’importe qui. Dés que le public commençait par  arriver au chapiteau de la Porte de Champerret, nous étions impressionnés pas le nombre et la qualité des gens, manifestement sortant du cadre ordinaire des spectateurs lambda. Des amis de longue date, que l’on n’a pas vu depuis des lustres, se retrouvaient. Même le temps était sympa. De l’orage, la météo a miraculeusement virée au beau fixe, et nous a permis d’organiser avec des amis une buvette sympathique qui fait le charme de l’endroit. A la fin du spectacle, les gens trainaient encore un peu, ambiance décontracte, il y a eu des félicitations, je pense sincères, nous avions la bonne sensation du devoir bien accompli, en tout cas l’épuisement total y était, mais hélas cette impression d’avoir raté une occasion unique m’a hanté encore longtemps.

Le lendemain, comme s’il n’en avait pas encore assez, nous faisons encore un passage sur un terrain de Montreuil.  Une assoc locale organise le tout avec Colette, et sur le bitume, entre les caravanes, nous donnons un spectacle impromptu pour les Roms roumains qui campent là. Coralie est venue avec quelques gamins de Saint Denis. C’est plutôt sympa. Il y a des jeunes, des enfants, et c’est toujours motivant de se produire devant les siens. 

 

Mais on doit prendre la route ensuite, et nous voudrions passer encore vite fait à la Tour Eiffel pour les nouveaux du groupe, alors on ne s’attarde pas. Après une bonne collation et avec plein de ravitaillement nous quittons le camp pour la place du  Trocadéro. Pendant que les gamins découvrent la Tourcifelle, Andréa me rejoint pour me donner la recette. Le miracle. Les deux cachets en moins que nous avons perdus suite aux désistements des spectacles sont compensés par les entrées d’hier. On équilibre le budget. On a rien gagné, mais on a rien perdu. Formidable. Nous sommes très reconnaissants à Andréa. Sans son intervention nous aurions été totalement perdus. C’est d’autant plus rageant que ce fameux spectacle au Cirque était ce qu’il était. 

                                                       

La troupe rentre sans moi. Je dois rester quelques jours à Paris, la prochaine tournée aura lieu dans moins de deux mois, et il y a encore de quoi faire pour la préparer… Heureusement tout le monde rentre sain et sauf et la première question est, comme d’habitude, quand est-ce qu’on repart?