Octobre

Profitant de l´occasion de la projection du document de TMT, j´ai fait un bref aller-retour à Paris pour rencontrer divers partenaires en vue de l'élaboration de la tournée française du printemps prochain. La Fnasat est en pôle position, c´est un contact de vieille date, de nos débuts, ils nous connaissent parfaitement, et sont prêts à s´engager avec nous dans la réalisation de ce projet. Il s´agirait de participer à plusieurs événements de la scène culturelle tsigane sur la région parisienne, plus des interventions dans des écoles, hôpitaux et des campements roms. Pour la construction et surtout la réalisation d´un projet tel que notre tournée, il est préférable, et même indispensable, d´avoir au moins un, voire deux, partenaires solides, capables de s'investir dans la recherche des débouchés de production, des financements et de la mise en place de la logistique inhérents au déplacement d´une troupe d´une trentaine de jeunes. Dans le cas présent, nous démarrons nos investigations avec la Fnasat pour les écoles et éventuels financements, avec Emmanuel Guibert pour les interventions dans les hôpitaux, Yepce pour un événement au camps de Stains et des artistes de la scène tsigane pour des participations aux événements culturels durant la période en question. Tout n´est qu´au commencement, mais c´est maintenant que les projets se forment, donc il faut agir. 

Avant de repartir au pays, une brève rencontre avec Roxana et sa fille Zuly, qui sont déjà passées chez nous il y a quelques années. Zuli est trisomique, et Roxana fait tout son possible pour l´inclure dans toutes ses activités, y compris les professionnelles, ayant trait avec les claquettes, dont elle est une championne internationale. Mais le plus dur c´est à l´école, lorsque les institutions faillissent compétemment à leur devoir élémentaire de moteur et créateur de l´inclusion … Alors, au moins nous, on va essayer de les inclure dans un bout de nos spectacles, comme nous l´avons fait déjà dans le temps.

www.kesaj.eu/fr/projekt/kesaj/nase-uspechy/zuly/

Le vendredi, une répétition, et le samedi, la diffusion sur la Deuxième chaîne nationale, RTVS2, du document de Tamèrantong, Cigánka - Divadlo mládež bez hraníc. Nous avons prévenu tout le monde, tous nos amis, il faut voir ça ! Le document est en version originale, en français, avec des sous titres en slovaque. Mais là aussi, la règle immuable est, ce que tu ne fais pas toi-même, tu ne l´auras pas. Donc le fait que j´ai prévenu les jeunes n´a pas suffi en soi, Roman m´a demandé le lendemain, c´est quand que ca passe ?! Et puis de toute manière, il n´avait pas de télé. Et pourtant la veille, il m´a assuré que tout était ok, que tout le monde va regarder le doc et lui, il ira le regarder chez sa mere, qui, elle, a la télé.  Bon, à Rakusy, c´était un peu mieux. Les jeunes ont vu le film, mais le hasard a fait que peu après une bagarre monumentale a éclaté, la police a dû intervenir, et le débat était du coup ailleurs... 

Nous appliquons à la lettre le système qui veut que absolument tout le monde ait accès au groupe et à nos répétitions. Il n ́y a pas de concours, pas de choix en critère du talent ou des aptitudes artistiques, pas d ́élitisme, tout le monde, tous ceux qui en manifestent l'envie, que ce soit par curiosité, par amusement, ou tout simplement pour tromper l'ennui (omniprésent dans les osadas), doivent avoir le libre accès à notre local de répétitions. Nous payons le prix du transport de l´osada au local, et ensuite, pas de différence et encore moins de ségrégation, tout le monde au boulot, tous, dès la première minute de la répétition, doivent travailler, s'investir à fond, aucune exception ni relâche ne sont tolérées. Tout le monde, les anciens, comme les tout nouveaux, sont logés à la même enseigne, l´effort avant tout, et en l'occurrence, l'effort collectif, est le moteur de notre action. Ceci tout d ́abord, pour contrer l'extrême ségrégation sociale et clanique, archaïque, intransigeante dans son expression quotidienne, donc impitoyable, qui règne dans les osadas. Les parias ont toujours aussi leurs parias, auxquels ils font mener la vie dure, et aussi, parce qu'il ne peut en être autrement. En effet, si on a affaire pratiquement exclusivement qu´à une population des osadas, on ne peut que prendre en compte des réalités de celles-ci et faire avec, et l ́ instabilité chronique dans tous les domaines de la vie en est une composante fondamentale. Le résultat en est une imprévisibilité totale, inhabituelle pour nous, mais a la quelle nous n´avons pas d´autre choix que de s´adapter. Donc il faut toujours avoir un réservoir des effectifs conséquent, pour contrer les revirements, les désistements et les surprises en tout genre, qui font partie du quotidien. De ce fait, nous nous retrouvons en constant renouvellement de nos troupes. Autour d'un noyau d' anciens, qui ont déjà plusieurs années de pratique (pour certains presque des décennies) à leur effectif, il a tout une "myriade" de nouveaux, qui viennent, ne viennent plus, reviennent, et ainsi de suite, pour, peu à peu, de nouveau former, au fil des mois et des années, un nouveau noyau d ́anciens, etc... C´est comme ça depuis nos débuts, avec des périodes relativement stables, notamment lors du fonctionnement de notre lycée, lorsque le gros des troupes était constitué pas nos étudiants, et puis des périodes de renouvellement permanent de nos troupes, en fonction du travail, des mariages, etc. Dans la pratique, depuis les deux décennies de l´existence du groupe, il n´y a pas eu deux répétitions consécutives, auxquelles il y aurait exactement les mêmes participants. Toujours, celui qui devrait être là, parce que l'on s'est mis d'accord la veille, n'est pas là, et quelqu'un d'autre, qu´on a encore jamais vu, vient à sa place, comme si rien n'était... Au premier abord, il pourrait sembler que cela est dû à un manque d'autorité de notre part. Je ne pense pas. Nous avons un rapport très franc, et très direct avec nos jeunes. Sans aucun chichi, il n´y a pas de concessions inutiles, ni d'atermoiements. Mais c´est comme ça, parce que c´est comme ca a l´osada, et si nous voulons que tout le monde ait l'accès à nos activités, on fait avec ce qu´il y a, et pas avec ce qu'on aimerait qu´il y ait. Donc, la réalité prime sur les désiratas et les illusions. Ce n´est pas toujours facile, ni évident. Il faut savoir encaisser les coups, les déceptions, ne rien attendre en retour. Il n´est pas facile de renoncer à ses envies, ou plus exactements, à ses passions, lorsqu ́on a travaillé pendant des années, et enfin, le résultat vient, les jeunes acquièrent des niveaux d'habiletés dans la pratique artistique, que ce soit dans le domaine du chant, de la danse, ou de la musique, exceptionnels, et c'est là que tout tombe à plat, ils disparaissent dans la nature, pour des raisons qui pourraient paraître futiles, mais qui sont vitales ici - le travail et les fiançailles ou mariages. Dés l´age de 16 ans, quelqu´elle soit l´occasion pour partir travailler, au noir la plupart de temps, sans etre payé convenablement, ou meme pas du tout, les jeunes partent travailler pour essayer d´apporter de l´argent à la famille. Et pareil, à partir de cet âge légal, ou parfois avant, les unions des couples sont autorisées dans les familles, donc consommées, et dans les deux cas, il n´y a aucune force qui pourrait contrer cela. Et nous ne voulons en aucune sorte nous opposer à ces destins, ce serait inutile, d´ailleurs. Nous ne pouvons que constater, que dans la structure actuelle des sociétés des osadas, ces choix de vie sont absolus, aucune concession, ni arrangement n´est possible,  pas plus qu´concevable. Alors maintenant, tout comme avant, à chaque répétition il y a quelqu´un de nouveau, qu´on voit apparaitre, puis disparaitre, pour le revoir de nouveau, quand on s'y attend le moins...

Mais en même temps, outre les difficultés inhérentes à ce système de travail, il faut reconnaître que ce constant afflux de nouveaux, apporte une fraîcheur et une spontanéité dans l'expression artistique, qui sont appréciables, et constituent aussi une de nos "marques de fabrique" et particularités de notre groupe. 

Parmi les champions de ce système, il y a Vlado. Tout le monde l'appelle Ježiš, le Jésus (comme d´hab, on ne sait pas pourquoi). Vlado est plutôt simple, ce qui ne veut pas dire compliqué sous certains aspects... Bref, il est à part. Alors lui, il vient tous les deux, trois ans. Parfois pour quelques répétitions de suite, parfois, pour une participation unique. Toujours très heureux de revenir, en proclamant que maintenant il viendra tous les jours. Et puis on le revoit dans un ou deux ans...  
 
Les répétitions sont, du fait du constant afflux des nouveaux, périlleuses. Nous n'avons pratiquement plus de filles "anciennes", qui posséderaient le répertoire. Celles, qui en avaient les bases, sont parties en raison de leur âge, passées les 15 - 16 ans, d´autres priorités viennent, notamment celle de construire une vie de couple. Alors les départs n'ont rien d'étonnant. La difficulté consiste alors dans la transmission des savoir-faire artistiques, il n´y a plus personne pour servir de relais. Helena enseigne à Košice, et ne peut prendre part aux répétitions que très rarement, les samedis de temps en temps, pas trop souvent, car elle est épuisée par les trajets quotidiens qui lui prennent un temps énorme. Donc les filles qui ne sont pas encore vraiment formées prennent les fonctions de monitrices pour les toutes nouvelles, ce qui les propulse à un tout autre niveau que jusqu'à lors, et les oblige du coup à plus de concentration et de sérieux, et elles-mêmes font ainsi plus rapidement des progrès que jusqu'à lors. Donc, tout mal est un bien a quelque chose. 
Chez les garçons le problème est moins crucial, il y a toute une ribambelle de jeunes ados qui maîtrisent bien les claquettes, mais ont encore, malgré leur bonne volonté,  des lacunes au niveau de la transmission. Quelqu'un de plus aguerri au niveau de l'enseignement serait fort utile, mais ce genre de profil correspond à un jeune en âge de travailler, donc, bien sûr, il va travailler et n'aura pas le temps de venir aux répétitions, d'autant plus qu'elles sont gratuites, sans rémunération aucune. On fait venir, tant bien que mal, Roman, pour aider dans la partie musicale. Ce n´est pas simple, car il vadrouille constamment entre son bidonville et celui de ses beaux-parents, en fonction de l'état de ses finances et celles de sa belle-famille. Il amène avec lui ses enfants en bas âge de 2 à 4 ans, ce qui n'ajoute rien à la sérénité des répétitions. Mais au moins, cela a le mérite d'être comme à la maison. 
Nous avons vraiment des répétitions familiales. Mais sans aucune concession, bien-sûr, quant à la dynamique et le sérieux du travail. Mais il faut reconnaitre, qu´avec une quarantaine de jeunes et d´enfants, de 2 à 16 ans, il y a de quoi faire.  L´engagement est total, les répétitions s´apparentent parfois aux cours d´arts martiaux, tant l´énergie et l´ethousiasme juvenile doivent etre canalisées au maximum pour obtenir un maximum de concentration durant les deux heures d´affilé qu´il faut tenir avant de repartir en courant pour prendre le bus ou le train. 
 
Durant tout le mois de septembre sont exposées à Bratislava, sur la place Hviezdoslav, les photos d´Oliver Ondráš, qu´il a prises lors de notre spectacle de Noel 2022 à Poprad, et pour lesquelles il a reçu le prix de la Slovak Press Foto. La Place Hviezdoslav est une place centrale de la capitale de la Slovaquie, Bratislava, la place du Théâtre National Slovaque. Le Prix de la Slovak Press Foto, est un prestigieux Concours International, et les photos de Kesaj Tchave figurent en très bonne position, juste à côté de celles du groupe Tublatanka, qui un groupe de musique pop culte, ultra célèbre en Slovaquie... Que demander de plus ?!
 
Nous voulons profiter des derniers beaux jours d'automne pour faire des sorties à la montagne. On se met d'accord pour aller au refuge de Rysy, qui est à 2250 m d´altitude, et s'il fait beau, on ira jusqu´au pic, à 2501 m. Des six gars qui doivent m'attendre à 7h du matin, il n'y en a que trois. Tant pis, on ira en nombre réduit. Le temps n'est pas mauvais, mais ça s'est brusquement refroidi la nuit dernière, et le sentier est par moment glacé, ce qui n'est pas très pratique et peut être par moments même périlleux. La preuve, quand nous arrivons au passage le plus exposé de la rando, aux chaînes fixées dans la paroie de la montagne, le plus jeune des trois, Gendarme, fléchit, il a un coup de panique, et ne veut plus avancer. Il n'y a rien a faire, les autres, par mimétisme, n'en mènent pas large non plus. Dans des cas pareils, il ne faut pas insister, le sentier est verglacé, il faut traverser une paroie qui est surélevée, il y a de quoi donner des frissons à des jeunes non expérimentés. Alors on laisse le Gendarme et Tomáš sur place, et nous franchissons la paroie juste avec Matej, qui s'est repris, et a voulu se prouver, et surtout prouver aux autres, qu'il est capable de surmonter le danger. Après avoir, très doucement et avec de multiples précautions, traversé la paroie, nous revenons vers les deux qui sont restés au pied de la paroie et nous prenons le chemin du retour. Nous essaierons une autre fois, lorsque les conditions seront plus favorables.
Nous revenons dans la vallée trois jours plus tard. La météo est détestable, mais ce n'est pas grave, nous n'avons pas l'intention d'aller au refuge de Rysy, nous venons juste pour donner le coup d'envoi du Sherpa Rallye, la course des porteurs de charges aux refuges, dont le départ est à Popradské Pleso. La Slovaquie est l'unique pays au monde où se perpétue la tradition du ravitaillement des refuges de montagnes par le portage à dos d'homme. L'hélicoptère n'est utilisé que très rarement, dans des cas spéciaux, tout au long de l'année, ce sont les hommes qui montent sur leurs dos tout ce qui est nécessaire pour le fonctionnement des refuges. En pratique, on monte sur un dénivelé d'environ de 800 m et une longueur de 6 à 8 km des charges allant jusqu'à ̀ 90 kg, et même plus pour les plus aguerris. C'est extrêmement épuisant, et parfois, vu que c'est en haute montagne, cela peut être dangereux. Mais c'est l'idéal pour se mettre les idées et les muscles en place. Bien sûr, on fait ça par passion, par le goût de l ́ effort et par amour de la montagne. J'ai eu la chance et le bonheur d'exercer ce métier hors normes pendant quelques années de ma jeunesse, et j'ai encore de nombreux amis qui datent de ce temps. 
 
Alors lorsque Viktor, le gardien du refuge de Rysy, m'a demandé de venir animer le départ de la course des sherpas, avec grand plaisir j´ai accepté. Donc au petit matin, vers les sept heures, le bus doit prendre une première fournée de jeunes de Rakusy, pour venir ensuite nous rejoindre à notre local de répétitions à Kežmarok et aller récupérer encore ceux de Lomnica. Mais à 7h15, Dominik me téléphone qu´il n´y a aucun bus en vue à Rakusy. Vite un coup de fil au transporteur, qui dans un premier temps ne répond pas, les minutes passent, on est attendu pour le départ, heureusement, il finit par répondre, pour me dire qu´il a complètement oublié notre commande. Bravo ! Que faire ?! Il est en Autriche, et nous devons être dans une heure au départ de la course. Heureusement, un de ses collègues est par miracle disponible, et il peut nous rejoindre dans vingt minutes. 
Nous arrivons à Lomnica, nous sommes en tout une trentaine, donc deux fois plus que prévu, mais je n'ai pas le coeur de dire à des petits nouveaux de ne pas venir, alors on embarque tout le monde. C'est toujours comme ça. Roman, qui doit assurer au clavier, n'est pas là. Pourtant, il a juré de venir, de ne pas nous laisser tomber. Cette promesse de sa part était d´autant plus sérieuse, qu´il la proclamait en nous demandant, comme d´habitude, de l'aider dans sa situation désespérée. Ce que nous avons fait, mais une fois le désespoir passé, les promesses ne tiennent plus, et il n'a même pas eu le courage de nous téléphoner pour prevenir qu´il ne viendra pas. Je sais qu´ils ont eu un baptême la veille, tiens, du coup ils avaient des moyens pour ce faire.., mais il aurait pu au moins prévenir. 
Bon, depuis des années, je suis habitué à ce genre de déconvenues, ce ne sont même plus des surprises, c ́est plutôt le contraire qui eut été étonnant, mais ca déçoit quand même, par principe, plus que par les complications que ça crée, bien qu´assurer la partie musicale juste qu ́avec une balalaïka, sans le clavier, donc sans instrument harmonique, n ́est pas évident, cela ne se fait pas... En plus, la veille, Jakub m´a envoyé un sms, qu´il ne pourra pas venir, car on lui propose un petit boulot juste ce dimanche quand nous devons aller jouer. Jakub joue du cachon, sans Roman et le clavier j´ai vraiment besoin de lui, on doit jouer en  plein air, tout seul, j'aurais du mal. Son histoire de boulot c´est n´importe quoi, personne ne lui propose rien du tout, mais tout son entourage au bidonville est en train de lui monter la tete comme quoi il est bête et idiot de venir avec nous sans etre payé, il faut qu´il fasse pression sur nous, etc... Jakub a 22 ans, il est dans le groupe depuis ses quatre ans, nous avons énormément aidé sa famille, et lui aussi en particulier, par ex. dernièrement, il n'y a pas longtemps, lorsqu ́il fallait le rapatrier de Tchéquie, quand il n'avait pas un sou pour prendre le train après une énième expérience infructueuse de travail sans être payé par des employeurs tsiganes sans scrupules, ou il y a deux jours quand je suis allé le chercher à l ́autre bout de la ville pour l'aider à ramener à la maison une grosse fenêtre qu ́il venait d ́acheter et n'avait pas comment la ramener chez lui. Je lui passe un coup de fil, sans m'énerver je lui explique quoi et comment, sans insister, il n´a qu´à faire comme il veut. Le matin, il est là. Tant mieux, il a su faire la part des choses et faire front à son entourage. 
Mais, problème. Et de taille ! La météo est mauvaise, horrible. Alors que nous sommes encore au pied de la montagne, le ciel devient sombre, noir, comme au crépuscule. Et nous sommes encore en début de matinée. Il pleut, et il est évident que ça ne va pas s'arrêter. J´ai dit à tout le monde de s´équiper comme en hiver, j´ai amené tout ce que j´ai comme bonnets, des coupe-vents, mais il est évident que nous ne pourrons pas assurer sous cette pluie une prestation musicale avec chant et danse en plein air et en plein déluge. De plus, pour accéder au lieu où doit avoir notre intervention, l'endroit du départ de la course, il n'y a pas d'accès pour les voitures, il y a environ une heure de marche à travers la forêt à faire, ou se faire amener par une voiture tout-terrain. Je ne sais vraiment pas comment ça va se passer, et si quelque chose va se passer... La course, elle, elle aura lieu, le portage se fait par tous les temps, les tempêtes y compris... Mais pour ce qui est de la musique, c'est autre chose. Bon, on verra. Lorsque nous arrivons au parking, la pluie se fait plus fine, c'est déjà ça. 
Viktor arrive avec un gros pick-up avec une remorque pour le transport du matériel, donc pas couverte, il a déjà quelques passagers, mais on réussit l'exploit de faire monter trente passagers serrés comme des sardines, et s´est parti. Je monte à pieds avec le reste, ça va, il ne pleut pas trop, ca leur fera une petite balade. L ́ambiance est au top, au moins la moitié des effectifs sont des petits jeunes, tout nouveaux, qui sont venus peut être juste à deux ou trois répétitions, je ne connais même pas leurs noms, ils sont tout excités de sortir pour la première fois de leur osada dans le grand monde, alors la pluie, il  n'en n'ont cure... Une seconde voiture vient nous chercher, nous aussi, et sur un chemin digne des montages russes nous montons rejoindre les autres. 
Dodo Banyak, le régisseur qui fait un documentaire sur nous pour la télé slovaque nous a rejoint de Bratislava et il filme tout ça. Le départ aura lieu de devant un gros hôtel de montagne, il y a tout le confort et des salles de restauration, alors nous nous installons tranquillement et attendons la suite des événements. Le départ est différé de deux heures, on espère que le temps va s'arranger un peu, ok, mais que faire avec toute cette marmaille dans un lieu fermé, sans pouvoir sortir. Heureusement, Slavka, une amie qui a déjà participé à une de nos tournées, est avec nous pour me donner un coup de main, Helena est sous antibiotiques et  elle n'a pas pu venir. On gère tant bien que mal tout ça, vivement le départ de la course. Finalement, un peu avant midi on se rassemble tous devant l'entrée de l'hôtel restaurant. Il pleut encore un peu, tant pis, on fera avec. Viktor nous demande d'attaquer, ce que nous faisons avec grande joie et un entrain qui nous sont propres. 
Après avoir poireauté pendant deux heures à l´intérieur, les jeunes sont tout excités, et ce n´est pas la petite pluie qui va calmer leurs ardeurs. Malgré les conditions on ne peut plus impropres à une prestation artistique, sous la pluie, dans un espace impraticable, sur des escaliers, etc., on en donne pleine la vue à tout le monde, les spectateurs montagnards n'en reviennent pas de voir un tel déferlement d'énergie et de joie. Un déluge de bonheur de vivre. Heureusement, on a un parapluie et quelqu´un pour le tenir au-dessus de ma tête pour protéger ma balalaïka, et nous pouvons donner notre maximum, et même un peu plus, comme d'habitude :) . Ce mélange savant, bien qu ́improvisé, de quelques anciens et de nouveaux, environ à moitié - moitié, donne une authenticité incroyable, on ne fait pas un spectacle, on offre tout simplement une tranche de la vie, que l´on consomme sans modération et que l´on partage avec le public médusé qui ne demande qu ́a partager, d´ailleurs... 
On ne prolonge pas trop, juste ce qu'il faut, et le départ peut être donné, la pluie est oubliée, les charges de soixante kilo pour les hommes et vingt pour les femmes, de même, et tous montent au ciel. Comme dans le fameux film, Les Tsiganes montent au ciel...Super. Malgré tout, malgré tous les éléments qui ont joué contre nous, la pluie, le froid, le terrain, pas de bus, l'absence de Roman, plein de nouveaux... tout s'est très bien passé, ce sera une de nos prestations mémorables, hors normes, de celles dont on se souviendra. 
Viktor, le gardien du refuge et l'organisateur de la course, est aux anges, il nous offre à tous une excellente goulash et on peut entamer le retour au parking. Pareil qu´à l'aller, le pick-up fera l'affaire. On s'y engouffre comme on peut, une bonne partie des grands ados est sur la remorque, sans bâche aucune bien sûr, et la descente se fait en chantant à tue-tête  sous le regard abasourdi de quelques touristes qui se sont aventurés là malgré la météo infernale. Les retours de tous les spectateurs et montagnards sont on ne peut mieux. Le lendemain je reçois un coup de fil de Michal, le sponsor qui nous a offert les chaussures de montagnes cet été, il a vu les vidéos de notre prestation, trouve sa super, et nous demande de quoi nous avons encore besoin, il est prêt à nous aider encore en équipement. Ça tombe bien, l'hiver vient, et quelques bonnets, gants, etc., seront biens utiles pour nos sorties. La montagne, ça vous gagne !