Morceaux choisis

 

...On se met en place pour démarrer notre intervention, on est plus à l'aise pour chanter et danser que pour répondre aux innombrables questions spécialisées de nos jeunes lycéens de Brest.  Pendant ce temps, le ciel continue à se noircir, ce n'est pas un orage, mais un déluge qui se prépare dans l'immédiat et la fin du monde dans les instants qui suivent. Les CRS, pas bêtes, ont déjà évacué, c'est déjà ça, au moins ils ne pourront plus nous interpeller, on reçoit l'aviso que les Tamèrantong sortent du métro, alors on attaque. La météo est synchro, pile, les premières gouttes commencent à tomber. Et c'est des grosses gouttes. Elles sont rapidement transformées en grêlons, et c'est le ciel tout entier qui nous tombe instantanément sur la tête. La catastrophe. La panique. Que faire?! Il est évident qu'il faut évacuer au plus vite. Heureusement, il se produit le contraire de ce que l'on attend, au lieu de la panique complète c'est la rigolade totale. Maria, l'égérie du groupe, la forte tête a, comme toujours, une réaction absolument opposée à ce que l'on pouvait s'attendre, au lieu de faire la grimace et pleurnicher, faire la tête, elle se met à rigoler d'un de ses fou rires dont elle a le secret, contagieux et irrésistible, tout en continuant de chanter et de danser, alors, tout le monde suit, et c'est en rigolant comme des fous, dans un élan de folie collective, que nous quittons ce Parvis des Droits de l'Homme Mouillé, trempés, crachant les grêlons pour pouvoir chanter, le célèbre Singing in the rain grandeur nature, en mode tsigane.  

Narratifs 2019

 

...De retour à la salle des fêtes je constate tout de suite qu'il manque quelques filles à l'appel. Maria, bien sûr. J'ai donné des consignes très strictes, personne ne doit s'éloigner d'un mètre sans mon autorisation, d'ailleurs, nous avons même garé notre bus dans un autre quartier, car sur son pare-brise il y a une grosse inscription "Club de Police" (il fait la navette pour la police chez nous) et nous voulions éviter des vitres cassées… Une des femmes de ménage de la salle me dit qu'elle les a vue partir en direction de la cité. Je fonce. Il n'y a pas une minute à perdre. Nous sommes en plein ramadan, les filles sont en mini-jupes, décolleté provocateur, ce n'est pas l'accoutrement idéal pour faire du tourisme de quartier. Heureusement, je n'ai pas à aller loin, je les aperçois à l'entrée du premier immeuble avec un gars qui leurs propose gentiment sa camelote. Je siffle un bon coup et sans palabres je les ramène dare-dare au bercail. Explications sévères devant tout le groupe et en face-à-face avec les gamines. Cela aurait pu tourner très mal. Interdiction de bouger, tout le monde assigné à résidence, pas un pas sans mon autorisation. Maria est en pleine crise d'adolescence, dès qu'une occasion se présente, elle ne la rate surtout pas pour nous provoquer, pour attirer notre attention. Cela se comprend, elle a perdu son père toute petite, elle a dix frères et sœurs, mais personne pour prendre soin d'elle, alors elle compense le manque d'affection comme elle peut. Nous avons bien connu son père, Vlado, il était à nos côtés dès nos débuts, c'était quelqu'un de très bien, une personnalité du bidonville. Alors nous n'allons pas laisser tomber sa fille comme ça. On endure et on surveille.

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...Mr. l'Ambassadeur a pu ainsi prendre connaissance de nos projets, et d'une manière informelle et détendue a pu répondre aux questions de nos jeunes. Notamment sur la signification profonde du grand tableau de peinture contemporaine qui ornait la salle de la réception de la Résidence, et qui rappelait avant tout un gribouillage d'un gamin de 4 ans, ou carrément répondre à la question ingénue de nos filles (Maria, toujours elle) de savoir qu'est-ce qu'il y a au premier étage. Ce sont les appartements privés de l'ambassadeur, et celui-ci les a fait visiter en tout simplicité à nos jeunes. Cela n'est encore jamais arrivé de mémoire de la Résidence. 

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...Au contraire tout s'est très bien passé, nos sympathiques villageois ont dansé toute la nuit, je n'ai constaté aucun abus de l'alcool, à part celui, bien entendu, de Maria, qui n'a pas pu s'empêcher d'aller acheter une bière en douce. Mais je l'ai débusqué avant qu'elle puisse accomplir son méfait, alors tout va bien, on lui a fait passer un sacré savon et la vie continue comme avant.

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