Roman (et Veronika)

Les débuts de Roman, vers 2010
Romanove začiatky u nás, okolo 2010
 
o desať rokov
dix ans apres
 

Roman est l'aîné de sept frères et sœurs. Le père ne s´est jamais occupé d'eux, le tout reposait sur leur mère, et aussi en grande partie sur nous, puisque Roman a fait partie de la troupe dès ses 4 ans. Alors, naturellement nous avons assuré ses nombreuses visites chez le médecin, aux urgences, les fournitures scolaires, les vêtements, etc. Depuis tout petit, Roman a eu des prédispositions musicales hors norme. Au début, comme tout le monde, il chantait et dansait, mais peu à peu, à partir de ses 12 - 13 ans il s ́est affirmé comme musicien, jouant de tous les instruments que nous avions et il est devenu notre joueur de clavier, accompagnant les danses et les chants lors des répétitions et des spectacles. Il va de soi, que cette intense pratique journalière, sous une direction musicale très rigoureuse de ma part, lui ont constitué un bagage musical exceptionnel. Il joue très, très bien. Bien sûr, il essaie de tirer profit de son talent et de son savoir-faire. Hélas, souvent au détriment du groupe, ce qui ne serait pas si grave que ca, juste un petit problème moral de voir un gamin qui a grandi avec nous ne pas être solidaire avec les siens, mais ce problème devient grand lorsque Roman se tourne de nouveau vers nous lorsqu'il a besoin de l´aide, et ca arrive très souvent. Car cela s'apparenterait rapidement à du chantage de sa part, ce que l´on ne peut en aucun cas accepter.

Alors, on a appris à se passer de lui, j'assume la musique tout seul, mais vu sa situation, même si on n'a pas besoin de lui, on essaie de lui donner un coup de main de temps en temps, tout en sachant que sa situation est sans issue. Il a trois enfants, sa femme est immature, s´enfuit à la première occasion, le laissant seul avec les petits. Il ne cesse d'être chassé de sa famille et de la famille de ses beaux-parents, alors, ultime solution, il a réussi à acheter un préfabriqué d´occasion. Sans même nous demander de l'aider, il s´est débrouillé tout seul, et tout fier, il m'a appelé pour que je vienne admirer sa nouvelle maison. C ́est ce que j ́ai fait, et c'est là que j ́ai découvert ce nouveau quartier du bidonville, construit sur la décharge, avec tous nos gamins jouant en plein milieu des immondices, insouciants, riants à pleines dents et pleins poumons, et qui de plus est, parfaitement heureux et épanouis tout en sautillant entre ces déchets et défécations. Roman de même, plus que satisfait de son bungalow d´un autre âge, éventré, inapte à être habité même en été, alors qu´est-ce que ce sera en hiver?! Je suis resté cloué sur place, ne sachant comment réagir non seulement face à cette misère noire, mais aussi comment se positionner face à tout ce bonheur et cette joie de vivre, alors que ce que je voyais était un véritable Radeau de la Méduse, flottant sur un océan d ́excréments et ordures. Ils ont assez de problèmes comme ça, je ne vais pas leur gâcher la journée avec mes états d'âme… On a essayé de rafistoler la cabane, les Tsiganes sont experts en la matière. Mais il n´y a rien à faire, la baraque est éventrée, des rats gros comme des lapins de garenne viennent la nuit à l'attaque, il y a danger réel pour les enfants. Le Service social menace de placer les enfants à l'orphelinat. Helena dit que ce serait mieux pour les petits. Les orphelinats sont pleins d'enfants roms.

 

Extrait du journal de bord (tournée 2018)

Roman vient d´avoir 18 ans, mais la maman de sa fille n´en a que 15, et au niveau mental bien moins. C´est une gamine avec un visage de vielle femme, marquée par la vie, elle a du subir des choses atroces, cela se voit sur son expression, cela se ressent dans son comportement totalement imprévisible, avec des réactions d´un animal traqué, toujours prête à s´enfuir, peu importe où, ni quand, sans aucun souci des conséquences. Elle vire instantanément d´un état de soumission totale à des colères démentes, lorsqu´elle est capable de balancer son bébé par terre et s´enfuir dans n´importe quelle direction. Inutile de dire que cela occupe… A Roman, ça lui donne des sueures froides à la longueur de la journée, et moi, ca me fait une occupation à part entière, puisqu´en cas dur, Roman m´appelle à la rescousse. Et bien sûr, les cas durs, ce n´est pas ca qui manque. J´ai beau me défendre, résister, ne pas me laisser entraîner dans cette spirale sans issue, régulièrement je suis appelé à venir au secours d´une histoire insoluble. Mais puisque j´ai décidé d´amener Roman avec nous à la prochaine tournée, et j´en ai aussi besoin aux répétitions, je fonce, tête baissée en direction de tous les murs qui se présentent à moi. Tout cela se passe en plusieures étapes. La première, essentielle, est celle d´avant la prime à la naissance. Le gouvernement, généreux, se voulant social-démocrate de gauche, et voulant soutenir la démographie, offre une prime à la naissance du premier enfant. Une prime conséquente, de mille deux cent euros, si l´enfant arrive jusqu´à sa première année. Autant dire une manne inésperée dans ce milieu où un euro ou deux constituent déjà une obole consistante, permettant de manger ou non dans la journée à toute une famille. Et c´est là que les familles des jeunes entrent en jeu. Laquelle va toucher la prime? Eh bien celle, chez la quelle va se trouver la jeune maman avec son bébé au moment de l´arrivée du chèque. Donc un combat, constitué de conflits à répétition, commence entre les deux familles, et le bébé se repasse, tel un ballon de rugby entre les deux clans. C´est un cas de figure très courant, et Roman n´échappe pas à la régle. Bien entendu, nous, nous n´intervenons en aucune façon dans ces matchs, qui sont loin d´être sportifs, tous les coups sont permis, et on ne s´en prive pas.

Roman m´appelle en me demandant de l´amener à Spišský Štiavnik, dans le bidonville de Veronika, la maman de la petite Romanka, leur fille, pour récupérer la petite. Je refuse, je sais très bien que cela ne ménera à rien et je suis parfaitement conscient des risques que comporterait une telle expédition. Roman rapelle encore plusieurs fois, et lorsque sa mère et sa grande-mère prennent le combiné, je céde, et j´embarque tout ce petit monde, direction Spišský Štiavnik, qui se trouve à une trentaine de km de là. Je sais que la grande-mère serait capable d´y aller par ses propres moyens avec les transports en commun, et ce serait pire en terme de sécurité. C´est une brave femme, pas loin des 80 ans, elle soutient toute son innombrable progéniture avec sa maigre retraite et son branchement à l´électricité, qui, telle une toile d´araignée géante, procure de la lumière à toute la tribu. Arrivés sur place, je leur donne dix minutes, pas une de plus, pour récupérer le bébé, je n´ai pas envie de passer ma journée ici, s´ils ne sont pas là, je les laisse sur place. La colonie est installée à la sortie du village, juste en façe du cimetière. Il doit y avoir près de deux mille personnes à s´entasser dans ce bidonville que je ne connais pas bien, et qui n´est pas sympa du tout, il y a du vice qui traîne en l´air… La colonie est en pente, je me gare en bas, prêt à partir en vitesse en cas de besoin. Ce cas se présente très rapidement. Le commando de Roman ne traîne pas, et je les vois apparaître en haut de la pente, avec le bébé. Manifestement, cela ne fait pas l´unanimité dans la belle famille, car au moins deux cent personnes les suivent en courant, tels une nuée de sautrelles. Vu d´en bas, où je suis, c´est très impressionant, on dirait un tsunami qui s´abat sur moi. Je place ma voiture de façon à ce qu´elle ne soit pas perpendiculaire à la masse qui dévale sur moi, il est évident que s´ils voulaient renverser mon véhicule, ça serait fait en moins de deux. Tout ce troupeau accourt, Roman au devant, tant bien que mal, car il a une malformation à la hanche droite, et ne peut que sautiller tel un canard, Veronika tient la petite dans ses bras, la mère et la grande-mère au trot complètent le tableau. En d´autres circonstances cela évoquerait les films de Kusturitsa, avec son humour si particulier, mais en l´occurence rien ne porte à la rigolade, cela peut tourner au tragique à tout moment. Je me demande qu´est ce qui va bien se passer lorsque tout ce beau monde va atteindre ma voiture. Vont-ils la renverser, avec moi dedans, ou laisseront-ils me sortir? Je n´ai pas du tout envie de jouer aux héros, le rapport des forces ne laisse aucune chance au dialogue, il faut déguerpir au plus vite. J´allume le moteur, Roman arrive en premier, Veronika se fait arracher le bébé, Roman la répudie sur le champ, il ne veut plus d´elle, elle n´a qu´à rester ici avec ces sauvages. Veronika refuse de rester, elle s´accroche à Roman avec une force inouïe, l´empêche de monter dans la voiture, le bébé disparaît dans la foule, on fait vite monter tout le monde, la grande-mère s´engouffre à l´arrière et je démarre en trombe. Pour le bébé et la prime on verra plus tard, l´essentiel est qu´on est tous là, entiers. Silence, tous, nous sommes sous le coup des émotions que nous venons de vivre. Roman parle le premier. Les parents de Veronika n´étaient pas là, c´est la soeur de Veronika qui gardait le bébé et elle a refusée de le leur donner. Veronika a réussie à arracher sa fille à sa soeur, sa soeur lui dit alors que de toute manière ils vont la dénoncer au Service social et elle finira avec la petite à l´ophelinat… Ils s´enfuient avec le bébé, se font rattraper par la foule devant ma voiture, et on réussit à s´enfuire tous. Finalement, c´est assez simple comme histoire. Roman joue les durs, jure qu´il va appeler la police, qu´il va récupérer sa fille par la force. Mais ce n´est pas aussi simple qu´il croit. La maman ne l´a pas inscrit comme père, pour lui éviter la prison, puisqu´elle était encore sous le coup de la loi au moment des faits, le bébé est au nom de la mère de Véronika et de père inconnu, pour la même raison, Veronika n´est pas encore majeure. Donc aucune chance de récupérer la petite Romanka. Je les dépose chez eux, dans leur bidonville et je rentre. Il fait nuit, ma journée a été bien remplie, de toute façon il n´y a rien à faire en l´état actuel des choses. J´apprends le lendemain que les beaux-parents de Roman sont venus deux heures plus tard, et que tout va bien, ils ont rapporté la petite, comme si rien n´était. Toutes ces émotions pour rien, et cela aurait pu virer au drame...

 

Extrait du journal de bord (tournée 2018)

...on peut enfin souffler un peu en profitant d´une soirée de dimanche au calme au château. Mais ce serait sans compter les petits divertissements dont Roman et Véronika ont le secret. Alors que nous en sommes tous au mieux de la farniente, à prendre des douches, jouer au baby foot, quelques uns dansent et chantent encore, mais sans excès, d´autres se ravitaillent pour ne pas dire qu´ils se goinfrent, dans l´ensemble nous prenons tous doucement et surement la direction des lits et des matelas, qu´une banale dispute éclate, les petits font comme les grands, à savoir se distribuent des baignes à grands renforts de cris stridents et yeux en larmes. Qui c´est? Mais bien sûr, nos chers et inépuisables Roman et Veronika. Ca se passe à l´étage, dans la salle de bains des filles, je dévale les escaliers comme un jeune homme, sépare les deux tourteraux, je pique une bonne crise, il n´est pas question de sévices corporels chez nous, dussent-ils être commis même entre époux consentants. Bref, je dis mes quatre vérités à Roman, Helena prend en charge Veronika, qui fidèle à ses convictions veut s´enfuir tout de suite dans la nuit de la campagne profonde et non éclairée entourant le château. Ce n´est rien d´extraordianaire, nous avons eu droit à la même scène une semaine avant de partir en tournée, c´était pendant une répétition à la quelle sont venus assister des gamins de l´orphelinat voisin, accompagnés de leur psychologue, ce qui tombait bien, car elle a pu prendre tout de suite en charge Véronika, là c´est Helena qui fait la psy. Il ne faudrait pas que la gamine parte dans la nature, on aurait du mal à la retrouver, déjà que nous, on est complètement paumés ici, alors Véronika… on pourrait très bien ne plus jamais la revoir. Je suis quand-même en pétard, j´imaginais autrement ma petite soirée tranquille de dimanche à la campagne. Là, il est minuit passé, et décidément, on est pas couchés… Finalement avec Palo, on était à côté du rythme, mais à part ca, on était tranquilles, là, avec Roman et Véronika, c´est clair que c´est intenable et il n´y a aucune perspective que cela s´arrange à l´avenir, ca ne fera qu´empirer. Que faire? On met Veronika sous surveillance rapprochée. Elle ne doit pas rester une seule seconde toute seule, même pas aux toilettes, un coup de cisailles dans les veines c´est vite fait. Et Roman, lui, je le prends comme lorsque je sors avec Laky, mon toutou, on part faire un gros tour dehors, il n´y a rien de mieux que l´air frais pour calmer les têtes chaudes. On sort de l´enceinte du château, on se balade dans ce bled qui est déjà archi paumé dans la journée, alors à une heure du matin, c´est le Sahara et l´Antarctique réunis au niveau de la densité de la population dans les rues. Déjà moi, je me calme, ce qui n´est pas plus mal. Roman est dans une mauvaise passe et il n´est pas près d´en sortir, c´est pas la peine de lui gueuler dessus, cela ne changera rien. De toute manière il ne fait aucune opposition, il reconnaît qu´il ne faut pas se comporter de la sorte et promet de ne pas recommencer. Du moins en tournée… Il se met à vider son sac. Me dit des choses que la plupart je savais déjà. Au bidonville de Véronika, c´est un espèce de curé qui l´a amené là bas. Un gars pas bien, il s´est fait condamner pour des attouchements sur mineurs peu de temps après… Mais les choses étaient engrangées. Roman s´est retrouvé dans une famille encore plus pauvre que la sienne. Mais surtout, plus perverse. Ils croyaient qu´il était riche, puisqu´il venait avec le curé qui avait de l´argent. Ils l´ont fait boire. Le lendemain, au réveil, il s´est retrouvé couché à côté de Véronika. Pas dans son lit, car il n´y a pas de lit chez eux, tout le monde dort par terre, à dix – douze à même le sol, dans une cabane branlebalante. Et ses futurs beaux-parents lui ont dit, soit tu la prends comme femme, soit tu vas en prison, car on ira te dénoncer à la police, elle n´a pas encore quinze ans, tu iras au trou pour trois ou quatre ans. Roman a eu peur, et le reste s´en est suivi. C´est un cas tout ce qu´il y a de banal. Nous avons eu quelque chose de similaire il y a une dizaine d´années, Maroš, notre guitariste de l´époque, a failli y passer aussi. Mais Helena a embarqué sur le champ la fille et sa mère chez le gynéco, qui a dit qu´il ne s´est rien passé entre les jeunes, et la fille a dû bien reconnaitre qu´elle a menti dans le but d´avoir Maroš ou de l´envoyer en prison. Avec Roman, ce n´est que plus tard que nous apprenons tout ca, et il n´y a plus rien à faire. Mais aussi, pas grand chose à espérer quand à l´avenir. A côté de ces problèmes fondamentaux, que Roman n´a d´autre choix que de subir, nos problèmes de manque de musiciens sont bien futiles, mais nous ne pouvons pas grand chose pour Roman, à part de le calmer ce soir et surveiller Véronika pour qu´elle ne fasse pas de bêtises… Bon, il est pas loin de 4 heures du matin, il serait temps de se coucher.

 

Extrait du journal de bord (tournée 2019, Festival de Gannat)

J'aurais oublié Veronika, la compagne de Roman. Ils forment le parfait couple infernal, mais par rapport aux débuts de leur relation il y a quand-même beaucoup de progrès. Veronika n'a pas encore tentée de s'enfuir en plein milieu de la nuit dans n'importe quelle direction, elle n'a pas balancée de couteau sur Roman, n'a pas tenté de lui arracher les yeux, bref, la parfaite lune de miel… Mais rien ne dure éternellement. On me réveille vers les deux heures du matin, Veronika est mal. L'avant-veille c'était Jakub, la veille Diana prenait la relève, maintenant c'est au tour de Veronika. Je cours vers elle, elle est allongée par terre, en plein milieu de la partie filles du gymnase, recroquevillée sur elle-même, se plaint des maux du ventre. Roman est planté devant elle, hagard, je l'envoie à l'écart, visiblement, sa place n'est pas ici. Les pompiers arrivent, ils sont de service permanent auprès du gymnase qui nous sert du dortoir, alors ils sont là illico. C'est des jeunes gars, secouristes, qui ne semblent pas trop savoir que faire. J'ai à peine le temps de m'occuper de Veronika, qu'on m'appelle dehors, cette fois-ci c'est Viktoria qui vient de s'écrouler devant la porte, évanouie. J'étais infirmier lors de mon service militaire, chez nous ça a duré deux ans, alors j'ai de la pratique, je trie les blessés par degré de gravité comme en temps de guerre, sous les regards médusés des jeunes pompiers je laisse Veronika dans une position stabilisée et je viens calmement vers Viktoria, qui s'est juste un peu éraflé le front en tombant, on lui passe de l'eau froide sur les tempes, ça va, ce n'est qu'un effet de mimétisme, voyant Veronika s'évanouir, elle a fait automatiquement la même chose. Il faut faire attention à Diana, pour qu'elle ne fasse pas pareil. Cela en ferait trois, les pompiers seraient dépassés. Je reviens vite vers Veronika, entre temps est arrivé le Premier Secours, il y a une femme médecin, Veronika se plaint des maux au bas ventre, elle est enceinte, il n'y a pas à hésiter, il faut l'amener à l'hôpital. Le plus proche est à 50 km, à Vichy. Nous voilà partis, pas pour une cure thermale. Sur place, auscultation, radio, etc, nous en avons jusqu' à 7 heures du matin. Entre temps Veronika a repris ses esprits, tout va bien, si je n'étais pas là, elle serait repartie en pantoufles et peignoir, telle quelle. Mais je suis là et je veille au grain. Vers 8 heures Camille, notre accompagnatrice, vient nous chercher en voiture, et à 9 heures nous sommes de retour au gymnase, prêts à affronter une nouvelle journée après une nuit qui était tout sauf de repos. Veronika est en pleine forme, moi un peu moins, mais ce n'est pas grave… Plus tard j'apprends les dessous de l'affaire. C'est simple et pas compliqué. Vers les deux heures du matin Veronika a demandé à Roman d'aller demander une cigarette à Helena. Roman, pas fou, sait ce qu'il risquerait s'il réveillait Helena à 2 heures du matin, alors il n'hésite pas et allonge illico une gifle à Veronika pour lui faire passer ses envies de nicotine. Ça ne marche pas, Veronika n'hésite pas non plus, elle se met à faire tout ce cirque pour montrer à Roman comment qu'elle l'aime, et on fini aux urgences à 6 heures du matin… Si j'avais su tout ça plus tôt, je n'aurais bougé d'un pouce, mais on ne peut pas tout savoir… si on veut dormir au moins un peu. Pour cette nuit, c'est râpé.

 

 

 

Úprava interiéru unimobunky (november 2021)

Rafistolage de l´intérieur

Odvoz na pohotovosť (november 2021). Départ aux urgences. 

 

Début janvier 2022

Il fait trop froid pour dormir dans la baraque éventrée de Roman. On a eu beau la rapiécer, par moins 20° la nuit, elle est impraticable. Alors Roman revient chez sa mère, ou il fait moins froid. Ce n´est pas idéal, il y a juste une petite pièce qui sert de cuisine et une pièce qui sert de dortoir à toute la famille, nombreuse, les frères ont déjà des compagnes, alors ça fait énormément de monde au mètre carré...

 
Janvier 2022
Le matin, lorsque Roman va faire un tour vers sa baraque, il s ́aperçoit qu ́elle a été visité la nuit, quelqu ́un a profité de son absence pour faire un trou dans la paroie en carton-contreplaqué, et a dérobé des tuyaux de son poêle à chauffer.
La semaine suivante, c´est la maison de la mère de Roman, qui a pris feu. Heureusement, c'était le jour, ils s'en sont aperçus tout de suite et ont pu maîtriser l'incendie. Le feu s'est déclaré probablement à cause d'une conduite de cheminée rafistolée avec les moyens du bord, La baraque de Roman étant éventrée et, et qui de plus, elle a été cambriolée, Roman s'est réfugié chez sa mère, ou plus exactement, chez sa grand mère, qui abrite toute la nombreuse descendance du côté de la mère de Roman. A part la mère de Roman, il y a encore de nombreuses tentes et oncles, mais ceux-ci consomment leurs propres lots de misère dans les baraques environnantes, ici, c´est juste la famille directe de Roman. L'endroit n'est pas spacieux, la maison comporte juste deux pièces. Une petite cuisine de 2 m sur 3, avec un four à bois, à l'ancienne, qui sert à chauffer et à cuisiner. A côté il y a une pièce de 3 m sur 4, qui sert de dortoir à ceux qui n'arrivent pas à s'allonger dans la cuisine. En tout cela fait 14 personnes, dont 6 enfants, dont 3 en bas âge. Beaucoup trop de monde pour ce peu d'espace habitable, de surcroît, en très mauvais état, comme en témoigne l´incendie tout récent. L'hiver est très rude en ce moment, la température descend à plus de moins vingt la nuit. La semaine dernière un homme est mort de froid, et la veille, c´est un enfant de quatre ans qui a subi le même sort.
 
úprava podlahy unimobunky (apríl 2022)
aménagement du sol de la cabane (avril 2022)
pokračovanie (apríl 2022)
la suite (avril 2022)
 
obstaranie kuchynskej linky (júl 2022)
livraison d´une cuisine (juillet 2022)
 
 
aout 2022, travaux de canalisation d´eau a l´osada
august 2022, výkopové práce a inštalácia vodovodných rúr v osade
 
 
février 2023
Je viens de conduire Roman et sa fille aux urgences. Sa femme attend un quatrieme gosse, ils vont et viennent entre Lomnica et Stiavnik, le bidonville de sa femme. Ils se font chaque fois virer quand ils n´ont plus d´argent, ce qui arrive assez souvent, donc voyage, voyage... Une situation figée à tout jamais, personne n´a de l'argent et personne ne partage le rien qui lui reste, on va reprendre les répètes des qu´on pourra...
 
Ujo Ivan, excusez-moi de vous déranger, je voudrais juste vous demander... C'est comme ça que commencent tous les coups de fils de Roman. Suit une demande, généralement sur une prêt (non remboursable) de 10 ou 15 euros pour manger, car ils n'ont rien mangé depuis deux jours, ou pour acheter des briquettes de bois, car il fait froid, les policiers font les rondes dans les bois et il n'est pas possible d´aller en couper, ou bien pour amener un des petits aux urgences... Cette fois-ci c´est pour nous demander si nous n'aurions pas une vieille armoire à lui donner, car la ligne de cuisine que nous lui avons apportée l'année dernière s'est désagrégée et est tombée en morceaux, et il n'a plus où mettre les affaires des enfants. En effet, Roman n ́a pas passé tout l'hiver dans sa cabane éventrée, c ́était impossible, vu les températures glaciales, donc la cabane n'était pas constamment chauffée, le toit, troué, a laissé passer la neige et l'eau, et la cuisinière n'a pas pu résister, les planches se sont décollées, et le tout est tombé en miettes... Hélas, non, nous n'avons pas d'armoire ni étagère à lui fournir... 
Roman est donc revenu de nouveau à Lomnica. Pourtant, il y a quelques jours, lorsque je l´amenais aux urgences avec sa fille, il a juré de ne plus jamais revenir, car il s'est fait jeter dehors par les siens, n'ayant plus d'argent pour acheter de quoi manger à tout le monde. Bon, ce n'est pas la première, ni la dernière fois... La réalité des rapports humains intra muros dans les osada nous a été rapportée à maintes reprises par Roman ou d'autres membres du groupes, bavards, ayant leur lot de misère sur le cœur à évacuer... C´est toujours la même chose. Personne ne donne ni prête rien à personne. Ici, on ne partage pas. Partager est un luxe que l´on ne peut pas se permettre ici.  Et cela, aussi bien entre les cousins que les frères ou amis d´enfance... C´est dur à entendre, alors qu´est-ce que ce doit être à vivre?! 
Le lendemain Roman rappelle, il a trouvé une armoire pas chère sur un site de vente d´occasion, est-ce que nous aurions 25 euros à lui prêter. Non, nous n´avons pas 25 euros à lui prêter, car ces emprunts ne sont jamais remboursés, et nous n´avons que trop donné par le passé, et puis nous non plus, nous ne sommes pas en état de prêter quoi que ce soit à qui que ce soit, on a plus rien. Nous lui proposons d'aller donner un coup de main le lendemain sur un chantier de nos amis, il pourra gagner quelques sous, et peut-être, acheter son armoire, a moins qu´il n'achète de quoi manger. Et pourtant, les allocations familiales étaient perçues il y a juste quelques jours... mais en général elles s'évaporent instantanément dans le remboursement des prêts fournis par les usuriers de l´osada, et pour ceux-là, il n'est pas question de moindre retard dans leur remboursement...

mars 2023

De nouveau Roman. Personne ne veut lui prêter le moindre sou pour acheter de quoi manger. Pas même sa famille, ni sa grand-mère, ni ses frères. Ses enfants n´ont rien mangé depuis hier, ils pleurent... Roman pleure aussi en nous racontant son histoire. Avec Helene on a du mal à écouter son récit, on sait qu´il ne ment pas, il n´y a qu'à le regarder, complètement défait, désespéré... 
Que faire ?! On lui donne dix euros, tout en sachant que cela ne résoudra rien, et ce serait pareil si on lui donnait plus, mais nous n´avons pas plus à donner... Francine Aubry réalise un projet de construction de petites maisons pour les Roms en Roumanie, elle serait partante pour un projet similaire chez nous, elle a vu les conditions d´habitat a Lomnica... Peut-être une lueur d´espoir... 
fin mars 2023
Je ramène notre accordéon a Roman, on les appelle pour jouer a un enterrement le lendemain, et ils n´ont pas d´instruments de musique.
L'enterrement est décommandé, le corps n´a pas pu être rapatrié... Mais entre-temps une autre  commande de ce type tombe pour la semaine suivante. La question est, est-ce que l´accordéon ne va pas finir d´ici-là au Mont de Piété...
 
début avril 2023
Veronika, la compagne de Roman a des douleurs, elle est enceinte, il faut l´amener à l'hôpital. Roman ne sait pas dans quel mois elle est, mais il faut y aller. Le médecin dit qu´il faut l´hospitaliser, alors Roman revient chercher à la maison un pyjama, ou quelque chose qui peut faire office de pyjama. Entre temps il n´y a plus de place à l´hopital, alors on ramène Veronika au bidonville. Elle n´en mène pas large, elle n´a vraiment pas bonne mine. Le médecin lui a dit qu´il faut qu´elle revienne le lendemain à 6h30, sa vie et la vie de son enfant sont en danger, si elle ne vient pas elle risque de mourir, mais l'hôpital n'enverra pas d´ambulance pour la chercher. Véronika en est à son quatrième accouchement, les trois premiers ont été faits par césarienne, normalement, elle n'aurait plus due tomber enceinte après le deuxième accouchement pour des raisons de santé. Elle aurait dûe être stérilisée pour des raisons médicales, mais cela n´a pas été fait. Roman dit qu´il aurait fallu payer 250 eu pour cela, mais cela est peu vraisemblable, l'intervention à ce stade est gratuite, l´hopital aurait du la faire automatiquement, on se demande pourquoi ca n´a pas été fait. Peut-etre a cause de nombreuses affaires liées aux stérilisations des femmes roms sans leur consantement, relayées dans les médias... Le lendemain matin Veronika ne se présente pas a l´hopital à 6h30 comme convenu. Il faut dire, que lors de tous ses séjours précédents à l´hopital, pour ses accouchements, à chaque fois elle s´est enfuie, malgré son état de santé qui nécessitait encore l´hospitalisation. L'hôpital finit par appeler Veronika, l ́enjoignant de venir,  sinon elle risque de mourir. Roman m´appelle pour les amener, mais le temps que je vienne, il a fini par trouver quelqu'un qui l'amènera en acceptant d'être payé plus tard. Le lendemain Véronika accouche, par césarienne, la quatrième. C´est une fille, elle est prématurée, il faut la mettre à l´incubateur et sous respiration assistée, car elle a une malformation aux poumons. Deux jours plus tard, Veronika est renvoyée à la maison, cette fois-ci elle n´a pas eu le temps de s´enfuir. Mais sa sortie est prématurée, la césarienne ne peut pas être cicatrisée en si peu de temps, et les conditions matérielles dans lesquelles elle vit, sans eau, sans sanitaires, ne permettent absolument pas de soigner correctement sa blessure à la maison. La petite reste dans l´incubateur, Roman m'appelle pour que je les amène chez les parents de Veronika, pour que sa mère s´occupe d´elle, les conditions matérielles sont parait-il meilleures chez eux que chez Roman. Le temps que je monte dans la voiture, Roman m'envoie un sms, comme quoi ce n´est plus la peine, ils ne veulent pas d´eux chez les beaux-parents... La petite  n´a plus besoin de respiration artificielle, elle peut respirer par elle-même, mais elle a perdu 100 grammes, elle ne pèse plus que 1 kilo 600. Elle ne pourra quitter l'hôpital que si elle arrive à atteindre 2 kg.
Roman continue à prendre part activement aux répétitions qui viennent de reprendre.
 
fin avril 2023
Ça y est, la petite de Veronika vient d'atteindre les 2 kg réglementaires, l´hôpital appelle Roman pour qu´il vienne la récupérer. Roman m ́ appelle, et on va chercher la petite. Font partie du voyage, bien sûr, Véronika, la maman, qui va déjà mieux, Roman et leurs deux petits, Romanka et Erik, la troisième restera à Lomnica, elle est élevée par la mère de Roman. Tout ce petit monde ira a Štiavnik, chez les beaux-parents de Roman, ceux-ci viennent de toucher les allocations, alors ils peuvent recevoir leur fille avec toute sa progéniture. Pas pour longtemps, juste un jour. Roman veut rentrer le lendemain a Lomnica, car si sa cabane reste sans surveillance, elle risque encore de se faire  cambrioler, comme la dernière fois. En effet, rien de plus facile, il manque une fenêtre, les paroies sont en carton renforcé, il n´y a même pas besoin d´effraction pour y pénétrer. Par contre, comment vont-ils faire pour élever dans ces conditions leur quatre enfants, dont la petite qui vient de naître et de passer trois semaines dans l´incubateur....?! 
25 avril
Retour au bercail, à Lomnica. Une des sœurs de Veronika est revenue à la maison des parents, et comme la maison est constituée d´une seule pièce dans laquelle s´entassent une quinzaine de personnes de tout âge, il ne reste à Roman que la solution de repli, donc retour à la maison. Sa maison, c´est la fameuse baraque éventrée en pâte carton, et il fait encore froid pour la saison, donc ce n´est pas une sinécure qui les attend. Heureusement, les beaux-parents ont touché les allocations et ils ont pu donner à Roman quelques billets pour acheter des couches et du lait en poudre, alors le départ n´est pas trop douloureux.
 
 
Juillet 2023
Un entième retapage de "la maison" de Roman. Peine perdue, ce cabanon est irréparable. Et de toute façon, dès qu´il la rafistole un peu, il suffit qu´il mette les pieds dehors, pour qu´en son absence des voisins en profitent pour lui voler le rien qu´il possède. Les carreaux en général ne tiennent pas longtemps. On en a acheté quand même au bazar sur le net, on va voir combien de temps ils vont tenir. 
Et encore, heureux quand ça se passe sans turbulences. La semaine d'avant Roman s'est fait agresser par les membres de la famille de son père, gratuitement, selon son expression, ce qui fait qu´il est parti au spectacle avec nous tout rafistolé, avec quelques bleus par ci, par la... 

22 juillet

Incroyable, mais vrai! On a acheté au bazar des fenetres en tres bon état pour la cabane de Roman. Le probleme, c´était leur mise en place, je doutais de la capacité de Roman d´installer ces carreaux en tres bon état sur sa cabanne délabrée. Mais il y est parvenu ! Éspérons que cela va tenir au moins un peu.

vendredi 22 septembre

Roman me téléphone pour savoir s´il y a une répétition. Aussi pour savoir s´il y aura l´occasion de se voir. De nouveau, il n´a pas reçu les allocations familiales, il lui manque chaque fois un papier à remplir, alors ça sera pour le mois prochain, avec le versement des arriérés, une vraie aubaine. Mais en attendant il n´y a rien dans la marmite et ses quatre enfants ont le ventre vide. Roman souffre d´une malformation à la hanche de la naissance et il ne voit pas d´un œil. Normalement il devrait toucher une pension d´invalidité, mais pareil, il y a toute une paperasserie à remplir, à faire valider, donc il faut attendre, et attendre, mais un jour, ça viendra. Il touchera au moins une petite obole pour survivre, car son invalidité est réelle, il n´arrive pas à tenir longtemps debout, et tous les emplois qu´il a essayé se sont soldé par des échecs. Au moins une lueur d´espoir dans sa situation, il a trouvé  un chat, pourtant pas très gros, mais qui arrive à faire fuir les gros rats qui venaient chaque nuit à l´abordage de sa cabane, radeau de la Méduse des Tatras. Je conduis sa plus petite aux urgences, ensuite à la pharmacie et retour au bidonville et je peux rentrer, après avoir récupéré Helena qui rentre de Košice, de l´école, ou elle est partie à cinq heures du matin. Il est pas loin de sept heures du soir.

On fait venir, tant bien que mal, Roman, pour aider dans la partie musicale. Ce n´est pas simple, car il vadrouille constamment entre son bidonville et celui de ses beaux-parents, en fonction de l'état de ses finances et celles de sa belle-famille. Il amène avec lui ses enfants en bas âge de 2 à 4 ans, ce qui n'ajoute rien à la sérénité des répétitions. Mais au moins, cela a le mérite d'être comme à la maison. Nous avons vraiment des répétitions familiales. Mais sans aucune concession, bien-sûr, quant à la dynamique et le sérieux du travail. Mais il faut reconnaitre, qu´avec une quarantaine de jeunes et d´enfants, de 2 à 16 ans, il y a de quoi faire.  L´engagement est total, les répétitions s´apparentent parfois aux cours d´arts martiaux, tant l´énergie et l´ethousiasme juvenile doivent etre canalisées au maximum pour obtenir un maximum de concentration durant les deux heures d´affilé qu´il faut tenir avant de repartir en courant pour prendre le bus ou le train.  

21 octobre

C'est toujours la même chose. Dès que Roman s'absente pour aller chez sa belle famille, parce qu´il n'a plus rien à se mettre sous la dent, son pitoyable cabanon est l'objet d'effraction par ses voisins. Il n'y a pas grand chose à voler, mais même ce pas grand chose est l'objet de convoitise des voisins malveillants qui ne ratent jamais l'occasion... 

Alors de nouveau, des conduits de cheminée, quelques ustensiles de cuisine et ce qui restait des maigres provisions de farine et sucre est dérobée. Cette fois-ci Roman fait venir la police, qui ne fait que constater l'infraction, sans pouvoir faire quelque chose de plus. De toute manière tout le monde connaît les auteurs du cambriolage, mais personne ne veut intervenir par peur de représailles. Le pire est que Roman se retrouve à chaque fois avec un habitat encore plus délabré qu'avant, alors que déjà avant cela semblait impossible d´etre pire... Maintenant il n´y a plus de chauffage fonctionnel, le petit poêle à bois a été endommagé, comment faire pour se chauffer avec l´hiver qui se manifeste sérieusement dehors...? Roman a trouvé sur le bazar du net un poele d´occasion à bas prix, un oncle de sa femme veut bein lui preter 100 eu pour l´acheter. Encore, il faut aller chercher l´argent au bidonville de ses beaux-parents, d'où je viens de les amener il y a deux heures. Bien que cela ne m'enchante guère, on se met d'accord pour que je l'amène. S´il n´achete pas le poêle aujourd'hui, demain il sera peut être trop tard, et puis comment va-it-il faire pour se chauffer avec ses quatre enfants en bas âge. Au moment où je veux monter en voiture je reçois en coup de fil de Roman, fausse alerte, l´oncle ne peut pas prêter de l´argent, il n´a pas encore reçu sa paie. Il est déjà 16h, tant pis, on verra tout ça demain. Mais une heure plus tard, Roman appelle de nouveau, l'once vient de recevoir le virement, on peut y aller. Bon, rebelote. Il est déjà 18 heures, il fait nuit, et le bidonville des beaux-parents est perdu dans la campagne, mais on y va. Roman, son frere pour l´aider à manier le poele et sa femme avec le petit dernier. Car l´oncle ne va pas pas preter de l´argent à Roman, mais à sa femme, dont il est le parent. On téléphone au vendeur du poêle qu´on sera là dans une heure. Heureusement, Roman a encore 2% de batterie dans son portable, sinon il n´aurait perdu le contact, et effectivement, dans une heure, à 19 h heures, nous arrivons devant la maison du brave paysan qui vend son poêle d'un autre âge. C´est dans un autre village, un peu plus excentré, mais on n´en est plus à quelques km près. On embarque  acquisition, je les dépose tous à 20h à leur bidonville, et à 21h Roman peut de nouveau faire chauffer sa cabane. Il a réussi à rafistoler les tuyaux pour l'évacuation de la fumée, heureusement, il ne pleut pas, donc l´eau ne passe pas par le trou dans le toit qui sert de conduit à la cheminée, et tout le monde est au chaud...

Le lendemain, Roman ramasse les morceaux de bois qui restent du taillage des arbres autour de notre local de répétitions, on embarque tout ça pour le ramener au bidonville au retour de la répétition, cela fera une nuit au chaud de plus...

 

Dimanche, 7 janvier, 14h.

Coup de fil de Roman. Sa cabane a pris feu. Les tuyaux de son chauffage, chauffés à blanc, n´ont eu aucun mal à provoquer un incendie, il ne pouvait en être autrement, la cabane est en carton - pâte, sans aucune isolation, le feu ne pouvait que prendre tôt ou tard. Heureusement l'incident s'est produit en pleine journée, des voisins ont pu tout de suite intervenir et éventrer à la hache la paroie en flammes, et ont empêché ainsi au feu de se propager. Si cela serait arrivé en pleine nuit, les conséquences auraient pu être dramatiques. Et hélas, ce genre de tragédie n ́a rien d ́ exceptionnel, chaque hiver il y en a de semblables, avec des victimes, souvent des enfants en bas âge.  Roman va essayer de négocier avec sa grand-mère de pouvoir se réfugier chez elle pour quelques jours, ce qui n´est pas évident, la mémé est très instable, un oui peut être un non dans la minute qui suit et Roman peut se retrouver dehors avec ses quatres petits. La météo annonce pour cette nuit moins 20, espérons que la grand-mère sera indulgente. Bien sûr, cela relance le débat sur l'habitat de Roman, qui n'en est pas un. Nous allons nous concerter avec plusieurs intervenants pour essayer de trouver un financement pour l'acquisition d'un préfabriqué qui tienne un plus la route. L'option de construire quelque chose en dur n´est pas envisageable, pour des raisons que nous avons déjà évoquées plus d'une fois...  

 

février 2024

Avec Roman, toujours la même constante. Dès qu'il s'absente un peu (il va chez ses beaux-parents demander des subsides), son cabanon est éventré et mis à sac. C´est Marek qui a fait ça. Cette fois-ci Roman a appelé la police. Ils ont embarqué Marek, qui était déjà recherché. Marek, de la famille du pere de Roman, est le père de plusieurs jeunes de la troupe. Il vient de passer 6 ans en prison. Il a eu une dispute avec sa femme, il l´a entaillée avec une paire de ciseaux, elle a fini a l´hôpital. Elle a porté plainte, mais quand elle a su qu´il sera vraiment accusé, elle a menacé de sauter du 4 étage de l'hôpital si la police ne le libère pas. Cela n'a rien fait. Marek, qui avait deja des antécédants, a recu 6 ans, sa femme n´a pas sauté du 4 éme. Les six ans ont passés. Marek est rentré, sa femme s´est mis entre temps en ménage avec une femme, les enfants ont été pris en charge par des membres de la famille. Il fut un temps ou Marek venait jouer de la basse à nos répétitions, mais sans lendemains, il était déjà adulte, ce n'était que des brèves épisodes. Manifestement, la prison n'a pas eu d'effets positifs sur son comportement. Depuis qu'il est revenu il boit, il y a un mois, il a incendié sa cabane et il a appelé les pompiers en leur disant que c'était un mégot, ce qui n'était pas vrai. Lorsque Roman n´est pas là, il saccage sa cabane. Sans raison quelconque, juste comme ça... pour vendre les vêtements qu´il trouve dans les placards pour avoir de quoi boire et pour se chauffer avec ces quelques placards qu´il casse en morceaux... C´est bien que la police l´ait embarqué.
 
 
Incroyable, mais vrai ! Le préfabriqué de Roman, que Marek a saccagé la semaine dernière, a été remis à neuf. Roman a réussi  avec l ́argent de ses allocations familiales à acheter au bazar sur le net, des meubles et du papier peint et il a remis, pour la énième fois, en état son plus que modeste logis. 
Cela ne résout pas le problème des rats, qui passent toujours par les trous dans le plancher, mais permet, au moins dans la journée, lorsque les rats sont moins virulents, de passer un peu de temps en toute quiétude. La température n´est plus glaciale, il n´est pas besoin de chauffer le poêle a blanc, le feu ne devrait pas prendre, la conduite de la "cheminé" a été isolée, esperons que cela tiendra. 
 
 Heureusement, le moral chez les anciens est bon, alors ils peuvent servir d´ "instructeurs" et on arrive à canaliser l´énergie pour mener à bien toute la troupe, et cela, malgré l´absence de Roman, qui de nouveau a failli quand on aurait besoin de lui, peu importe l´aide qu´on lui a apporté la veille encore. Apres, il a rappelé, il était en rade à la gare de Poprad, il lui manquait 50 centimes pour rentrer, alors il n'avait pas le choix. Bien sûr, je lui ai fait passer un sacré savon, en lui disant que je ne veux plus le voir à nos répétitions. On ne peut pas fonctionner qu´il nous appelle uniquement quand il est dans la m... et quand il n´a pas besoin de nous, il ne nous connaît plus. 
Le pire, c´est que ce n´est pas vraiment comme ça. Cela paraît à nos yeux, cela me met dans des colères noires, mais dans la réalité des choses, le contexte de la vie, le milieu des origines de ces jeunes, font qu´ils agissent ainsi, avec nous comme avec les siens. Mais peu à peu on arrive à évoluer un peu... Ou c'est juste une illusion...?
En route nous discutons avec de Roman, qui nous apporte des nouvelles fraîches du bidonville. Ici, comme toujours, rien de nouveau. Roman est fatigué, il ne peut pas dormir la nuit, car il doit surveiller les rats qui passent par les trous du plancher de sa cabane.  On élabore des plans pour "revitaliser" son habitat. Cette fois-ci l'idée serait de monter des murs en dur le long des murs en cartons de sa cabane, comme ca sa cabane passerait du carton-pâte au parpaing-brique, ce qui serait un progrès considérable et pourrait enfin stopper les invasions nocturnes des rats envahisseurs. On arrive ainsi à Kežmarok, Roman a encore le temps de nous compter les divers faits divers, qui pareil, ne changent pas, toujours des bagarres, des vols, des disputes et des violences...certaines familles sont constamment alcoolisées et passent leur temps à faire la fête et à se battre, et tous les autres ne peuvent que subir cet état de choses, il en est ainsi depuis toujours et ce n´est pas demain que ca va changer...
 
 
A la colonie l'espace est précieux. La démographie en constante augmentation fait que le moindre espace est tout de suite utilisé pour construire une cabane pour les couples qui surviennent, les bras chargés d'enfants. Dans le carré près de la décharge où Roman a installé son préfabriqué, il est loin d'être seul. Les préfabriqués, ainsi que des baraques, cabanes ou petites maisonnettes dans le meilleur des cas, poussent comme des champignons après la pluie. Il y a un réel danger, que l'espace autour du préfabriqué de Roman soit occupé inopinément par un de ses cousins ou voisins en mal d'habitat, et dans ce cas Roman ne pourra plus agrandir sa cabane. Alors il faut qu´il construise au plus vite lui-même. Il faut commencer, pour marquer ses marques, quitte ensuite à continuer petit à petit, en fonction des finances, pour que personne ne puisse le devancer. Le temps étant de la partie on a adjoint Roman pour qu´il creuse des fondations de sa future bâtisse, qu´il va élever autour de son préfabriqué. Les fondations étaient creusées vite fait, alors on a acheté une palette de parpaings et du ciment pour construire la base de la future maisonnette. J´ai chargé une dizaine de sacs de ciment dans ma voiture, et je les ai déposés devant la colonie, l'accès en voiture jusqu'au chantier de Roman étant problématique, on a opté pour l'acheminement du ciment en brouette. Roman appelle ses cousins, frères, amis, pour lui donner un coup de main, mais, désemparé, gêné, en colère, puis honteux, il doit avouer que personne ne veut l'aider. S'il paie oui, gratuitement non. Triste et tragique réalité des bidonvilles. La loi de la survie. Finalement, Emil, qui fait aussi office d'aide de la police municipale, est passé par là en voiture, et il a accepté de transporter les parpaings et le ciment. Moyennant finances, mais Emil n'est ni ami, ni frère, alors c'est normal. Lorsque le soir Roman m'appelle pour me remercier, il vient tout juste de tout transbahuter et ranger dans la maison de sa grand-mère, toujours tout seul, sans aide aucune. Les seuls qui auraient pu l´aider, les ados du groupe, ne sont pas là, et les autres se délectaient de ses difficultés. Tout le monde sait qu´on a donné un coup de main a Roman, alors ils ne pouvaient pas rester indifférents, et ils sont restés indifférents...   
 
18. 3. 2024
Klement et les ados du groupe sont revenus, alors il y a de la main d´ œuvre disponible, et Roman ne devrait plus être seul face à son chantier en cours. A la place du sable, onéreux, les gamins vont creuser de la pierraille dans le ruisseau, cela fera office de matériel de soudage pour le ciment. Ne reste qu'à attendre que la température monte de quelques degrés et les travaux peuvent avancer. 
En attendant une bonne répétition. Lomnica à effectifs réduits, Roman ne peut pas passer par le centre de la colonie pour prendre les petits, il a trop de dettes un peu partout, alors il doit éviter d'être vu par certains gens, on est pas tendre ici par rapport aux créances qui prennent du retard... Donc de Lomnica juste de quoi remplir ma Dacia a 7 places, avec juste un petit en plus...