Te prindžaras amen

Cela faisait un bon bout de temps que nous étions périodiquement invités à ce festival. Presque chaque année. Et à chaque fois cela flanchait au dernier moment, les finances, le covid, etc.. Cela a failli être la même chose cette année. Une semaine avant le festival nous avons eu un coup de fil de la part des organisateurs, qu' à leur grand regret ils ne peuvent pas nous inviter, faute de finances. Le projet qu´ils avaient déposé auprès du Ministère de la Culture, n'est pas passé. Les organisateurs, c'est le Musée ethnographique national slovaque, plus précisément le Musée de la culture rom à Martin, une ville de la Slovaquie Centrale. Leur invitation datait pourtant de plusieurs mois, nous avons vu ensemble les détails, il était évident qu´ils n'avaient pas beaucoup de moyens, alors nous avons accepté de venir uniquement moyennant la prise en charge du transport, il n´était pas question d' honoraires, ni de restauration. Mais cela nous faisait une occasion de nous présenter en public, ce qui est plutôt rare en Slovaquie, donc nous avons accepté ces conditions et nous nous sommes sérieusement préparés en répétant pratiquement tous les jours, avec tous les effectifs. Tout le monde était très motivé, nous avons travaillé comme de vrais pros, ne ménageant pas nos efforts, avec une discipline et une assiduité exemplaires. Je ne voyais pas comment j'irais annoncer une semaine avant le jour J que tout est annulé et qu´on n'y va pas. Alors j'ai proposé aux organisateurs de venir sur nos propres fonds. La déception de tout annuler, de voir que tout le travail et tout l'investissement n'aurait servi à rien, était beaucoup plus importante et traumatisante pour tout le monde, que le manque financier que cet engagement nous provoquait. Tant pis, on réduira un peu nos activités par la suite, mais pour l'instant nous avons continué à travailler d'arrache pied et à nous préparer pour le festival. Quelques jours avant nous a rejoint Jozef Banyak, réalisateur slovaque (d´origine rom), qui tourne un documentaire sur nous pour la TV nationale slovaque, il va nous accompagner et filmer, comme il l'a déjà fait lors de la tournée de l'année dernière à Tomblaine, en France. Les préparatifs battent leur plein, les costumes, les provisions pour la route, il faut que tout soit prêt. La météo est caniculaire, ce qui n'est pas idéal, je suis un peu inquiet en partant. Dimanche matin nous partons de Kežmarok en direction de Martin, nous avons env. 200 km à faire, mais avec les bouchons nous mettons presque 4 heures pour atteindre notre destination. Les organisateurs, très inquiets et soucieux que tout se passe au mieux, n'arrêtent pas de nous appeler si tout va bien. Nous sommes sur place sur le coup de midi, le soleil de midi tape  comme dans le Midi à midi, nous avons une heure pour nous préparer et nous mettre en place. Sur place il y a déjà les autres participants, quatre autres groupes roms de la région. L'ambiance est plutôt sympathique et décontractée, mais nous nous rendons très vite compte que les organisateurs, autant ils sont sympathiques et attentionnés, tout autant ils sont inexpérimentés et maladroits. Il y a des défaillances au niveau même de l'organisation de l'événement, qui ne sont pas importantes à première vue, mais qui vont s'avérer avoir leur importance par la suite. Déjà tous les groupes sont invités à se produire par deux fois consécutives, donc deux passages avec une heure d'intervalle. Soit-disant que les spectateurs du premier passage ne seront pas forcément les mêmes que ceux du second. En fait, il ný a pas eu pratiquement aucun spectateur. Il y avait pourtant de la communication dans les médias, mais le lieu est excentré, et avec cette météo des tropiques, personne n'a osé s´aventurer jusqu´au lieu du festival, en dehors de la ville et pas facile d´accès. Donc il était évident que nous allions nous produire pour nous mêmes, c.a.d. les groupes vont jouer et danser les uns devant les autres. Tant pis, c'est déjà ca, cela nous permettra de nous découvrir mutuellement, nous n'avons pas l'occasion de rencontrer d'autres groupes roms souvent, alors ce n'est pas plus mal.  Il y a un groupe relativement connu, et trois qui ne font que débuter depuis un an ou deux. Quand je disais que les organisateurs étaient un peu maladroits, c'était déjà par rapport au lieu même de la production. Nous avions à choisir entre une scène de 3m x 2 m en extérieur, la scène par sa taille ne servait à rien, il aurait fallu danser sur de l ́herbe, pas fauchée court, sur un terrain pas très plat, et en plein soleil, en risquant des entorses et des syncopes ou les deux à la fois. Il ne nous restait qu'à se rabattre sur une ancienne écurie, donc à l´ombre, ce qui était appréciable, par contre sans sono, ce qui n ́était pas grave, mais avec un sol absolument impropre pour la danse, car constitué de grosses dalles de pierre, poussiéreuses et pas parfaitement plates non plus. A chaque tour de jupon un nuage de poussiére s´élevait, et créait un effet de brume, comme à la télé ! Bon, on n'avait pas le choix, on a fait avec. Par contre le public était superbe, les spectateurs, constitués des danseurs des autres groupes, tous des Roms, étaient en extase devant notre prestation et manifestaient leur enthousiasme. Nous, bons joueurs, nous leur renvoyons la balle, et ne ménageons pas nos applaudissements lors de leurs passages. Rapidement nous étions tous recouverts d'une fine couche de poussière blanche, il va falloir passer les costumes à la blanchisserie en rentrant... S'ensuit une pause d'une heure environ, pour remettre ça ensuite. Je n'approuvais pas du tout ce scénario, sachant qu´il est toujours pas facile de redémarrer après une pause gastronomique. Effectivement,  nous en profitons pour avaler la baguette que nous offrent les organisateurs, mais parmi les autres participants, il y en a quelques-uns qui avalent aussi quelques bières, alors qu´il était convenu qu´il n´y aurait absolument aucune consommation d´alcool sur place. Ce petit détail s´avéra capital, car lorsque par la suite nous essayons d ́obtenir un peu de calme de la part de certains des jeunes adultes, c ́était peine perdue, et leur comportement, bien que pas violent, mais quand meme pas tres cooperatif, car bruyant et irrespectueux, a dérangé les autres, ceux qui se produisaient en même temps que ceux-ci sirotaient leurs demis. La responsabilité en incombe aux organisateurs qui n'ont pas su prévenir ce genre d'incivilités. Mais les organisateurs, c´étaient des braves dames employées du Musée, qui ont déjà eu le mérite de s´investir dans ce genre d´événement, en y investissant leur temps et leurs propres moyens, alors on n'allait pas se plaindre.  Nous étions juste déçus que des jeunes adultes roms, visiblement pas du milieu des bidonvilles, mais venant d'un milieu urbain, ne savaient pas se comporter décemment et ont un peu gâché la fête aux autres. 
Mais le bilan est quand même positif, même très positif. Nous étions quarante à participer, pour la grande part tous des nouveaux, pour la plupart d'entre eux c'était leur première production publique, de celles dont on se rappelle toute la vie. Tout le monde s´est comporté   sérieusement, tous disciplinés, tout en se "lâchant" en dansant avec tous les autres, mais sans incivilités ni provocations, comme certains de leurs plus grands frères.