A u b e r K i n g s t o n

 
 
 
 
 

AuberKingston - la première du « Kesaj Tchavé France »

 
Henri m’a contacté pour participer au spectacle AuberKingston, qu’il projetait de monter à Aubervilliers le 21 avril. Il nous a trouvé par Willy, photographe du Festival des Villes des Musiques du Monde, qui a l’année dernière participé à notre Akana me, et dont les exploits derrière le ballon de foot sont restés dans les mémoires du bidonville de Kubachy. L’idée de Henry, qui voulait mettre en avant le lien entre les bidonvilles de Kingston en Jamaïque et ceux du 93 m’a plu, autant que la proposition de faire participer des Roms au spectacle. Je cherchais des moyens comment faire correspondre la présence d’au moins quelques uns des Kesaj à cette date à Paris pour des ateliers afin de pouvoir intervenir dans le spectacle. Bien sûr qu’au moins une douzaine comme la dernière fois aurait été l’idéal, mais j’ai du réprimer mes ardeurs lorsque Henri m’a annoncé le budget – 300 eu pour le groupe (150 au final). Même avec les avions les moins chers, on ne va pas loin avec ça. En plus c’était en pleine période du volcan islandais, donc il fallait se résigner à faire avec ce qu’il y avait sur place. Mais c’était aussi le but du « jeu », qu’un jour les effectifs du 93 soient capables de se produire tous seuls, sans le support des Kesaj.  Initialement je pensais former un musicien  sur place, afin d’être autonomes, mais faute de temps et d’argent, j’ai du me résoudre à mener cette affaire tout seul. D’ailleurs, je pensais tout simplement ne rien faire du tout, vu qu’il n’y avait personne de chez nous à Paris. Mais Henri m’a relancé, alors j’ai passé un coup de fil à Joana, qui, trop contente de pouvoir de nouveau s’engager dans du Kesaj, m’a entraînée par sa dynamique, et avec Jenika, pleines d’un enthousiasme juvénile, nous nous sommes présentés à la répétition générale à l’Espace Renaudie à Aubervilliers, où devait avoir lieu le spectacle. Issaï devait être là aussi, avec Meklesh, mais celui-ci a encore  failli, pour cause vestimentaire – il n’avait pas de quoi se mettre sur lui, et ils ne sont pas venus à la répétition, ni l’un, ni l’autre. Un peu déçu, mais en même temps parfaitement rodé à ce genre de désistements de dernière minute, je suis allé tout seul avec les deux filles à la répétition à la quelle j’avais annoncé que nous serions au moins une quinzaine. Nous avons fait une balance de son qui était en même temps une mise en place pour nous. Jénika et Joana avaient la pêche, ne chantaient pas trop mal, visiblement connaissaient à peu près tous nos morceaux, et le fait qu’elles ne les connaissaient qu’approximativement, ne les gênait pas le moins du monde sur scène, le micro à la main. Le son amplifié donnait de l’ampleur à notre petit groupe et à la balalaïka pour touristes que j’avais entre les mains, et qui de toute façon était insuffisante  pour accompagner à elle toute seule notre petite formation. Mais nous espérions bien d’être plus le lendemain, et pour recruter nous sommes allés tout droit chez Misha, qui, comme d’habitude, était toujours prêt, et après une petite répétition à l’improviste chez lui, nous nous sommes mis d’accord pour nous retrouver à la salle pour le spectacle. Ce qui fut fait. Et comme à l’accoutumé, j’ai eu le plaisir de découvrir quelques nouveaux visages des jeunes qui n’ont encore jamais participé à aucune de nos répétitions, ni n’ont vu notre spectacle, pour les amener sur scène dans une petite heure, avec un programme cohérent si possible.  Et tout seul, sans aucun soutien harmonique avec un instrument comme  le synthé ou l’accordéon, seul, juste avec cette balalaïka pourrie des étalages pour touristes de l’ère soviétique.  Heureusement que Miro et Marcela sont venus avec leurs enfants. Même si Miro a du repartir au travail, Marcela a pu m’aider, bien qu’elle ne connaissait pas toutes nos chansons. Mais quelle surprise était de découvrir que pratiquement tous les autres gosses connaissaient notre répertoire, s’entraînaient touts seuls, s’apprenaient les pas les uns aux autres. Et ils chantaient même nos chansons tsiganes slovaques.  Ils ont attrapés « le virus » ! Alors même s’il y avait des nouveaux, nous avons quand même pu nous lancer dans une ébauche de mise en scène de ce que nous allions produire sur scène tout à l’heure. La seule chose qu’il leur manquait, c’était le chant. Ils n’ont pas grandi dans cette culture vocale spontanée comme les gosses tsiganes de nos bidonvilles, qui ont en eux justement cette fraîcheur, ce naturel si dynamique et prenant, ne laissant personne insensible dans l’entourage, et entraînant naturellement tout le monde derrière soi. Là nous avions affaire à des voix hésitantes, non rodées, non « égosillées », qui auraient pu aussi bien appartenir à des petits français ou autres occidentaux, n’ayant pas l’habitude de la pratique de l’expression vocale sans inhibitions ni entraves comme les nôtres. Heureusement que Joana et Jenika, et surtout Marcela tenaient la note, car à part cela ça relevait de la cacophonie pure. Mais l’essentiel était de garder le moral, donc je galvanisais comme je pouvais mes troupes lors de la petite répétition qui précédait le spectacle, en mettant  « la patate » et en les rassurant en leur disant qu’il y aura des micros, donc du son… Le spectacle venait de commencer, il était composé de divers groupes à affinités africaines, et le public était aussi composé dans la majorité de jeunes d’origine africaine. Mais c’était très bien, et j’appréciais l’initiative d’Henri, de nous avoir convié à cet événement. Pendant que les autres jouaient, nous nous sommes restaurés grâce aux bénévoles qui sont allés chercher du rab, car au lieu de 4 nous étions une vingtaine… Et après une attente assez longue, comme c’est de coutume lors de soirées composées de groupes locaux, nous avons enfin pu entrer sur scène. Donc pas d’anciens, pas de chanteurs, personne ne connaissant  vraiment le programme, les chansons sont chantées que partiellement, souvent en « yaourt ». Et avec ça plusieurs jeunes qui étaient avec nous pour la première fois. Inutile de dire que j’ai de quoi faire, jouer, chanter, diriger, attraper des micros qui tombent, improviser  et rattraper des gourdes involontaires incessantes. Il fallait s’accrocher… Mais l’enthousiasme des jeunes aidant, et aussi un réel investissement et engagement de tous à l’appui, nous réussissons d’amblé à séduire le public, et nous assurons toutes nos composantes « à succès » qui sont propres à nos prestations. A savoir : du chant de masses, prenant. Des solos de danses époustouflantes. Une évolution dans la gradation, avec une partie dansée avec le public pour culminer avant la fin. Et tout ça avec des gens qui débarquaient là pour la première fois de leur vie. Dont deux gamins vraiment difficiles, hyperactifs et turbulents et un adulte imprévisible dans le public, à savoir notre Aryen, un iranien excentrique amoureux de la danse tzigane, joueur de l’orgue de barbarie de son état, qui s’est mis à danser juste quand il ne fallait pas, lorsque tout était déjà fini et il fallait trouver sur le champ une nouvelle ritournelle de sortie de scène. Ce qui fut fait, et nous sommes sortis une deuxième fois sous des applaudissements et en chantant, comme il se doit… Ensuite, dans une euphorie bien méritée, vite un rapatriement sur les camps des petits en voitures, qui étaient prévues, mais cela ne voulaient pas dire qu’elles étaient là… Donc réquisition des voitures de Colette et Marcella pour Saint Denis, qui, ne connaissant pas le quartier,  se sont perdues au retour et en attendant nous  poirotions sur place, en évacuant le trop d’énergie du spectacle, donc en dansant dans la rue au son des petits baffles de poche de Joana. Entre deux courses après le petit Salomon surexcité, voire même agressif parfois, j’ai pu admirer la danse spontanée de Jenika et d’un des grands que je voyais pour la première fois, dont je ne connais même pas le nom, et qui dansait vraiment très bien, un peu comme chez nous… Sami était impatient de rentrer, il devait reprendre le travail le matin… à savoir aller chanter dans le métro. C’était impressionnant de voir à quel point il prenait son travail au sérieux. De même que son copain, le danseur, qui m’expliquait aussi qu’il travaillait, comme s’il avait un emploi dans un bureau, une entreprise, sérieux, qu’il ne faut pas rater, ne pas arriver en retard, un vrai travail. Et ce travail c’était de déposer des bouts de papiers auprès des voyageurs dans les transports en commun avec un petit texte comme quoi «  je suis émigré, je n’ai pas de travail, j’ai des frères, aidez moi, etc… » C’était émouvant de voir à quel point il identifiait cette activité à un vrai emploi, sérieux, avec des responsabilités, puisqu’elle était source de revenus pour toute sa famille… Comme beaucoup d’autres je suis souvent un peu agacé par ces mendiants, les assimilant automatiquement à de l’arnaque… mais finalement, c’est vrai ce qu’il y a de marqué sur ce petit papier – ils n’ont pas de travail, n’ont aucune chance d’en trouver, sont des refugiés, ont des frères et sœurs à nourrir, des parents à soutenir… et visiblement, prennent ce travail avec beaucoup de sérieux et de respect. Et l’un comme l’autre ont un talent véritable pour la danse et pour le chant. Je veux dire par là qu’ils le pratiquent de manière exceptionnelle…   Comme si j’avais oublié que moi aussi j’ai joué dans le métro, j’ai même pratiqué quelque chose de similaire aux petits papiers… mais je n’avais pas ce sérieux que ces deux jeunes  qui ont dansés avec nous ce soir. J’ai vite abandonné, car j’avais trouvé mieux, à savoir les théâtres, cabarets, etc. Eux, ils n’auront pas cette chance… à moins que l’on réussisse l’impossible – d’aller de l’avant, en continuant encore un peu avec Kesaj.
 
Le spectacle d’AuberKingston, le 21 avril à Aubervilliers était un grand succès pour tous ces gamins (mais pour moi aussi). C’était une sacrée première pour tous. La première fois touts seuls. Autonomes. Comme des grands. Comme Kesaj. Comme des Roms qui ont retrouvé leur culture originelle, leur façon d’être eux-mêmes, innée  à travers le chant et la danse comme une affirmation naturelle d’une approche de la vie. Comme au bidonville en Slovaquie, ou à la Jamaïque. Où à Aubervilliers ou à Saint Denis…
 
Oui, ils ont attrapés « le virus ». Ils ne peuvent plus se passer du  chant, de la danse, de la vie… Je n’ai jamais voulu tomber dans du nationalisme local-patriote en promouvant les Tziganes slovaques à d’autres. Mais cette culture originelle, naturelle, d’une approche de la vie sur l’instant même, ne pouvant se concevoir sans la musique, je la retrouve surtout en Slovaquie, au fond de ces bidonvilles atroces pleins de joyaux sur fond d’immondices, hélas. Très cher payée, cette liberté de chanter… Mais c’est toujours mieux que de voler… comme des banquiers, que de se battre... comme des supporters de foot… Et ça peut même donner envie de retourner à l’école, comme des Kesaj...
 
Un grand merci et toutes nos amitiés a Henri, qui a eu cette heureuse initiative, et qui nous a permis de vivre cette expérience pas banale.