Juin

Séance de tournage pour un film documentaire de notre ami Paľo Pekárčík, dont le sujet est la cohabitation entre les différentes minorités ethniques en Slovaquie. En l ́ occurrence il y avait un jeune garçon d´origine vietnamienne, deux slovaques et une fille rom, tous du lycée de Kežmarok, et puis nous. Au début ce n ́ était pas du tout évident, les jeunes lycéens n ́étaient absolument pas préparés à la déferlante Kesaj, il n´y a absolument aucun contact entre la population majoritaire et les Roms des bidonvilles, a part ceux, négatifs, lors des excés des Roms dans les endroits publics, les gares, les trains, etc. Paľo les a amené directement à notre répétition, après deux semaines de jeûne dues a mon voyage à Paris, inutile de dire qu´il y avait une sacré réserve d´énergie qui ne demandait qu'à exploser, et les jeunes qui ne s'attendaient pas à cela étaient légèrement déconcertés en entrant dans le vif du sujet, puisque nous venions de commencer lorsqu'ils sont arrivés. Mais, nous  en avons vu d´autres, et ils ont fini, malgré quelques récalcitrances au début, par se joindre à la "ronde infernale" de Kesaj, mieux, à se fondre dedans, à laquelle rien ne résiste...
 
Mercredi, 14 juin, à 13h, le virement tant espéré de la subvention du Ccfd est enfin passé. Après trois essais infructueux, la quatrième fois fut la bonne. Énorme merci à tous les partenaires du Ccfd, qui ont persévéré, et ont réussi enfin à rompre cette incroyable chaîne de malchances, qui a fait que le versement a tardé près de quatre mois qui nous ont mis à rude épreuve. 
En effet, puisque nous étions certains depuis le mois de février, que le transfert sera réalisé dans la semaine qui suit, nous avons continué dans nos activités, et pour ce faire, ayant épuisé notre budget de l ́année, nous avons emprunté à gauche et à droite, à nos amis, à la famille, avec la certitude que nous allions rembourser sous peu, puisque l'ordre de virement venait d'être donné, et la somme a été même déduite du compte du Ccfd. Personne ne pouvait imaginer que trois fois de suite il y aurait un retour de fonds, sans explication aucune de la banque ! Plus le temps avançait, plus la situation devenait compliquée pour nous, tant au niveau financier, qu´au niveau psychique, cela tournait à l´obsession... Une sorte de malchance, malédiction, qui s´acharnait sur nous. Heureusement que l´équipe du Ccfd, avec Cécile, Elnara, et la nouvelle recrue, Charlotte, responsable de notre partenariat, était prête à l´attaque, et a finalement réussi à mener l'affaire à bien. 
Cette épreuve ne fait que démontrer combien le soutien de la part du Ccfd est essentiel pour nous, sans cette aide nous ne serions absolument pas en mesure de réaliser nos activités. Dans les débuts de notre action, les premières dix années, lorsque nous n´étions pas encore partenaires du Ccfd, la situation était fondamentalement différente pour nous. Toutes nos activités étaient réalisées dans l'ancienne maison familiale de Helena, mon épouse. Les répétitions étaient faites dans le couloir de Margita, la sœur de Helena. Ce n'était pas très confortable, le couloir n´était pas chauffé, en hiver cela relevait de l´ascétisme, il fallait vraiment y croire, pour continuer à chanter et à danser avec moins 20 degrés dehors, et pas de chauffage à l´intérieur. En plus, c´était un couloir de passage, des gens passaient à l´improviste, et des problèmes de voisinage survenaient régulièrement. Mais l'avantage indéniable de cet endroit, c´est qu´il était gratuit. Margita nous accueillait sans contrepartie, de temps en temps, lorsque nous le pouvions, nous lui donnions un peu d'argent, mais ce n'était pas un loyer régulier. Cela nous permettait de nous engager dans des actions des tournées hors frontières, même avec des ressources financières moindres, bien qu´avec des risques certains et des conditions qui relevaient souvent plus de l'aventure que d'une action sereine et tranquille. Tout cela a pris fin avec le décès de Margita, nous ne pouvions plus user de cet endroit, nous nous sommes rabattus sur les locaux du lycée rom que nous gérions à l´époque. Mais en 2017 le lycée a cessé ses activités, et après avoir cherché sans succès dans les alentours, et après avoir demandé une énième fois en vain des locaux à la municipalité, nous étions obligés de nous rabattre sur les anciens locaux du lycée, qui étaient, bien sûr, payants, mais nous étions heureux de pouvoir disposer au moins de cette alternative, car sans cela nous nous retrouvions à la rue, sans la possibilité de poursuivre nos activités. 
La situation se complique de nouveau avec l'augmentation des énergies et du transport, qui a eu lieu l'année dernière. Tous les prix ont grimpé, comme partout, mais en ce qui nous concerne, ce sont les tarifs du gaz et du transport en bus (qui dessert les villages d'où viennent les jeunes aux répétitions) qui nous posent le plus de problèmes. Cette augmentation de plus de 300 % change la donnée à la base. 
Nous savions que ces changements allaient survenir, pour les anticiper nous étions en contact avec le Ccfd dès la rentrée 2022, pour éviter qu´il n´y ait aucun contre temps au niveau administratif qui mette en péril le versement de la subvention, qui était pour nous vitale, puisque nous ne disposions plus de réserve financière à la fin de l´année, et nous étions obligés de réduire en partie nos activités. Tout était en place, la communication avec le Ccfd était sans problème, la subvention était avalisée, et meme versée, mais sans arriver au destinataire, puisque la banque a agi d´une manière incompréhensible, en faisant un retour de fonds trois fois de suite sans explication aucune. Lors d´un voyage à Paris, au mois de juin 2023, j´ai pu rencontrer personnelement nos partenaires au siège du Ccfd, rue Lantier, et nous avons pu faire ensemble le point, et la décision était prise de passer par un autre canal financier, si le transfert n´arrivait pas à être réalisé. Et c´est ce qui s´est passé. Donc, après ce troisième essai infructueux, le versement était réalisé différamment, et cette fois-ci avec succès. Le cauchemar a pris fin !

27 juin 2023

Nous avons repris un rythme soutenu de répétitions. Trois, quatre fois par semaine, parfois aussi le samedi avec Helena. Cela fait du bien, tout le monde est motivé, d´une part il y a eu une disette au niveau des activités, et puis la possibilité de monter sur scène bientôt, le 9 juillet au Festival à Martin, donne des ailes. Pourtant, de nouveau c'était mal parti. Le festival est organisé par le Musée ethnographique de Martin, et déjà en nous contactant ils nous ont prévenu qu´ils n´ont pas beaucoup de budget, mais qu´ils vont essayer au moins de payer le transport, et le ravitaillement se fera sur leurs propres fonds personnels. Le cachet était hors de question. Mais même ces conditions étaient remises en cause, car n'ayant pas obtenu le financement escompté du Ministère de la Culture, ils ne pouvaient plus assurer quoi que ce soit. Alors, navrés, ils nous ont annoncé qu´ils sont dans l'obligation d'annuler notre invitation. Et cela fait au moins trois ans qu´ils essayent de nous avoir à leur festival, mais à chaque fois il y a eu un impondérable, le covide, les restrictions, etc., qui fait que l'action ne s'est pas réalisée. Mais cette fois-ci, ne pas y aller aurait été une énorme déception pour toute la troupe, puisque nous nous sommes préparés intensément à cet événement, et hormis cela, il n´y a pas d´autres propositions de production dans l´immédiat. Il n´y aura pas, non plus, cette année de sortie internationale, alors supprimer ce spectacle nous aurait vraiment tous pénalisé et peiné. Alors nous avons proposé de venir sur nos propres fonds, en cherchant d´éventuels sponsors. Donc nous sommes dans une période de préparation intense, à la plus grande joie et satisfaction de tous.

Le contact quotidien avec la troupe permet aussi d'avoir des nouvelles fraîches, au quotidien, de ce qui se passe au bidonville. Toujours la même routine, rien ne change ici. Tout le monde vole tout à tout le monde, personne ne donne rien à personne... La misère extrême dans laquelle sont plongés les habitants de ces localités marginalisées produit des comportements délétères, défectueux, avec une absence totale de sentiment de compassion, d'entraide, de solidarité. Cela, ce sont des termes complètement absents ici, l'altruisme est un luxe que personne ne peut se permettre ici, et dont personne n'a d'ailleurs la moindre idée. Si quelqu ́un, bien sûr d ́ extérieur, manifeste de la bonté, cela est considéré comme un signe de faiblesse, de bêtise... Nous essayons, avec nos activités, les répétitions fréquentes, les sorties, les tournées, lorsque nous sommes ensemble, coupés de leur milieu d'origine pendant des semaines, de montrer, de faire vivre un autre mode de rapports que celui auquel sont habitués les jeunes à la colonie. Pendant ces séjours, effectivement, un autre modèle de coexistence se met en place. Naturellement. Nous devenons un collectif uni, soudé par les mêmes objectifs, peu importe qu´ils ne soient en apparence qu'artistiques, et naturellement, nous partageons tout, nos joies et nos peines, et le dernier morceau de pain qu´il reste sur la table... Ce qui n'est pas du tout évident, ni envisageable au bidonville. Mais au moins, l'espace de quelques semaines, ce système marche, il est appliqué, il est vécu par tout le monde, et ça plaît à tout le monde, puisque tout le monde veut revenir la prochaine fois... Il ne faut pas se faire d'illusions, une fois revenus au bidonville, les jeunes ne pourront absolument pas appliquer ces nouvelles règles de vie qu´ils ont vécu avec nous. Ils seront de nouveau plongés dans ce milieu impitoyable de leurs origines sociales, où la survie dicte les lois, et les applique sans le moindre état d'âme, et où aucun écart ne peut être envisageable et encore moins mis en pratique. Cela, nous le savons que trop bien, et pourtant à chaque fois nous recommençons, tels le Sisyphos avec son histoire éternelle du caillou et la montagne... 
Nous aidons Roman, notre musicien, en le rémunérant un peu pour chaque répétition. C'est normal, il a quatre enfants en bas âge, sa situation est catastrophique, alors c'est normal de lui octroyer une somme modique lorsqu'il vient donner de son temps, au détriment de sa famille. Bien sûr, les autres, qui ne sont absolument pas dans le même cas de figure aussi désespéré que Roman, sont jaloux. Ils ne veulent admettre d´aucune façon que Roman soit aidé, peu importe les raisons qui ont provoqué cette aide de notre part. Pourtant, il s'agit des cousins, des amis d' enfance, dont certains ont aussi, lorsqu'ils étaient au plus mal, bénéficié d'aide de notre part. Mais ils ne veulent en aucune façon admettre que cette aide puisse être aussi adressée à un autre qu´eux. Les réactions sont en général très émotives, parfois violentes. Suivent des explications, dans le calme, mais puisque ce sont des propos qui ont déjà été exposés maintes fois, on ne s'attarde plus trop, si ça ne vous plait pas, vous ferez mieux de rester à la maison, ce n'est pas la peine de venir... Et puis, finalement, tout le monde reste. Tout cela fait partie de la routine. Avant, ces réactions nous touchaient et nous affectaient  bien plus que cela, que l´on le veuille ou non, elles altéraient notre moral, elles nous mettaient à mal, nous faisaient souffrir psychiquement, puisque l ́on ne voyait pas de solution, et même pas d'utilité à notre travail, à notre engagement. A quoi cela sert, tout cela, puisque l´on ne voit pas de résultats concrets ?! Rien ne change sur le terrain, la misere est immuable, éternelle. Et puis, les années passant, on fait la part des choses. Bien sûr, qu´il y a une utilité. Ne serait-ce que de faire passer quelques moments de paix, dans tous les sens du mot, à ces gosses et à ces jeunes qui vivent dans des conditions dépassant toute imagination. Et puis, c´est tellement prétentieux, que de vouloir changer des hommes, des individus... De quel droit nous nous prévaudrions pour avoir de telles prérogatives, changer les hommes... Cela relève du droit divin, très, très loin de nous, simples mortels. Comment agirons-nous, si nous étions exposés aux mêmes réalités qu´eux... Et puis, bien sûr, il y a quand même le constat, qu´il y a aussi du changement, même s´il est en apparence microscopique, mais il y en a. D´un côté ces réactions à fleur de peau, comme évoquées ici, mais de l´autre, un esprit de groupe, qui se traduit par une aide des plus grands envers les plus petits, par une attention aux besoins du collectif, par un partage des charges qui incombent aux adultes lors des tournées, etc., Donc, ce n ́est pas la peine de se taper la tête contre le mur, si on pèse le pour et le contre, le positif l´emporte. Largement...