Jarovnice

 
 
 
27 juin 2018
 

Jarovnice est le plus grand bidonville (osada) de Slovaquie. Plus de 5000 habitants. Il est situé pas loin de Prešov, à moins d´une heure de route de chez nous. Nous nous connaissons avec la directrice de l´une des deux écoles qui réunissent ensemble plus de mille élèves, et nous nous mettons d´accord pour faire un spectacle chez eux au cours de l´année. Comme la fin de l´année est là , c´est le moment ou jamais...

C´est aussi une occasion pour Jean Barak de venir avec nous en Slovaquie pour un reportage sur le terrain, et le mercredi 27 juin nous partons en direction de l´est pour un de nos ultimes spectacles de la saison. Helena est l´école de Košice, alors je laisse venir tous ceux qui ont envie. Le bus est bien rempli, nous devons être une bonne quarantaine à aller porter la bonne parole en musique et claquettes à nos semblables... Et parmi nous, des revenants miraculés, à savoir Perska, Babovka et leur fille Eliška, qui n´a même pas encore un an accompli. C´est formidable. Elle tient parfaitement le coup. Ses jeunes parents se la repassent entre les mains au fil de leur interventions sur scène, ce qui lui convient merveilleusement bien, elle ne quitte pas la scène, soit elle miaule quelque chose dans les micros avec nous, soit elle dort, ou elle téte le sein que Perska n´a aucun problème à lui donner en toute heure et en tout lieu. Notre fourchette d´age s´acroit ainsi sérieusement, on devient un vrai groupe familial, et ce n´est pas plus mal ainsi. Ce petit événement anodin à une portée bien plus importante qu´il ne paraît au premier regard. C´est la première fois qu´un couple, et qui de plus est, un couple avec son enfant, revient au sein du groupe, en spectacle, rompant ainsi la chaîne des abandons de mise, obligés, pour tous ceux, qui ont franchi le cap, et ont passés de l´adolescence à l´age adulte, comme si être adulte signifiait automatiquement la fin de toute autre activité à part de faire de l´argent et des enfants...

Manifestement, ce retour leur fait le plus grand bien, et à nous tout aussi. Perska m´a déjà téléphonnée avant de partir en notre dernière tournée, pour venir avec nous, mais c´était vraiment trop tard, le soir de la veille du départ, et il n´était absolument pas possible de faire faire le passeport à la petite le jour même du départ... Mais, si possible, ils viendront avec nous la prochaine fois.

Sinon, tout s´est très bien passé, nous sommes encore en plein sur notre réserve de la tournée, gonflés à bloc, il n´y a aucun problème à assurer une bonne prestation. Visiblement, l´équipe pédagogique sur place est expérimentée et motivée, les profs de gym organisent sur le pouce des compètes de foot et de volley, c´est parfait, pour une fois je n´ai à m´occuper de rien, tout roule tout seul, pour le plus grand plaisir de tous, qui prennent un plaisir fou à participer à tout ce qu´on leur propose. Un bon repas à la cantine de l´école, et on peut rentrer.

 

 

Habituellement, après un retour de tournée nous marquons une pause, pour récupérer un peu après toutes ces aventures et aussi pour rattraper tout ce qui nous attend à la maison comme „dossiers“ et „affaires“ à resoudre. Mais là, malgré le fait que la tournée ait été très exigeante, il n´y a pas besoin de repos spécial, la bonne tournure de tout le séjour compensant les usures physiques. Helena se charge des rattrapages, surtout au niveau de son travail, à l´école de Košice, et nous, eh bien nous, on continue comme si de rien n´était, on se réunit, on répète, on fait des spectacles, pratiquement sans marquer de pause acune après le retour de tournée. Notre retour est ausi marqué par un autre retour, celui de Perska et Babovka, et leur petite fille Eliska, de même pas un an. Leur retour est d´autant plus exceptionnel, qu´une règle dure comme du fer, veut que tout couple, pour marquer sa nouvelle situation sociale de couple officiel, romp avec tout ce qui symbolisait sa vie d´avant, donc en premier lieu le groupe, et ne prend plus part ni aux répétitions, ni aux spectacles. Ce qui est, bien sûr, dommage, pour le groupe, mais aussi et surtout pour les intéréssés eux mêmes, qui perdent ainsi ce contact et cet échappatoire aux quels ils étaient habitués depuis de longues anneés. Alors, que Perska et Babovka reviennent, constitue un événement en soi. Ils reviennent sans explication aucune, comme ça, l´air de rien. Babovka, de son vrai nom Dominik, babovka veut dire petite brioche, on n´a jamais su pourquoi il a eu ce sobriquet, et Perska, de son vrai nom Nikola, perska est dérivée de couche pour bébé, pareil on ne sait pas pourquoi on l´appelle ainsi depuis son enfance, s´investissent à fond dans les répétitions. Babovka organise les venues aux répétitions et prend en main les garçons, je suis surpris par son sens pédagogique naturel, comme danseur il ne sortait pas du rang, mais en tant qu´instructeur il tient très bien la route, il y a de la logique et du rationel dans son approche pédagogique et il obtient rapidement des résultats en tant qu´instructeur avec les nouveaux. Perska, sa compagne, est aussi une ancienne du groupe, elle est le personnage féminin central du reportage d´Arte, avec des répliques très pertinentes qui sortent de sa tête, on ne lui a rien soufflé, tout vient d´elle. Perska a une voix puissante et perçante, elle chante juste et a un bon sens du rythme. Plus un solide caractère, qui fait qu´elle remplit parfaitement la scène. Pour nous, elle est un apport très appréciable au niveau musical, son talent et ses dispositions vocales font qu´enfin, j´ai un partenaire valable au niveau musical, et avec elle, je peux même palier au manque de musiciens, qui est flagrant ces derniers temps. Donc, même sans musiciens, uniquement avec ma balalaïka, et sa voix comme support, nous pouvons tenir une répètition ou un spectacle, les autres s´alignant sur nous. Perska et Babovka apportent avec eux leur petite fille Eliška, qui n´a même pas encore un an, mais fait déjà partie de notre panoplie de spectacles, elle a instantanément intégrée notre troupe, sans le moindre problème ni en coulisses, ni sur scène. Perska se débrouille pour allaiter quand la petite a faim, et ce même en pleine représentation, et le reste suit tout seul. Ils amènent avec eux aussi Nikolas, le petit frère de Perska, qui a le même talent et la même voix que sa grande soeur, et à eux deux ils constituent une solide base musicale pour le groupe. Nous assistons ainsi aux premiers pas d´Eliska, qui se passent sur scène, lorsque Perska, sa maman, la pose par terre pour mieux se saisir du micro pour chanter, eh bien, tout à coup, la petite se reléve toute seule et se met à déambuler au milieu des danseurs, ensuite, comme une pro, lorsque Perska la reprend dans ses bras, elle s´accroche au micro et elle n´est pas en reste au niveau vocal avec ses onomatopés de bébé pour imiter maman… Tout cela, tranquilement, en plein spectacle, devant les spectateurs ébahis, qui n´en reviennent pas de ce naturel de la vie tsigane qui se déroule sous leurs yeux. Oui, le groupe constitue un spectacle en soi, même en dehors de la scène. Lorsque nous arrivons à cinquante, cela ne passe pas inaperçu, on n´a pas l´habitude de voir un tel attroupement de tsiganes, pacifiques, déambuler comme si rien n´était. Je suis le seul adulte à mener cette procession, Helena est au travail, mais tout se passe bien, malgré la masse de nouveaux qu´on amène toujours avec nous, il n´y a pas de problème, avec les grands on arrive à gérer les petits et tout se passe bien. Parfait pour améliorer l´image des Roms aux yeux du grand public, ce qui est aussi un de nos objectifs de base. Lorsque nous nous produisons en Slovaquie, quand il n´y a pas d´enjeu particulier, j´en profite pour amener en spectacle un maximum de mômes, tant qu´il y a de la place dans le bus, autant le remplir. On prend tout le monde, même ceux qui ne possédent pas vraiment le répertoire, même les tout petits, cela constitue une occasion pour eux de sortir de leur bidonville, d´être pour la première fois dans le grand monde. Et si nous avons aussi un repas d´offert, alors là, c´est le pied, manger dans un restaurant, avec des couverts, à ceux qui n´en ont encore jamais vus, on montre comment s´en servir, et le panier à souvenirs est plein…